Épisode 42 - Joyeux anniversaire

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— T’en veux une ?

 Sarouh leva les yeux sur Nina, qui lui tendait une bière. Avec un haussement d’épaule, il la saisit comme si cela allait de soi. Assis sur une pierre à l’extérieur contemplant l’infinité du désert, il s’était un peu éloigné de l’ambiance festive pour fumer une cigarette et réorganiser ses idées.

— Toujours autant de mal quand il y a du monde ?

 Le Chuunin haussa à nouveau des épaules avec un rictus douloureux. Le Tsumyo pensait qu’entouré de visages connus, ça irait. Il avait eu tort. La jeune femme aux cheveux d’or se contenta de sa réponse. Habitué aux longs silences, aucune gêne ne survenait quand l’adolescent ne trouvait pas les mots, ou les trouvait inutiles. C’est quelque chose qu’il appréciait chez elle.

— Tu es quand même heureux d’être invité ?

— Je n’aurais raté ça pour rien au monde, répondit enfin Sarouh avec franchise.

— Alors ça me va.

 Ils trinquèrent et burent une gorgée des bouteilles fraîchement décapsulées de la main experte de la serveuse. Après un temps, Sarouh brisa le silence.

— C’est la première fois, tu sais ? Qu’on m’invite à un anniversaire, continua-t-il devant le regard interrogatif de Nina.

— Tu n’as pas l’air extatique pour autant.

 Elle planta son regard dans le sien avec une étrange intensité. Le temps s’arrêta brusquement. Il s’abima dans l’océan de ses yeux, incapable d’échapper à leur magnétisme. Le Chuunin brisa l’enchantement pour répondre à sa question, dissimulant sa gêne dans une bouffée de cigarette, retournant à sa contemplation du désert.

— Je ne sais pas quoi penser.

— Tu as peur ?

 Nina posait la question de manière candide mais n’en demeurait pas moins perspicace. Sa voix ne montrait aucune trace de jugement, seulement de la curiosité naïve teintée de surprise.

— Tu ne l’as pas vu venir, hein ? tenta d’ironiser le shinobi en portant la bière à ses lèvres.

— Je ne comprends pas. Tu m’expliques ?

 Sarouh réfléchit deux secondes. Portant sa bouteille devant ses lèvres comme pour souffler dedans. Un instant, il considéra l’idée de lui expliquer. Autour de lui, les gens meurent. Partout où il était allé jusque là, la souffrance suivait. En son for intérieur, le Tsumyo craignait que l’équipe Chikarate ne fasse pas exception. Les dissensions entre ses membres, le Boost S et le conflit naissant en étaient déjà presque venus à bout. Une main se posa sur son épaule, douce et chaude dans la nuit.

— Tu ne seras pas toujours seul. Le passé ne représente pas l’avenir.

— Ca, tu ne peux le savoir, ne pu s’empêcher de soupirer Sarouh d’un air désabusé.

— Ils tiennent à toi. Et tu ne te débarrasseras pas de moi comme ça.

 Un regard perdu fut la seule réponse qu’elle obtint. Qu’est-ce qu’il était supposé répondre à ça ?

— Allez, va rejoindre la fête. Ton meilleur ami aura du mal à profiter si tu n’es pas dans les parages.

 Elle se leva et lui tendit la main. Il la saisit et souffla un bon coup avant de rejoindre la soirée donnée dans le jardin des Utak pour l’anniversaire de Tokri. Pour l’occasion, la paire avait fait un effort vestimentaire. La légère robe rouge de la serveuse mettait en valeur ses yeux et son teint hâlé n’en était que plus resplendissant. Sarouh avait opté pour des vêtements cintrés bleus et turquoise. Derrière elle, il laissa son regard se perdre sur Nina.

 Le shinobi savoura les mots de son amie. Même si Nina exagérait, il était vrai qu’ils s’étaient beaucoup rapprochés ces dernières semaines. C’était le membre de l’équipe qui avait le mieux accepté l’arrivée de sa protégée dans le microcosme Myo et ils partageaient souvent des bières dans des bars un peu mieux fréquentés que celui de Nina après les entraînements.

 Sarouh avait cessé d’aller dans les bas quartiers de toute manière. Les paroles d’Okioto l’avaient mis en garde sans qu’il ne le fasse exprès, mais l’ambassadeur Gensouard ne pouvait se permettre de ternir davantage son image pour le moment. La radieuse serveuse passait de toute manière toute sa journée avec lui, il n’avait plus de réelles raisons d’aller dans les tréfonds de Chikara.

