Épisode 38 - Quelqu'un à protéger

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 Les pieds sur la table, narguilé sculpté dans la main et Nina contre lui, Sarouh se demanda une seconde ce qu'il foutait là. Tout ça ne lui ressemblait pas. Et c'était exactement lui, susurra une voix en son for intérieur. Pensée vite balayée par la superbe blonde qui s'empara de l'objet dans sa main, inutilisé depuis trop longtemps à son goût. Cela faisait quelques semaines qu'ils se voyaient désormais, presque tous les soirs.

 II n’y eut ni consensus ni rendez-vous, simplement Sarouh venait à la taverne ou chez elle après ses services et ils passaient leurs nuits ensemble, souvent sur le toit. De cette manière, ils arrivaient parfois à dormir avant l'aube. Le shinobi s'était mis à fumer aussi sous l'influence de la serveuse qui s'en donnait à cœur joie. Il s'était surpris à y trouver une forme de réconfort. La gestuelle, le feu et l'asphyxie avaient un côté hypnotisant.

 La jeune femme exhala un nuage de fumée à l'odeur mentholée et tendit à nouveau le narguilé au shinobi.

— Tu ne devrais pas être parti depuis un moment toi ?

— Dis-le si je gêne, répondit Sarouh, ironique.

 La serveuse s'étendit de tout son long sur la méridienne du canapé, révélant son ventre, les pieds touchant presque le sol alors que ses cheveux trouvaient le moyen de magnifier son visage. Même quand elle s'affalait, Nina était d'une beauté ineffable. Le Tsumyo détourna le regard, désormais habitué à la sensation qui le travaillait quand son regard se perdait sur les courbes de sa compagne nocturne.

— Tu disparais toujours à l'aube. Sans exception. Il est midi, débita la Chikarate d'une voix atone.

— Ils peuvent faire sans moi, soupira le Tsumyo.

 La jeune femme haussa les épaules, sans remonter dans le canapé. Le shinobi se serait bien allongé sur elle. Son contact avait un effet apaisant sur son esprit en ébullition. L'image de Tokri et Izul lui apparut une fraction de seconde, chassé avec un claquement de langue agacé. Il n'aimait pas laisser à l'azurée le pouvoir de lui faire du mal. Elle avait fait son choix, il fallait qu'il l'accepte.

 Sarouh ne savait pas trop ce que représentait la blonde à ses côtés et le non-dit lui allait bien. Il avait détruit un autre bras au bar pour bien montrer que la serveuse y était désormais intouchable et il dormait chez elle. Un accord tacite qui convenait aux deux âmes brisées. Le Tsumyo n'arrivait à rien à l'entraînement. Ni au fuinjutsu, ni à invoquer à nouveau son iris doré. Depuis la maîtrise de son attaque aux éléments combinés, le guerrier aux cheveux bleus stagnait. Entre son état physique aléatoire et ses pensées intrusives, son Chakra fluctuait selon des variations de plus en plus importantes. C'était alarmant, même selon ses standards. Jamais ses progrès ne s’étaient amincis à ce point.

 Pour ne rien arranger, il avait reçu un autre message, soigneusement codé par Chiraku. Non seulement Asori avait disparu mais avant ça, une importante campagne médiatique l'avait prise pour cible. Selon le Mizu, la thèse la plus probable était que la Jounin avait fui. Sarouh y avait trouvé à la fois colère et soulagement. Le Gensouard voulait rentrer au bercail et démêler tout ça. Mais il devait se tenir à carreau dans le contexte actuel. Son rappel tardait à venir et le Chuunin commençait tout doucement à craindre qu'il ne survienne jamais. Le Mizu n'avait rien dit au sujet de la brune, chose que le Tsumyo considérait comme suspecte. Il revit la danse flamboyante qu'ils avaient échangée autour du titan drogué au Boost S. Qu'avait-il bien pu espérer de toute manière ? La déception était une habitude avec l'épéiste tourmentée.

— Te prendre la tête ne réglera pas le problème, finit par intervenir Nina devant son air renfrogné.

— Comment tu peux le savoir ? répondit Sarouh mécaniquement, avant d'inspirer à nouveau de la fumée.

 La jeune femme se redressa et lui adressa un sourire solaire.

— Tu es beaucoup trop intelligent pour ne pas avoir déjà fait le tour de la question deux cent fois. Crétin.

— Faut savoir, releva avec un sourire amusé ledit imbécile.

— Je ne peux pas toujours te brosser dans le sens du poil.

— Parce que ça t'arrive ?

 Nina prit une serviette qui traînait inutilement sur l'accoudoir et le lança au visage du shinobi qui n'esquiva pas. Ils rigolèrent, puis l'ambiance taciturne fut de retour.

— Et toi, qu'est-ce qui t'arrive ? Rien de mieux à faire ?

— Les ninjas n'ont pas le monopole de la vie de merde.

