Épisode 28 - Le chasseur et sa proie

10 minutes de lecture

 Le corps de Gomaki glissa le long du mur, enfoncé et fracturé par le choc. Quelques gravats tombèrent sur ses épaules, tandis que les restes de son armure Doton gisaient sur son torse inerte. De là où ils se trouvaient, les ninjas n'auraient su dire s'il était évanouis ou mort. Et bien que les Genins angoissaient pour leur sensei, la terreur inspirée par les grognements de plus en plus proches de la chimère prenait le dessus. Résonnant à travers les parois du tunnel, ses intentions étaient claires : le sang l’appelait.

 Sans avoir échangé le moindre regard, les shinobis s'étaient réorganisés selon leur capacité à combattre. Chiraku et Sarouh avaient pris la première ligne, dont le Fuuton aiguisait déjà la lame. Juste derrière eux, Cacaunoy tenait fermement son sabre de la main droite, l’autre bras pendouillant piteusement. Bien que blessée, son regard n’avait rien perdu de sa lueur combative et Tokri ne doutait pas qu'elle se révéle plus utile que lui durant l’affrontement à venir. Ses poings se serrèrent de frustration à cette pensée. Couvrant la troupe restante des Genins, le jeune homme et Nika étaient juste derrière la Gensouarde. Le premier s'était munis de kunais dans chaque main, déjà aiguisés par son affinité, tandis que Kokuro était prêt à repasser à l'action.

— Fuyez dès que l'affrontement reprend, ordonna l'Utak à la Leil, refusant séchement toute protestation.

 Le jeune homme aurait préféré que la kunoichi d'azur mette à l'abri les garçons dès maintenant, mais craignait que cet ordre ne fasse d’eux des proies de choix. Mieux valait détourner l’attention du chasseur dans un premier temps. Sans laisser le temps à Izul d'avancer un contre-argument, Nika ajouta sur le même ton :

— Nous ne prenons qu'un rôle de soutien. Si cela devient dangereux, on se replie pour ne pas les gêner.

 À contrecœur, l'Utak opina du chef. Bien que cela ne lui plaisait aucunement, c'était la seule option qui leur restait. L'apprenti-médecin ferma la bouche, comprenant la stratégie de ses camarades. Ils jouaient les seules cartes à leur disposition, il ne s’agissait en aucun cas d’un sacrifice à la Nikidami.

 Un rugissement leur glaça le sang, coupant court leurs échanges. Les pattes de la créature martelaient le sol, annonce des souffrances qu'elle s'apprêtait à abattre sur les shinobis épuisés. Lorsqu'elle apparut enfin, bave aux lèvres, Tokri se mordit une joue en constatant qu'elle ne portait aucune blessure apparente. Les Chuunins esquissèrent un mouvement, mais n'eurent le temps pour aucune action, la créature se retrouvant violemment plaquée au sol par une puissante rafale de vent.

— C'est toi ? bafouilla presque Chiraku à Sarouh, avant de constater que son compatriote s'était retourné.

 L'escouade suivit son regard d'un seul homme. Ce qu’ils virent fit manquer quelques battements aux Genins. Debout, Gomaki Myô tendait une main vers la Chimère afin de maintenir son jutsu, jetant au sol les lambeaux de sa tenue déchirée. Excepté quelques égratignures, il semblait prêt à reprendre l’affrontement. Le regard déterminé, le guerrier frappa dans ses mains, faisant apparaître des entraves de terre qui maintinrent le monstre au sol par les pattes et le cou, lui arrachant un rugissement de frustration.

 Tandis qu’il se dirigeait vers son équipe, Gomaki se refit le fil mental du combat. Le Jounin avait tenté toutes les combinaisons offertes par sa triple affinité, additionné à sa maîtrise du style Migite et du Chakra. Les techniques traditionnelles ne fonctionnaient pas contre ce monstre, bien plus puissant que tout le bestiaire qu’il avait affronté à travers le Yuukan. Bien qu’il ne connaissait pas le détail de sa création, Gomaki était certain que cette créature était issue du même type d’expérimentation qui avait produit le Boost S. Les choses étaient très claires à ses yeux. Quelque part, des individus cherchaient à se munir d’armes anti-shinobi.

