Épisode 40 - La vraie force

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 Assis une jambe sous les fesses et une étendue, le shinobi aux cheveux bleus profitait du soleil matinal de Chikara. Il contemplait son bras, sur lequel un imposant serpent d’obsidienne progressait, anneau après anneau, sa tête reptilienne pointée vers le visage du shinobi, la langue dardée avec insolence. Son regard d’or fascinait Sarouh. Il ferma la main et la sublime créature disparut. Lorsqu’il la rouvrit, des feux follets d’une flamme bleue intense se mirent à danser à quelques centimètres de son poignet, sans brûler l’indolent adolescent. Cela faisait une bonne demi-heure que le Chuunin lézardait au soleil, trompant son ennui avec ses illusions, qu’il modifiait au fil de ses envies.

— Tes petits jeux me fascineront toujours, fit la très remarquable voix de Nina derrière lui.

— Ils sont faits pour, répondit le shinobi d’un air laconique, éteignant ses feux illusoires en fermant le poing. Il était temps, tu es prête ?

— Non, soupira la demoiselle. Ça change quelque chose ?

— Pas vraiment, répondit Sarouh en se levant.

 Une petite routine s'était ajoutée à leurs échappées nocturnes. Le Tsumyo y formait une étudiante récalcitrante au combat. Désormais en garde, la splendide blonde se préparait d’ors et déjà à finir couverte de bleus. En tenue de sport, elle souffla une mèche qui tombait sur ses yeux avec insolence.

— On va voir ce que tu as retenu de la dernière fois, déclara le shinobi en se mettant à son tour en position.

— Probablement pas assez à ton goût, grommela la jeune femme en relevant sa garde.

 Sarouh secoua la tête. Elle était excessivement douée et il testait régulièrement ses limites hors-normes, sans jamais lui dire qu’il les percevait. Sa méfiance quant à la jeune femme avait crû en même temps que son affection pour elle.

 Il croisa son regard de saphir et s’élança. Elle esquiva ses deux premiers coups, para un troisième et échappa à une punition vicieuse d'un mouvement de tête. La serveuse profita de son momentum pour tenter un direct, attrapé par la main du shinobi.

— Bien, se contenta-t-il de dire.

— Serait-ce un compliment ? demanda d’un air exagérément surpris la blonde.

— Tu maîtrises ce mouvement là, continua Sarouh en ignorant le sarcasme et libérant sa main. S’échapper, contre attaquer et mettre fin au combat en un seul coup est la meilleure manière de se battre avec ton niveau actuel.

— Je sais, je sais, répondit Nina lassée.

 Elle récita ensuite les situations à éviter, désormais habituée à ce que Sarouh ne la lâche pas. Il hocha la tête, satisfait. Elle pourrait gérer plusieurs assaillants sans problème au bar. Un étudiant ninja pourrait même se faire surprendre, s’il faisait l’erreur de la prendre pour une jeune femme en détresse. Le déplaisir évident qu’elle prenait à ses leçons intensives n’avait pas d’importance.

 Ils continuèrent des enchaînements divers, courts mais fulgurants, pour aiguiser les temps de réaction déjà très courts de sa partenaire. Il ne pouvait se permettre d'aller dans les détails et donc s’attelait à lui donner les fondamentaux. Le combat de rue était beaucoup plus brutal que celui plus chorégraphié des arts martiaux, il était donc primordial qu’elle ne se fasse pas surprendre. Après plusieurs semaines, Sarouh sentait qu’il n’arriverait pas à faire plus.

— C'est bon, repos, ordonna-t-il après un dernier échange particulièrement musclé.

— Oui chef, ironisa la blonde essoufflée, en se laissant immédiatement tomber sur les fesses.

 La différence d’endurance entre un civil et un shinobi était énorme, pourtant elle ne se plaignait que très peu, toujours de manière ironique. Souvent, elle s'endormait sur lui après leurs entraînements, moments que le shinobi aux cheveux bleus savourait avec un grain de culpabilité.

 Sarouh faisait de Nina sa priorité de manière éhontée. S’il savait que son devoir en pâtissait, le Chuunin ne s’en voulait pas plus que ça. Sa situation était intenable et s’il avait besoin d’une récréation, ainsi soit-il. Du moins, c’est ce qu’il se répétait. La chambre de Nina était couverte de parchemins sur l’art des sceaux, pratique que le shinobi échouait encore et toujours à mettre en place, là où sa maîtrise des illusions environnementales avait dépassé ses attentes.

