Épisode 34 - Fêlures

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 Sarouh évita un coup de talon qui propulsa des éclats de pierre dans les airs d’un saut en arrière. Le Chuunin constata avec plaisir que Mutika ne se retenait en aucun cas. L’Oroshi voulut enchaîner avec un jutsu, composant ses signes à toute vitesse mais fut propulsé vers le côté par Kokuro. Kiame n’avait pas été capable d’empêcher la marionnettiste de l’interrompre.

 Le dernier arrivé de l’équipe entrevit une faille qui lui permettrait de s’en prendre à la stratège brune. Bien mal lui en prit. Alors qu’il s’apprêtait à lui porter un crochet vicieux, ses chevilles s’enfoncèrent dans le sable meuble, saisies par un clone de Nika astucieusement placé et dissimulé au début du combat.

 Sarouh réceptionna le rouquin d’un uppercut qui le redressa violemment, exposant ainsi son flanc, dans lequel il envoya un coup de pied latéral. Le deuxième Genin fut envoyé se cogner contre son partenaire. L’Oroshi se releva presque immédiatement, coupé en deux par la douleur mais capable de continuer.

— Nous arrêtons là. Vous n’avez plus aucune chance. C’était un beau combat, souligna Gomaki en jetant sa cigarette au vent.

— Ton zetsu est meilleur, complimenta Tokri, inhabituellement loquace.

 Mutika sourit et hocha la tête vers son sensei et son ami, avant de rejoindre les bancs en traînant la patte. L’Utak était perspicace : sans un bon zetsu, l’Oroshi n’aurait pas su se relever avant un moment. Effectivement, le combat avait été intense et même le Chuunin avait le souffle court. Nika s’avança vers lui et lui tapa dans la main, petit rituel qui s’était installé entre eux au fil de leurs victoires.

— Jolie combinaison. Tu as compris vite, fit l’Hynomori, ravie.

— C’est facile avec toi.

 Sarouh lui rendit son sourire avant de prendre sa pause, s’éloignant un peu pour se reposer comme pour organiser ses pensées. Le combat avait à peine suffit à le distraire malgré les progrès du duo adverse.

 Toute l’équipe continuait à s’entraîner d’arrache-pieds et les dernières semaines les avaient amené à de nouveau sommets. Le Gensouard commençait à penser qu’il ne leur manquait pas tant pour atteindre le niveau de Chuunin. Cette constance, couplée à l’intelligence et le talent évident du groupe, continuait de l’impressionner.

 Lui-même sentait ses forces grandir. La diversité des entraînements avait sculpté l’illusionniste. Pourtant un plafond de verre se dressait devant lui, qu’il n’arrivait pas à franchir malgré ses efforts. Cela ne dérangeait pas le Tsumyo, qui reconnaissait la situation. Ayant de nouveau travaillé des fondamentaux de plusieurs domaines à la fois, il s’attendait à ce que ses efforts paient en un puissant déclic plus tard. Ses efforts sur les illusions non mentales, la perfection de la combinaison de ses éléments et l’art des sceaux lui prenaient tout son temps.

 Malgré ça, il restait une menace, continuant à gagner ses sessions d’entraînement sans avoir à montrer ses nouvelles armes. Mais il voyait l’écart se réduire encore et encore. L’égo du Gensouard aux cheveux bleus n’appréciait pas qu’on le rattrape. Assis, il s’empara d’une bouteille d’eau pendant qu’Izul et Tokri prenaient place. Il détourna le regard, une boule désormais habituelle au ventre.

 Sarouh avait d’autres problèmes. Ses deux lettres restaient sans réponse. Six semaines s’étaient écoulées et le Chuunin commençait à éprouver un certain mal-être. Les missions les plus longues de ses parents ne duraient que rarement aussi longtemps en temps de paix. Se pouvait-il que l’on filtre son courrier à Gensou ? Ou à Chikara ? Le Tsumyo fit le tour des raisons pour lesquelles la surveillance à son encontre pouvait s’être resserrée. Son comportement à Sengo n’avait pas plu à tout le monde mais il était difficile d’imaginer que cela soit la cause. L’éveil du Dojutsu aurait été perçu comme une menace par les autorités Gensouardes ? Si ses propres parents lui mentaient, il était possible que le Village de la Cascade n’ait pas été mis au courant non plus et que la surprise leur ait fortement déplu.