 Alors qu’il arrivait à la hauteur de ses alliés, le Myô mit de côté ses hypothèses, bien inutiles si personne ne survivait pour en faire un rapport à Chikara et Gensou.

— Cette bestiole se régénère bien trop rapidement, déclara-t-il en fixant le monstre.

— Sarouh et Chiraku n’ont qu’à l’occuper, proposa fougueusement Cacaunoy, la voix tremblante par l’envie de se battre. Si vous êtes en état, je peux la trancher et nous la cautériserons à deux. Ça a bien fonctionné contre notre colosse !

 Gomaki secoua la tête par la négative. Il avait essayé cela de nombreuses fois, en vain.

— Sa capacité de régénération est bien trop rapide.

— Que proposez-vous ? le questionna Sarouh.

 Le Jounin lui adressa un sourire complice. L’illusionniste l’avait suffisamment fréquenté pour se douter que le ninja supérieur avait une idée derrière la tête. Et ce dernier connaissait suffisamment le Tsumyo pour comprendre qu’il se remettait à lui. Peut-être même était-il curieux de le voir en action.

— Allez vous abriter en hauteur, répondit-il, la voix affirmée par la confiance. Je me charge de cette chose. Des ennemis se cachent peut-être là haut, les Genins ont besoin de vous.

 Les Gensouards échangèrent un regard étonné. Ses élèves semblaient tout aussi sceptiques qu'eux face à cet ordre.

— Sauf votre respect, vous ne sembliez pas maîtriser la situation quand il vous a encastré dans un mur, ne put s’empêcher de lui faire remarquer Chiraku, se grattant la tête de gêne.

 Esquissant un sourire amusé, Gomaki ferma les yeux tout en tendant les mains. Les ninjas sentirent instantanément un changement dans l’aura dégagée par le Jounin, se sentant de plus en plus écrasé par une force invisible.

 Le Myô sentit son corps réagir à l’énergie ambiante qu’il commençait à cumuler au sein de son organisme. De chauds picotements le parcoururent, sa peau se tendant et se tordant discrètement, invisible à l'œil humain.

— Je vais devoir passer au niveau supérieur. Cela faisait longtemps.

 Gomaki frappa ses mains l’une contre l’autre, apposant ses index l'un contre l'autre. Le Chakra environnemental termina son œuvre : son visage se couvrit d’une couche d’écailles rouges orangées, évoquant une coulée de lave en fusion, tandis que ses oreilles s'aguisérent en pointe. Lorsqu'il redescendit ses bras, ses doigts se courbèrent en des griffes acérées, n’ayant rien à envier aux pattes de la Chimère. À partir des lames s’étendirent des écailles tout au long de ses avants-bras. L’armure Doton prit ensuite le relais, recouvrant le haut des bras jusqu’au torse du guerrier. Les déchirures de son pantalon laissait entrevoir quelques écailles sur ses jambes, qui se terminérent par des pattes griffues.

— Le senjutsu des dragons, chuchota Izul, hébétée.

 Le draconide rouvrit les yeux, croisant ses iris reptiliennes d’une pâleur écarlate avec l’émeraude du Tsumyo. Le Chuunin avait toute sa confiance et ce simple échange était clair : il lui confiait la sécurité de ses élèves.

— Allez-y.

 Tandis que le Jounin marchait vers la chimère, Sarouh ordonna à l’escouade de se replier à la plate-forme métallique. Mutika prit appui sur Tokri, tandis qu’Izul aida Kiame à suivre le rythme. Nika lança un regard inquiet à son sensei, avant de décider de s’en remettre à lui.

