Épisode 24 - Jeu de dupe

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 Dans sa position favorite, mains derrière la tête, le Mizu circulait dans les égouts comme s’il s’agissait d’une promenade bucolique au soleil. Rien de tout cela ne semblait l’affecter. La nervosité de Nika glissait sur le manteau de son indifférence alors qu’ils progressaient dans le sombre tunnel. En son for intérieur, Chiraku était heureux d’être tombé avec la marionnettiste. Les pièges n’étaient pas son fort alors qu’elle était visiblement une experte. Il aurait aimé pouvoir veiller sur sa coéquipière, mais il n’y avait pas de quoi s’affoler tant que le Tsumyo n’était pas dans les parages. Du moins l’espérait-il.

 Le Chuunin savait que l’épéiste allait être impactée par cette mission, mais il avait mal apprécié à quel point. Les plaies du Tournoi n’avaient pas cicatrisé malgré tous les efforts qu’il avait fourni pour qu’elle passe à autre chose. Et à en croire les réactions de Sarouh, les siennes s’étaient même infectées avec le temps.

 Malgré son attitude détendue, Chiraku était inquiet. Il peinait à se concentrer sur la mission, alors qu’il ne voyait absolument pas une menace pirate les mettre à défaut. Pour une mission B, ils étaient largement assez nombreux et compétents. S’il n’y avait aucun indice sur la force de Gomaki, le Mizu était très confiant en la capacité du trinôme Gensouard. Les Genins de l’équipe Myo semblaient avoir la tête sur les épaules, ils ne devraient pas les gêner.

— Je te parle tu sais ? fit Nika à côté de lui, s’arrêtant de marcher.

— Mmh ?

— Tu pourrais faire semblant de te sentir concerné au moins, lâcha l’Hynomori, inhabituellement glaciale.

 Perdu dans ses pensées, il ne l’avait même pas entendu tenter d’attirer son attention. Parler n’était pas vraiment au projet. Tout ce qu’il y avait à dire était déjà énoncé et il se moquait pas mal de ce que pouvait penser la marionnettiste. Mais sa réaction était intéressante. De ce que le Mizu avait noté pendant la mission, il n’était pas son genre de se montrer froide et inamicale. Ce n’était pas l’émotionnelle de la bande. N’ayant rien fait pour déclencher son courroux, le désinvolte Chuunin déduisit qu’elle se contentait de le détester par effet miroir avec le Tsumyo. Intéressant.

— Ce n’est pas nécessaire. Ces tunnels ne représentent pas une menace. Gomaki aurait littéralement pu prendre les lieux d’assauts tout seul.

— C’est pas une raison pour se relâcher. C’est peut être une embuscade à deux niveaux.

— Dans ce cas, je sortirai de ma torpeur à ce moment-là. Je compte sur vous pour me réveiller, taquina-t-il en souriant à l’Hynomori.

 La Genin aux cheveux noirs teintés de violet maintînt son regard sans savoir quoi répondre. Manifestement, l’attitude du Gensouard la destabilisait. Elle allait être servie.

— Tu étais déjà aussi sérieuse, il y a deux ans ? demanda le Mizu sur le même ton

— C’est surtout toi qui semble toujours te moquer de tout.

— Je savais bien que je t’avais déjà vu quelque part, lui sourit Chiraku.

 Il lut l’incompréhension dans son regard l’espace d’une seconde. Puis Nika assembla les pièces du puzzle.

— Tu aurais simplement pu me demander si on s’était déjà rencontrés.

— Mais ça aurait été moins drôle. Hynomori, donc je déduis : au repas horrible auquel on m’a traîné avant le deuxième tour du tournoi ?

 Nika se pencha, empêchant son coéquipier d’avancer de la main gauche, avant d’enfoncer un kunaï devant elle, déclenchant la fermeture brutale d’un piège à ours dissimulé par la vase.

— J’étais discrète, contrairement à certains, confirma la Genin, l’air blasée.

— C’était la rébellion la plus importante dont je pouvais faire preuve à l’époque.

— Et maintenant ?

Chiraku lui adressa un sourire indéchiffrable.

— Je n’ai plus ce luxe.

