Épisode 21 - Sengo

10 minutes de lecture

— Tu comptes vraiment ne pas me lâcher un seul mot ?

 Sarouh fusilla du regard Chiraku qui se baladait, mains derrière la tête. Cette habitude agaçante n’allait donc jamais disparaître ? La voix de son coéquipier était joueuse. Étrange façon de renouer le contact.

— Échanger ne me semblait pas nécessaire, rétorqua le Tsumyo d’un murmure cinglant.

 Synchrones, ils modifièrent leurs apparences, n’étant plus qu’à une dizaine de minutes de Sengo. Brutalement, leur façon d’évoluer à travers la végétation devint plus furtive. Leurs pas ne laissaient aucune traces alors qu’ils avançaient plus silencieux que le vent.

— Très bien, je vais faire le dialogue tout seul. Sarouh, fais attention à toi.

 Ses paroles balayées par la brise eurent l’effet escompté sur le ninja à ses côtés qui se raidit imperceptiblement, élargissant le sourire de Chiraku. Quelques secondes passèrent dans un silence pesant avant que le shinobi aux cheveux bleus ne finisse par répondre froidement.

— Ta sollicitude me touche. A moins que cela ne soit une menace ?

— Je sais que tu es en colère contre nous. Mais nous sommes de ton côté.

 Le Mizu restait vague, poussant le Tsumyo à vouloir lui tirer les vers du nez. Sarouh le savait mais ne pouvait s’empêcher de tirer sur la perche qui lui était tendue.

— Au moins vous avez pris le temps d’accorder vos violons avec Cacaunoy cette fois-ci. Et de quoi je devrais me méfier exactement ?

— Fais profil bas. Tu as réussi à inquiéter Chikara et Gensou avec ton comportement. Il se passe quelque chose, tu le vois bien. Les Villages sont fébriles ces derniers mois. Le Boost S n’est qu’un élément parmi d’autres.

 Sarouh se retint de répondre avec une pique pour traiter l’information sérieusement. Ce que lui disait son coéquipier résonnait avec ce qu’il avait déduit avec Nika. Si une partie de l’équipe semblait certaine que les Villages sous-estimaient la menace du Boost S, la marionnettiste et lui-même étaient convaincus que c’était le danger qu’elle dissimulait qui était inquiétant.

— Je vois ce que tu veux dire, répondit l’adolescent aux cheveux cobalts d’une voix qui se voulait conciliante. Mais je ne fais que mon devoir, on ne peut rien me reprocher.

— J’en doute fort, soupira Chiraku. Gomaki est venu me trouver. Tu devines facilement ce qu’il m’a demandé.

— De me garder à l’oeil ? répondit Sarouh d’une voix blanche sans avoir à réfléchir

— Bingo.

 Il était logique que le Jounin ne lui fasse pas confiance, mais cela blessa tout de même le Tsumyo. Cela faisait des mois qu’il était à Chikara et même s’il avait montré quelques signes inquiétants, il s’était toujours montré professionnel et efficace.

— J’ai vu comment tu regardes tes nouveaux camarades, enchérit Chiraku, le sentant destabilisé. Et je suis sincèrement heureux pour toi. Mais ce n’est pas ton Village.

— Et qu’est-ce que tu veux exactement ?

 Il réussissait à garder le contrôle de sa voix mais la colère était palpable dans le langage corporel du jeune Chuunin. On ne pouvait pas le laisser se concentrer deux minutes sur la mission ? Entre lui, Nika, Cacaunoy et Izul, le Tsumyo n’en pouvait plus.

— Reviens avec nous après la mission. Tu as largement atteint tes objectifs.

 Le silence retomba sur l’équipée. Ils étaient presque arrivés, le brouhaha des civils au loin leur était porté par le vent chargé d’embruns. L’agitation du port dissimulerait leurs derniers échanges.

— Hors de question. Ce n’est pas un ordre de la hiérarchie. J’ai encore quelque chose à accomplir ici.

— Laisse tomber avec elle. Tu n’es clairement pas celui qu’il lui faut.