 Gomaki s'apprêta à attaquer lorsque le monstre parvint à se libérer avec fracas de ses liens. Le shinobi révéla une dentition acérée en guise de provocation. Les choses sérieuses pouvaient commencer.

 Ressentant le danger que représentait le draconide, le chasseur fondit sur lui. La seconde suivante, la Chimère peinait à trouver de l’air, les pattes soulevées du sol et la gorge fermement maintenue par la poigne de son adversaire. Elle tenta de lui griffer le visage mais n'en récolta qu'une frappe du pied en plein estomac, coupant un peu plus sa respiration tout en l'expédiant droit vers l'un des murs situé entre deux sorties des égouts.

 Craignant qu'il ne soit porteur, Gomaki eut le réflexe de stopper la course de sa proie par le Fuuton, le renvoyant ainsi vers lui. Décidé à conserver l'avantage de l'offensive, il planta ses griffes dans le ventre du monstre. Le sang chaud coula le long de son avant-bras, tandis que la plainte aiguë du semi-lion résonna à travers l'arène. Par pur réflexe, la Chimère tenta une frappe qui fut aisément esquivée en une glissade arrière, laissant une plaie fumante cautérisée par sa flamme. Une fraction de seconde plus tard, la régénération s'entama.

— Il a réussi à frapper, marmonna Chiraku, avant d'écarquiller les yeux de surprise face à la vitesse déployée par le draconide.

 Ne laissant aucun répit à sa proie, le Jounin enchaîna les frappes rapides en se jetant contre l'ennemi, ne prenant que le temps d'infliger une blessure avant de s'éloigner et de renouveler sa danse. Bien que son taijutsu était axé sur la défense et les frappes lourdes, il était rassuré de constater que sa vitesse draconique suffisait à prendre l’hybride à son propre jeu.

— Je n'arrive pas à le suivre, bredouilla Tokri, qui n'arrivait pas à concevoir que ce qu'il voyait n'était pas une illusion.

 Mordillant son pouce, Sarouh plissait les yeux, concentré à ne rien perdre des enchaînements.

— Il parvient à cautériser, les informa Cacaunoy, qui serrait fermement la balustrade de sa main valide. Mais il disait vrai, cette saloperie se régénère rapidement.

— Malgré la vitesse de cette bestiole, Myô n'a encaissé aucune frappe, constata le Mizu avec respect.

 Satisfait de ses tests, le draconide décida de passer à l'étape suivante de son plan. Le temps d'un clignement de cil, ses griffes s'enflammérent d'une douce flamme écarlate aux teintes orangées. Pour les Genins, leur sensei n'était plus qu'un trait de feu qui martelait sans relâche le monstrueux demi-félin.

— Ça y est, marmonna Cacaunoy, stupéfaite. En frappant en deux fois.

— Et donc ? l'interrogea Izul, de l'espoir perçant sa voix.

— Pas le temps de se régénérer, précisa le Tsumyo sans perdre la moindre miette du titanesque affrontement.

 Frappant et cautérisant dans la seconde, le Jounin parvenait à garder l'œil sur les régénérations, les laissant à peine se déclencher. A une vitesse stupéfiante, la Chimère se tordit un bras et parvint à frapper l’abdomen de son assaillant, qui glissa sur plusieurs mètres. A quatre pattes, elle continua à se tordre en des craquements sinistres, tandis que Gomaki prenait appui pour se propulser au plus vite. Lorsqu’elle esquiva une nouvelle frappe enflammée, le physique de l’hybride était à présent bien plus proche du lion que de l’humain.

 Hurlant de rage, elle abattit une patte en plein visage du draconide, qui parvint à tenir fermement sur ses appuis. L'initiative de l’assaut avait changé de camp, Gomaki ayant bien plus de mal à esquiver ou parer. Toutefois, son armure, couplée au Zetsu, supporta les chocs, amenant le Jounin à remarquer que son adversaire avait perdu en puissance ce qu’elle avait gagné en vitesse. La bave aux lèvres et crachant du sang par intermittence, la bête s’était manifestement réfugiée dans un réflexe défensif primaire. Ses plaies se refermaient, mais à un rythme bien moins important que d’ordinaire.

