Épisode 31 - Dans la peau

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 Au sommet d’un rocher, assis en tailleur, Tokri était en osmose avec ses énergies. Les mêlant avec talent, il sourit de plaisir en ressentant la douce chaleur au creux de son ventre, qui avait remplacé la froideur que lui avait toujours infligé son Chakra. Ses pensées pouvaient suivre ses zéphyrs intérieurs, un exercice impossible du temps où il se concentrait à garder le contrôle sur un flux tumultueux.

 Ayant besoin d’un peu de solitude, l’Utak s’était rendu au promontoire bien avant l’heure de son rendez-vous avec Izul. Un mois après l’enquête à Sengo, la Team Gomaki n’avait cessé de s’améliorer. Reprenant son programme là où il s’était arrêté, le chef des Genins avait perfectionné ses deux jutsus de vent et parvenait à les combiner avec une adresse qui le rendait certain de pouvoir les utiliser sans difficulté en combat. De plus en plus à l’aise avec son affinité, le jeune homme avait tenté de passer au niveau supérieur de son affûtage de lames en matérialisant du Chakra Fuuton à partir de ses kunais. Mais il avait bien vite compris qu’il était en train de griller quelques étapes et s’était recentré sur des exercices de son niveau.

 En quasi-autodidacte, Izul avait acquis son premier jutsu de soin. Elle s'était également lancé dans l'élaboration de son premier genjutsu, aidé par le professionnalisme sans faille de Sarouh. De ce qu'il en avait compris, la kunoichi d'azur souhaitait un sort d'apaisement, destiné à l'aider à calmer un patient en état de choc. Nul besoin de réfléchir bien longtemps pour comprendre que l'idée lui était venue de son expérience avec le torturé du Tsumyo.

 Décidé de renforcer ses aptitudes offensives, Mutika avait suivi le conseil de son sensei d’améliorer son Ten et son Ren. Ayant décidé de se spécialiser en ninjutsu, l’Oroshi était ravi de constater qu’il parvenait à produire davantage de Chakra tout en limitant les pertes à chaque utilisation. De son côté, Nika se réfugiait dans l'entraînement. Le soir, elle perfectionnait sa maîtrise du marionnettisme avec son maître clanique afin de se concentrer sur son apprentissage du Katon avec Gomaki et Kiame. Ce dernier avait amélioré ses manipulations du Chakra, en particulier le Ren, et renforça sa défense au genjutsu pendant que sa partenaire apprit le Funhi. Par la suite, les deux Genins du feu perfectionnérent leurs jets de flamme ensemble.

 Gomaki et Sarouh continuaient à aiguiller les Genins. Sans leur aide, Tokri ne doutait pas que leurs progrès seraient bien moins fulgurants.Le Tsumyo semblait suivre son propre programme en dehors de ses temps avec l’équipe. Témoignage de ses entraînements nocturnes, son extrême fatigue l’empêchait une fois sur trois de se joindre à eux aux Bains. Ignorant ce qui poussait le Gensouard à de telles extrémités, l’Utak n’en avait pas besoin pour le comprendre.

 Passant à la méditation Fuuton, l’aspirant se leva tout en transformant son énergie. L’environnement jusque là aride semble s’adoucir, tandis qu’il se mit à ressentir avec précision le souffle tiède de la bise du désert. Effleurant son corps et caressant son visage, il se plaisait à imaginer le vent comme une amie lui apportant du réconfort. Depuis quelque temps, il visualisait le visage de Lila lorsqu’il se laissait emporter par ses sensations.

 Pour l’heure, Tokri laissait ses pensées voguer au rythme des grains de sable qui formèrent une tornade imperceptible autour de lui. Les duos formaient durant la mission était devenu pérenne. Dès qu’ils le pouvaient, Sarouh et Nika se retrouvaient entre eux. Au détour d’une conversation, l’Utak avait même compris que l’illusionniste passait ses temps libre soit chez les Hynomori, soit à la bibliothèque. De là à s’imaginer un début de relation amoureuse, il n’y avait qu’un pas. Comme toujours, le Chikarate considérait que cela ne le concernait pas. Un climat de chaud froid régnait entre les deux stratèges et le duo formé par Izul et Tokri. Leurs relations semblaient parfois redevenir normales, jusqu’à une prise soudaine de distance de la part du Tsumyo et de la Hynomori. Fatigué de se poser des questions et à chercher à manoeuvre à leur place, l’Utak attendait dorénavant qu’ils se décident à jouer carte sur table avec lui, les laissant tranquille lors de leurs éloignements. Prenant sans mal du recul, il ne pouvait s’empêcher d’avoir le cœur serré en constatant que cela impactait profondément la Leïl.

