Épisode 45 - Priorité

10 minutes de lecture

— Attrape !

 La kunoichi d’azur envoya une bière au Tsumyo qui la récupéra sans un regard, concentré sur son match d’échecs. Tout à son jeu, il l’ouvra et but une première gorgée mécaniquement, avant d’enfin bouger son fou, posant une menace direct sur la ligne de défense adverse.

— Tu es sûr ?

 Face à lui, l’Hynomori était toute sourire. Cela faisait trop longtemps que les deux stratèges ne s’étaient affrontés au jeu des rois. Izul ne participait pas mais prenait plaisir à discuter avec ses coéquipiers pendant qu’ils jouaient.

— Je déteste quand tu poses cette question, répondit Sarouh avec une grimace exagérée. Je suis sûr, vas-y.

— Très bien, alors permets moi.

 La suite du duel s’enchaîna très vite. Les trois tours suivants furent joués sans hésitation de part et d'autre. Pourtant, alors qu’il allait prendre la reine adverse, l’illusionniste laissa son geste en suspens et déclara après un silence confus :

— Je ne l’avais pas vu celui-ci.

 Il ne laissa pas le plaisir à la marionnettiste de finir et coucha son roi en signe d’abandon. Même s’il menaçait souvent la Genin, Sarouh était encore très loin d’avoir le niveau pour la battre régulièrement. Il n’avait réalisé l’exploit que deux fois et suspectait que Nika y était allée doucement avec lui.

— Tu as quand même sacrément progressé. Vu le peu de parties à ton actif, c’est étonnant que tu sois déjà capable de me pousser dans mes retranchements.

— J’ai appris des meilleurs.

 Il lui adressa un clin d'œil et porta la bière à ses lèvres. Son regard fut attiré par la lueur verte au cou d’Izul. La main droite de la future médecin allait régulièrement caresser le papillon ciselé, comme si elle craignait qu’il ne s’envole.

— Tu sais que tu peux le désactiver, n’est-ce pas ? demanda l’illusionniste avec une intonation narquoise

— Tu me l’as dit en effet. Déjà sénile ? C’est l’anniversaire qui t’a frappé plus durement que prévu ?

 Ils ricanèrent, alors que Nika rangeait précautionneusement les pièces de l’échiquier dans leur écrin, un sourire muet aux lèvres. En terrasse d’un bar, ils profitaient du soleil et de l’air relativement frais du début de soirée. La timide stratège l’avait doucement rabroué en lui disant qu’ils formaient une équipe et qu’elle aurait voulu célébrer avec lui, avant de laisser couler devant son regard triste.

 Même si la compréhension n’était pas parfaite entre eux, les adolescents s’entendaient tous à nouveau et l’équipe Myo progressait plus que jamais, en un égrégore presque désespéré face à la pression de l’examen Chuunin d’un côté et celle beaucoup plus sombre d’un conflit généralisé. Individuellement, il soupçonnait Mutika de redoubler d’effort en secrets, alors que Kiame était clairement sous la tutelle de l’Utak qui l’avait pris d’affection. Sarouh n’échappait pas à cette dynamique, malgré la charge de Nina, il semblait avoir une vigueur renouvelée dont tous bénéficiait. Son niveau en genjutsu avait atteint de nouveaux sommets et son tout nouvel accès à l’art des sceaux le laissait rêveur. Capable uniquement des aptitudes de bases, l’illusionniste savait très bien ce qu’il désirait en faire à l’avenir. Le Chuunin n’était pas encore prêt, mais chaque étape le rapprochait du shinobi qu’il désirait être.

— Sarouh ? Tu m’écoutes ?

— Pardon, j’étais perdu dans mes pensées. Qu’y a-t-il Izul ?

— Nika doit rentrer, ça te dit de faire un tour ?

 Avec le couvre feu, le clan de la marionnettiste mettait une pression encore plus grande que d’habitude à ses membres. En héritière, la Genin se devait de montrer l’exemple. Ces parties d’échecs à trois étaient l’un de ses rares moments de distraction dans une réalité où tout n’était que préparation à l’affrontement que tous savaient désormais inévitable. Sarouh hocha la tête et le trio se sépara quelques rues plus loin.