 Satisfait, le senjutsuka ralentit subtilement les mouvements de la Chimère en l’enveloppant d’air ambiant, tout en s’habituant à son gain de vitesse. Le Jounin parvint à esquiver d’un bond arrière avant de frapper son ennemi d’un pilier de terre. Une seconde colonne la renvoya vers lui pour la reprise du combo lacération et cautérisation. Gomaki entama un nouveau jeu de harcèlement, jouant à éjecter la Chimère avec ses colonnes en veillant à les faire naître de manière inattendue, s’aidant de temps à autre du Fuuton. Bien vite, le monstre se retrouva criblé de plaies, son sang tâchant le sol ravagé.

 Mais l’hybride n’avait pas dit son dernier mot. Alors que Gomaki fonçait droit sur elle, la Chimère frappa un pilier, le précipitant vers le chasseur. Par pur instinct, le draconide sauta par-dessus le monstre, qui se saisit d’une cheville avant de fracasser le guerrier au sol, éjectant des gravats de béton autour d’eux.

 Dans des hurlements aigus de bête blessée, la Chimère fondit sur Gomaki et le martela de ses griffes. Entre deux coups de plus en plus puissants et rapides, le shinobi fut étonné de remarquer qu'une énergie d'un jaune délavée enveloppait peu à peu le corps de la chimère. Sentant douloureusement ses écailles s’arrachaient de son visage, le Myô savait qu’il lui fallait réagir avant de finir dévorer. Hurlant et frappant presque de la force du désespoir, le draconide parvint à planter ses griffes dans le poignet du fauve. Sans réfléchir, il enflamma le membre de la créature, qui poussa une pitoyable plainte qui perça les tympans des spectateurs, dont la plupart avait retenu leur souffle durant la quasi-totalité des échanges.

 Décidé à ne prendre aucun risque, Gomaki attrapa le moignon et la cautérisa avant d’éloigner le monstre d’un coup de pied, la laissant s’effondrer piteusement au sol. Les gravats soulevés par sa chute n’étaient pas encore retombés que les serres de dragon percèrent la gorge du félin, bloquant tout hurlement en un gargouillis écoeurant. En un geste sec, la tête fut extirpée du corps. Las, le draconide fit quelques pas en arrière en ouvrant la bouche. Un jet de flamme embrasa le cadavre jusqu’à n’en laisser qu’un amas de cendres.

 Épuisé, le Myô tomba à genoux en reprenant son apparence humaine. Tandis que la roche de son armure dégringola le long de son torse nu, le trentenaire sentit son corps souffrir le martyr et regretta d'avoir eu à user du senjutsu aussi longtemps. Gomaki observa avec inquiétude la poussière fumante qui lui avait causé tant de soucis. A partir de quel esprit malade cette chose avait donc pris vie ? Et plus important, dans quel but ?

 Tandis que des pas résonnèrent derrière lui, le Jounin espéra que la fouille du repaire leur apporterait un début de réponse. Son intuition de vétéran lui soufflait que quelque chose d’ampleur se cachait derrière le Boost S et ses Berserks, n’en déplaise aux QG qui préféraient en minimiser les risques. L’extirpant de ses pensées, des bras le saisirent au cou et manquèrent de peu de le faire chuter.

— Vous êtes incroyable ! s’écria Izul dans ses oreilles.

 Le sensei fut étonné de remarquer que ses yeux brillaient, tout comme ceux de Nika et Tokri non loin derrière lui. Lorsque le regard de l’Utak et du Myô se croisèrent, le jeune homme détourna la tête. Souriant face à l’éternel réflexe de camoufler ses émotions du garçon, Gomaki se releva péniblement, prêt à encaisser les innombrables questions que son combat ne manquerait pas de provoquer chez ses pupilles.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Tokri Utak ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0