 Cette situation n’avait pas empêché Sarouh de prévenir Tokri lorsqu’il écrivit à ses parents concernant l’apparition de son dojutsu. Le Chikarate avait cherché à en savoir un peu plus sur ce que cela signifiait pour lui, mais le Tsumyo lui avait fait comprendre qu’il préférait attendre leur retour avant de lui répondre.

 Kiame et Mutika oscillaient entre les deux autres duos. L’Oroshi gagnait peu à peu en confiance ce qu’il perdait en humour. Tokri le soupçonnait être fatigué de jouer au médiateur et amuseur de service, rôle qu’avait naturellement récupéré le solaire Myô. Quoi qu’il en soit, les deux garçons étaient la clef de voûte du maintien de la bonne ambiance au sein de l’équipe.

 Vis à vis d’Izul, Tokri n’amenuisait plus ses ressentis et s’était admis être tombé amoureux de la brillante jeune femme. Ainsi avait-il été ravi lorsqu’elle lui avait demandé de l’aide afin de s’améliorer au taijutsu. L’Utak se doutait que ce besoin était dicté par sa jalousie de la farouche Marwais, mais cela lui importait peu tant que cela lui permettait de passer du temps seul avec elle. Le chef des Genins ignorait où en était la kunoichi d’azur vis à vis de Sarouh, mais il avait la sensation qu’elle partageait ses sentiments. Plus le temps passait et moins elle semblait avoir besoin de se défouler durant leurs sessions au promontoire. Appliquée, la kunoichi d’azur avait aiguisé sa vitesse et sa précision, tout en gagnant en force de frappe et en résistance par l’amélioration de son gyo et de son zetsu. En contrepartie, les conseils de la jeune femme lui avait été grandement précieux pour ses propres entrainements.

 L’adolescent avait été à deux doigts de tout lui avouer à de nombreuses reprises, mais ses craintes vis-à-vis du père de la Leïl l’avaient bloquées jusque-là. Était-elle seulement prête à accorder sa confiance à un homme après avoir été violenté durant tant d’années ?

 Jusqu’à ce qu’il soit certain que ses sentiments ne la blessent pas, Tokri savourait simplement la complicité qui lui faisait tellement de bien après des années de solitude. Il avait même pris l’habitude de l’accompagner jusque chez elle après leurs soirées aux Bains avec l’équipe. Le souvenir d’Izul, cheveux mouillés, lui fit perdre le contrôle sur le maintien de son flux de Chakra. Comme si cette pensée l’avait invoqué, il entendit en contrebas :

— Tu triches maintenant ?

 Esquissant un sourire taquin, Tokri mit fin à sa méditation et se laissa atterrir face à elle :

— Pas le choix, tu progresses trop vite pour moi.

— Flatteur.

 Elle s’approcha de lui et tapota sa joue droite. L’Utak se retint, déterminé à ne pas trahir cette zone fortement chatouilleuse chez lui.

— Range-moi cette pommette.

 Elle lui tourna le dos, tandis que le garçon la suivit sans se départir de son expression, intérieurement fier d’avoir conservé son contrôle. Seul ce côté de son visage se creusait lorsqu’il souriait, ce qui ne manquait pas d’amuser la jeune femme qui en avait fait une blague régulière entre eux.

 Tandis qu’ils s'éloignèrent quelque peu des rochers afin de s’échauffer par quelques assouplissements, le jeune homme se rendit compte que son comportement était grandement différent lorsqu’il était en présence de la demoiselle. Une partie de lui pestait contre la mièvrerie dont il faisait preuve, tandis qu’une autre la remerciait pour la fraîcheur qu’elle amenait dans sa vie.

