Épisode 23 - Négociations

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 Cacaunoy souffla doucement du nez, repoussant avec tout le contrôle d'elle même dont elle pouvait faire preuve les effluves nauséabonds du torrent de déchets et de déjections qu'ils se devaient de longer pour arriver à destination. Bien qu'habituée à devoir gérer bien pire, la puanteur s'infiltrait partout. La combinaison noire qu'elle avait enfilée avant de pénétrer les égouts ne la protégeait pas assez à son goût. Concentrée sur sa respiration, elle avait moins d'efforts à fournir pour organiser ses idées.

 Être séparée de ses deux confrères avait du bon. Revoir Sarouh lui mettait les nerfs à vif et le protectionnisme de Chiraku à l'égard de la kunoichi n'arrangeait rien. Le Mizu avait toujours eu du mal à sentir quand il était temps de se retirer. Prête à en découdre, elle fermait la marche du trio qui évoluait dans un silence pesant. Devant elle se trouvaient Izul Leïl et Kiame Myô. Depuis qu'elle avait partagé l'information d'avoir participé au Tournoi, Cacaunoy redoutait les interactions avec les Chikarates. Elle n'avait pas pu s'empêcher d'être blessée par les réactions du Tsumyo à son égard, immédiatement soutenu par sa nouvelle équipe. La sensation était amère.

 Sa main se crispa sur son sabre de frustration. Tendue comme un arc, chaque fibre de la jeune femme ne demandait qu'à se défouler. Les tensions entre les Gensouards et leurs homologues du désert avaient encore empiré avec l'interrogatoire. Si Sarouh avait démontré ce qu'il voulait, le Chuunin s'était mis dans une position compliquée, même si le professionnalisme dont il avait fait preuve pendant l'infiltration de Sengo avait un peu apaisé les choses. Chiraku avait simplement adressé un sourire à sa coéquipière pour lui indiquer que le binôme avait fonctionné comme il l'attendait. Le Mizu avait sûrement réussi à faire passer son message.

 Les yeux brûlants de fatigue, la nervosité de Cacaunoy était à son paroxysme. Autre chose la dérangeait dans le comportement des Chikarates. Son regard se planta sur la Genin d'azur qui avançait précautionneusement, prête à réagir au moindre piège. La reine des abeilles, persifla la brune en son for intérieur. Il était évident qu'elle était à l'origine du feu qui s’était embrasé pendant la mission. Sa réaction à la sortie de l'interrogatoire avait inexplicablement agacé la kunoichi qui faisait de son mieux pour ne plus entendre ce qu'elle avait à dire depuis. Pourtant, Izul était une jeune femme douce et surtout intelligente, très respectueuse. L'épéiste ne savait pas pourquoi sa simple présence l'énervait à ce point.

 Alors que cette pensée l'animait, sa vue se troubla un instant, suivie d'un puissant vertige. La Chuunin n'eut d'autres choix que de ralentir en posant la main sur sa tempe.

  • Ça va ? demanda Izul qui s'était immédiatement retournée, à la recherche d’une menace.

 Cacaunoy lui répondit en hochant la tête, un peu surprise elle-même. La sensation reflua. Jusqu'à ce qu'un éclat de rire suraiguë et malade résonne dans sa tête.

  • Quel plaisir, fit la voix démoniaque, désagréablement distordue. Cela faisait longtemps, que nous n'avions pas discuté toi et moi.

 Cette fois-ci, la brune réussit à masquer sa réaction, au prix d'une discipline de fer.

  • Je pensais que c'était impossible que tu reviennes me déranger avant encore plusieurs mois, siffla mentalement l'épéiste en reprenant sa marche. Tu peux te rendormir, je me passe très bien de toi.
  • Menteuse, persifla la Banshee, dont le timbre de voix s'était humanisé, ressemblant désormais à celui d'une trentenaire, suave et dangereuse. Sinon je ne serais pas là.

 La Chuunin dû prendre sur elle pour ne pas exploser de colère. Se faire juger par son parasite dans ses conditions mettaient à mal sa patience. Pourquoi maintenant ?

  • Parce que mon jouet préféré est enfin de retour, répondit le monstre, s'immisçant toujours plus profondément dans ses pensées. Je savoure chacune des minutes de sa présence. Tu t'agites tellement depuis qu'il est là…
  • Ferme là. C'est pas le moment.
  • Je sais. C'est donc parfait.

 Elle jubilait. Cacaunoy le sentait de manière diffuse à l'intérieur d'elle-même, comme si un son étouffé par l'eau lui parvenait dans son bain. C'est là qu'elle comprit.

  • Exactement. La barrière entre nous deux n'est pas aussi opaque que prévue. Ta peur et ton stress des derniers jours étaient délectables.
  • Donc tu deviens plus forte, pensa malgré elle Cacaunoy.
  • Pas autant que je le voudrais.