 Ce fut à Sarouh d'hausser les épaules. Il n'avait jamais prétendu le contraire, mais les soucis de la population lui échappaient en général. Sans les diminuer, il ne les comprenait tout simplement pas. La vie dans les Villages lui semblait plutôt facile. Même celle des bas quartiers. Il jeta un regard à sa camarade. Incapable de se défendre avec la même efficacité que lui, son avis devait différer. Il avait dû tuer dès l’enfance, elle avait manqué de mourir toute sa vie. Leurs contraintes n'étaient pas les mêmes

— Idéalement, qu'est-ce que tu voudrais comme vie ?

 Le shinobi se surprit lui-même à poser la question. Il n'était pas sûr de se l'être un jour demandé. Nina se leva sans lui répondre, disparut dans la cuisine et revînt avec une bière.

— Loin d'ici, dans un monde sans shinobis, ça serait pas mal, fit-elle finalement avec un rictus.

— Tu les détestes tant que ça ?

— "Les" ? répéta Nina d'un ton cassant. Je n'oublie pas que tu en es un aussi. Entre mon père et le traitement de Chikara, on m'a soigneusement appris à vous mépriser.

 Nina avait appuyé le vous. Sarouh masqua sa confusion en tirant sur le narguilé. Évidemment, leur proximité était contractuelle. Il se souvint des mots de Saya. Qui aurait cru que l'éclaireuse lui manquerait un jour ?

— Tu es différent, ça se voit, reprit la blonde avec plus de douceur. Mais s'il fallait te sacrifier pour mon monde idéal, je le ferais.

 Le Tsumyo comprenait ça. Le moindre mal. À lui tout seul, il ne compensait pas des décennies, si ce n'est des siècles d'abus shinobis. Le Gensouard ne pensait pas que le problème venait du ninja mais plutôt de la nature humaine, mais ne répondit pas. Au fond de lui, il ne se sentait pas agacé à l'idée qu'on veuille éliminer le système actuel. Au contraire, il appréciait sa franchise.

 Un autre sentiment étrange naissait en lui, qu'il chassa avant même de chercher à l'identifier. Les états d’âme de Nina ne devaient pas obscurcir son horizon, se morigéna-t-il. Mais il devait bien y avoir quelque chose qu’il pouvait faire. Sarouh sourit jaune. Finalement, tout amenait toujours à cette solution.

— Viens, ordonna le shinobi d’un ton péremptoire à la jeune femme qui buvait seulement une autre gorgée.

— Me dis pas que je t’ai fâché, soupira Nina sans bouger.

 Sarouh nia de la tête, se redressa et sortit, assez confiant que la curiosité amènerait la serveuse à le suivre. Jusque là, ça marchait toujours. L’inverse était vrai : toute leur relation tournait autour du sentiment d’étrange confort qui les animait. Si le Gensouard ne le comprenait pas bien, il avait deviné que ce n’était pas le seul.

 Alors qu’il marquait un temps d’arrêt dans la cour, il vit Nina sortir, sa bière désormais vide en main. Il répondit à son regard incrédule en retirant son haut et posa Aura sur le sol.

— Je vais t’entraîner, déclara sobrement le ninja.

 Elle voulut protester et poser plusieurs questions d’un coup et ne fit donc rien, interloquée. Le shinobi s’échauffa sunccinctement les épaules et se mit en garde, alors que la jeune femme n’avait toujours pas bougée.

— Si tu ne comptes pas t’en servir, je te recommande de lâcher ça, fis le Chuunin en pointant la bière du menton.

 Sans lui laisser le temps de répondre, il avança sur elle. Le but du jeu n’était pas de lui faire du mal, mais de prendre la température. Ne pas la laisser trop se préparer ou anticiper permettrait une estimation fine de ses compétences. La peur naquît dans les yeux de la jeune femme. Sarouh fit taire son estomac qui se tordait et frappa.

 Elle para des deux bras son coup mais perdit l’équilibre, chutant sur ses fesses. La recrue du jour n’avait pas lâché la bouteille, qui avait tapé sa tête lors de la parade, sous l’impulsion.

— Je t’avais prévenue, soupira l’instructeur, soudainement laconique.

— Je n'ai pas souvenir d’avoir accepté, asséna-t-elle d’une voix glaciale en se frottant la tête.

 Et le Tsumyo ne se souvenait pas lui avoir laissé le choix. Il était temps qu’elle apprenne à se défendre. Il était plus que probable qu’il ne serait pas toujours là pour veiller sur elle.

— Tu as de bons réflexes, c’est déjà ça. Monte ta garde. Reste souple sur tes appuis.

— Mais je t’ai rien demandé ! hurla la victime aux cheveux d’or, furieuse.

 Il ne l’écoutait pas. De bons réflexes, une bonne position instinctive, une musculature solide pour une civile. Il pourrait en faire quelque chose. Elle lâcha la bouteille et tenta présomptueusement de lui mettre une gifle. Une tentative adorable dans un combat sérieux. Sarouh se retint de soupirer et balaya la tentative et les jambes de la jeune femme.

— Mais merde à la fin !