 Nika sembla le comprendre sur ce point. Ils avaient tous les deux un devoir clanique important. Celui de l’héritier principal des Mizu ne faisait que croître au fil des années. Les événements concernant Asori, cousine directe et ancienne sensei, avaient eu des répercussions sur tout le domaine et sur leurs positions même au sein du Village. De plus en plus, il apparaissait que Chiraku était pressenti à nettoyer derrière les erreurs de son aînée. Cela lui semblait être un bon angle pour amadouer la Chikarate.

— Pas besoin d’être aussi frustrée, ce ne sont pas des shinobis, relança le Mizu après plusieurs minutes de silence.

— Je sais bien, mais tout de même, pour s’y prendre aussi mal, ils auraient tout aussi bien pu ne rien faire.

— Frimeuse.

 L’Hynomori haussa les épaules. Sa frustration venait probablement du fait que si la menace était aussi faible, Chiraku pouvait continuer à se la couler douce.

— Tu pourrais aider un peu quand même.

— Je suis ton supérieur, je supervise.

 Nika leva les yeux au ciel, alors que le Chuunin ne pouvait s’empêcher de la trouver adorable. Inutile de se demander pourquoi Sarouh s’entendait si bien avec. La jeune femme était douce et probablement aussi intelligente que lui pour qu’il passe autant de temps en sa compagnie. Petit à petit, le Mizu avait assemblé les pièces du puzzle et comprenait ce qui amenait son ancien camarade à s’attacher aux Chikarates. Ca ne pouvait plus s’éterniser.

— Rassure toi, en cas de combat je te protégerai, ironisa-t-il à nouveau

— J’en viens à douter de ta capacité à le faire, soupira la jeune femme en s’accroupissant.

— Tu ne devrais pas. Après Gomaki, je suis sûrement le plus fort de l’escouade.

— Frimeur, répondit-elle en se relevant finalement.

 Devant son air léger, Chiraku sentait le cerveau de la jeune femme rentrer en ébullition. Il ne s’était pas trompé sur son compte.

— Qu’est-ce que vous faites ici ? interrogea-t-elle soudain. Je ne crois absolument pas en une coïncidence.

— Tu me croirais si je donnais la réponse ?

— Probablement pas.

 Ils continuaient à progresser à bon rythme dans les tunnels sombres. Quelques rats mutants et autres reptiles immondes se firent découper par Chiraku, alors que le nombre de pièges diminuaient. Le Mizu supposa qu’après en avoir désactivé autant, il était inutile d’en ajouter d’autres de la même catégorie, le test était largement suffisant. Il se remémora les paroles de Goto. L’objectif n’était pas de tuer tous ceux qui pénétraient les égouts.

— Nous n’avons pas eu le choix, dit-il doucement, presque en un murmure. Nous aurions tous deux préféré éviter cette mission.

 C’était presque la vérité. Avec un pincement au cœur, il se souvint du sourire qui avait échappé à sa partenaire quand ils avaient appris qu’ils étaient envoyés en urgence à Chikara. Et son air défait devant la réaction du Tsumyo. Ce dernier ne savait pas ce qu’elle allait endurer à cause de son égoïsme. Ou pire, il s’en doutait et décidait de s’en moquer. Une vague d’irritation traversa le Mizu.

— Effectivement, fit Nika dans un sourire, je ne te crois pas.

 Chiraku leva les mains vers le ciel, l’air exagérément défait. La méfiance de la marionnettiste était bienvenue. Il aurait littéralement pu lui dire toute la vérité qu’elle mettrait des mois à s’en rendre compte. Le Mizu réalisait qu’il était important de réussir à la convaincre qu’il était mieux pour Sarouh de revenir au bercail. Être mis aussi longtemps de côté par les autorités n’annonçait rien de bon pour lui. Les retours de Gomaki à son propos serait véhiculé par Chikara et le Chuunin au cheveux bleus pourrait vite se retrouver à nouveau en difficultés vis-à-vis des gouvernants. Vu le climat actuel, cela était dangereux.

 Asori avait disparu. D’étranges rumeurs circulaient à son sujet depuis quelques semaines et même les médias de Gensou avaient relayés certaines informations sensibles. Pourtant connus pour adopter une position de contre-pouvoir, véritable épine du pied du Kage depuis leur création, ils avaient pris tout le clan Mizu à revers en affaiblissant leur position auprès du pouvoir. Les Maboroshi, principaux opposants et soutien du Kage s’en étaient frottés les mains.