 Il rejoignait à nouveau les entraînements de la team Gomaki, mais même si l’entente y était cordiale, il gardait secret pourquoi il ne passait plus de temps avec eux en dehors, ni pourquoi il n’avait plus de temps à accorder au tutorat des Genins des sables. Cependant, il arrivait de mieux en mieux à feindre le naturel avec Izul et sa relation avec Nika s'était détendue. De temps à autre, il percevait le regard intrigué et un peu inquiet de l’Utak, auquel le Tsumyo répondait par un sourire. Il lui dirait tout en temps voulu.

 Le shinobi passa sa main dans sa chevelure de cobalte, beaucoup plus courte depuis la semaine précédente et contempla la jeune femme toujours haletante. Sa crinière d’or coiffée en une longue queue, sa peau doucement hâlée par le soleil, Nina était un rayon de soleil dans le moindre de ses aspects.

— Qu’est ce qu’il y a ? interrogea-t-elle d’une voix faussement acide en sentant le regard de son mentor. Tu réfléchis à une nouvelle séance de torture ?

— Pas exactement. Je me disais qu’il était peut-être temps que je te présente aux autres membres de mon équipe d'ici.

— Et pourquoi tu ferais une chose pareille ? demanda Nina avec un froncement de sourcils.

— Je voudrais continuer à te voir et il me sera impossible de concilier les deux si je veux te garder pour moi tout seul.

 Il ignorait lui-même que c’était la vérité avant de lui avouer. L’émeraude et le saphir de leurs regards se croisèrent à nouveau, incertains. Sarouh savourait la vulnérabilité qu’il ressentait autour de la serveuse, celle-ci appréciait la tranquillité que le taciturne Chuunin lui apportait. Les dernières semaines avaient été une douce parenthèse dans leurs existences. Pour autant, l’adolescent ne croyait pas une seconde que Nina accepterait de mettre un pied de plus dans sa vie. Il était temps de mettre fin au rêve.

— Je sais combien tu détestes les shinobis, aussi je comprendrais que tu refuses, mais je ne peux malheureusement continuer comme ça, expliqua-t-il d’un soupir après un temps de silence, absorbé par les grains de sable à ses pieds.

— C’est élégant de ta part de me laisser une telle porte de sortie, asséna Nina, curieusement tranchante.

 Elle s’approcha et lui donna une petite tape indolore sur l’épaule. Il releva la tête, incrédule.

— Ne t'avise pas de te chercher des excuses pour me fuir. Tu vas devoir composer avec moi tant que je l’aurais décidé, continua fièrement la jeune femme. Tu crois qu’un groupe d’adolescents va me faire peur ?

— Tokri a presque ton âge. Mais puisque tu es si enthousiaste, redresse toi.

 Une vague de regrets envahit le regard océan de la serveuse, qui s'exécuta sans broncher. Ils reprirent sa formation, le Chuunin utilisant l’exercice pour masquer son allégresse.

 Une heure passa sous le soleil couchant Chikarate. Innocemment, le shinobi laissait son regard parcourir les muscles tremblants par l’effort de Nina, son front luisant de sueur et son regard déterminé. Elle lui rappelait Kana. Dommage que cette dernière le détestait désormais. C’est avec un pincement au cœur qu’il renvoya à terre son élève.

— Bordel, gémit Nina, jurant comme à son habitude pour gérer la douleur. Tu dois être une menace dans ton genre, comme ninja.

— Pourquoi ça ? demanda le Chuunin en lui tendant la main.

— Je te vois jouer avec tes illusions, répondit sa pupille en saisissant la main, je sais que tu es de Gensou. Pour autant, tu n’as pas l’air en manque sur la défense physique. Je ne suis pas shinobi mais ça ne fait pas de moi une idiote.

— Je ne sais que te répondre, dit très honnêtement Sarouh d’un ton inexplicablement las. J’ai un niveau très basique pour un des nôtres en ce qui concerne le corps à corps. Je doute que tu puisses m’évaluer.

— Mais tu es Chuunin, ambassadeur de Gensou dans le désert ! Et tu as quoi, dix-sept ans ? Ça doit bien vouloir dire quelque chose !