 Le shinobi regretta de ne pas avoir envoyé un message codé plus subtil. Sarouh n’aimait aucune des raisons potentielles de ce silence. Ses réflexions ne l’amenaient que vers des potentialités de plus en plus sombres et il préféra cesser ses spéculations. Il pouvait encore recevoir une réponse, inutile de psychoter pour le moment. Être sur la défensive n’égalait pas céder à la peur.

 Mais ce n’était pas la seule source d’inquiétude du Gensouard. Le silence de la Cascade à son propre sujet n’était pas rassurant. Ils n’avaient toujours pas de nouvelles du Boost S. Chaque jour, le Chuunin se réveillait avec l’hypothèse d’être en guerre contre le Village dans lequel il dormait. Quelque soit les probabilités, ce n’était pas bon pour son anxiété.

 Pas de nouvelles non plus du côté de ses anciens coéquipiers. Il s’attendait pourtant à en avoir de la flamboyante épéiste. Son silence le frustrait plus qu’il ne voulait l’admettre. Ils lui devaient une explication et il était hors de question qu’ils s’en tirent comme ça.

 A sa grande surprise, c’est le puissant trentenaire qui le sortit du marasme de ses pensées en s’asseyant à ses côtés.

— Pas facile cette session, n’est-ce pas ? fit le Jounin en s’allumant une cigarette.

— C’est le moins qu’on puisse dire. Encore quelques mois et je ne serais plus de taille, répondit Sarouh avec un sourire, buvant une nouvelle gorgée.

— Tu as encore de beaux jours devant toi.

 Gomaki expira un trait de fumée, alors que l’affrontement d’Izul et de Tokri tournait à l’avantage de ce dernier. L'azurée avait bien progressé en matière de corps à corps. Il semblait au Chuunin qu'elle avait même emprunté des combinaisons à l'Utak. Le Tsumyo soupira avant de laisser tomber sa façade imperturbable, laissant un air peiné se peindre sur son visage tout en essayant de dissimuler sa jalousie.

— J’en doute fort. Je ne suis pas un combattant très doué et ils progressent à une vitesse affolante.

— Ce sont tes anciens coéquipiers qui ont semé le doute en toi ? demanda le trentenaire sans une once de jugement.

— Pas uniquement, fit le Chuunin en se grattant les cheveux, un sourire forcé aux lèvres.

 En face d’eux, le spectacle continuait, l’Utak dansant à travers les attaques des fouets aqueux de la Leïl. Le Tsumyo le soupçonnait de faire durer le plaisir. Amer, il devait bien se rendre à l’évidence : il n’avait aucun droit de lui en vouloir. Gomaki intercepta son regard perdu.

— Je vais te le répéter car tu sembles en avoir besoin. Tu es un bon combattant mais surtout un excellent shinobi. C’est ta propre philosophie de combat qui te veut ainsi.

— Que voulez-vous, je suis une créature orgueilleuse.

 Sarouh retint un nouveau soupir. Gomaki avait beau avoir raison, cela ne changeait rien à ce qu’il ressentait. Mais ce n’était pas le sujet qui le préoccupait le plus.

— Je vous dois des excuses, finit-il par admettre.

— Comment ça ? répondit précautionneusement le Jounin en regardant enfin dans sa direction.

— Par rapport à l’équipe. Vous aviez raison. J’aurais mieux fait de m’abstenir.

— Au contraire, démentit Gomaki avec un sourire. J’ai sous-estimé ta maîtrise.

 Le Tsumyo écarquilla une seconde les yeux avant de reprendre son expression habituelle. Le mentor de l'équipe avait le chic de le prendre au dépourvu. Le Jounin reprit devant son silence interrogateur :

— Je ne voulais pas vous empêcher de vivre quoi que ce soit, j’avais simplement peur que le moment soit mal choisi, pour toi comme pour elle.