Deux semaines s’étaient écoulées depuis le retour du fils prodigue et aîné de la fratrie Utak. L’illusionniste ne savait pas quoi penser du personnage, ce qui était assez rare pour être noté, mais le franc sourire qu’il avait vu sur le visage de Tokri lui avait suffit. Un lien puissant rassemblait les deux frangins et si le Chuunin devait être tout à fait honnête, il en était envieux.

 Les nouvelles qu’il amenait n’étaient pas bonnes, mais au moins les choses se précisaient. L’esprit analytique du shinobi aux cheveux bleus s’était emparé avec avidité des dernières informations. Plusieurs choses dérangeaient Sarouh. Si une quatrième faction ninja était apparue, pourquoi n’y avait-il pas déjà un mouvement coordonné des Trois pour les aplatir ? Écraser la rébellion au plus vite était nécessaire. A leur place, le Tsumyo aurait déclaré l’état d’urgence et serait en train de rassembler les troupes disponibles sous une même bannière. Ne pas le faire n’amenait qu’à trois possibilités pour lui.

 Que les Villages avaient un intérêt à laisser la menace planer était sûrement la pire. La seconde impliquait que le problème était sous-estimé ou que les informations venant d’Okioto étaient inutilement alarmistes. Et la dernière possibilité était que c’était un épouvantail agité par l’un ou plusieurs des Trois pour obtenir autre chose. Et on ne le rappelait toujours pas au bercail. Pourquoi la Cascade s’acharnait à le garder ici ?

 Sarouh arriva au feu qui réunissait la team Gomaki et la famille Utak, réunies pour l’occasion, mettant fin au train de ses pensées. Nika lui adressa un sourire poli et lui fit un mouvement de tête pour lui indiquer de se mettre à côté d’elle. Tokri écoutait son frère avec une expression concentrée, Izul sur sa droite affichant une expression réservée, alors que Gomaki amusait la galerie avec Kiame, Mutika et l’Hynomori légèrement en retrait.

 Les deux groupes s’échangeaient des membres de manière organique et fluide. La frontière entre équipe et famille était devenue floue pour son ami. Sarouh ignora la douleur au fond de lui et marcha vers Nika. Il fut intercepté avant.

— Alors on s’éclipse à l’anniversaire de mon neveu ?

 La voix glaciale fit frémir le shinobi. Sarouh avait perdu de vue la terrible infirmière de Chikara. Apparue à sa gauche accoudé à son conjoint hilare, Utika jugeait les revenants avec son habituelle expression pince-sans-rire. Jamais le Tsumyo ne saurait s’y prendre avec elle.

— Seulement quelques minutes, fit Nina en se collant au Chuunin d’une manière suggestive et une moue exagérée

— Je vois qu’on s’amuse, déclara Ryul devant l’air ahuri et défait de Sarouh.

— Je ne voudrais surtout pas ruiner l’ambiance.

 Sa camarade par contre n’avait aucun problème. La façon que la serveuse avait de le protéger en étant inutilement provocante le perturbait plus qu’il ne voulait l’admettre.Personne ne semblait vraiment capable de la faire taire ou de la gêner. Était-ce l’habitude liée à son métier ? La dernière réponse du ninja aux cheveux bleus était moitié amusée, moitié sincère. Il avait du mal à croire que sa présence était désirée.

— Il a l’air heureux, ajouta-t-il, plus pour lui-même que pour les autres.

— Je crois qu’on ne l’avait jamais vu comme ça.

 Sarouh se tourna vers la tante de l’Utak, sentant un soulagement et de la joie sincère dans sa voix. Ca aussi, c’était une première. Le Tsumyo finit sa bière, ne sachant que dire.

— Je crois que tu es demandé, fit Nina en montrant Nika du menton.

 Le Chuunin hocha la tête et glissa un “merci” à son oreille avant de se diriger vers la marionnettiste.

— Je t’ai entendu, fit Utika derrière lui.

 Il ignora l’infirmière et cacha son effroi en continuant vers le feu. Nika était dans une tenue qui contrastait grandement avec celle de Nina. Beaucoup plus sophistiquée, la robe à froufrou carmin et pourpre lui donnait une image de poupée de porcelaine, élégante mais discrète. L’Hynomori le salua alors qu’il rejoignait le petit cercle.

— Pas trop dur ? demanda-t-elle avec un sourire en coin.

— Je ne sais jamais si elle m’aime bien ou veut ma mort.

— T’as réussi à venir jusqu’à moi, ça doit aller.

 Elle laissa échapper un rire fluet, avant qu’une lueur de tristesse ne vienne voiler son regard. Un pincement au cœur saisit le Chuunin. Toutes les interactions avec la marionnettiste avaient cette saveur douce amère, comme si elle était déjà nostalgique d’une ère qui ne s’était pas finie.

