Épisode 44 - Pour le meilleur...

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 Bien que concentré sur ses réflexions, le reflet déformé de son visage à demi-plongé dans les ténèbres hypnotisait Tokri. Aucunement émoussé par ses années d’inactivité, le Genin ne pouvait que constater le soin apporté par son grand-père à son héritage. Avec un pincement au cœur, il songea que Lila en aurait été heureuse.

 Le jeune Utak avait été surpris lorsque Bril lui avait demandé un moment en tête à tête à la toute fin de sa soirée d’anniversaire. Ayant attendu le départ de Sarouh, Tokri s’était préparé à défendre une fois de plus son ami pour lequel le vieil homme ne cachait nullement son animosité. Marqué par ses années au front lors de la Seconde Grand Guerre, le vétéran n’avait jamais cru en l’Alliance des Trois. Pour lui, ce n’était qu’une question de temps avant que la nature des shinobis ne prennent le dessus sur l’utopie de paix. Et force était de constater que l’orientation géopolitique risquait de lui donner raison. Au-delà du Boost S, l’ancien Kounin était convaincu que la nomination du Mahoukage suffirait à plonger un jour ou l’autre le Yuukan dans un nouveau conflit sanglant, ouvrant grand la porte aux autres pays à une invasion.

 Le vieil homme n’avait de cesse de répéter ses analyses, pestant contre la vieillesse qui risquait de l’empêcher de lutter pour son Village. Désormais habitué, Tokri s’était donc attendu à entendre ses mises en garde vis-à-vis des amitiés inter-Villages. Fatigué de tenter de faire prendre conscience de leurs différences à son grand-père, le cadet des Utak était décidé à laisser passer la tempête en silence. Peu lui importait la géopolitique, jamais il ne tenterait de tuer un ami, quitte à être accusé de trahison.

 Sans crier gare, Bril déposa entre les mains d’un Tokri décontenancé le katana de sa défunte mère. Le fourreau en bois de magnolia était d’un noir ébéne, quelque peu brillant à la lumière, parsemé de quelques touches d’un blanc neigeux. Lorsqu’il dégaina de quelques crans, il constata que la lame était d’une teinte semblable, seul dénotait un trait blanc irrégulier parcourant le fil tranchant. Même son œil néophyte ne pouvait que constater la qualité de l’arme entre ses mains.

 Comme Okioto avant lui, Bril avait décidé d’attendre sa majorité pour lui confier l’une des armes de leur mère. Refusant de se perdre en sentimentalisme, le doyen lui demanda de se recentrer, puis s’éloigna.

 Se remémorant la scène, Tokri ne put s’empêcher de sourire. Bien que ne correspondant aucunement aux attentes de Bril, le retour de Okioto avait d’ors et déjà aidé le Genin vengeur à organiser ses priorités compte tenu des défis qui les attendaient. La nouvelle faction leur avait offert une piste pour retrouver leur père. Au diable la politique des Trois, l’opportunité d’abattre Uril était tout ce qui comptait à ses yeux. Et cela passerait tout d’abord par sa réussite à l’Examen Chuunin.

 L’adolescent se mordit une lèvre et se reprit intérieurement. Tuer Uril n’était pas une fin en soi, mais un moyen. De toute son existence, seule Izul et sa famille avait de la valeur à ses yeux. Mais pour vivre sereinement, il lui fallait éliminer le spectre du monstre. Dans le cas contraire, Tokri savait qu’il n’avait aucun espoir de voir disparaître les nuits cauchemardesques qui rongeaient son âme depuis sa plus tendre enfance.

 Laissant échapper un soupir, il rengaina sa lame et la rangea sous son lit, ne souhaitant nullement être en retard pour son rendez-vous.

*****

— L’anniversaire de Izul aura lieu dans une semaine, lâcha Tokri avant de reprendre une gorgée de bière, fébrile.

 Le Tsumyo haussa un sourcil, étonné et ne sachant que faire de cette information.

— J’espère que tu ne comptes pas sur moi pour te trouver une idée de cadeau, répliqua l’illusionniste, une pointe d’ironie perceptible dans sa voix, tout en jouant avec le goulot de sa bouteille.

 Installés à la terrasse de leur bar favori, l’Utak jeta un regard autour d’eux, craignant qu’une oreille indiscrète n’entende leur conversation et ne trahisse la surprise absolue qu’il préparait à sa petite amie.