 La remarque prit Sarouh de court, avant qu’un sourire douloureux se peigne sur son visage.

— Tu es si mal placé pour me dire quoi que ce soit.

— Comment ça ? demanda Chiraku en haussant un sourcil.

 Le Tsumyo ne dit rien et sauta au-dessus de la palissade, atterrissant dans le village de Sengo bien loin des regards des habitants comme des gardes qui surveillaient l’entrée principale. Assez des remarques personnelles, l’illusionniste avait besoin d’action. Sans poser de questions, le Mizu l’avait suivi.

 Il n’y avait pas eu besoin de communiquer. Le plan était simple. Ils se devaient de trouver un des agents vendu par Goto grâce à sa “discussion” avec Sarouh. Malgré l’objection d’Izul, Chiraku était d’accord avec le Tsumyo pour considérer tous les pirates comme des ennemis dans le doute. Se présenter directement aux autorités de la ville de manière officielle semblait naïf aux deux Gensouards, même si Gomaki leur avait laissé la possibilité de choisir.

 Ils progressaient en shinobis avertis, jouant avec les ombres, silencieux et invisibles. Le soleil à son zénith ne les empêchait en rien d’investiguer. Équipiers consciencieux, ils veillaient l’un sur l’autre au fur et à mesure de leurs déplacements, couvrant angles morts tout en s’assurant sans cesse de leurs positionnements et de leur sécurité respectives.

 Tout autour d’eux, les habitants braillaient sur les quais pour débarquer les produits des nombreux bateaux marchands amarrés en épis. Le port tentaculaire se divisait en rues sinueuses, étroites et sombres. Cela simplifiait considérablement la progression des deux agents de la Cascade.

 Ils cartographiaient mentalement la zone, identifiant les zones de repli, les endroits fréquentés tout comme les flux de passants dans cette ville chaotique. Les quartiers étaient fortement hétérogènes, où de luxueuses maisons de bois vernis cotoyaient de piteuses habitations peinant à tenir sur leur pilotis rongés par le temps. La place centrale était en effervescence, sous l’effet de marins désoeuvrés et du marché où les produits frais s’y échangeaient déjà de manière plus ou moins officielle.

 La cité était fascinante et répulsive. Rugissante d’une vie d’apparence désorganisée mais qui cachait une routine huilée par les réels décideurs de cet amas chaotique. Les contremaîtres présents sur les quais organisaient avec une précision militaire les allers et venus. A de nombreux points clés du centre, des hommes taciturnes faisaient disparaître sans un mot les personnalités qui troublaient réellement le bon fonctionnement de la ville. La liberté totale affichée par Sengo était illusoire. Tout ce qui touchait de près ou de loin à l’argent était sous étroite surveillance.

 Même la maison close, astucieusement placée en face d’un bar prépondérant de la ville à la jointure de l’artère donnant directement sur le port était gérée d’une main de fer. Les shinobis voyaient immédiatement ce qui échappait peut-être même à certains habitants. Si Higaisha était une promenade de santé, se dissimuler ici était d’une difficulté toute autre et ils durent compter plusieurs fois l’un sur l’autre pour ne pas être surpris par des pirates manifestement entraînés. Pour survivre près d’un Village comme Chikara, il était évident que leur capacité de détection n’était pas en reste. Et pour le moment, Chiraku et Sarouh n’avaient approché que les zones civiles.

— Ca va être coton, glissa le Mizu l’air singulièrement sérieux, adossé à une palissade qui le dissimulait des passants.

— Pas nécessairement, chuchota Sarouh, surveillant les entrées de la rue. Il va être l’heure de manger. Dans les cibles potentielles, il y a deux contremaîtres.

— Ce n’est pas comme si on pouvait simplement se balader dans le port et leur tomber dessus dès qu’ils seraient isolés. Qu’est-ce que tu suggères ?

 Le Chuunin aux cheveux bleus prit une seconde pour réfléchir. Théoriquement le Mizu était son supérieur dans cette mission et le commandement lui revenait, pourtant il savait très bien qu’à la fin, son chef se rangerait probablement à son avis.