— Les choses ont bien changées, n’est-ce pas ?

 Depuis quand Nika savait-elle lire ses pensées ? Enfin, il n’était pas difficile de se mettre à sa place. Mais l’inverse était aussi vrai.

— Tu regrettes ?

 Elle secoua la tête avant de la baisser, laissant de manière fort pratique ses mèches violettes masquer son expression. La petite brune avait beaucoup évolué. Elle était devenue forte. Peut-être plus que lui.

— Je suis inquiète pour toi.

— Encore ? s’amusa à moitié le Chuunin.

— C’est dans ma nature.

 Ils parlaient assis l’un à côté de l’autre, les yeux rivés sur le feu. Les crépitements et le bruit des conversations et des rires autour d’eux semblait irréel.

— A cause de Nina ? J’ai cru comprendre que vous ne l’aimiez pas trop, toi et Izul.

— Pas exactement. Je n’ai rien contre elle.

 Sarouh leva un sourcil interrogatif, mais ne dit rien de plus, s’attendant à ce que la stratège développe. Malgré le retour du Tsumyo dans l’équipe, leur relation était toujours meurtrie par la dispute qui avait suivi l’emménagement d’Izul chez Tokri. Elle hésitait à lui partager ses pensées et il n’étudiait plus en son domaine.

— Je trouve son arrivée… Pratique.

 Un instant, Sarouh allait s’insurger. Puis il se mit à sa place. N’aurait-il pas pensé la même chose ? Déjà qu’il avait du mal à taire totalement sa méfiance envers le frère de son ami, l’illusionniste serait mal placé pour parler. De plus, lui-même nourrissait quelques soupçons envers Nina. Aussi la marionnettiste fut surprise qu’il pose une main sur son épaule.

— Moi aussi. Je fais attention.

— Mais tu prendras quand même le risque à la fin, c’est ça ?

— Tu me connais bien, lui répondit-il avec un faible sourire.

 Nika s’empara d’une bière et en donna une autre à Sarouh. Personne ici ne semblait s’inquiéter de la quantité d’alcool consommée et le Gensouard ne se sentait pas de faire le rabat-joie. Ni de jouer l’hypocrite.

— Tu as continué à correspondre avec Chiraku ?

— Lui aussi me pense en danger ici. Les problèmes s’empilent de l’autre côté.

 La Genin eut un petit sourire. Le Tsumyo voyait sans mal où elle voulait en venir. Il se faisait la même remarque. Elle ouvrit la bouche comme pour dire quelque chose et s’abstint.

— Qu'est-ce qu’il y a ?

— Je ne sais pas si ça m’appartient de te le révéler, mais j’ai peut-être posé des questions à Utika sur ton hospitalisation, il y a deux ans.

— Et tu serais hypothétiquement arrivée à quelle conclusion ?

 Nika savait qu’elle marchait sur un fil avec le Gensouard. Les limites de l’éthique de l’illusionniste était floue et elle ignorait si sa colère inflexible s’abattrait encore sur elle pour sa curiosité.

— Tu étais drogué pour pouvoir te battre par Gensou. C’est le mauvais dosage qui a déclenché ta crise dans l’arène. Rien à voir avec Cacaunoy.

 Elle avait parlé très vite, la culpabilité transparaissant dans toutes ses mimiques. Une boule s’était douloureusement logée dans l’estomac du Tsumyo, mais il n’avait aucune envie de se mettre en colère.

— Je crois que je m’en doutais un peu, répondit-il faiblement, plus pour soulager Nika qu’autre chose. Où veux-tu en venir ?

 Des émotions conflictuelles apparurent sur le visage de l’Hynomori. Une vraie inquiétude, du soulagement et de l’affection. Sans s’en rendre compte, ils s’étaient rapprochés, leurs épaules se touchant presque. Ce moment leur appartenait, au milieu des autres.

— Fais juste attention à qui va ta loyauté.

 C’est la dernière phrase qu’allait lui dire Nika à ce sujet, leur petite bulle étant percée par Nina qui arrivait d’un côté, Tokri épaulé par Mutika de l’autre. L’Utak était vêtue d’une chemise vert clair et d’un pantalon bleu, beaucoup plus lumineux que son style habituel. Il allait bien avec son azurée.

— Pourquoi ces messes basses ? demanda le rouquin avec un air taquin.

— Je lui disais simplement qu’on reprendrait bientôt nos parties d’échec, si elle est d’accord.

— Ca serait avec plaisir.