— C’est en cours, répondit-il en tâchant de ne pas élever la voix. Mais j’ai besoin de toi pour la finalisation.

 Sarouh porta la bière à ses lèvres, sans se départir de son étonnement. Mais l’Utak perçut une lueur de curiosité dans l’émeraude de son ami.

— L’idée n’est même pas totalement éclaircie pour moi, bredouilla Tokri en se grattant l’arrière du crâne, gêné.

— Tu vas me la cracher ton idée oui ? s’impatienta le Tsumyo, bien qu’amusé par l’hésitation du Chikarate, tout en expirant une bouffée de sa cigarette.

 En un sourire, le Genin lui exposa son projet. L’adolescent avait commandé deux bijoux en forme de papillon, afin de symboliser leur relation. Le jeune homme avait veillé au moindre détail, sélectionnant les plus beaux matériaux du bijoutier, quitte à y mettre toutes ses économies. Mais ne voulant pas s’arrêter à un simple bijou, Tokri cherchait un moyen de renforcer l’union que représentait ce cadeau pour eux. Le couple venait de traverser une période de turbulence, pour une raison que Tokri peinait à cerner. La sentant s’éloigner, le jeune homme avait craint le pire avant de la voir redevenir la petite amie solaire qu’il chérissait.

— Je comprends mieux pourquoi tu as lâché les filles aujourd’hui, ricana Sarouh, hilare.

 Depuis quelques semaines, Tokri aidait Izul et Nika à combler leurs lacunes au taijutsu. Leurs sessions les avaient grandement aidé à consolider leur amitié retrouvée avec la Hynomori.

— Elles peuvent se passer de moi, au moins pour une après-midi, répondit Tokri d’un sourire taquin.

— Je n’en doute pas.

 Sarouh termina sa bière, y jeta son mégot et invita son ami à déambuler dans les rues du Village du Désert. Le jeune homme suivit le Tsumyo, tous deux partageant la même propension à la réflexion silencieuse lors d’une promenade.

— D’où vient l’idée du papillon ?

— C’est le premier animal que nous avons vu ensemble pour la première fois.

 Mordillant son pouce, Sarouh hocha la tête, en pleine réflexion autour de la demande de son collègue. Tokri omit volontairement de préciser que l’événement avait eu lieu lors de leur voyage pour Sengo. Inutile de remuer de mauvais souvenirs chez le Gensouard.

— C’est le lien entre vous que tu veux symboliser ? demanda-t-il après quelques minutes de marche.

 L’Utak opina du chef, reconnaissant un début de plan dans le regard du Gensouard, habituellement réservé au combat ou autres missions mortelles.

— Donne-moi l’adresse de ton artisan, le pria Sarouh.

— Sans m’expliquer ce que tu as en tête ? s’étonna Tokri.

 Le Tsumyo lui adressa un clin d'œil malicieux.

— Je te réserve la surprise, mon ami.

****

— Vous avez accroché des ballons sur les rochers ?

 Mimant l’exaspération, Tokri soupira mais ne put s’empêcher d’esquisser un sourire amusé. Durant tout le trajet depuis leur appartement jusqu’au promontoire, Izul n’avait eu de cesse de multiplier les suppositions quant à son cadeau. Fort heureusement, toutes ses théories étaient hasardeuses et ne se rapprochaient aucunement de la réalité.

 Venant d’atteindre le sommet, tous deux se dirigeaient à l’extrémité du mont, là où l’équipe avait l’habitude de pique-niquer. Mais aujourd’hui, seul Sarouh les accueillit, mains croisées derrière le dos. La kunoichi d’azur haussa un sourcil de surprise et interrogea Tokri du regard, qui ne put empêcher un sourire malicieux d'éclairer son visage tout en échangeant un regard complice avec le Tsumyo.

— J’ai l’impression d’être sur le point de vous marier, ricana l’illusionniste lorsque le couple l’eut rejoint.

— Je te demande pardon ? bredouilla Izul, manquant de s’étouffer.

 Se retenant d’éclater de rire, l’Utak rabroua amicalement son ami d’une tape à l’épaule avant de se tourner vers sa compagne :

— Il exagère.

— J’espère bien ! s’exclama Izul, exagérant volontairement son indignation.

 Recouvrant un visage sérieux, le Tsumyo leur présenta ses poings, le droit posé sur le gauche. Fermement serrés, il tenait visiblement quelque chose, qui raviva l‘éclat de curiosité dans l’émeraude de l’aspirante médecin.