— Pour la cohésion d’équipe ?

— Entre autres choses.

 Gomaki lui adressa un sourire bienveillant en rallumant immédiatement une cigarette. Lui aussi devait être soumis au stress. La quantité de tabac consumée par le feu du Jounin semblait encore plus élevée qu’à son habitude. Sarouh releva sans rien dire.

— Je n’approuve pas ta méthode, mais tu as fait passer la mission en priorité. Izul en a fait de même. Vous avez réussi à exprimer vos émotions tout en étant professionnels. Je ne sais pas si tu te rends compte à quel point les shinobis capables de cette prouesse sont peu nombreux.

— J’ai fait mon devoir et je continuerai. Mais si j’agis en fonction de mes convictions, pourquoi c’est aussi douloureux ? répondit le Gensouard d’un ton plaintif.

 Ce fut au tour du Myo d’être surpris. Il fit tomber les cendres qui le gênaient et souffla sa fumée au loin avant de répondre.

— C’est de là que vient le mantra des shinobis. Il faut une force de caractère énorme pour conserver son humanité et accomplir son devoir. Tu souffriras encore mais c’est le prix à payer pour te regarder dans une glace le matin. Et c’est parce que la douleur ne te quittera pas que tu continueras à faire les bons choix.

— Et si j’ai envie de fuir ? répondit Sarouh, le regard bas.

— Ça serait ton choix. Mais je ne pense pas que tu le feras.

 Gomaki s’exprimait tranquillement et avec une certitude qui bousculait le Chuunin. Le Jounin semblait vraiment croire en lui et en ses valeurs. L’adolescent ne savait pas comment gérer ça. Un mélange d’émotions confuses le submergea. Gratitude, tristesse, affection. Il sentit une digue s’effondrer en lui et eut tout le mal du monde à contenir ses larmes, le regard brillant planté dans le sable.

— Comment je ferai, si je dois me battre contre vous demain ?

 Enfin, il posait la question qui tournait dans sa tête depuis des semaines maintenant. Il avait trouvé soutien, réconfort et même un nouveau sens à son nindo en fréquentant l’équipe Myo. Indépendamment de ses faibles chances de survie si un conflit se déclarait, l’idée même de se retrouver seul à nouveau le terrorisait. Capable des pires actes militaires pour Gensou, le soldat de la Cascade n’était plus qu’un petit garçon perdu.

— J’espère que nous t’aurons appris suffisamment de choses pour que tu survives aux tempêtes à venir. Que l’homme que tu es devenu saura faire face et continuer à apprendre sans s’effondrer.

 Gomaki lui avait répondu en tentant de lui insuffler de la force. Mais la réalité était tout autre. Sarouh se voyait, marchant sur un fil si fin qu’il en était invisible, surplombant l’abysse.

— Jamais je ne pourrais, lâcha-t-il en un souffle.

 Ce n’était pas de l’apitoiement, mais une réalisation soudaine. Cette limite-là, le Tsumyo ne saurait pas la briser.

— Quelque soit tes décisions, même si tu venais à abandonner, nous serons fiers de toi. Tu es plus résistant que tu ne le penses.

 Gomaki posa une main sur l’épaule du Chuunin avec bienveillance et se leva, mettant fin à la conversation pour rejoindre les Genins haletants. Tokri maintenait Izul bloquée sous lui d’une clé de bras. Sarouh essuya discrètement une larme et suivit le trentenaire, secoué.

 Le Jounin ordonna une séance de méditation et d’étirements. Cette pause fut bienvenue pour l’adolescent aux cheveux bleus qui put recouvrir son impassibilité. La fatigue, la nervosité et les derniers événements l’empêchaient de composer avec ses émotions comme il le désirait.

