Épisode 32 - Visite nocturne

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 Penché devant son mini-frigo, Tokri profita un instant de sa fraîcheur, épuisé par les longues journées qui ne cessait de s'enchaîner. Il prit finalement une bière, la décapsula d’une pression du pouce tout en fermant la porte du pied et rejoignit le canapé situé non loin. Il savoura le frisson que lui procura la gorgée glacée, réfléchissant à la semaine qui venait de s’écouler.

 Les sessions d'entraînements avec Izul étaient devenues quotidiennes, entre le programme de Gomaki et les sorties aux Bains. Le taijutsu perdait du terrain, laissant place à des chorégraphies de plus en plus fusionnelles. Malgré leur rapprochement, Tokri n’avait toujours pas passé le cap des aveux, pétri dans sa crainte de brusquer la jeune femme autant que par le risque qu’elle mette fin aux rendez-vous que chérissait le Genin.

 Il se pinça l’arête du nez tout en soupirant. Était-il trop protecteur ? Izul n’était pas une demoiselle sans défense, elle n’avait cessé de le prouver. L’Utak avait failli tout lui avouer à plusieurs reprises, mais les mots se bloquaient dans sa gorge au souvenir de l’apprenti-médecin prostrée dans son lit, souffrant avec impuissance du poison distillé par son père.

 Sur le point de reprendre une gorgée, quelqu’un tambourina à la porte. Surpris, il posa sa boisson sur la table basse face à lui, avant de traverser le salon pour se rendre devant la porte d’entrée. La soirée était pourtant bien avancée et le jeune homme n’attendait personne. Vifs et forts, les coups n’avaient toutefois pas été réitérés, accentuant l’étonnement de Tokri.

 Lorsqu’il ouvrit la porte, il fut stupéfait de trouver une Izul à moitié cachée par la pénombre de la nuit. Ses cheveux, encore mouillés des Bains, étaient plaqués contre la moitié gauche de son visage, tandis que son épaule droite était couverte par l’azur de sa fine cascade. Sanglotante, ses mains étaient crispées contre ses bras.

— Izul ? Que se passe-t-il ?

 A ses mots, la jeune femme se précipita contre lui. Sans réfléchir, Tokri la serra contre son torse et lui caressa doucement le dos. Inquiet, il n'eut aucun mal à ignorer la sensation qui le remua à son contact. La réaction de l'adolescente ne faisait que confirmer la supposition qui lui était venue à l’esprit à l’instant où il l’avait entendu pleurer. D’instinct, le guerrier contrôla la rage qui commençait à brûler en son cœur. Quoi qu’il soit arrivé, la Leïl avait besoin de réconfort. Le shinobi vengeur devait attendre.

— Suis-moi, lui chuchota-t-il avec douceur.

 L’Utak se détacha de la kunoichi à contrecœur et la guida jusqu’au canapé. Titubante, elle était manifestement en état de choc.

— Prends ton temps, lui conseilla le Genin une fois qu’elle fut assise. Je reviens.

 L’adolescent traversa la salle pour se rendre à la cuisine, ses pensées s'égrenant au fil de ses pas. Ce qu’il craignait était arrivé. Le calme s’était installé durant plusieurs précieuses semaines, mais une nouvelle tempête était inévitable. Ces gens-là ne changeaient jamais. Tandis qu’il remplissait un verre d’eau, de noires pensées l’envahissaient, fidèles compagnes de sa colère. De simples soupçons de trahison pouvaient suffire pour qu’une cour martiale ordonne une exécution, mais Chikara fermait les yeux sur les violences invisibles du quotidien. Rejoignant son amie, le taijutsuka fit de son mieux pour décrisper sa mâchoire et son poing libre.

 Lorsqu’il tendit son verre à Izul, l’Utak ne laissa rien paraître de ses tumultes intérieurs. Dans son état, elle n’avait pas besoin de ressentir sa négativité. La Leïl but lentement, calmant peu à peu sa respiration. Mais lorsqu’elle rendit le verre à Tokri, ses sanglots l’empêchaient toujours de parler. Le jeune homme garda le silence tout en soutenant son regard. Le cœur serré, il fit de son mieux pour lui transmettre tout le soutien possible par simple contact visuel, bien qu’il mourrait d’envie de la serrer contre lui.

 Reprenant peu à peu le contrôle d’elle-même, Izul désigna du doigt la partie cachée de son visage.

— Je peux ? lui demanda l’Utak, hésitant.

 La kunoichi d’azur confirma d’un hochement de tête. De l’index, l’apprenti shinobi écarta le rideau de cheveux. Son poing libre se crispa lorsqu’il découvrit l’ecchymose gonflant le haut de sa joue. Dévorant une partie de son œil imprégné de sang, Tokri n’aurait su dire ce qui avait le plus empourpré le blanc entre la blessure et les larmes. Un bref instant, il songea à se rendre chez les Leïl pour régler définitivement son compte à l’ordure qui se prétendait être père.

 A la vue du regard embrasé de colère de son ami, Izul eut un léger mouvement de recul, qui calma instantanément le guerrier.

