Épisode 20 - Un bon ami

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 A présent habitué à diriger son dodo, Mutika tenait les rênes d'une main. Avec nonchalance, il se frotta le bas du dos, endolori par le manque de pause. Les gradés ayant fixé pour objectif d'atteindre Sengo avant midi, les shinobis ne ménageaient pas les efforts de leurs volatiles.

 L'Oroshi observa son sensei, de dos face à lui en pleine discussion avec son frère Kiame. Le manipulateur du Doton soupçonnait que l'exigence du Jounin était dictée par le besoin de recentrer ses troupes. Le jeune homme le comprenait, les soucis personnels de chacun ayant tendance à déborder avant même leur départ de Chikara.

 Malgré la situation avec leurs collègues, Kiame était rayonnant aux côtés de son aîné. Il avait avoué au rouquin qu'il vivait son rêve en livrant une telle mission sous la direction de celui qui avait toujours été un modèle. Mutika sourit en songeant qu'il n'aurait pas parié sur le jeune Myo pour devenir sa bulle d'air salvatrice au sein de la team Gomaki. Les relations au sein de l’équipe s’étiolaient dangereusement et la présence des anciens équipiers de Sarouh n’aidaient en rien. Au moins, son binôme avec Kiame lui permettait de se tenir à l’écart des champs de bataille émotionnels et de rester concentré sur leur travail.

 Prétextant prendre le rôle d’éclaireurs, Cacaunoy et Chiraku chevauchaient côte à côte un peu plus en avant. Mutika les soupçonnait de prendre de la distance entre eux et le reste de l’équipe, en particulier du Tsumyo. Le rouquin maudit intérieurement le Village de la Cascade. De tous ses shinobis, pourquoi avait-il fallu leur envoyer ceux avec qui Sarouh semblait avoir un passé mouvementé ? Les rares fois où la Marwais croisait son regard lui arrachait des frissons d’effroi, s’attendant à ce qu’elle le découpe froidement au moindre mot de travers. Depuis le débriefing d’Higaisha, l’épéiste n’avait pas prononcé un seul mot et s’était contenté de chevaucher, stoïque et main posée sur la garde de son sabre, aux côtés de son collègue. Ce dernier était le seul à avoir eu le droit à quelques paroles, mais Chiraku semblait mener pratiquement seul la conversation.

 Il jeta un œil discret par-dessus son épaule pour apercevoir les binômes restants, qui détenaient chacun assurément davantage d’informations à propos des Gensouards. Tokri chevauchait aux côtés d’Izul, Nika avec Sarouh. En pleine conversation, les duos étaient à bonne distance l’un de l’autre, certainement pour ne pas être entendu. L’Oroshi regarda à nouveau devant lui et souffla de dépit. Le Genin avait du mal à suivre les évolutions dans les relations de ses amis et commençait à en être exaspéré. En un mois, l’Utak était passé d’un extrême à l’autre envers Izul. Cette dernière n’était apparemment pas insensible bien qu’elle continuait à fureter vers Sarouh, qui lui-même était glacial depuis un bon moment avec la jeune femme tout en montrant des signes de jalousie de son rapprochement avec le chef des Genins. Et dire que le rouquin était celui qui songeait à tenter sa chance lors de la formation de l’équipe.

 Se sentant abattu, Mutika soupira, baissa les yeux et se perdit un instant dans le plumage dorée de son dodo.

— On s’endort ? lui demanda une voix taquine et familière qui le fit sursauter.

 Relevant la tête, Mutika sourit à son nouvel ami. Kiame se doutait certainement de ce qui trottait dans sa tête, la question n’avait pour but que de lui remonter le moral.

— Une micro sieste oui, plaisanta l’Oroshi. C’est ce que ça épuise de jouer au médiateur de ses collègues transis d’amour.

— Tu m’étonnes, ricana le blondinet. Je suis bien content de vous avoir rejoint en dernier finalement, ça me permet de me cacher derrière toi quand ça chauffe entre les filles et Tokri.

 Il jeta un œil par-dessus son épaule, tandis que Mutika remarqua que Gomaki avait rejoint les Gensouards. Ce que le Jounin venait de dire arracha un rictus agacé à Chiraku, d’ordinaire tout en légèreté. Mutika n’eut pas le temps de s’interroger sur l’évènement que Kiame lui demanda sans crier gare :

— Y’a un truc maintenant entre Sarouh et Nika ? Ils sont tout le temps ensemble depuis hier !

— Non, répondit l’Oroshi sur le ton de l’évidence. Ils se sont tous les deux pris une désillusion par leurs coups de coeur respectifs. Ils doivent se rejoindre là dessus.

— Ils ont pas mal de points communs, je ne serais pas surpris si cela évoluait, insista Kiame, faussement pensif.