 La kunoichi d’azur l’emmena sans un mot à l’écart du centre, déambulant presque au hasard dans Chikara. Le silence entre eux ne les dérangeait pas. Comme avant, se dit douloureusement le Tsumyo. Plusieurs minutes plus tard, ils atterrirent sur un banc qui leur permettait de profiter du coucher de soleil. L’illusionniste se retint d’allumer une cigarette, Izul n’en supportant pas l’odeur. Sa main se posa sur Aura pour s’occuper à la place.

— Alors, qu’est-ce que tu me voulais ? demanda finalement le Gensouard.

— Je ne peux pas simplement avoir envie de passer du temps avec mon ami ?

 Ses yeux brillèrent d’une lueur triste qui contredit largement la tentative de sourire. La future médecin avait bel et bien un poids sur le cœur.

— En général, si on veut me parler, c’est qu’il y a un problème. Je t’écoute.

 Izul hésita. La réponse de Sarouh la déstabilisait plus que ce qu’il avait désiré.

— Selon toi, quelles sont les chances que nous soyons alliés dans le conflit qui arrive ?

— Élevées.

 La kunoichi d’Azur avait posé sa question à voix basse, presque dans un murmure. Elle releva brusquement la tête à la réponse dénuée d’hésitations du Gensouard. Ce n’était pas un optimiste, pourtant. Il daigna finalement croiser son regard interloqué.

— Je ne sais pas pour Mahou mais un conflit entre nos deux Villages semble être l’option la moins probable. Nous avons maintenu des relations cordiales tout le long de l’enquête et historiquement, la Cascade et le Désert ont le moins de friction. Nos intérêts convergent.

— Je sais tout ça. On peut également te remercier pour le maintien de la paix.

 Elle fit un petit clin d'œil au Tsumyo, moitié amusée, moitié sérieuse. Pourtant, elle se heurta à un mur. L’adolescent se ferma complètement et répondit d’une voix empreinte d’amertume :

— Non. Aucune de mes actions n’avaient d’importance. Le conflit était déjà préparé, j’ai été naïf de croire que je ferais une différence.

— Mais tu ne viens pas de dire que l’entente entre nos Villages étaient bonnes ? Tu étais le seul ambassadeur permanent à ma connaissance.

— Parce que c’était déjà prévu, je pense.

 La Leïl afficha une moue sceptique. Inutile de lire son esprit pour savoir ce qu’elle pensait. Elle trouvait les positions du Gensouard trop extrêmes et pessimistes. Selon elle, il voyait le mal partout, même si elle respectait son intelligence. Un souvenir de Yassin, le Mahousard qui partageait son idéal, se rappela brusquement à lui. Qu’est-ce qu’il penserait s’il le trouvait ainsi ?

— Regarde la façon dont nous sommes formés. Personne n’a les talents d’assassinats ou de diplomatie et même de protection dont nous aurions besoin pour maintenir la paix.

— Il faut bien des combattants pour la plupart des missions, surtout avec le déficit de personnel.

 L’illusionniste secoua la tête avant de terminer sa bière. Refusait-elle de le voir, ou était-il trop fataliste ? Il était clair au vu du Tournoi des Trois et de l’Examen qui suivait que les recrues étaient entraînées dans un but de conflit généralisé. Aucun des Villages n’avaient formé d’ambassadeur et même l’assassinat passait clairement au second plan. Le shinobi idéal n’existait plus.

 Ils continuèrent à parler stratégies militaires, comme s’ils n’étaient pas concernés. Les différentes configurations, l’échec de la technique d’attrition contre les Villages, l’importance des unités médicales et de la logistique. Les heures passèrent et l’intellect de la kunoichi comme ses connaissances rivalisaient sans mal avec ceux de l’illusionniste.