 Le Tsumyo considéra les propos de Nina avec un sourire triste. Justement, il n’en était pas sûr. La sensation d’être une fraude parmi les siens n'avait jamais quitté le ninja aux cheveux bleus. Il ne pu s'empêcher de noter l’attention qu'avait porté Nina à son sujet, mais ne tirait aucun crédit de ce qu’elle pensait. Il secoua doucement la tête.

— Seize, se contenta-t-il de répondre.

 Alors que la jeune femme écarquillait les yeux, le Chuunin perçu une présence dans l’angle de la rue, qui donnait sur l’arrière-cour en terre battue où il avait pris l’habitude d’entraîner Nina.

— Je peux quelque chose pour toi ?

 Sa voix était douce mais la menace y était clairement perceptible. Il sentit le regard de Nina sur lui mais se concentra sur le nouveau venu.

— Je vous ai vu vous affronter et je n'ai pas pu m’empêcher d’écouter votre conversation.

 Le Genin sortit de sa cachette, bandeau frontal bien en place. Le Chikarate était massif, même pour un représentant de son Village. La carrure épaisse, le front bas et la mâchoire carrée, l’adolescent avait un physique de videur de bar. Le Genin n’avait clairement pas inventé l’eau chaude, mais il avait l’air fatigué et perdu. Quelque chose dans son regard était familier au Gensouard et il refusait de le laisser comme ça.

— Et qu’en as-tu tiré ? continua-t-il, plus amène, quittant enfin sa position de combat.

— Des questions.

 Sarouh laissa sa curiosité s’exprimer et invita le nouveau venu à prendre la parole. Clairement, cela lui coûtait. Triturant ses gigantesques mains, le gorille semblait bien en peine pour traduire sa pensée en mots. Il releva fièrement la tête, une lueur de défi de regard avant de poursuivre :

— Comment devenir aussi fort ? Malgré tous nos efforts, mon frère et moi…

 Sa voix se cassa alors que le souvenir de ses échecs venaient l’hanter. Le Tsumyo percevait son hésitation et ses doutes, mais ne savait que lui répondre. Comment leur expliquer qu’il n’était pas un modèle ? Asori, Gomaki, Chiraku, eux étaient des menaces. Lui essayait simplement de pouvoir leur survivre.

— Cesse de te comparer et fais le job. Tu ne seras peut être pas le plus puissant, mais tu le seras autant que tu peux l’être. Approche.

 Et il se remit en position. C’est tout ce qu’il pouvait dire. Comment éclairer quelqu’un lorsque tu erres dans les ténèbres ? Il n’avait pas la force de Tokri, ni ses choix de mots. Ce que Sarouh savait faire, c’était apprendre aux autres, incapable inspirer quoi que ce soit à quiconque. Au fond de lui, le Tsumyo aurait espéré être quelqu’un d’autre. Vouloir protéger les siens l’avait guidé jusque là et son chemin n’avait été qu’un long échec. Il pria pour que le Genin soit plus doué que lui et tire quelque chose de son échange.

— Pour m’humilier encore plus ? demanda d’un ton plaintif sa nouvelle victime.

— Il te fait un cadeau unique, ne gâche pas ta chance et bouge toi si c’est ce que tu veux vraiment ! s’impatienta Nina, criant presque devant son indécision.

 Sarouh lui adressa un regard interrogateur, surpris par la position de la blonde. Bizarrement, la pique fonctionna et l’étudiant supplémentaire fonça sur le Tsumyo, pris un instant au dépourvu à cause de l’intervention de son amie. Déterminé à s’en sortir en n’utilisant qu’Aura, le Gensouard se rendit vite compte que la tâche serait ardue. Après quelques échanges, il sentait déjà la puissance des coups de son adversaire. Il n’avait pas le génie technique de Tokri mais sa force seule était un problème suffisant pour demander toute la concentration du frêle illusionniste.

 Rapidement, le Gensouard sentit ce qui n’allait pas dans le déchaînement rageur de coups du soldat des Sables. D’apparence désorganisée, les enchaînements brutaux composaient des patterns bien trop facilement identifiables. Après une seule minute de combat, les deux adversaires prirent une première pause dans leurs échanges répétés, le souffle court.

— Pourquoi tu ne te bats pas à fond ? s’agaça son adversaire

— Qu’est-ce que j’aurais à t’apprendre si je finissais le combat en un seul mouvement ?