 Cacaunoy aussi était dans une position délicate. Le problème de la Banshee ne pouvait plus être ignoré et Chiraku se doutait très bien des options qui se présenteraient au Village. Sa camarade était dotée d’une volonté franchement hallucinante, mais il la voyait se craqueler malgré tout le support qu’il tentait de lui apporter. Un mur qu’il n’arrivait plus à franchir s’était dressé entre eux deux. Son amie lui semblait de plus en plus distante et instable et il refusait de la voir voler en éclats à nouveau.

 Il était nécessaire de se réunir. Pour leur salut à eux trois, il valait mieux qu’ils fassent front ensemble. Sarouh ne lui en voudrait pas longtemps et il était sûr qu’il ne pourrait pas s’empêcher de voler au secours de son épéiste favorite quand il comprendrait le contexte. L’amertume envahit le Mizu qui la balaya d’un geste de la tête. Il faudrait d’abord lui faire comprendre que revenir à Gensou était dans son intérêt.

— En ce qui concerne le Tournoi, demanda timidement Nika en une bienvenue diversion, Sarouh refuse de nous en parler. Il s’est si mal débrouillé que ça ?

— Plutôt le contraire, se dérida Chiraku. C’est juste que cela lui rappelle de mauvais souvenirs. Et pour être honnête, j’ai ma part de responsabilité.

— Comment ça ? interrogea la Genin, penchant la tête sur le côté.

 L’adolescente était candide et sûrement le plus gros soutien du Tsumyo à Chikara. Montrer patte blanche avec elle servirait son objectif, mais le Mizu rechignait à lui donner des informations supplémentaires.

— Après l’incident avec Cac’, il ne voulait plus se battre pour être qualifié en demi-finale. Je l’ai poussé à y aller quand même. Dans l’arène, il s’est produit quelque chose de très étrange et il a fini par perdre à moitié la tête en plein milieu de son affrontement. Même maintenant, je ne sais pas exactement ce qui s’est passé. L’infirmière en charge était furieuse, ajouta Chiraku avec une grimace, elle ne nous a plus laissé approcher, ni Kezashi ni moi-même.

— Kezashi ? releva Nika

— Le Chuunin chargé du plus gros de la supervision du tournoi.

— Je vois, dit-elle d’une voix blanche.

 L’Hynomori semblait avoir compris quelque chose de dérangeant. Il était possible qu’elle connaisse la personne en question, ou que Sarouh lui en ait assez dit pour qu’elle complète. La sensation qu’elle puisse en savoir plus que lui l’agaça. Il avait raison sur un point : il fallait faire attention à cette Genin.

— Et en ce qui te concerne ? relança-t-elle, une fois sa contenance reprise.

— J’étais dans une poule plus facile, j’ai eu de la réussite. Ça m'a permis de progresser suffisamment pour avancer jusqu’en finale.

— Pourquoi prétendre être aussi fort alors ?

 Sa prétendue candeur avait le goût de l’ironie froide que le Chuunin tentait d’ignorer. Si l’objectif était de piquer son égo, elle était mal tombée. Il expliqua, l’air las.

— Parce que tous les trois, nous sortions à peine de l’Académie. Nous étions clairement supposés échouer en phases qualificatives.. Sans compter que les combats étaient tous dans le désert. Pour le reste, j’ai hérité des capacités de mon clan. La modestie ne me mènerait nulle part.

 Nika hocha la tête. Elle pondérait ce qu’elle disait, tentant de quantifier la menace. La marionnettiste ne savait pas sur quel pied danser avec lui et c’était très bien ainsi. Chiraku laissa transparaître sa fatigue l’espace d’un instant :

— Et lui, comment il s’en sort ? soupira-t-il. Je n’ai eu qu’un bref aperçu de ses progrès à l’examen Chuunin.

— Il se débrouille, répondit évasivement l’Hynomori, fuyant du regard.

— Il n’y a plus besoin de le protéger tu sais, fit tout sourire Chiraku.

 Il vit un peu d’angoisse transparaître dans le regard de la Genin. Elle tenait vraiment à son petit camarade. Les termes volontairement vagues lui permettaient de se faire des films. Vu ses a priori, la marionnettiste avait immédiatement considéré ça comme une menace.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? siffla Nika.

— Il va rentrer avec nous. Ou juste après, dans le pire des cas, déclara le Chuunin avec confiance, les mains de nouveau derrière la tête.