— Qu’est-ce que tu veux faire ? murmura finalement Izul.

— Par rapport à quoi ?

— Nina, nous, ton Village…

 Elle affichait une moue heurtée et l’azurée prit une profonde inspiration avant de continuer, sachant le sujet délicat. Sa voix trahissait ce qu’elle en pensait, amère, presque acide.

— …Et Cacaunoy.

— Je protégerai ceux qui comptent, répondit Sarouh sans relever, à la nouvelle surprise de la kunoichi. Je me suis entraîné dur pour ça.

— Le temps risque de te manquer.

 Le shinobi était d’accord. Tout allait trop vite. Il y avait une possibilité terrifiante où il ne rentrait pas à Gensou avant de savoir ceux qui y étaient restés morts au combat. Kana, Irumi, Chiraku et Cacaunoy défilèrent immédiatement dans son esprit. Ses parents décédés seraient écoeurés de le voir se lamenter sur son sort. Il ne pourrait pas tout faire. Une prière muette destinée à une divinité inconnue mûrissait dans le cœur de Sarouh. Pitié, que les choses se passent bien. Il ne pouvait pas être partout.

— Je deviendrai fort et ferai au mieux.

 Ces mots simples reflétaient ce qu’il était et la Leïl les accepta avec un sourire. Finalement, toute l’équipe Myo en était au même point. Elle se leva et posa une main sur son épaule.

— Je suis fière de toi.

 Et sans se retourner, la kunoichi s’en alla, ses longs cheveux agités par le vent nocturne. Un pincement au cœur surprit Sarouh, qui souffla avant de se lever à son tour. Il n’avait plus beaucoup de temps. Il fonça vers son Destin.

*****

— Au fait, j’ai trouvé ça pour toi !

 La voix de Nina venait de sa chambre, depuis laquelle elle revint en portant un colis assez lourd. Le carton avait été renforcé pour ne pas s’affaisser sur lui-même. Depuis le canapé, le Gensouard attendait tranquillement que la jeune femme revienne, devant les deux bières fraiches préalablement ouvertes comme à leur habitude.

— Qu’est-ce ?

 Sarouh leva les yeux vers sa compagne nocturne aux bras chargés. Sa voix cordiale quelques secondes auparavant dissimulait soigneusement sa colère que ses yeux échouaient à cacher.

— Un cadeau d’anniversaire apparemment.

 L’illusionniste comprit simultanément l’origine de son énervement comme celle du paquet. Elle lui jeta sans ménagement le colis sur les genoux et croisa les bras. Jamais le Gensouard n’avait eu envie de mentir à ce point.

— Écoute Nina, je ne comptais pas spécialement le cacher.

— Mais ?

— Avec la mort de mes parents et la guerre à venir, je n’avais aucune envie de célébrer ma naissance. Jusqu’il y a peu, j’étais convaincu que je n’étais bon qu’à souffrir et causer des problèmes. Le monde se porterait alors bien mieux sans moi.

 L’illusionniste déploya des trésors de volonté pour ne pas détourner le regard et conserver une voix neutre. Il n’avait jamais vraiment formulé ces pensées suicidaires. Ses mises en danger répétées n’étaient que des longs appels à la mort qui avait refusé ses avances, il s’en rendait compte désormais. L’attitude de sa confidente changea du tout au tout. Furieuse encore une seconde auparavant, il lisait une profonde compassion dans son regard. Il détestait ce moment. Celui où il verrait poindre de la pitié, encore.

— Pourquoi eux sont-ils au courant ?

— Jalouse ? Ils me l’ont demandé spécifiquement quand j’ai aidé à la création du cadeau d’Izul. Je n’ai pas eu la force de mentir, mais tu sais, eux aussi sont en retard.

 Le visage de Nina se ferma en une expression indéchiffrable. Après un silence insoutenable, elle se relâcha et laissa son regard errer dans l’appartement, avant d’ouvrir sa bière, laissée sur la table à côté de sa jumelle destinée au Gensouard.