 Le réceptacle sentit qu'il s'agissait de la vérité. Lentement, la brune reprenait sa composition. Elle avait déjà dialogué avec ce monstre l'année passée, après l'examen Chuunin. Depuis on l'avait scellé à nouveau, ajoutant une couche supplémentaire à la prison dans laquelle le parasite était captif. C'était inquiétant, mais rien qu'elle n'ait déjà vu. Alors que la kunoichi progressait dans les égouts pour sa périlleuse mission, ce monstre y voyait une opportunité de l'agiter davantage. Pour se nourrir. Cacaunoy ne lui donnerait pas cette satisfaction.

  • Superbe tentative, félicita ironiquement la voix interne.
  • Merci, grinça la kunoichi. Tu n'obtiendras rien de plus de moi.

 Un nouvel éclat de rire distordu résonna dans sa tête, manquant de lui faire perdre à nouveau l'équilibre. Si cette chose continuait à se débattre comme ça, il lui serait difficile d'intervenir pour couvrir les Genins sous sa responsabilité.

  • Cela serait si dommage qu'ils meurent de ta faute, sussura le parasite. Je me demande comment il réagirait si tu laissais mourir Izul.

 Cacaunoy se raidit. Elle connaissait la réponse.

  • Tu vois, que tu sais pourquoi tu la détestes, constata la voix goguenarde.
  • Ça te coûterait beaucoup d'énergie de m'empêcher de l'aider. Tu ne t'y retrouverais pas, même si j'étais dévastée.

 L'épéiste espérait que cela était vrai. Elle avait compris dès les premiers mois de leur cohabitation comment cette saloperie fonctionnait. Agir dans le réel contre la volonté de la brune lui coûtait beaucoup et de longues phases de sommeil suivaient. Si elle la menaçait de la sorte, c'est qu'elle voulait quelque chose.

  • Tu comprends vite. Ça me simplifie les choses.
  • Qu'est ce que tu veux à la fin ? s’emporta son réceptacle .
  • Ne sois pas pressée comme ça enfin !

 L'épéiste était au supplice. Kiame et Izul continuaient à avancer, désactivant des pièges basiques. La science de Nika en la matière les avait bien aidés jusque-là, avait précisé Kiame d'une voix chaleureuse. Il fallait qu'elle se reprenne. Maintenant. Le danger pouvait survenir de n’importe où et il était hors de question qu’elle laisse filtrer son état.

  • Je te laisse maîtresse de tes mouvements pour la mission, articula lentement la démone. Tu n’en parles pas à Gensou et tu me dois une petite conversation à ton retour.
  • Si tu les crains tant que ça, je n’aurais pas intérêt à cafter en t’assurant que je vais tenir ma langue ?
  • Tu ne peux pas me mentir, roucoula la voix. Et ils ne m’effraient en rien. Tu vas juste finir par mourir s’ils continuent. Bien, nous avons un marché.

 Et ce fut le silence. La Banshee avait compris qu’elle acceptait sans même qu’elle puisse formuler sa pensée. La disparition soudaine du monstre soulagea la kunoichi, qui se sentit extrêmement faible, à nouveau prise de vertige. Au même moment, trois fins projectiles d’acier furent envoyés vers sa nuque dans un sifflement strident. Ce fut Izul qui intercepta cette fois-ci, rapide comme l’éclair.

  • Ce n’est pas toi qui est censée veiller sur nous ? ironisa Kiame, avant d’essuyer un regard furieux.
  • Tu as un problème, affirma l’azurée d’une voix qui ne souffrait aucune contestation. De ce que je sais, tu es rapide et tu as de meilleurs réflexes que Sarouh. Il n’y a aucune chance que tu sois mise en danger par ceci.
  • Le problème est sous contrôle désormais, souffla Cacaunoy en essayant de se montrer courtoise.
  • Et nous devons te croire parce que ? s’irrita Izul, affrontant la Chuunin du regard alors que Kiame grimaçait.

 Fort heureusement, ce fut le moment que choisirent plusieurs reptiles pour attaquer les Genins qui leur tournaient le dos, bien trop concentrés sur les problèmes de leur supérieur pour réagir. En un instant, l’épéiste avait mis fin à la tentative d’embuscade, les corps tranchés retombant sur le sol dans un bruit étouffé par l’eau, les gerbes de sang recouvrant les murs du tunnel.

  • Même si j’étais amoindrie, je resterais meilleure que vous deux réunis. On se concentre maintenant.

 La Chikarate leva les yeux au ciel, profondément exaspérée et reprit sa marche d’un air furieux. Il était facile d’imaginer ce qu’elle pouvait bien se dire. Si la brune pouvait être coupée en deux par un piège, rien ne lui ferait plus plaisir que d’annoncer avec froideur qu’elle avait eu raison.