— Désolé, bredouilla-t-elle, presque paniquée.

— Tu n’as pas à t’excuser.

 Il posa une main rassérénante sur son épaule et fut soulagé de ne pas la sentir esquisser un mouvement de fuite ou se crisper. Tokri prit sa bière et constata qu’elle était encore froide. Il la but d’un trait, autant par besoin médical que par soutien moral. Le taijutsuka l’apposa doucement sur la blessure, arrachant une légère grimace à la Leïl.

— Tiens-la. Je vais te chercher de la glace.

 A peine eut-il fait trois pas que Izul déclara d’une voix tremblante :

— C’est mon père.

 La kunoichi d’azur avait lâché les trois mots avec empressement, comme si elle souhaitait se libérer du poids qu’ils représentaient le plus rapidement possible. Tokri marqua un temps d’arrêt, surpris de l’entendre aborder d’elle-même le sujet. A sa connaissance, l’apprenti médecin ne s’était jamais confiée sur ses affaires familiales.

— Raconte à ton rythme, uniquement si tu le souhaites, l’encouragea Tokri tout en rejoignant son mini-frigo.

 Alors que l’Utak enroulait une poche de glace dans un bandage qui trainait sur le comptoir de son bar, Izul commença à tout lui expliquer sur le même débit de parole :

— Il m’a agressé dès mon retour des Bains. Ce n’était pas arrivé depuis des semaines, j’ai vite compris que ma mère s’était enfermée dans sa chambre. Ce soir, il a littéralement pété un plomb. Encore plus soûl que d’habitude, il m’a hurlé des insultes, comme quoi…

 Elle se tut un court instant, tandis que Tokri s'asseyait face à elle. Il ne comptait pas la questionner, juste la laisser soulager son esprit des évènements.

— Il m’a insulté d’aguicheuse, murmura l’adolescente, tandis que Tokri remplaçait la bouteille par la poche.

— Par rapport à moi ? devina l’Utak, éprouvant toutes les peines du monde à retenir le crispement de sa mâchoire.

— Il t’a particulièrement évoqué oui, entre deux borborygmes d’alcoolique. Je pense qu’il nous observait depuis un moment quand tu me raccompagnais.

 Le Genin retint un juron. Impassible, il se concentra sur l’application du froid sur la contusion et invita son amie à continuer ses explications. Elle soupira, fatiguée autant que dépitée :

— Il était incohérent et a parlé de traîner Gomaki en cour martiale, entre autres.

— Gomaki ? répéta Tokri, étonné.

— Il a envoyé l’un de ses dragons en repérage et a appris pour les crises de violence de mon père. Gomaki lui a mis un coup de pression qui l’a calmé ces dernières semaines.

 Tandis que l’Utak remerciait intérieurement son sensei de l’avoir si brillamment couvert, Izul se mordit une lèvre.

— Je savais que cela ne durerait pas, reprit-elle faiblement.

— Il t’avait déjà frappé ? lui demanda Tokri, la voix vibrante.

 La Leïl répondit par la négative d’un simple mouvement de tête.

— Ma mère a déjà eu droit à de violentes gifles. Moi, seulement du harcèlement verbal. Mais ce soir…

 Se repassant la scène, elle ricana. Tokri crut lire un soupçon de fierté dans son regard, ce qui le rassura. Contrairement à son premier effondrement, Izul n’était pas à terre. Elle était remuée et souffrait, mais elle tenait debout, déterminée à se battre.

— Je l’ai envoyée se faire foutre. Violemment. Je ne m’étais jamais opposé aussi frontalement à lui, ce qui a provoqué le coup de poing.

 Elle posa doucement sa main sur celle de Tokri et lui adressa un sourire aussi solaire que possible, tant pour le rassurer que pour le remercier. Une fois de plus, l’adolescent se perdit dans l’émeraude étincelante de son regard, le cœur pincé de le voir entaché de pourpre.

— Vous devez déteindre sur moi, plaisanta-t-elle.

 D’une légère pression de la main, l’apprenti médecin lui fit comprendre qu’il pouvait retirer la poche, que Tokri avait presque oubliée malgré le froid qui l’engourdissait. Elle s’ausculta elle-même, tout en terminant ses explications :

— Je suis parti aussitôt, il était trop imbibé d’alcool pour me rattraper.

— Et pourquoi es-tu venu ici, plutôt que chez Gomaki ? osa lui demander l’Utak, tout en tentant de réchauffer ses doigts.

— Il n’y a qu’avec toi que je me sentais en sécurité.

 Un silence s’installa, laissant doucement à Tokri le temps d’intégrer l’information. Partageait-elle donc ses sentiments ? Soutenant son regard, l’Utak mourrait d’envie de la prendre dans ses bras. Mais il se refusait à profiter de la situation. Malgré sa résistance, Izul était en état de faiblesse. Dans l’immédiat, elle avait besoin de soin et de dormir.