— J’ai beaucoup réfléchi, continua-t-il après une profonde inspiration, prenant la main disponible de la jeune femme dans la sienne. J’aurais dû te parler de ça, mais il y a plus important encore.

— Une autre raison de me fâcher ?

 L’intonation était légère, mais les yeux océan de la blonde lui disaient tout ce qu’il voulait savoir. Peur, colère, excitation. Tout se mêlait de manière claire et le shinobi eu du mal à réprimer un sourire malgré son stress.

— Ces derniers temps, je suis amené à réfléchir à ce qui est important. La réponse, c’est toi.

 Un long silence suivit sa déclaration. Ils se voyaient tous les jours, souvent chez la jeune femme. Leur relation était un accord tacite de protection mutuelle. Elle servait de rempart contre lui-même, il était son bouclier face au monde extérieur. Jamais il n’avait envisagé d’aller plus loin, encore marqué par son échec avec Izul. Pourtant, malgré l’écart d’âge, même s’il ne s’en sentait pas digne, Sarouh voulait être à ses côtés. Il ne voulait pas d’un monde sans elle. Maintenant qu’il avait ouvert son coeur, il était dévoré par la peur.

 Une main se posa sur sa joue, et il redressa la tête. Il fut accueilli par les lèvres de Nina. Ils fermèrent les yeux et l’espace d’une seconde, tout fut parfait.

— J’ai cru que tu ne le dirais jamais.

 Un murmure, chuchoté à son oreille comme un secret. Ivre d’elle, Sarouh tendit à son tour les lèvres, le corps s’embrasant au goût de Nina. Elle plongea ses yeux bleus, plus profonds que la nuit dans les siens, un air victorieux. La jeune femme poussa le carton de son compagnon et prit sa place à califourchon sur le grand shinobi, face à lui.

— A partir de maintenant, tu es à moi.

— Tu resteras à mes côtés ?

— Même si les Villages brûlent.

 Et ils scellèrent leur pacte d’un baiser au goût de meilleurs lendemain. L’odeur de la jeune femme envahissait tout l’univers du Genin, le souffle court, ils ne cessaient de s’embrasser. Elle finit par le repousser, presque à contre-coeur.

— Ne t’avises pas de m’abandonner.

 Sarouh fit non de la tête, l’idée ne lui viendrait même pas à l’esprit. Un sourire étrange se dessina sur les lèvres de Nina. Elle avait pris son premier baiser et dérobait son âme avec. La blonde régnait sans partage sur son coeur. Elle se rapprocha à nouveau l’embrassant avec une fougue renouvelée. Doucement, ses mains s’emparaient du visage du Genin, caressait ses cheveux. Sa promise commença à retirer son haut et l’adolescent se raidit. Lisant l’incompréhension dans son regard, il répondit avec honte :

— Ca serait ma première fois.

 La serveuse fit une moue étrange et éclata de rire. En soutien-gorge rouge sur lui, elle était magnifique, hypnotique et beaucoup trop attirante. Pourtant, Sarouh ne pouvait pas se détendre.

— D’accord, d’accord. Je ne me moquais pas, je suis juste surprise. Tu te sens prêt ?

 Le Genin fit non de la tête, sans oser croiser son regard. Les cicatrices sur son ventre, la sensation d’être crucifié, la douleur dans sa gorge, tout lui revenait. Nina sur lui, était dangereuse. Pourtant, il l’aimait ! Qu’est-ce qui clochait chez lui ?

— Sarouh ? Tout va bien. Tu as le droit, c’est ton corps.

 Elle posa doucement ses lèvres sur les siennes et la lumière revint dans l’émeraude de ses iris. La confusion et la joie débordaient. Une larme dont il ne comprenait pas l’origine s’échappa.

— Je t’aime, imbécile. On va aller à ton rythme.

— Je t’aime, Nina.

 Les mots lui semblaient faibles, mais alors qu’elle le protégeait de ses bras, pour la première fois depuis longtemps, l’avenir ne lui faisait pas peur.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Tokri Utak ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0