 Il prit cela pour de la provocation et fonça à son contact. D’un geste vicieux, Aura se dirigea bien trop dangereusement de la gorge du Genin qui se pensait pourtant en avantage. Déséquilibré, il ne put éviter un coup de coude, puis une frappe de la jambe. Malgré cela, le gorille ne resta pas sur le carreau et repartit à l’assaut. Puisant dans son Chakra, l’illusionniste décida d’intensifier ses punitions. Il rangea Aura et repoussa un coup de poing sur le côté, para une frappe aveugle dirigée vers son foie et cogna son adversaire à la tempe du plat de la main.

 Surpris par le changement d’allonge, de rythme et de vitesse du Gensouard, il tituba sous l’impact, avant de finir sur ses fesses, sa chute facilitée par un puissant coup de talon dans son abdomen. Ses entraînements répétés avec la team Gomaki avait rendu son corps plus fort qu’il ne l’avait jamais été. Sa maîtrise du Chakra avait atteint de nouveaux sommets, sans qu’il ne s’en rende compte. Affronter encore et toujours l’Utak avait un effet plus que bénéfique pour ses aptitudes martiales. Il en était le premier surpris dans ce nouvel affrontement.

 Le Genin au sol ne dit rien, se mordant la lèvre inférieure d’une frustration compréhensible.

— J’ai deux conseils pour toi, déclara Sarouh. Concentre toi sur ce que tu veux, pas sur ce qui t’en sépare. Le second : améliore ta gestion du Chakra.

— C’est tout ?

 Le vaincu lui jeta un regard incrédule et désespéré. S’attendait-il à une révélation miracle ? Seul le travail intelligent permettait de franchir les montagnes. Il n’avait pas le talent, aussi allait-il devoir compenser. Sarouh fut irrité de sa propre incapacité à faire passer son message, ainsi que de la réaction défaitiste du nouveau venu.

— Écoute le maître, ironisa à moitié Nina. S’il te dit que tu peux y arriver, tu peux.

 Encore une fois, la confiance affichée par la jeune femme surprit le Tsumyo. Il ne dit rien, un voile de regrets passant dans l’émeraude de ses yeux, alors que la Chikarate se rapprochait péniblement de son compatriote, avant de s’agenouiller à ses côtés.

— Je le connais depuis peu et ne l’ai jamais vu mentir. Si la vérité ne te plait pas, tu peux abandonner, sinon, tu peux te plonger dans l’entraînement. Être un loser n’appartient qu’à toi.

 Une force nouvelle s’empara du jeune homme qui se redressa. Le choc passé, il n’avait pas une égratignure. Il salua du haut du buste le Chuunin et sa partenaire, avant de partir sans mot dire.

— Je suis curieux. Pourquoi tu as fait ça ? demanda Sarouh

— Certainement pas pour lui. Je ne sais pas pourquoi, mais c’était important pour toi. Le message est passé, c’était ce que tu voulais non ?

 Un éclair d’émotion confuses traversa le Tsumyo, qui se contenta d’un sourire fatigué. Décidément, Nina était pleine de surprises. Sans lui laisser la possibilité d’exprimer sa gratitude, elle lui tapa sur l’épaule et lui fit signe de la suivre. Ils avaient besoin de repos.

***

 Après une longue sieste et un brin de toilette, Sarouh tira une jeune femme récalcitrante de son salon richement décoré.

— Pourquoi il fallait absolument que ça soit ce soir ? gémit Nina

— Ne jamais repousser à demain ce que l’on peut faire de suite.

— T’es un emmerdeur, tu le sais ça ?

 Le Tsumyo lui répondit avec un sourire solaire. La vérité, c’est qu’il devait déjà retourner voir la team Gomaki dès ce soir, le QG avait daigné lui transmettre quelques informations. Amener Nina lui permettrait d’expliquer ses absences à répétitions ainsi que de calmer les inquiétudes du groupe à son sujet. Ils allaient bientôt avoir bien plus important à faire.

 Sa compagne nocturne avait troqué ses affaires de sport contre celles plus pratiques et provocatives auxquelles Sarouh était habitué par ses nuits au bar. Le noir avait laissé sa place à un haut rouge sang qui mettait son teint et ses magnifiques yeux en valeur. Il ne comprenait toujours pas comment il s’était retrouvé dans cette situation ni pourquoi la jeune femme jouait le jeu, mais le chaos de la situation l’amusait autant qu’il l’inquiétait.