 Comme pour réaliser son souhait, une lueur verte enveloppa la main droite de la Leïl, qu’elle posa sur sa blessure. Illuminant son visage, Tokri ne la trouva que plus magnifique. Lorsqu’elle retira sa paume, l’aspirant fut stupéfait de constater qu’il ne restait pratiquement plus de trace de l’ecchymose. Seul restait une légère estafilade.

 Le silence perdura, tous deux s’observant sans rien dire. Gêné, Tokri finit par s’éclaircir la gorge et se leva :

— Il est tard et tu as besoin de repos.

 Tout en se dirigeant vers un escalier, il désigna l’étage :

— On a une chambre d’amis. Tu peux dormir ici pour la nuit et nous verrons Gomaki demain matin.

Izul se leva à son tour, tenant cette fois sans mal sur ses jambes :

— Ça me va, répondit-elle, d’un ton presque déçu.

 Dos à elle en lui servant de guide, Tokri se mordit une lèvre. Son désir pour l’adolescente luttait avec sa conviction d’agir pour le mieux. L’étage supérieur était un long couloir, donnant peu après l’escalier sur la chambre d’Okioto, vide depuis plusieurs mois. Ils passèrent devant sans y prêter attention. Regardant autour d’elle, Izul constata que les murs étaient soit assortis d’étagères remplis de livres, soit décorés par diverses photos. L’adolescente reconnut certains Utak, mais la plupart lui était inconnu.

 Au bout du couloir, Tokri lui désigna deux portes :

— Ma chambre est juste face à la tienne. N’hésite pas si tu as besoin de quelque chose.

 Izul se tint le poignet et se mordit une lèvre, tête baissée. Tokri se demandait ce qu’il pouvait ajouter pour lui remonter le moral, lorsqu’elle se redressa et lui donna un léger baiser sur la joue.

— Merci.

 Elle se retourna, faisant danser sa chevelure en une vague, avant de rentrer dans sa chambre. Instantanément, Tokri se sentit envahi par le regret. Il traina presque des pieds en retrouvant sa chambre et se frotta l’arête du nez en soupirant.

— J’ai bien agi, se murmura-t-il, comme pour s'en convaincre.

 S’effondrant dans son lit, l’Utak réfléchit à la marche à suivre vis-à -vis du vieux Leïl. Si cela ne tenait qu’à lui, il le tuerait sur le champ. Les ordures qui ne semaient que peine et malheur n’avaient pas le droit de vivre. Lorsque l’on tombait malade, le réflexe naturel était d’éliminer les microbes avant qu’il ne soit trop tard. Les choses n’étaient pas différentes avec ces parasites. Mieux valait les éliminer avant qu’il ne cause trop de tort. Et cet homme avait gâché suffisamment de chance.

 En maugréant à voix basse, l’esprit de Tokri se tourna vers Izul. Le jeune homme n’était pas idiot et avait clairement senti qu’elle avait besoin de davantage de sa part. Mais il était terrifié à l’idée de lui faire du mal. Jusqu’à présent, le taijutsuka était concentré sur les histoires familiales des Leïl. Mais son mouvement de recul lui avait rappelé une triste vérité : il était lui-même dangereux. Et Tokri préférait mourir que de prendre le risque de blesser la jeune femme.

 En un soupir, il laissa tomber son bras contre le bord du lit afin de saisir sa gourde d’eau. En la soulevant, sa légèreté lui fit comprendre qu’elle était vide, lui arrachant un grognement. Maudissant son manque de prévoyance, l’Utak passa au-delà de sa fatigue et se releva avec peine. Il se frotta les yeux et ouvrit la porte. La seconde suivante, il crut être tombé en plein rêve.

 Izul était face à lui, poing levé comme si elle s'apprêtait à frapper, jambes nues et vêtue de son seul tee-shirt. A l’expression de son visage, la kunoichi était tout aussi surprise que lui. Le garçon aux cheveux de jais crut percevoir un léger tremblement dans sa main, qui s’apaisa à la vue du Genin. 

 Un simple échange de leurs regard brillants leur suffit pour se comprendre. Une fraction de seconde plus tard, ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre, leurs lèvres s’unissant en un langoureux baiser. Fougueuse, Izul sauta dans ses bras, lui attrapant le visage tout en le ceinturant de ses jambes. Sans cesser de l’embrasser, Tokri la porta jusqu’à son lit et s’y laissa tomber avec elle.

 Ils se détachèrent un bref instant, plongeant dans le regard l’un de l’autre. Les cheveux d’azur s’étalaient sur le matelas, quelques mèches continuant de parsemer son fin visage. Tokri lui caressa une joue, comme pour s’assurer qu’elle était vraiment là. Elle en fit de même, effleurant ses lèvres jusqu’en haut de sa pommette droite :

— Ce que ça me fait craquer, susurra-t-elle en un souffle.

 L’Utak se rendit alors compte qu’il était en train de sourire. Il se pencha et effleura les lèvres de celle qu’il aimait, prenant son temps et savourant le goût sucré de sa bien-aimée. Comme envoûté par la fragrance de rose de la jeune femme, ils s’échangèrent de longs baisers passionnés qu’il aurait voulu rendre éternels.

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