 Elle lui adressa un de ses rares sourires radieux, suivie par le reste du groupe à l’exception de Nina qui fusillait l’Hynomori du regard. Surprenant, la marionnettiste était certes celle qui était la plus réticente à l’accepter, mais jamais il n’avait vu la fureur s’installer dans les yeux glacés de son amie à ce point. Izul arriva derrière Mutika à ce moment.

— Vous vous amusez sans moi ?

— Apparemment, c’est peine perdue, fit Mutika en levant exagérément les mains.

— Comment va la vedette de la soirée ? interrompit gentiment Nika.

 Sarouh ignora la réponse de Tokri, son attention se posant sur Izul. Il la trouvait étrange depuis le début de la soirée. La kunoichi n’avait aucune difficulté dans ce genre de cadre normalement, pourtant elle semblait mal à l’aise. Nerveuse et beaucoup trop silencieuse. Même si leur relation s’était un peu réchauffée l’adolescent ne savait toujours pas comment se comporter avec elle. Pouvait-on vraiment dire qu’ils étaient amis ? Ce qu’il ressentait pour la kunoichi d’azur n’était pas comparable à ce qu’il vivait avec la marionnettiste ou les autres membres de l’équipe Myo. La Leil ne devait pas savoir non plus vu l’hostilité gelée qu’elle affichait envers sa nouvelle partenaire d’entraînement. Le Chuunin n’était pas stupide à ce point. Qu’elle file le parfait amour avec Tokri et se permette cette réaction était écoeurant.

 Et pourtant. Le Gensouard ne pouvait pas s’empêcher de s’inquiéter pour elle. Son retrait ce soir était curieux. Il laissa son regard dériver sur les membres de la famille de l’Utak qui s’étaient regroupés autour de Bril. Le grand-père s’était aussi montré plutôt froid avec lui. Tokri lui avait dit de ne pas y prêter attention, mais ça n’empêchait pas l’illusionniste de se sentir rejeté.

 Il porta d’un air absent la bière à sa bouche, savourant l’ivresse qui s’emparait seulement de lui. Qu’est-ce qui clochait chez lui ? Le shinobi devrait profiter de la soirée, au lieu de se débattre dans le marasme de ses pensées. La nuit avança dans la fraîcheur du désert, le froid s’abattant sur le groupe alors que les ténèbres dévoraient l’horizon.

 Entretenues par un Okioto en pleine forme, les discussions étaient intarissables et teintées d’humour. Sarouh découvrait deux jeunes adultes au sens de l’humour aiguisé et au vif sens de l’à-propos, bien loin du taciturne Utak qu’il avait rencontré des mois auparavant. Gomaki évoluait là dedans comme un poisson dans l’eau, évoquant souvenirs d’enfance et d’équipe avec tendresse, souvent au détriment des deux frères, surtout lorsque la tante rentrait dans la danse.

 L’illusionniste répondait avec une ironie mordante aux blagues des Chikarates mais demeurait silencieux le reste du temps. Il avait l’impression de ne pas vraiment appartenir au monde devant lui. Au fond ne restait qu’une amertume qui voilait tout. Les invités quittèrent la soirée un par un, sans qu’il ne le remarque. Ne resta rapidement que la famille, le Tsumyo et la jolie blonde. La nuit commençait déjà à céder le pas au jour.

— Tu tiens le coup vieux ?

 L’Utak avait profité que la blonde s’éloigne pour lui poser la question en posant une main sur son épaule. C’était leur premier moment en face à face. Surpris, l’illusionniste ne répondit pas immédiatement.

— Je ne sais pas. Je fais de mon mieux.

 L’iris noisette du shinobi du Désert tréssaillit, comme si on l’avait frappé en traître devant l’amertume de son ami. Puis il déclara fermement, une détermination naissante sur le visage :

— Je serai là quand tu te vengeras. Je suis sûr que tu me le rendras..

 Sarouh lui rendit sa soudaine accolade. Peut-être était-ce l’alcool, mais il se sentit rassuré par les paroles du guerrier. Il avait sa place ici finalement.

— Je te le promets.

 Une lueur étrange était apparue dans les yeux du shinobi Chikarate. Il n’y avait rien de plus à dire. Nina revint sur ces entrefaites, le regard fatigué.

— On y va ?

— Oui. Encore joyeux anniversaire Tokri.

 L’illusionniste s’inclina du buste et salua tout le monde. Alors que le soleil se moquait des fêtards épuisés, il jeta un dernier regard à son ami avant de rentrer chez Nina. Il tiendrait parole. il trouverait un moyen. Il s’endormit paisiblement avec la jeune femme dans les bras pour la première fois depuis longtemps.

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