 Comme à chaque session, Izul avait noué ses cheveux en une queue de cheval et s’était vêtue d’un ensemble crop-top et short noir. Épousant parfaitement ses formes, aucun mouvement ne risquait de se retrouver ralentis. De son côté, Tokri avait opté pour un tee-shirt bras nus et un bas proche de celui de sa partenaire.

— J'espère que tu ne t’es pas épuisé en faisant n’importe quoi avec ton Chakra, la taquina Izul en terminant son échauffement.

 Pour toute réponse, l’Utak prit une position de combat et lui fit signe d’approcher.

— Viens vérifier.

 Izul lui tira la langue et se précipita sur lui. D’un commun accord, tous deux avaient bannis l’emploi du Chakra et des armes de jets durant leurs échanges. La Leïl feinta une frappe au visage pour finalement opter pour un coup au flanc, facilement paré par Tokri. Elle repassa à son idée première, qui fut esquivée d’un pas de côté. Bornée, elle multiplia les vaines tentatives, toutes contournées ou évitées sans mal par le Chikarate.

— Tu es prévisible, lui répéta pour la énième fois l’Utak, tout en évitant un uppercut en reculant de deux pas.

 Il attrapa le poignet qui venait de tenter un tacle à la gorge avant de la repousser, ferme mais sans violence. Izul prit une pose défensive, tandis que le taijutsuka se contenta d’attendre, bras croisés. La moue boudeuse qu’elle afficha l’amusa.

— Tu réfléchis trop, précisa t-il d’un ton professoral. C’est primordial au combat, mais tu dois te laisser porter par ton instinct. Devient imprévisible et surprend ton adversaire lorsque ton plan tombe à l’eau.

— Comment fais-tu pour anticiper absolument chaque attaque ? pesta Izul, qui ne comprenait pas pourquoi elle ne parvenait toujours pas à porter ne serait-ce qu’une frappe.

 Tokri afficha à nouveau son sourire taquin, tout en décroisant les bras, l’invitant à retenter sa chance.

— Il me suffit de suivre ton regard.

 La Leïl haussa un sourcil de surprise. Une lueur de compréhension s’illumina dans son regard, suivie d’un sourire malicieux. Tandis qu’elle repassa à l’assaut, Tokri ne put s’empêcher de déglutir. Qu’avait-elle en tête ?

 Alors qu’il s’attendait à des combinaisons à base de coup de poing, il fut étonné de la voir bondir en un mouvement clairement inspiré par le Chikara Senpuu. Une tentative bien trop précoce, songea l’Utak tout en attrapant sa cheville. N’en restant pas là, la kunoichi d’azur propulsa sa seconde jambe, qui connut le même sort que la première. La maintenant en équilibre, Tokri se moqua de sa situation du regard :

— Ne jamais tenter ce genre de mouvement si tu n’es pas certaine de toucher.

 Lui rendant son sourire, Izul se bascula soudainement en avant. Surpris, l’Utak relâcha ses prises, se retrouvant à porter la jeune femme sur ses épaules, visage contre son ventre. Craignant que son poids ne les fasse basculer en arrière, il eut le réflexe de la maintenir en la tenant par le bas du dos. Ses joues s’empourprèrent, gêné tant par la situation que par le désir qui venait de s’embraser en lui.

 Satisfaite de son effet, Izul se pencha vers lui. Leurs deux visages se rapprochèrent dangereusement, son parfum sucré hypnotisant les sens du jeune homme. Sentant que sa cible avait totalement baissé sa garde, la Genin raffermit sa prise contre son visage et bascula de côté afin d'entraîner son partenaire. Tous deux se rattrapèrent des deux mains et se rétablirent en une roue parfaitement parallèle, se retrouvant face à face en une chorégraphie parfaite.

— Touché, chuchota-t-elle, victorieuse.

— Bien joué, lui concéda le garçon aux cheveux de jais.

 Sans le quitter des yeux, Izul frappa soudainement en direction de sa tempe gauche. Par pur instinct, Tokri para. Elle multiplia les assauts au visage et au torse, sans détacher son regard de celui de son partenaire.