 Isolé du groupe, alors que le vent secouait sa crinière cobalte, Sarouh se posa à nouveau la question : devait-il partir ? Irumi lui dirait de ne pas attendre. Depuis combien de temps n’avait-il pas eu de nouvelles de l’éclatante Chuunin ? Son avis lui ferait du bien dans une situation pareille. Guidée par ses besoins et son instinct, elle lui offrirait une perspective intéressante. Il avait fait sa part avec les Genins. Gomaki était plus que compétent et leurs bases en genjutsu suffisaient. Sarouh ne doutait pas être un bon mentor, mais la situation devenait trop compliquée pour lui.

 Pourquoi Gensou n’exigeait pas son repli dès maintenant ? Qu’il soit un étranger au Village était une chose, mais perdre un soldat potentiel par laxisme ou xénophobie semblait ridicule au Chuunin. Considéraient-ils seulement cette hypothèse ? Le Tsumyo grinça des dents. Ou alors la Cascade savait déjà que Chikara n’y était pour rien. Mais même dans ce cas, le laisser ici en temps qu’ambassadeur n’avait pas de sens et ne pas transmettre l’information aux soldats serait d’une stupidité hallucinante.

 Techniquement, il n’était pas lié au village du Désert. Ses ordres étaient de faire au mieux, pas de rester ici jusqu’à ce que mort s’en suive. Si son jugement lui disait de fuir, il était libre de le faire. Mais Sarouh n’aimait pas sa position. Rejoindre la Cascade et renouer sa fidélité devrait être sa priorité.

 Il ouvrit les yeux sur Nika, les cheveux agités par le vent. Il lui avait promis de rester et de la soutenir autant que possible. L’adorable jeune femme était devenue déterminée et forte. Chaque semaine, il la voyait grandir. Elle était bien encadrée, il n’avait plus rien à lui apporter maintenant que le choc initial de la mise en couple de Tokri et Izul était passé. Elle lui manquerait.

 Son regard se perdit sur Kiame, Mutika et Tokri. Ses frères d'armes depuis plusieurs mois. Étrangers qui l’avaient accueilli comme personne avant eux. Il croisa le regard de Tokri qui lui rendit, sans broncher. Les jeunes hommes s’adressèrent un léger mouvement de tête emprunt de respect et se levèrent pour rejoindre Gomaki.

 Enfin venait Izul. L’azurée qui avait enflammé son cœur. Intelligente, douce, patiente et forte. Véritable perle du Désert, la jeune femme représentait un idéal auquel il se devait de renoncer, mais au fond de lui-même, il se sentit prêt. Partir était une bonne décision. Le Chuunin se laissait encore une semaine pour trancher, mais en son for intérieur, il savait ce qu’il devait faire. Rejoindre sa famille, avoir ses réponses à la Cascade et tout mettre en œuvre pour résoudre l’enquête du Boost S mais à domicile cette fois.

  • Excellent travail les jeunes, fit Gomaki, interrompant ses réflexions avec un sourire satisfait. Je vous rappelle les bienfaits des Bains et vous y invite tous ce soir. En attendant, rompez.

 Le Tsumyo rencontra le regard du Jounin et lui rendit avec détermination et Gomaki disparut, laissant les Genins sur place. Mutika s’effondra théâtralement dans le sable meuble et chaud.

— Je suis épuisé. Vous faites ce que vous voulez mais moi je ne bouge plus.

 Kiame charia l’Oroshi qui lui répondit par un signe obscène de la main, ce qui fit éclater le Genin blond de rire. Sarouh leur adressa un clin d'œil et se rapprocha de Nika, décidé à la ramener chez elle avant de continuer ses lectures. Voyant Izul et Tokri immobiles et silencieux au milieu du groupe, il s’arrêta net dans son mouvement.

— Un problème ? demanda Nika, perspicace à son habitude.

 Tokri posa sa main droite sur l’épaule d’Izul, pour l’encourager à prendre la parole. Sarouh se crispa instinctivement. Une autre discussion qu’il n’allait pas apprécier. Son cœur se mit à battre plus fort, comme s’il entrait en combat.

