Épisode 22 - Paradoxe

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 Marchant à la droite du tunnel, Tokri plissa le nez avec la désagréable impression que l'odeur nauséabonde des égouts cherchait à pénétrer chaque pore de sa peau. Les sens aux aguets, il résistait à l'envie de protéger ses mains en les enfonçant dans ses poches.

— Nez sensible ? le taquina le Tsumyo à sa gauche, sans se départir de son expression sérieuse.

— On est pas tous habitué aux marais, répliqua l'Utak, sur le même ton d'humour froid.

— Si je me suis fait à votre soleil, tu devrais survivre, ricana son collègue, main posée sur la garde d'Aura.

 Tokri esquissa un sourire. Cela faisait déjà une demi-heure qu'ils avançaient en ligne droite, séparés par l'écoulement des égouts. Tous deux étaient vigilants à ce qui pouvait en sortir, mais également aux murs les entourant. Les pirates les avaient prévenus que les souterrains étaient peuplés de monstres et avaient été piégés par leurs ennemis.

 Selon Sengo, les lieux permettaient à la bande de séparer le bon grain du mauvais. Tokri ne doutait pas que les cadavres des derniers devaient nourrir le fonds des eaux usées. Organisé en un réseau de tunnels, seuls les plus compétents pouvaient espérer y survivre. Les pirates les soupçonnaient de posséder une autre sortie par voie maritime, mais la cité ne l’avait apparemment pas découverte. A moins qu’il ne s’agissait d’une information qu’ils souhaitaient garder pour eux, dans le cas où l’escouade shinobi échouerait. La cité pirate s’était servie de cette supposition pour les amener à prendre chaque couloir de concert.

 L’Utak avait été étonné que les pirates n’aient pas attaqué eux-mêmes la bande dissidente. De ce que Sarouh leur avait rapporté, Sengo avait mis de côté cette option en apprenant la venue de Chikara. La manœuvre politique était intelligente : montrer patte blanche en leur fournissant des informations, tout en les laissant se salir les mains. La question était de savoir si Sengo était véritablement un allié, ou agissait de concert avec les dissidents au Boost S. Dans le premier cas, l’Utak était agacé d’être utilisé. Si la seconde hypothèse s’avérait exacte, chacun savait qu’il fallait s’attendre à un piège.

 Tokri décida de chasser les conséquences probables de chaque théorie de son esprit pour se concentrer sur la traversée du long couloir. Alors que le Tsumyo déclencha sciemment à distance un piège à pic, l’Utak lui demanda avec sollicitude :

— Comment te sens-tu suite à ce binôme avec Mizu ?

— Nous sommes des professionnels et les résultats sont là, répondit simplement l’illusionniste en haussant les épaules. Il n’y a rien d’autre à en dire.

 Tokri repéra à son tour un piège : un fil indétectable à tout œil non avisé. Il se munit d’un kunai et le trancha en tendant le bras, faisant tomber une lame du plafond.

— Ca ne répond pas à ma question, lui fit remarquer l’Utak en lui adressant un léger sourire, tandis que la lame remontait lentement face à lui.

— Les émotions sont l’ennemi du shinobi, cita mécaniquement le Tsumyo alors qu’ils reprenaient tous deux leur marche.

 Le Chikarate haussa les sourcils, sans parvenir à retenir un soupir se rapprochant d’un grognement. Il n’avait jamais adhéré à la philosophie déshumanisante du Gensouard, mais cette phrase avait à présent un goût d’hypocrisie.

— Un souci ? s’étonna le garçon aux cheveux bleus, sans cesser d’analyser son environnement.

— Tu ne trouves pas cela incohérent suite à tes dernières réactions ? le questionna Tokri en jouant avec son kunai, tout en restant également attentif à d’éventuels pièges.

 Un bref rictus se dessina au coin des lèvres du Chuunin, faisant comprendre au taijutsuka qu’il avait une fois de plus manqué de tact. Craignant de le voir se fermer à la conversation, il s’empressa de préciser sa pensée :

— Je comprends que tu fasses preuve de professionnalisme pour mieux affronter la situation. Mais quoi que tu fasses, tes émotions seront toujours présentes en t..

— Et si on parlait des tiennes, d’incohérences ? le coupa sèchement Sarouh.

Tokri cessa de faire tournoyer son kunai, le saisissant soudainement avec fermeté.

— C'est-à-dire ? demanda-t-il tout en expédiant son arme dans l’eau.

 Du rouge se peignit à la surface, suivi du cadavre d’un lézard géant.

— La vocation de ninja ne colle pas à ton caractère. Tu es trop honnête et ancré dans des principes en totale contradiction avec la profession.

 Il envoya à son tour un shuriken, non loin du cadavre du monstre. Une seconde créature flotta peu après à la surface, tandis qu’ils continuaient leur trajet.

— Tu ne me sembles pas du genre à vivre pour la fierté familiale, continua t-il d’analyser naturellement, sans même jeter un regard à l’Utak. De ce que j’en ai vu, tu aimes Chikara mais tu es critique envers son gouvernement. Défendre leurs intérêts est le cadet de tes soucis.

 Tokri garda le silence, à la fois agacé d’avoir été autant cerné que surpris. Que Sarouh le comprenne à ce point avec le peu d’informations à sa disposition était impressionnant et, il devait l'avouer, quelque peu agréable. Tellement de personnes se contentaient de lui accoler une étiquette bien souvent loin de la réalité. Le Tsumyo continuait de se révéler à part de la plupart des individus que l’Utak avait cotoyé jusqu’à présent.