 Ils arrivèrent au restaurant, idéalement placé entre le terrain d’entraînement et les Bains et ne tardèrent pas à repérer Gomaki. Le Jounin fumait sa cigarette en terrasse. Il les repéra au même moment. Son incompréhension en voyant Nina ne fut trahie que par le bref mouvement de ses yeux.

— Sarouh. Ravi de voir que tu es venu, ponctuel à ton habitude, commença le trentenaire avec un sourire plaisant.

— Bonsoir Gomaki. Je te présente Nina, que j’ai rencontré pendant mes errances des derniers temps. J’aimerais m’excuser pour mes frasques ainsi que m’expliquer.

 Le Jounin garda le silence, sans laisser transparaître ce qu’il en pensait. Sarouh se doutait de la confusion que son comportement pourrait générer, mais appréciait que le puissant vétéran se garde ses réserves, lui laissant une chance de s’expliquer. Il fit un signe de tête à Nina, qui lui rendit un sourire mutin avant de s’éclipser avec une cigarette. Le Tsumyo était content de pouvoir s’entretenir avec Gomaki en premier. Il inhala profondément par le nez pour rassembler son courage et se lança, déterminé à garder le contrôle de sa voix.

— Il y a plusieurs semaines, j’ai perdu mes parents. Gensou me l’a annoncé par courrier.

 Un blanc suivi sa déclaration, alors que la compréhension naissait dans le regard bienveillant du Jounin. Malgré sa préparation, le Chuunin dû attendre avant de continuer, ses perfides émotions se mêlant tel un poison à ses mots.

— J’essaie de tout mon cœur d’accepter ce qui se passe depuis, avec le succès que l’on me connaît, enchaîna le Chuunin avec un pâle sourire. Tokri m’a permis de ne pas me noyer totalement, Nina me sert de bouée depuis.

— Je suis désolé, Sarouh, répondit Gomaki d’une voix douce en s’allumant une autre cigarette, il expira un nuage de fumée avant de poser une main sur son épaule. Pourquoi m’en parler maintenant et que pouvons-nous faire pour t’aider ?

 Gomaki lui proposa aussi une cigarette d’un geste. Évidemment, l’odeur avait vendu le shinobi aux yeux émeraudes qui masqua un sourire amusé. Le Jounin était toujours aussi perspicace. Il la saisit, laissa son mentor Chikarate lui allumer, avant de reprendre avec un trait de fumée.

— J’ai décidé de faire confiance à l’équipe, expliqua-t-il, rappelant la scène des Bains. Je vous ai mis dans une situation compliquée, cela me semblait naturel de me justifier. J’aimerais que vous me laissiez dire aux autres moi-même la nouvelle, ainsi que permettre mon retour à temps complet dans l’équipe. J’accepterais que vous me refusiez l’un et l’autre.

 Sa tirade finie, Sarouh baissa les yeux, prêt à accepter le jugement du Jounin. Gomaki posa une main paternelle sur son épaule, prenant le shinobi par surprise.

— Bien sûr. Et pour elle ?

— J’aimerais qu’elle puisse y assister, demanda d’une petite voix le Tsumyo, le regard bas et honteux.

 Le Jounin marqua un temps de réflexion, masqué derrière une longue inhalation du tube de papier. Sarouh comprenait très bien les implications de sa demande et retenait sa respiration en attendant son jugement.

— Pourquoi ? demanda le Jounin d’un air grave.

— Je ne peux plus me couper en deux entre elle et mes devoirs.

— Tu n’as pas à le faire, gronda gentiment Gomaki. Tu sais que tes responsabilités passent avant cette fille ? Qu’est-ce qu’elle représente exactement ?

— Je ne sais pas mais elle est le symbole qui me permet de continuer à l’accomplir, répondit Sarouh, conscient de la portée énorme de ces mots.

 Le Myo ne put retenir un mouvement négatif de la tête en expirant. Il planta son regard dans celui du Tsumyo, qui sentit pour la première fois la fatigue de l’expert.

— Alors tu ne me laisses pas le choix. Elle peut venir. Ta mission reste prioritaire et aucune information spécifique ne doit lui parvenir. C’est clair ?

— Bien sûr, déclara le Gensouard en un souffle tout en s’inclinant.