 Kiame était plus hésitant. Il fit un premier pas vers sa compatriote, avant de déclarer avec une certaine candeur :

  • Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais inutile d’être autant sur la défensive. Nous sommes alliés aujourd’hui.

 Et il continua son chemin, veillant sur la kunoichi médecin d’un air inquiet. Il fut surpris d’entendre Cacaunoy murmurer des excuses.

  • Je suis désolée. Croyez-moi simplement quand je dis que c’est réglé. Je suis tranquille pour quelques semaines.
  • Permission de savoir ce que c’est ? demanda le Myo en se tournant vers la brune, sans s’arrêter de se déplacer en marche arrière. On peut aider ?
  • Non et non. Personne ne peut vraiment.
  • Même Chiraku ou Tsumyo ? fit-il d’un ton surpris.
  • Surtout pas eux, soupira la jeune femme en remettant une mèche.

 Quelque chose en Kiame la poussait à l’honnêteté. Peut-être Cacaunoy était-elle trop fatiguée pour mentir. En tout cas, le Genin sembla convaincu et ils continuèrent leur marche, côté à côté cette fois. Au fond d’elle, la brune eut la sensation de sentir un dernier rire atténué, mais n’entendit rien.

  • Si je peux me permettre, pourquoi c’est autant parti en vrille avec l’autre ?
  • Non, tu ne peux pas.
  • C’est sa faute, supposa Kiame. Pourtant je ne le vois pas faire un pas de travers sans réfléchir. Même ses écarts, il les rationalise. J’ai beaucoup de mal avec lui pour être franc, ajouta-t-il en se grattant la tête.
  • Ça n'a pas toujours été le cas, corrigea sans y penser l’épéiste, déclenchant volontairement un piège du bout de sa lame. Il était doux, spontané et candide, il n’y a pas si longtemps.

 Le silence retomba, Kiame intégrant lentement les conséquences de ces propos. Cela ne faisait pourtant que deux ans, comment le Chuunin avait-il pu se transformer à ce point ? Face à eux, l’azurée avait également ralenti presque imperceptiblement le pas. Elle écoutait sans doute.

  • Écoutez, je n’ai vraiment plus envie de parler de lui. Sachez tout de même que c’est un excellent soldat et la personne la plus fiable que je connaisse. Vous pouvez lui faire confiance.
  • Pourtant, vous lui avez tourné le dos. Si l’on en arrive à douter de lui, c’est surtout de votre faute.

 La voix de la kunoichi d’azur vibrait d’émotions confuses, alors que le visage de Cacaunoy se crispait sous la phrase assassine. Un beuglement dans le sinistre tunnel la sauva tel un gong. La vase à quelques mètres se ramassa et émergea de l’eau stagnante en un monticule qui grossissait à vue d'œil jusqu’à atteindre le sommet du tunnel de plusieurs mètres de haut. Un élémentaire comprit immédiatement la Marwais.

 Les deux Genins reculèrent, ne sachant pas quoi faire, alors que l’épéiste fonçait. L’élémentaire était un ennemi extrêmement puissant, qui se régénérait, écrasait ses adversaires et les noyait à l’intérieur de lui-même. Seuls de puissants jutsus pouvaient l’atteindre et le découper n’avait que peu d’impact. Izul, en véritable encyclopédie vivante, savait tout cela.

 Aussi fut-elle abasourdie de voir l’énorme tas de boue et d’excrément éliminé en une fraction de seconde. Le corps de Cacaunoy s’embrasa alors qu’un sourire sauvage se dessinait sur ses lèvres. Une véritable tornade ardente s’agita autour du monstre, chaque plaie immédiatement cautérisé par une gerbe de feu, ponctuée d’effroyables mugissements. La vitesse de la Chuunin était telle qu’il était difficile de la suivre des yeux.

 Arrivée au cœur de l’ennemi, elle enfonça sa lame profondément, transmettant son énergie spirituelle en son sein en des langues de flamme. Cela provoqua l’explosion de l’ennemi en une gerbe de membres boueux et de liquides suspects qui vinrent couvrir les shinobis et les murs. Aucun doute possible : leur responsable avait repris du poil de la bête.

  • C’est une erreur que nous ne reproduirons pas, répondit enfin l’épéiste, secouant sa lame d’un geste vif pour propulser sur le sol les déchets qui y demeuraient accrochés, les yeux noisettes plantés dans ceux vert clair de la médecin en herbe.
  • Cool, chuchota Kiame, en admiration devant la démonstration de sa supérieure.
  • Nous sommes arrivés, communiqua à la radio Izul, ignorant Cacaunoy en baissant les yeux.

 Alors qu’elle ouvrait la porte glissante, la Chuunin fut à nouveau agitée de colère. Elle ne supportait définitivement pas cette Genin.

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