— Les amis, il faut que je vous dise quelque chose.

 Le ton était solennel et la voix ferme. La kunoichi semblait décidée et ne présentait pas sa panoplie habituelle de mouvements anxieux. Quoi qu’elle décide de dire, la Genin avait mûrement pesé le pour et le contre. Elle croisa le regard de l’Utak avant de poursuivre, rassérénée par sa présence.

— Vous vous souvenez sûrement de l’incident qui a eu lieu peu avant le Boost S. J’étais à fleur de peau et de plus en plus absente.

— C’est le moins qu’on puisse dire, se permit de dire Mutika sur le ton de la blague.

 L’azurée le prit bien et lui retourna un pâle sourire. La curiosité et la peur montaient chez le Tsumyo, alors qu’elle prenait le temps de choisir ses mots. Nika était pendue à la bouche de sa consoeur, éprouvant sûrement quelque chose de similaire.

— Est-ce que vous voulez que je me retire de la conversation ? intervint Kiame, l’air gêné.

— Absolument pas. Tu fais partie de la famille maintenant, le rassura immédiatement Mutika.

— Exactement, confirma Tokri. Ça te concerne autant que les autres.

 Izul hocha la tête vers le blondinet. C’était un membre à part entière désormais. L’équipe était plus soudée que jamais. Pourquoi Sarouh ne pouvait pas s’empêcher de se sentir mal alors ?

— En réalité, cette période était très difficile pour moi car c’était le début d’un nouvel épisode colérique de la part de mon père.

 Un silence pesant agita le groupe. Les adolescents n’osaient imaginer ce que la formulation policée de la kunoichi d’azur signifiait. La main de Tokri se resserra imperceptiblement sur l’épaule de la jeune femme.

— Il te frappait ? demanda Nika d’une petite voix.

— Non, fit Izul en secouant la tête. Ivre mort, il me traitait de tous les noms, moi et ma mère.

 La jeune femme déglutit, le regard perdu dans le vide alors qu’elle se remémorait la scène. Pas étonnant que son comportement ait été impacté. Une fureur glacée se diffusa dans le corps de Sarouh. Il aurait dû la suivre finalement.

— Ensuite, Gomaki est intervenu. Cela a calmé mon père quelques semaines.

 Un nouvel ange passa. Formulé ainsi, cela voulait dire que le harcèlement avait repris.

— Qu’est-ce qu’on peut faire pour aider ? demanda Mutika qui oscillait entre l’écoeurement et la compassion.

— Me laisser finir, lui répondit l’azurée avec un clin d'œil trop forcé pour être naturel. Il y a quelques jours, mon père a craqué et m’a frappé. C’est là que je me suis réfugié chez Tokri. C’est pour cela que vous m’y avez surprise.

 Sarouh se taisait, la colère au goût de cendre continuait à se diluer dans tout son corps. Une flamme s’alluma dans son regard, qu’il gardait planté dans le sol. Ne pas reproduire les erreurs qu’il avait déjà commises. Izul n’avait pas besoin de sa fureur. C’est pour ça qu’elle s’était tournée vers Tokri. Lui avait su quoi faire pour la rassurer. Ces pensées alimentèrent le brasier et son envie de vomir.

— Je ne me laisserai plus faire, continua Izul d’une voix déterminée. Il ne posera plus jamais la main sur moi.

— Nous nous en assurerons, continua Tokri.

 Il se montrait ferme et rassurant. Puissant et déterminé. Pas d’hésitations chez le chef des Chikarates. Quelque chose clochait. Sarouh se tourna vers Nika, espérant dissiper son émotion. Blanche, la marionnettiste avait un air absent.

— Je ne comprends pas quelque chose, articula finalement le Tsumyo avec difficulté. Tu peux répondre à des questions ?

 Tokri et Izul se regardèrent avant que la kunoichi n’hoche la tête. Cela augmenta la sensation de malaise du Gensouard.

— Comment et quand Gomaki a-t-il apprit pour les événements ?