 Mutika remua la tête, comme pour balayer cette éventualité. Il avait beaucoup de mal à imaginer Sarouh et Nika en train de flirter.

— Je t’assure que c’est impossible. Ils sont amis, voilà tout.

— Mouais. Tokri et Izul, tu ne les avais pas vu venir.

 Sans s’en rendre compte, Kiame avait tapé dans le mille. Non pas parce que l’Oroshi n’avait pas anticipé l’évolution des relations entre les shinobis, ayant conscience qu’il n’avait pas les esprits stratégiques du Tsumyo et de la Hynomori, ni l'œil d’analyste de l’Utak et la Leïl. Mais que Tokri ne vienne pas se confier à lui malgré leur longue amitié le peinait. Il faut croire que leur relation était moins réparée qu’il ne se l’était figuré.

— Vivement qu’un peu d’action se présente ! s'enthousiasma soudainement Kiame, ce qui amena Mutika à soupçonner qu’il avait ressenti son malaise. On va rouiller dans cette mission monotone.

— T’enflamme pas, le taquina Mutika avec son petit sourire narquois. Être en mission ne se résume pas à casser des têtes, même si j’admets que c’est l’une des parties sympa.

— Oh oui, grand sage Mutika, répondit sur un ton grossièrement admiratif le jeune Myô. Partagez-moi votre sagesse !

 Mutika éclata d’un rire franc, qui lui fit beaucoup de bien. Ces derniers temps, le blondinet était la seule personne à parvenir à le maintenir dans une énergie positive. La team Gomaki était devenue sa bulle d’air jusqu’aux récents délitements des relations de ses coéquipiers. L’Oroshi avait eu une mauvaise première impression de Kiame, mais fort était de constater qu’il lui était finalement salutaire. Le caractère tout feu tout flamme du jeune Myô lui rappelait par instant Tokri, la part de tristesse portée en permanence en moins. Cette pensée lui fit prendre conscience que l’Utak semblait bien moins obsédé par sa soif de vengeance contre son père ces derniers temps. S’était-il confié à Nika ou Izul ? Il en doutait. Bien que moins proche que son ami des deux jeunes femmes, l’Oroshi était tout de même persuadé que leur premier réflexe aurait été d’échanger avec lui à ce sujet.

 Cherchant à se vider la tête, Kiame et Mutika parlèrent jutsus et stratégies de combat jusqu’à ce que Sengo se dessine à l’horizon, son vent empli d'embruns lui caressant le visage et amplit ses narines de l'odeur de la marée. Gomaki les dirigea jusqu'à une clairière où ils laissèrent leurs dodos. Une fois pied à terre, l'Oroshi gratouilla le bec du volatile, qui plongea son regard d'un bleu profond dans le sien. Le jeune homme n’en revenait toujours pas de l’intelligence dont faisaient preuve ces animaux. Izul lui avait expliqué qu’ils étaient extrêmement loyaux envers ceux qui prenaient soin d’eux. Plus un dodo géant appréciait son propriétaire et plus il devenait docile. La jeune femme avait déjà été amusée de voir un dodo rejeter violemment une personne avant d’accepter son coéquipier quelques secondes plus tard.

 Les shinobis se regroupèrent autour de Gomaki, qui dicta la marche à suivre.

— Même logique que la dernière fois. Nous entrerons par binôme et un trinôme. Chiraku et Sarouh, vous ouvrez le bal. Tenez moi informé.

 Sarouh haussa les yeux en l’air l’espace d’un instant et commença à prendre la direction de Sengo sans attendre son compatriote. Chiraku adressa un sourire à Cacaunoy, puis échangea un regard de connivence tendu avec le ninja expérimenté.

L’épéiste s’éloigna du groupe, main toujours vissée sur la garde de sa lame et prétexta le besoin de sécuriser les alentours. Mutika ne chercha pas la raison de son éloignement. Moins il la côtoyait et mieux il se sentait.

— Et nous ? demanda Izul.

— Quartier libre, répondit le Jounin. Mais ne vous éloignez pas.

 Nika balaya ses compagnons du regard et soutint particulièrement celui de l’Oroshi. Ce dernier hocha la tête pour lui faire comprendre qu’il avait intercepté sa demande et tiendrait sa promesse faite la veille. La Hynomori lui sourit tristement, baissa la tête pour cacher son visage de ses cheveux bruns et violets et s’éloigna à son tour du groupe. Kiame se pencha vers Mutika, gauchement discret :

— Tu vas parler à Tokri ?

— Comme convenu oui. Tu peux aller voir Izul ou Nika ?

 Kiame jeta un regard à Izul, qui s’éloignait de Tokri après lui avoir adressé un charmant sourire, puis à Nika qui avait rejoint son dodo pour une session de dorlotage.

— Mouais, marmonna le blondinet peu motivé. M’en veux pas, mais je vais plutôt m’échauffer.