— Et là ? Qu’est ce qui te permet de bloquer ?

 De plus en plus synchrone, leurs échanges prenaient des airs de ballet. Concentré tant par leur danse que par la question de la kunoichi d’azur, il finit par avancer une hypothèse :

— Je commence peut-être simplement à bien te connaître.

 Détournant une frappe, l’élan de la jeune femme la fit à demi tournoyer jusqu’à finir plaquée dos contre lui. Tokri s'enivra un bref instant du contact, jusqu’à ce que la Leïl prenne appui sur ses épaules pour finir en poirier au-dessus de sa tête. Se maintenant en équilibre à bout de bras, l’Utak l’aida à maintenir sa stabilité. Leurs visages se frôlérent tandis qu’ils se fixaient avec connivence, la queue de cheval de l’apprenti médecin caressant la nuque du guerrier du sable.

— Se laisser aller à l’instinct, répéta-t-elle en un souffle, tel un mantra.

 Elle lui adressa un clin d'œil et lâcha prise, faisant pleinement confiance à Tokri pour ne pas la laisser chuter. Tel une anguille serpentant autour du corps de sa proie, l’adolescente se laissa glisser entre les mains de son partenaire jusqu’à finir au sol. Un ange passa, tous deux se fixant en réalisant ce qui venait de leur arriver. D’un même éclat, ils partagèrent un fou rire.

— Il faudrait remettre ça, lui proposa Izul en tentant de reprendre son souffle, tandis que l’Utak s’allongeait à ses côtés.

 Tokri approuva en silence. Tous deux tournèrent la tête en même temps, le regard noisette plongeant une fois de plus dans l’émeraude de la jeune femme. Durant de longues silences, l’Utak crut qu’il allait enfin céder à son envie d’effleurer les lèvres de la Leïl. Était-ce ce qu’elle désirait ?

 La question fit revenir en son esprit la violente agression subie par la Genin par son père. La visualisant terrorisée dans son lit, l’Utak se redressa et se frotta les yeux. Tant que cela ne venait pas d’elle, hors de question de prendre le risque d’un nouvel effondrement psychique. Tokri était prêt à mettre de côté ses sentiments et désirs aussi longtemps que nécessaire.

— Ca va ? lui demanda-t-elle, un soupçon d’inquiétude se glissant dans sa voix.

— Oui, répondit Tokri, avec autant de conviction que possible. Je suis un peu fatigué.

 La kunoichi se pencha vers lui. Un bref instant, l’Utak crut que son désir caché allait devenir réalité. Il fut presque peiné lorsqu’elle lui embrassa simplement une joue.

— Je te laisse te reposer, dit-elle en baissant les yeux, dont les mouvements trahissaient sa gêne. Encore merci de ton aide.

— La session du jour te suffit ? demanda le taijutsuka, regrettant de la voir partir.

 Elle se leva et épousseta le sable collé de part et d'autre sur ses jambes et bras.

— J’ai promis à ma mère de l’aider aux écuries, l’informa t-elle d’un petit sourire. En arrivant en avance, nous aurons terminé plus tôt. J’ai également besoin de me reposer.

— Je vais un peu rester ici avant de rentrer, répondit Tokri, tournant son regard vers l’horizon de la mer de sable.

 La jeune femme lui fit un petit signe en guise d’au-revoir et s’éloigna. Discrètement, il la suivit du regard jusqu’à ce que sa silhouette disparaisse au coin d’un rocher. Tokri soupira et releva ses jambes tout en les entourant de ses bras, laissant tomber son menton contre ses genoux. Il doutait fortement qu’Izul soit en train de jouer avec ses sentiments, ce n’était pas le genre de la talentueuse ninja. Était-elle toujours perdue entre sa famille et ses sentiments ? Dans le cas où les sentiments étaient partagés, cela ne risquait-il pas de jeter un froid au sein de l’équipe, en particulier avec Sarouh ? Pour quelle raison une totale honnêteté était si difficile à établir entre eux ?

— Tant qu’ils restent professionnels, se remémora Tokri de sa discussion avec Mutika, quelques semaines plus tôt. Putain d’hypocrite.

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