 Le Chuunin scrutait le couple avec une intensité rare. Nika s’était tournée vers lui, l’air inquiète. Mutika et Kiame gardaient un silence attentif. Mais la réaction que guettait l’imposant Gensouard aux cheveux bleus, c’était celle de l’Utak.

— Il s’inquiétait pour moi et a laissé des dragons en patrouille autour de chez moi. Ils ont assisté à une dispute et notre maître est venu discuter avec mon père. Je ne sais pas ce qu’ils ont dit. C’était la veille de mon retour aux entraînements.

 C’était crédible. Alors pourquoi cette sensation que l’histoire ne faisait pas sens ? Un élément gênait le Tsumyo, qui n’osait pas interroger plus. Il s’assit, plongea ses mains dans le sable chaud alors que Nika s’avançait vers son amie pour lui montrer son soutien, allant presque jusqu’au câlin. Tokri se détendit un peu, rassuré par la tournure de la discussion. C’est là que l’instinct de Sarouh se réveilla. Il le savait. Depuis le début, l’Utak était au courant. C’est ce que l’Hynomori avait perçu au terrain d’entraînement. Ce n’est pas Gomaki qui lui aurait dit, mais l’inverse se tenait.

 Une lueur malsaine s’alluma dans le regard de Sarouh. Il déclina furieusement mais avec méthode les différents scénarios. Pourquoi le cacher ? Comment l’avait-il su ? Le poison de la paranoïa infectait ses pensées. C’est pour cela qu’il avait laissé le Tsumyo continuer sa danse avec l’azurée ? En espérant que ça aille droit au mur ? Ainsi il pourrait se montrer protecteur et attentif quand la situation exploserait à nouveau.

 Les conspirations les plus folles s’emballaient dans sa tête. Il essaya de se calmer, de se rappeler que tout ne tournait pas autour de lui. Mais la présence de Tokri aux côtés de la belle le rendait malade. Il n’était pas meilleur que lui. Pire, l’Utak s’était servi de son échec. Facile de se montrer présent et d’adopter le comportement adéquat lorsque tu sais.

 Le Chuunin se redressa précipitamment. Il se sentait idiot et confus. Dire que Gomaki lui passait de la pommade à peine une heure auparavant. Ses conseils résonnèrent amèrement. S'il n'appartenait pas vraiment à Gensou, sa place n'était définitivement pas à Chikara.

 Il fusilla Tokri du regard, qui le maintint en serrant la mâchoire. Évidemment qu'il s'en était rendu compte. Sarouh s'éloigna, sans répondre à l'interrogation muette de la marionnettiste. Le Tsumyo avait besoin de reprendre ses esprits. Il descendait la corniche rocheuse en quatrième vitesse, les nerfs à vif. La pierre chaude diffusait la chaleur de la journée, étouffant encore plus le Gensouard qui avait l’impression de suffoquer. Sa mâchoire lui faisait mal de crispation, la nausée était à peine supportable.

 La soirée tombait et l’illusionniste était confus et perdu. Il avait besoin d’hurler, taper dans quelque chose, vomir et pleurer. Un sentiment de trahison se mêlait à la jalousie, la colère, le stress et la frustration. Un mal de crâne intense amplifiait chacun des battements de son cœur en une cacophonie assourdissante et douloureuse.

 Finalement en bas du promontoire, un vertige le contraint à s’arrêter à l’ombre étendue du monument rocheux. La tête dans ses genoux, le Gensouard tenta pour la énième fois de reprendre le contrôle de son corps et de ses émotions. Tout ce qu’il entendait, c’était le flux ininterrompu de reproches et de regrets.

 Une main se posa sur son épaule. Il la saisit, immédiatement prêt à se battre.

— Doucement, fit Tokri derrière lui. Je suis pas venu me battre avec toi.

 Émotions contradictoires. Soulagement léger, suivi d’une puissante colère face à l’ironie de la situation. Sarouh se releva et planta un regard mauvais dans les yeux noisettes de Tokri, la bouche agitée d’un rictus acide.