— Tu ne me le dirais pas si tu en étais aussi sûr, prit le temps de répondre la Genin, posant son regard pour la première fois de l’échange sur Chiraku.

— Pourquoi donc ?

 Nika s'arrêta de marcher, les yeux plantés dans le sol. À voix basse, elle commença à s'expliquer.

— Il est contre. Sinon nous n'aurions même pas cette discussion. Tu estimes que je suis la seule qui va chercher à le retenir. Tu te méfies de moi.

— Faux. Je pense que tu es la seule qui peut le retenir, c'est différent. Mais tu ne le feras pas.

— Qu'est-ce que tu lui as dit ? interrogea l'Hynomori.

— La vérité, rien de plus.

 Une lueur de doute s’alluma dans les yeux de la Genin. Chiraku continuait de sourire, faussement tranquille. Doute qui céda rapidement à la colère.

— Je ne vois pas ce que tu aurais pu dire qui lui aurait donné envie de rentrer. Vous lui avez fait une sacrée impression, toi et ton ex.

 Le ton était glacial, les mots tranchants comme des rasoirs. Piquée au vif, l’Hynomori ressemblait plus que jamais à celui qu’elle voulait protéger.

— Je ne vois pas de quoi tu parles, répondit calmement Chiraku.

— A d’autres. Cela fait longtemps qu’elle s’éloigne de toi ? J’ai vu comment elle a réagi au contact de Sarouh, j’imagine que tu as été blessé.

 Petite peste. Il chassa l’amertume de ses pensées, sans les laisser filtrer. Rien de ce que pourrait dire Nika le ferait sortir de ses gonds.

— Non, par contre tu n’es pas la seule à l’avoir noté, enchaîna-t-il, son sourire s’agrandissant. J’en connais au moins une qui n’a pas apprécié.

 La compréhension s’invita cette fois dans les yeux de la marionnettiste. Elle était encore un peu trop facile à lire pour son bien.

— Sa place est parmi nous, reprit Chiraku. Il ne croit pas en la paix ninja même s’il s’efforce de la défendre, sinon aucune de ses actions n’aurait de sens. Sa présence dans votre groupe a fait assez de dégâts. Vous vous en sortirez mieux sans lui.

— C’est faux ! s’indigna Nika, contenant mal sa colère alors qu’elle se plantait devant son supérieur.

— Mais c’est ce qu’il va penser, continua le Mizu, impitoyable. Il doutait déjà avant que l’on n’arrive. Rien ne le retient ici. Nous pourrons remercier Leïl une fois à la maison.

— Pourquoi ? Qu’est-ce que vous y gagnez ? fit-elle, alors que sa voix s’éteignait, vaincue.

— Crois-le ou non, mais c’est pour son bien. Notre ami est dans une situation compliquée au Village. Si des retours en demi-teinte provenaient d’ici, il pourrait bien avoir des problèmes. Et c’est loin d’être son seul problème.

— Donc vous le protégez de nous. Tu espères vraiment me faire avaler ça ?

 Elle n’eut pas le temps d’avoir une réponse. Surgissant de l’eau, un gigantesque serpent aquatique s’enroula autour de Chiraku, sans voir son sourire se faire carnassier. Le terrible reptile de plusieurs mètres de long avaient des écailles épaisses et le cuir luisant, ses crochets brillant dans la faible lumière des tunnels, sinistre indicateur du poison mortel qu’ils convoyaient.

 L’Hynomori n'eut pas le temps d’intervenir, alors que la gueule du serpent fondait vers la nuque de sa victime. Le prédateur fut immédiatement transpercé par d’innombrables aiguilles d’eau, éclatant et dispersant la peau du monstre tout autour du Mizu, impassible.

— Si tu n’es pas égoïste, tu m’aideras, continua-t-il l’air de rien, mains derrière la tête. Tu as déjà compris à quel point j’avais raison.

 Chiraku reprit sa marche, l’air toujours aussi nonchalant et peu concerné, s’étirant même avant de contacter le Jounin par la radio, sans laisser la brillante jeune femme lui répondre. Malgré la surpuissante attaque, ses tatouages n’avaient pas réagi. Nika baissa les yeux, submergée par ses propres doutes. Le Mizu dissimula un sourire satisfait. Finalement, il l’aimait bien cette Genin.

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