 Gomaki lui fit un signe de tête et écrasa sa cigarette avant de l’inviter à le suivre. Alors qu’il allait franchir la porte du restaurant, Sarouh l’arrêta et glissa dans un murmure étouffé par la gêne et la reconnaissance :

— Merci.

— Tout pour mon équipe, répondit le Jounin avec un regard grave.

 Le cœur de Sarouh fondit. Les yeux brillants par l’émotion, il appela Nina à venir. La jeune femme lui adressa un sourire chaleureux, comprenant peu ou proue ce que l’échange avait donné.

 Ils franchirent ensemble la double porte qui menait à leur table favorite. Accueilli par le brouhaha soudain et la douce odeur de nourriture, Sarouh ne put se retenir de sourire en voyant l’équipe Myo attablée dans un coin. Tokri écoutait attentivement son azurée manifestement toute à son explication, Mutika dévorait son assiette alors que Kiame lui donnait un coup de coude, devant l’air amusé de la discrète Nika. Enfin en accord avec lui-même, Sarouh se sentit inexplicablement à la maison en les rejoignant.

— Tu nous en veux pas, on t’a pas attendu vieux, fit l’Oroshi en reprenant une brochette sans même lever les yeux.

— Mange tant que c’est chaud, lui répondit Sarouh, presque attendri.

— Tu nous présentes ? releva immédiatement Tokri, muni d’un petit sourire narquois.

— C’est pour ça que tu viens plus aux entraînements ! s’exclama Kiame en détaillant sans se gêner la plantureuse blonde qui accompagnait le Tsumyo, avant de se reprendre suite à une petite tape derrière la tête venant du rouquin.

— Je suis une des raisons oui, fit l’intéressée d’un ton amusé. Je suis Nina, enchantée. J’ai un peu entendu parler de vous tous.

— Je serais ravie de savoir en quels termes, fit l’azurée.

 Son ton était parfaitement neutre et son visage amical pourtant Sarouh aurait pu jurer la voir tressaillir. Il n'eut pas le temps de s’attarder sur sa réaction, ni sur la marionnettiste qui dévisageait d’un air pensif la nouvelle venue. Gomaki interrompit le tour de table qui aurait inévitablement suivi d’un geste de la main :

— Ce n’est pas pour cette raison que notre ami Gensouard nous a rejoint ce soir.

— En effet, rebondit l’illusionniste. J’ai une très bonne nouvelle. Vous êtes tous inscrits à l’examen Chuunin.

 Un silence pensif s’empara de la table. Sarouh savait que la montée en grade représentait à la fois très peu et beaucoup pour chacun d’entre eux. Il serait capital pour Mutika de réussir. La pression maternelle qu’il subissait n’échappait à personne. Tokri le verrait comme un signe qu’il était devenu plus fort. L’Hynomori pourrait prendre une nouvelle dimension à la fois en tant que kunoichi et dans son clan dont elle cherchait l’approbation. Kiame était excité à la simple idée d’affronter des adversaires plus forts. Izul aurait accès à de meilleures ressources pour devenir médecin et pour s’émanciper de son père. Pourtant, l’examen était connu pour sa difficulté, les réactions étaient donc mitigées.

— Vous êtes bien suffisamment préparés pour pouvoir y arriver, continua Sarouh devant l’air défait de l’Oroshi. Je pense sincèrement que d’ici l’échéance, vous surpasserez le ninja que j’étais quand je l’ai moi-même obtenu.

— On arrête la modestie Tsumyo, rabroua Tokri avec un sourire carnassier.

 Ils échangèrent sur les modalités sur un ton convivial. Gomaki supervisait les échanges, silencieux mais souriant. Il rayonnait de fierté et de confiance. Nina s’était appropriée la chaise à gauche de Sarouh, la positionnant à côté du trentenaire et face à Izul.

— Vous pensez que ça ira pour moi ? demanda Kiame, marquant un de ses rares moments de doute. J’ai l’impression d’avoir des siècles de retard sur vous encore.

— Tu es très doué, rappela l’Utak. D’ici l’examen, on ne verra plus la différence.

— Et n’oublie pas que tu pourras le repasser, l’apaisa Nika.

— Ce n’est pas la seule chose que tu as à nous annoncer, n’est-ce pas Sarouh ? releva Izul.