— Je pense que c’est l’inverse. Ils vont vouloir se séparer du lot s’ils ont besoin de faire circuler de la marchandise ou de recevoir des ordres. Ca sera le moment idéal.

— Tu crois qu’ils en ont de nouveaux tous les jours ? demanda Chiraku, son scepticisme illustré par ses sourcils froncés.

— Probablement. Ils ont une place de coordinateur, ils doivent à la fois faire descendre et remonter des infos. Pour survivre à l’intérieur de Sengo, ils sont obligés de faire preuve de réactivité. Au contraire, s’ils ont le soutien de la cité Pirate, aucune raison de ne pas les informer quotidiennement.

 Le jeune homme brun hocha la tête en signe d’assentiment, l’air satisfait. Sarouh se questionna un instant sur la nature de sa question, peut-être s’agissait-il d’un test ? L’avait-il passé dans ce cas ? Il secoua sa chevelure cobalte en signe de dénégation, reportant son attention sur la mission. Douter du Mizu n’avait aucun intérêt en l’état. Ses propos le perturbaient un peu, mais ce n’était pas le moment de découper ses phrases pour en analyser les conséquences. Mener la mission à bien était la priorité. Malgré tout, sa pique au sujet d’Izul laissait une marque douloureuse dans l’âme incertaine du Tsumyo.

 Ils soufflèrent de concert du nez, lentement pour se concentrer, les yeux fermés. Le ten déployé, la méditation leur permit de faire fi du reste pendant quelques secondes. Puis ils s’élancèrent d’un seul homme en direction des quais, véritables ombres mouvantes. De par leur vitesse, leur discrétion et l’ingéniosité de leurs trajectoires, personne ne vit le binôme rôder jusqu’au navire “La Bravado”. Le meilleur moyen de surveiller les quais, c’était de la proue de ce gigantesque bâtiment cargo.

 Allongés sur le pont du navire déserté, dissimulés par un genjutsu, les chasseurs attendaient leurs proies. Sarouh sentait parfois le regard de Chiraku sur lui, sans parvenir à déterminer l’émotion qui l’animait. Peut-être se sentait-il menacé malgré lui et un instinct presque animal le poussait à le garder à l’oeil. Le Tsumyo savait également que son utilisation furtive du en, la manipulation du Chakra de détection, avait parfois tendance à raidir les gens qui y étaient sensibles sans qu’ils ne soient capables de l’expliquer.

 Et c’est grâce à cette aptitude que Sarouh ne fut pas surpris lorsque trois silhouettes les entourèrent, sans avoir non plus le temps de faire signe à Chiraku de s’enfuir. Les deux shinobis adressèrent un grand sourire narquois à ceux qui les encerclaient.

— Qu’est-ce que l’on peut pour vous messieurs ? interrogea le Mizu d’une effrayante décontraction face à ces hommes armés et probablement dangereux.

 Ils les avaient repéré et encerclé sans se faire apercevoir, ce qui était une prouesse technique. Les pirates n’avaient rien à envier aux factions ninjas. Cependant les shinobis ne se sentaient pas encore réellement menacés. Les trois hommes, bien bâtis et armés d’haches courtes, respiraient la force. Cependant, leurs expressions étaient crispées, leur regard nerveux. Ils craignaient l’affrontement direct.

 Le leader du trio pirate leur fit signe de s’approcher d’un geste de tête, un doigt sur la bouche. Sans s’adresser un regard, Chiraku et Sarouh obtempérèrent. Le calme qu’ils affichaient rassurait l’un l’autre. Sans s’être battu ensemble depuis bien trop longtemps, ils reconnaissaient la force de leur équipier.

 Le petit groupe rentra dans la cabine du capitaine ensemble. La petite pièce avantagerait grandement les loups de mer en cas d’affrontement. Cela ne décontenança pas les Gensouards toujours tout sourire.

— J’imagine que vous avez un autre groupe en dehors de Sengo. Nous avons à parler, shinobis.