— Vraiment ? cracha-t-il. Qu’est-ce que tu fais ici, alors ? Tu devrais être avec ta belle.

 Sarouh avait appuyé le possessif. Pourquoi personne ne pouvait lui foutre la paix ? Izul avait besoin de soutien et celui qu’elle avait choisi pour lui apporter préférait se tenir devant lui. Le Tsumyo se sentait provoqué à la limite de l’insulte. Face à lui, l’Utak se tendit légèrement. Le Chikarate était doué pour masquer ses émotions, la contraction était presque invisible, mais elle n’échappa pas au Gensouard. Il venait de comprendre quel type de conversation il aurait.

— Elle est bien entourée et j’étais inquiet pour toi, déclara-t-il avec pondération. Ce n’est pas ton genre ce type de réaction, pourtant c’est la deuxième fois.

— Et comment suis-je supposé réagir ? répondit l’illusionniste, glacial.

 Un silence s’abattit sur le duo, le temps que l’aîné du groupe réfléchisse à la question. Ils n’avaient habituellement aucune difficulté à rester de longs moments sans se parler, mais la tension était étouffante, alors que le temps se dilatait face à l’intensité du regard malade du Tsumyo.

— Tu n’es pas en colère à cause du père d’Izul, constata d’une voix neutre le Chikarate.

— Oh si, je le suis. Si je pouvais lui faire vivre un enfer, j’y serais déjà. Mais il faudrait pour cela que la personne qui me surveille me lâche.

 Tokri sembla gêné. Il ne savait pas comment tendre la perche au Tsumyo pour lui permettre de vider son sac et celui-ci était trop sur les nerfs pour lui simplifier les choses. Pour autant le taijutsuka refusait de le laisser, aggravant encore son agacement.

— Tu ne trouves pas ça ironique, que ça soit mes faits et gestes qui sont épiés, alors qu’Izul subit tout ça ? continua le Chuunin sur un ton acide. Mieux encore, je n’aurais pas pu l’aider même si je le voulais. Mais je connais quelqu’un qui n’a pas ces problèmes.

 Une lueur de compréhension naquit enfin dans le regard de l’Utak.

— Ne t’en veux pas, parce que tu n’as pas pu l’aider. Gomaki…

— Pitié ne me prends pas pour un idiot, coupa immédiatement Sarouh, ostensiblement agressif. Tu le savais. C’est toi qui a prévenu ton sensei pour elle.

 Le silence qui suivit eut valeur de confirmation pour le Tsumyo. Au fond de lui, le Gensouard aurait aimé qu’il démente avec véhémence. Il aurait aimé se tromper. A la place, le regard de Tokri avait un goût amer de trahison.

— Même si c’est le cas, qu’est-ce que tu me reproches au juste ? reprit celui-ci sans se démonter. Tu es le parfait exemple du shinobi, que je la suive ne devrait pas te poser problème.

— Tu ne vas pas réussir à me faire avaler que tu ne vois pas où je veux en venir.

 Sa voix était montée d’un octave, sa mue inachevée rendant le son strident. Toute l’âme de Sarouh n’hésitait qu’entre frapper Tokri le plus fort possible et fuir aussi loin qu’il en était capable.

— Tu savais exactement ce dont elle avait besoin, articula finalement le shinobi de la Cascade avec froideur. Tu me connaissais déjà assez bien pour savoir comment cela allait se passer entre nous et tu nous as gentiment laissé aller droit dans le mur.

— C’est pratique ça, fit l’Utak, la colère le gagnant enfin. Ne m’accuse pas de tes échecs, je t’ai laissé toutes les chances dont tu avais besoin et tu as merdé. Je t’ai même laissé ta putain de danse à l’entraînement.

— Uniquement parce que tu savais ce qui allait se passer !

 Le poing de Tokri se crispa, éveillant davantage l’appétit de combat du Tsumyo. C’était ça qu’il lui fallait. Passer ses nerfs sur le Genin. Il le méritait, soufflait ses démons intérieurs. Le chef des Chikarates autour duquel tout le monde gravitait dans cette foutue équipe avait tout ce que le Gensouard désirait et avait miné sa relation avec Izul sous couvert de faire au mieux. Il lui restait un domaine dans lequel il surpassait le Chikarate et tout son corps crevait d’envie d’illustrer à quel point.