 Evidemment, qu’elle tiquerait, soupira le Tsumyo en son for intérieur. Tout le monde reporta son attention sur le Chuunin. Sa perspicacité était agaçante des fois. Tokri fixait son acolyte avec une expression neutre, mais il crut lire dans ses yeux de l’approbation et un encouragement.

— Je voudrais vous expliquer ce qui m’est arrivé exactement. Mais si vous voulez bien nous laisser manger d’abord ?

— Bien sûr, se porta à son secours Gomaki en hélant un serveur.

 Le reste du repas se fit sur un ton cordial, Nina répondant avec sa langue acérée aux questions qui la concernait. Nul doute qu'elle faisait déjà forte impression à Kiame et Mutika, qui avait réussi à faire un clin d’oeil au Tsumyo quand elle s’adressait à Nika. Celle-ci se montrait beaucoup plus circonspecte. Izul était difficile à lire, pareil pour Tokri. Sarouh se doutait de ce qu’ils pensaient, mais il n’était pas encore temps de les contredire.

— Et comment vous vous êtes rencontrés exactement ? demanda l’azurée d’un ton poli, en récupérant de la volaille au fond de son bol.

— J’ai essayé de le faire boire suffisamment fort pour qu’il me noie sous les pourboires. Ça n'a pas marché.

 Un ange passa, sous le regard incrédule de l’équipe, avant qu’elle n’éclate de son rire cristallin caractéristique.

— Je rigole. Il m’a sauvé d’une agression dans la rue. Depuis, monsieur le héros passe souvent me voir.

— C’était donc ça, déclara une Nika dubitative. Et vous êtes ensemble depuis ?

— Pas encore, glissa malicieusement la jeune femme, devant son compagnon qui manqua de s’étouffer.

— Ce n’est pas pour ça que je vous l’amène, se reprit-il. J’ai décidé de la former au self défense en plus de vous faire atteindre le niveau de Chuunin.

— Un emploi du temps chargé, répliqua l’Hynomori d’un air réprobateur.

— Ce n’est pas incompatible, déclara simplement l’Utak, les bras croisés. Gomaki et toi vous êtes déjà mis d’accord je suppose ?

 Sarouh hocha la tête, cela lui suffit. Le Tsumyo était surpris de l’hostilité de Nika, mais globalement la nouvelle était bien prise. Il lui parlerait plus tard. Les desserts des premiers arrivés finis, Izul redemanda :

— Alors, tu nous expliques ?

 Les deux regards émeraude s’affrontèrent. Sarouh se sentait irrité. N’avait-elle pas perdu le droit de se sentir concernée par ses choix ? La colère embrasa son iris une fraction de seconde qui n’échappa pas à son interlocutrice.

— J’ai perdu mes parents. Je ne sais ni pourquoi, ni comment et même si je le savais, je n’aurais pas le droit d’en parler.

 Un silence accueillit sa déclaration. Une vague de regrets s’attaqua au visage d’Izul et Nika ne put s’empêcher de venir faire un câlin au Chuunin, alors que les garçons restaient interdits.

— Pourquoi tu ne nous as rien dit ? murmura l’azurée.

 Un sourire triste lui répondit. Elle connaissait la réponse à cette question.

— Quel est ton plan ? demanda Tokri, les bras croisés.

— Il n’a pas changé, dit doucement Sarouh. Je deviendrai assez fort pour protéger ceux qu’ils me restent.

 L’équipe Chikarate se rapprocha du Gensouard. Sa famille était ici.

— Quand tu auras besoin de nous, nous serons là, déclara Mutika qui était resté silencieux jusque là.

— Essaie déjà de survivre à l’entraînement qu’on te prépare, railla le Tsumyo, masquant son émoi.

 Gomaki saisit la perche qui lui était donnée et en profita pour diriger la suite de la conversation. Le repas se finit dans une ambiance fébrile, alors que le Destin s’emparait du groupe de fortune.

— Tu pourras compter sur moi, chuchota Nina à l’oreille du Gensouard.

 Il n’en doutait bizarrement pas. Sarouh la protégerait, elle, son équipe et tous ceux qui comptaient. Une flamme nouvelle brillait dans l’émeraude de ses yeux. Ils allaient voir ce qu’était la force, se promit-il alors que la nuit séparait le groupe. Silencieux derrière Nina, il jeta un regard à son promontoire favori. Une montagne ne suffirait pas à l’arrêter cette fois.

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