— Il est perspicace, le monsieur, ironisa Chiraku. Et qu’est-ce qu’on aurait à se dire ?

— On se calme gamin. On est dans le même bateau.

— Littéralement, ne put s’empêcher d’ajouter Sarouh, faisant lever les yeux de son camarade au ciel. Répondez. Pourquoi on vous ferait confiance ?

— Parce que nous savons pourquoi vous êtes là et nous avons comme mission de vous simplifier la tâche.

 Un silence suivit cette déclaration et les deux jeunes hommes se relâchèrent imperceptiblement, échangeant enfin un regard. Sarouh hocha de la tête, laissant l’initiative à son collègue. Celui-ci passa la main dans sa tignasse brune avant de répondre au trentenaire mal rasé. Le colosse, équipé d’un bandana rouge et habillé d’un marcel laissant apparaître une puissante musculature et une peau tannée par le sel et le soleil correspondait exactement à l’image qu’ils se faisaient des flibustiers des mers. Presque trop, pensa une seconde l’illusionniste.

— Supposons que vous ayez raison, qu’est-ce que vous avez pour nous ?

— Il va d’abord falloir confirmer votre identité, répondit le chef en secouant la tête.

— Nous pourrions mentir. Vous savez que nous sommes des shinobis, vous devinez la raison de notre présence. Il va falloir s’en contenter.

— Tous les ninjas ne veulent pas du bien à notre prestigieux port. Nous n’avons besoin que d’une seule indication. Le nom de la personne qui vous a aidé à trouver vos cibles.

— Goto, répondit immédiatement Sarouh alors que Chiraku écarquillait les yeux de stupeur. Ne t’en fais pas. S’ils font ça pour éliminer la balance, nous les tuerons en premier. De plus, sa vie n’a que peu de valeurs pour nous. Après tout, il a sa part de responsabilité dans le massacre d’une escouade Chikarate.

 Le Mizu se reprit, après qu’un voile glacé passe dans son regard olive. Il n’appréciait définitivement pas tous les changements qui s’étaient opérés chez son camarade. A l’inverse du chef de l’escouade dont le sourire s’élargit démesurément.

— Vous êtes vraiment des mômes à part. Les nôtres ont du sang de navet, ajouta-t-il, fusillant du regard l’homme à sa droite, dix ans plus jeune qui prit une expression vaguement contrite. Nous avions effectivement déjà l’information que cet enfoiré de Goto était passé à l’ennemi. On savait que Chikara enverrait une division.

— Donc vous attendiez tranquillement pour être sûr de tomber sur nous afin de nous aider. Ça ne prouve pas vraiment votre innocence. Ça pourrait totalement être une mise en scène.

— Certes. Mais on a un peu d’avance sur vous et nous avons aussi trouvé les entrées de la base de ces raclures.

 Une lueur d’intérêt s’alluma dans le regard du Tsumyo. Cela pouvait être un piège, mais cela lui semblait peu probable. En aidant l’escouade ninja sans intervenir directement, Sengo pouvait à la fois se prétendre innocent du massacre des shinobis et nier toute connivence avec Chikara. Une aide détournée et empreinte de faux-semblants était le meilleur qu’il pouvait proposer. Cela semblait cohérent et suffisant pour le Gensouard.

— Comment avez-vous récupéré cette info ? demanda-t-il, plus curieux que soupçonneux.

— Nous aussi, nous savons obtenir ce que l’on désire des gens, répondit son interlocuteur en soutenant son regard.

— Vous ne voyez donc pas d’inconvénients à ce que l’on prévienne nos supérieurs de notre position et de là où vous nous enverrez, coupa Chiraku sans laisser la menace tacite les atteindre

— Aucunement, fit le négociateur tout sourire.

— Parfait, répondit le Chuunin en branchant sa radio. Gomaki ? Nous avons des informations pour vous.

 Le Mizu répéta l’endroit exact où l’escouade allait se rejoindre, alors que le sourire menaçant du pirate contaminait Sarouh. Ils allaient enfin se défouler.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Tokri Utak ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0