 Elle avait chuté sans grâce sur les pavé, soulevant un petit nuage de poussière. Pourtant, quelque chose dérangeait le Tsumyo. Il la redressa d’un coup sec sur le bras. Collée contre lui, la colère embrasant ses yeux avait quelque chose d’hypnotique. C’est avec un certain regret qu’il s’en dégagea.

— On reprend, annonça-t-il, impitoyable en s’éloignant de quelques pas.

 Comprenant qu’elle n’y échapperait pas, Nina se mit en garde sérieusement. Elle tenta un jab, amorça une feinte et frappa en visant les côtes du shinobi. Il repoussa les trois tentatives du plat de la main et lui mis une puissante manchette qui la fit tomber à la renverse.

— Recommence. Concentre toi aussi sur mes attaques.

— Connard, agonisa-t-elle au sol, le souffle coupé.

 Elle se redressa encore, prête à lui faire avaler du sable. Sans succès encore. Sarouh découvrit enfin ce qui le dérangeait. Il lui mettait des coups vicieux et rapides, pourtant la jeune femme se crispait et relâchait avant les coups. Comme si elle s’empêchait d’y réagir.

— Tu as déjà été entraînée au combat ? interrogea le Chuunin alors qu’elle était de nouveau par terre.

— Autrement que par la rue, tu veux dire ? cracha Nina, agacée autant par la question que la situation.

 Le Gensouard laissa un silence planer. Soit elle avait des prédispositions inédites, soit cela cachait quelque chose. L’entraînement aux allures de passage à tabac prit fin peu de temps après. L’illusionniste se garda ses remarques pour lui, une méfiance renouvelée envers la blonde. Il la redressa finalement avec un sourire bienveillant.

— On devrait pouvoir faire quelque chose de toi.

— Mais je n'ai rien demandé, geignit Nina endolorie.

— J’aimerais toujours veiller sur toi, mais je ne pourrai pas, répondit Sarouh, ignorant sa plainte.

 Il l’aida à marcher pour revenir au frais de son appartement. Rouée de coup, sa journée allait être sensiblement plus difficile. Mais elle avait le cuir robuste, sentait le soldat. Peu étonnant vu ses conditions de vie. Le ninja la déposa avec une douceur qui tranchait nettement avec le combat qui précédait sur le canapé.

— De quel droit tu décides à ma place ? s’outra avec ce qui lui restait d’énergie Nina. Je devrais me plaindre aux autorités.

— Je doute que tu le fasses, calma Sarouh en allant chercher de la glace dans la cuisine pour en faire des poches.

 Il revint de la cuisine et s’employa à appliquer du froid sur les contusions en prenant garde à ne pas brûler la peau de la Chikarate. Rester concentré sur sa tâche lui demanda plus d’effort qu’il n’était capable de l’admettre.

— Et c’est quoi ton numéro de protecteur à la con là ?

— Je t’aime bien, répondit Sarouh avec un haussement d’épaule, alors que la serveuse éclatait d’un rire jaune.

— J’aimerais bien voir ce que tu fais à ceux que tu n’aimes pas.

 Le Chuunin en doutait, mais se garda sa répartie. Il n’avait pas trop abîmé la jeune femme ni amoché son visage, principal gagne pain de la taverne. Lui-même ne comprit pas pourquoi il se lançait là-dedans. La culpabilité de n’avoir su protéger personne jusque-là était venue l’étouffer ? Il alla se chercher à boire, alors que la jeune femme reprenait des couleurs. Lorsqu’il revint de la cuisine, elle était assise, une jambe détendue et l’autre sous elle, une poche posée sur son ventre.

— Je ne t’ai pas posé la question. Quel est le monde dans lequel tu voudrais vivre ?

— Pas celui-ci, sourit le Tsumyo en posant les verres d’eau sur la table.

— Sans déconner.

 Il lui fit un signe de tête vers l’entrée et ne dit rien de plus malgré son air incrédule. Le Gensouard prit une gorgée et tendit un verre à la jeune femme, qui comprit lentement.

— Je déteste les shinobis, soupira Nina d’un air triste.

 Sarouh se surprit à être d’accord. Au moins pourrait-il la protéger un peu ? Il n’avait pas la liberté de dire ce qu’il voulait. Il n’avait pas non plus celle de prétendre qu’il était ultra loyaliste. Le silence était sa seule option tant qu’il était surveillé. Une heure passa, dans un silence fatigué. Sans s’en rendre compte, la jeune femme s’affalait peu à peu sur lui.

— On mérite mieux que ça, déclara-t-elle, autant pour lui que pour renforcer sa détermination.

— En ce qui te concerne, c’est certain, sourit faiblement le Gensouard.

 Elle posa sa tête sur lui avec un naturel désarmant. Sarouh se détendit à ce contact. Cette personne le rendait plus vulnérable qu’il ne l’avait jamais été.

— Le prochain coup, essaie de me faire moins mal.

— Négatif.

 Nina gémit en signe de protestation et se cala mieux sur lui, dans le but de dormir. Le Gensouard se laissa faire, alors qu’une lueur combative revenait dans ses yeux. Il était temps que les choses sérieuses reprennent. Il en avait, des choses à raconter à Tokri.

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