 Quelques ronds d'eau déclenchérent les alarmes interne des shinobis. En une éclaboussure, un lézard bondit hors de la rive nauséabonde et atterrit face à Tokri. Le monstre bondit sur lui, griffes et crocs en avant. Malheureusement pour lui, le Genin avait composé ses mudras avant même qu'une patte ne se pose au sol.

 Le taijutsuka fit un pas en arrière et présenta sa paume droite, tout en le soutenant de son autre main. Un puissant souffle de vent en jaillit, expédiant en avant le lézard qui termina presque tranché en deux par un Sarouh qui venait de terminer sa course murale par un rapide bond. Satisfait de leur prestation, le Tsumyo fit glisser le cadavre à l'eau en souriant, avant de rejoindre son côté de rive.

— Être ninja est le seul moyen à ma disposition pour gagner en force, répondit Tokri, comme si rien ne s'était passé. C'est tout.

 Le jeune homme espérait que les deux derniers mots seraient suffisants pour clore le sujet. A l'expression de Sarouh, le message avait été reçu. Ils reprirent un temps leur marche en désactivant plusieurs piéges. Aucun monstre ne se manifesta, les quelques morts ayant certainement calmé la meute peuplant le tunnel.

— Ton mantra remonte à Cacaunoy ?

 Le Tsumyo soupira en se frottant l’arête du nez, la main posée sur la garde d’Aura attachée à son flanc gauche. Tokri n’eut pas le sentiment que la réaction était provoquée par sa question, mais plutôt par la nécessité de s’expliquer clairement.

— Nous n’étions pas ensemble, mais je l’aimais. Comme nous te l’avons dit, nous avons participé au Tournoi Genins. Je présume que tu as souvenir de l’affaire de la Banshee ?

 Tokri opina du chef et posa la question qui tournait en boucle dans son esprit depuis leur discussion autour du feu de camp :

— C’était Marwais ?

— Exact, confirma Sarouh en se frottant la gorge. A votre hôpital, elle a été à deux doigts de me tuer. Je lui ai quand même juré d’être là pour elle. Quelques semaines plus tard, elle a voté pour mon éviction de l’équipe, malgré les risques pris de mon côté pour tenir parole. Fin de l’histoire.

 L'espace d'un instant, le jeune homme s'inquiéta pour les compagnons actuellement en équipe avec l'épéiste. Mais constatant que cela ne semblait pas être le cas de Sarouh, il décida de faire confiance en ses partenaires de Gensou. Si Cacaunoy était membre de leur escouade, cela devait signifier qu'elle était en contrôle de l'entité.

 Alors que Tokri s’apprêtait à lui demander s’il ne serait pas préférable de la questionner afin de connaître les détails, le Tsumyo ajouta en lui souriant sincèrement :

— Demande à Nika si tu veux les détails. Je suis désolé, mais ressasser ces souvenirs une seconde fois me fatigue. Et je pense qu’elle a besoin d’échanger avec toi.

 L’Utak tiqua et détourna son attention sur la désactivation d’un piège. Le Gensouard savait qu’il aurait pu réaliser cette action tout en lui répondant, mais il respecta son silence :

— Tu n’es pas le premier à me le dire, soupira Tokri en se redressant. Ca attendra notre retour à Chikara.

 Le taijutsuka attendit que son collègue s’occupe d’un piège à pic avant d’aborder le dernier sujet qu’il souhaitait éclaircir.

— Et Izul ? J’avais le sentiment que ça roulait entre vous, comment ça se fait que ça a dégénéré ?

 L’Utak connaissait une partie des événements, du moins du point de vue de la Leïl. Mais il lui semblait plus pertinent de feindre l’ignorance afin d’obtenir la vision la plus pure possible de la part de l’illusionniste. Ce dernier se raidit à la question, un soupçon de colère sembla filtrer un court instant dans son regard. Tokri s’appréta à changer de sujet lorsque le Chuunin aux cheveux bleus s’adoucit, presque de manière trop subite :

— J’aurais justement dû m’abstenir vu la façon dont les choses ont évolué, répondit-il en un souffle. Il faut croire que je n’étais pas assez bien, ou juste pas la bonne personne pour elle.

 Tout en parlant, Sarouh évita de croiser le regard du Chikarate, l’inverse de ses réactions depuis le début de leur discussion. Un silence s’installa, tandis qu’ils continuaient à désactiver des pièges et à éliminer les quelques lézards assez entreprenants pour s’en prendre à eux.

 Peiné par la culpabilité qu’entretenait Sarouh, Tokri hésitait à lui confier les informations en sa possession. En dehors de Gomaki, le Genin s’était juré de laisser Izul maîtresse de ses révélations et en aucun cas la forcer à en parler. Le second soucis était que rompre ce serment l’amènerait à justifier ses actes auprès de la kunoichi-médecin, chose pour laquelle le Chikarate ne se sentait pas encore prêt. De plus, l’adolescent ne comprenait pas pourquoi l’un et l’autre ne cherchaient pas à se mettre au clair suite à cet incident.

 Et il devait se l’avouer, le conflit d’intérêt jouait dans la balance.

— On y est, déclara Sarouh, arrachant son partenaire à ses réflexions.

 Devant eux se présentait la fin du tunnel en un cul-de-sac apparent. Frôlant de la main le mur, l’Utak comprit qu’il s’agissait d’une porte à double battant sans poignée et qu’ils leur suffiraient de les pousser pour continuer à avancer. D’un geste de la main, il fit comprendre au Chuunin qu’il pouvait contacter leur chef d’escouade. Sarouh porta une main à son oreillette :

— Gomaki ? Nous sommes en position.

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