— Je te rejoins dès que ce sera fait, répondit l’Oroshi sur le même ton.

 Le Genin rejoignit son chef d’unité et l’invita à s’éloigner de l’équipe d’un geste de tête. Une fois hors de portée des oreilles indiscrètes, Tokri fut le premier à lâcher sèchement :

— Tu deviens le messager de Nika ?

 Mutika soupira devant la pertinence de son ami. Décidément, rien n’échappait à son œil de faucon. C’était à croire qu’il détenait un jutsu d’espionnage. Le rouquin fut intérieurement amusé à cette pensée, mais mieux valait ne pas le formuler histoire de ne pas semer de mauvaises idées.

— Tu ne veux pas de mon rapport, chef ? le taquina Mutika.

— Te fous pas de moi, répliqua l’Utak, cinglant et peu enclin à la plaisanterie.

 L’Oroshi soutint le regard sévère de Tokri et y lut de l’inquiétude mêlée à de l’interrogation. C’était là le secret pour comprendre ce que cachait le masque imperméable du taijutsuka, qui contrôlait beaucoup moins de choses qu’il essayait de le faire croire.

— Tu sais quoi, Tok’ ? Être amoureux, ça ne te réussit pas mais au moins tu ressembles de plus en plus à un humain.

— Mutika…

 L’Utak ne se départit pas de son expression sérieuse, mais la phrase de son ami lui arracha un bref sourire amusé. C'était assez pour le Genin au Doton qui s’en trouva fort satisfait d’avoir enfin réussi à percer sa carapace, une première depuis au moins trois semaines.

— Tu as des informations pour moi ? lui demanda Tokri, sa voix plus apaisée que précédemment.

— Nika se recentre sur la mission, lui expliqua Mutika. Sarouh l’aide beaucoup pour ça.

 Le Genin aux cheveux de jais mit une main dans une poche en grognant, prêt toutefois à entendre la suite de ce que Mutika avait à dire. Ce dernier retint un soupir de dépit, n’arrivant pas à comprendre les sentiments de l’Utak vis à vis de la marionnettiste. Ne la voyait-il vraiment que comme une amie ? Pourquoi ressentir des pointes de jalousie de son rapprochement avec Sarouh en ce cas ? Balayant ses questionnements, le rouquin reprit la parole :

— Elle a le cerveau en ébullition et tente de comprendre les relations entre les Gensouards, tout en soutenant Sarouh. En parallèle, elle réfléchit comme nous tous à dénouer le sac de noeuds de l’affaire Boost S. Entre autre mystère…

— Qu’elle arrête de jouer à la maman avec tout le monde l’allégerait d’un poids, grommela Tokri.

— Tu es dur, mec.

 L’Utak haussa les yeux au ciel et souffla, comme pour se contenir. Mutika nota qu’il n’avait pas rebondit sur son point inachevé et n’aurait su dire si cela était volontaire ou non.

— Elle ne prend pas assez soin d’elle et fait passer le bien des autres avant le sien, se sentit obligé de préciser Tokri. Beaucoup de pression et elle a également ses limites. Comme nous tous. Ne pas se relâcher donne des comportements comme avec Izul hier.

 Cette fois, Mutika confirma d’un hochement de tête. Tokri était bourru, mais ses analyses étaient bien souvent pertinentes lorsqu’il se donnait la peine de les développer.

— Tu devrais t’appliquer ton propre conseil, l’avertit le rouquin.

— Je sais mec, soupira l’Utak.

— Va voir Nika. Je pense qu’elle a certaines choses à te dire.

 Tokri lui adressa un sourire qui ne ressemblait pas à ses rictus habituels. L’Oroshi était finalement heureux de son échange avec lui, retrouvant peu à peu son ami d’enfance. Sans prévenir, l’Utak le saisit par le bras pour une accolade aussi sincère que brute.

— Merci pour les infos et de ta sollicitude.

 Il ne lui laissa pas le temps de répondre et s'éloigna. Mutika avait espéré qu'il aille voir la Hynomori et fut déçu de le voir s'asseoir au pied d'un arbre. L'Utak sortit un kunai et commença à jouer à le faire tournoyer d'un doigt, les yeux dans le vague et jetant des regards furtifs vers Nika qui s'atelait à quelques vérifications de Kokuro. Dans un soupir, l'Oroshi rejoignit Kiame pour quelques exercices d'assouplissements.

 Au bout d'un peu plus d'une heure, le rouquin sourit en voyant Tokri se diriger finalement vers Nika. Son pas trahissait sa détermination à apaiser les choses avec elle, réitérant la pensée de Mutika à son sujet. La team Gomaki l’avait décidément bien changé. Malheureusement, la voix de Gomaki coupa net la détermination du garçon aux cheveux de jais :

— Chiraku et Sarouh ont des infos à nous transmettre !

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