— Prenez mes mains dans les vôtres, s’il vous plait. Concentrez-y votre Chakra, comme quand vous usez du gyo.

 L’Utak s’exécuta, tout de suite imité par une Izul qui l’interrogea à nouveau du regard. La réponse silencieuse du jeune homme lui confirma qu’il n’était pas au courant du pourquoi de l’opération de leur ami.

 Entre leurs doigts filtra un mélange de lueur verte pâle et bleue marine. Lorsqu’elles s’éteignirent, Sarouh leur pria de retirer leurs mains. Il ouvrit les siennes, les laissant découvrir deux magnifiques papillons cristallins. Les bijoux étaient tels que Tokri les avait imaginés, en dehors de leur couleur : l’un et l’autre était de la couleur du Chakra les ayant éblouis quelques instants plus tôt.

 Le Tsumyo passa la chaîne du papillon bleu autour du cou de l’Utak, puis le vert autour de celui d’Izul. Cette dernière le fit tourner entre ses doigts en souriant, avant d’amener son attention sur les deux garçons.

— Vous m’expliquez maintenant ? demanda-t-elle, n’en tenant plus.

— L’idée des papillons vient de Tokri, précisa Sarouh en guise de préambule. J’ai juste permis la finalisation de son idée en travaillant avec l'orfèvre mandaté par notre précieux chef d’équipe.

 Tout en écoutant son ami de Gensou, l’Utak analysa le papillon autour de son cou. L'œuvre était parfaitement taillée. Criant de réalisme et sublimé par l’art du Tsumyo, le jeune homme en avait eu pour ses économies. Et une petite idée de ce que Sarouh venait de réaliser commençait à germer à son esprit. Ce dernier s’alluma une cigarette tout en continuant ses explications.

— Pour faire simple, j’ai placé trois sceaux qui se font écho. Tant que vous êtes proche, le papillon prend la couleur du Chakra de l’autre. Plus votre lien est puissant et plus le bijou fonctionnera.

 Les amoureux s’échangèrent un regard, presque timide, avant qu’Izul ne baisse les yeux, touché par l’initiative de Tokri.

— Bon anniversaire, chuchota ce dernier avec affection.

 Izul s’enfouit alors dans ses bras, tandis que Sarouh se détourna tout en expirant un filet de fumée. Maintenant que sa part était remplie, iI songea à les laisser seuls.

— Tu t’es surpassé, le complimenta l’Utak, sincèrement redevable autant qu’impressionné par les progrès de son ami en matière de fuinjutsu. Je te le revaudrai.

— Je n’en doute pas, répondit Sarouh, qui cacha l’expression de son visage derrière un nuage de fumée.

 La kunoichi d’azur se redressa, déterminée à remercier le Gensouard pour ses efforts.

— Quand aura lieu ton anniversaire ?

 Pris de court par la question alors que le cumulus disparaissait autour de lui, le Tsumyo se mordit une lèvre.

— Il y a un mois, répondit-il d’une petite voix, presque étouffé.

 Un ange passa sur les trois shinobis. Tokri se mordit une lèvre, se reprochant de ne pas avoir songé à lui poser la question alors que s’approchait le sien.

— Désolé mec, s’excusa t-il sincèrement. On aurait dû se renseigner bien plus tôt.

— Et j’aurais pu vous le dire, répliqua Sarouh en haussant les épaules, conscient que la faute était partagée. Il n’y a pas de mal, je n’en ai même pas parlé à Nina.

 L’adolescent aux cheveux cobalts jeta un regard triste à Aura, accroché à son flanc. Il leur tourna le dos et se posta face à la ligne d’horizon formé par les dunes de l’océan de sable s’étendant à l’infini face à eux.

— Depuis leur mort, je me suis résigné.

 Hésitant à le laisser seul, Tokri ne put s’y contraindre. Pas après la preuve d’amitié que le Gensouard venait de leur offrir, malgré les tensions qui avaient pu exister entre le trio. Le jeune homme se plaça à sa gauche et posa une main compatissante sur son épaule. Suivant l’exemple de son compagnon, Izul se plaça à la droite de l’illusionniste et cala sa tête contre sa seconde épaule.

 Sarouh finit par briser un court instant le silence respectueux d’un murmure qui se perdit dans la brise chaude de Chikara.

— Merci.

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