— Écoute, reprit Tokri en essayant de calmer le jeu, ouvrant les paumes de sa main devant lui en une position d’apaisement, je n’ai rien dit par respect pour elle. Je n’ai rien tenté avec elle quand bien même j’en avais envie. Je n’ai rien à me reprocher et tu le sais.

— Je ne suis pas de ton avis. Tu pouvais désarmer cette situation de tas de manières différentes mais tu as décidé de ne pas le faire dans ton intérêt. Si tu n’as rien à te reprocher, pourquoi ne sait-elle pas pour la surveillance ? Facile d’endosser le bon rôle maintenant qu’elle dort chez toi.

 Des flammes s’allumèrent dans le regard de Tokri, élargissant le sourire malsain de Sarouh. Il y était presque.

— Putain, Sarouh, tout le monde n’est pas calculateur comme toi ! J’étais là pour elle comme tu aurais dû le faire, ne me reproche pas d’avoir protégé mon équipe. J’ai fait ce que je croyais être le mieux pour elle tout en te respectant. Tu te comportes comme un sale con égoïste là.

 Crispés comme jamais, les shinobis étaient tous les deux prêts à l’affrontement. Pourtant, l’Utak trouva le moyen de se détendre un peu, alors que le Gensouard brûlait d’envie de lui faire ravaler ses paroles.

— Si tu veux en parler à tête reposée, je serais là, déclara-t-il d’une voix ferme. Mais tant que tu n’acceptes pas ta part de responsabilité, on a plus rien à se dire.

 Il osait. Non seulement il se servait de lui, mais en plus il venait lui faire la morale. Le regard de Sarouh s’embrasa. Le pas en arrière que fit Tokri lui expliqua ce qu’il ne comprenait pas : son Dojutsu s’était à nouveau activé. Autour de l’Utak, des vibrations de différentes fréquences gravitaient autour de lui, telles les déformations de l’air sous l’effet de la chaleur. Mais le Tsumyo n’y prêtait pas attention. Il avait juste besoin d’une petite impulsion.

— Et toi arrête de te cacher derrière le rôle du protecteur. Tu n’as pensé qu’à ta gueule tout le long. Surveiller Izul devait être une expérience plaisante, combien de fois tu l’as vu dans son intimité exactement ? Être là pour recueillir son désarrois d’une situation que tu as laissé se produire, comment c’était ? Venir me réconforter quand j’étais au plus bas, avec ton laïus sur l’amitié ne t’a pas fait l’effet d’être le plus gros hypocrite du Yuukan ?

 Sarouh ne débitait plus pour se défendre mais seulement pour que l’Utak s’énerve. Tendu comme un arc, le Genin était prêt. Un peu de Chakra et il lui foncerait dessus. L’idée était tentante.

— Tu veux te battre ? continua l’illusionniste avec un sourire de requin. Frappe moi le premier, mais ne te rate pas.

—Tu en meurs d’envie. Pas moi. Que tu sois plus fort pour le moment ne te donne pas le droit d’être un connard. Pense ce que tu veux. Je n’ai jamais prétendu être un héros, mais je ne suis jamais tombé aussi bas.

 Le Genin lui tourna le dos, pour rejoindre la corniche, prêt à retourner auprès d’Izul. Ses paroles résonnaient chez le Tsumyo sans qu’il ne les comprenne. Son état de fureur dépassait l’entendement. Il s’élança à toute vitesse en direction du promontoire opposé. S’il ne pouvait pas se battre, hurler aiderait. Alors que le vent fouettait son visage, que la solitude, la déception, la colère et l’envie l’étreignaient, il repensa aux paroles de Gomaki. Alors qu’il arrivait au sommet rocheux, il espéra brièvement ne jamais arriver en haut.

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