Épisode 18 - Douloureux interrogatoire

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 Le groupe de Sarouh pénétra le petit village d’Higaisha sous le regard des badauds. Aussi communs qu’ils étaient, ils demeuraient des étrangers. Les larges rues étaient parsemées de petites maisons simples en bois sombre et imperméable. Des étals pour faire sécher les poissons étaient en évidence derrière celles-ci. De nombreux accès à la plage de sable fin permettaient aux habitants de facilement s’adonner à l’activité principale d’Higaisha : la pêche.

 Quelques commerces centralisaient l’activité autour du centre, mais sans les récents événements, rien ne laissait supposer que cette petite place tranquille était le théâtre de ces sinistres activités.

  • Comment on va procéder ? demanda Cacaunoy, toujours la main sur son arme.
  • Nous ne devrions avoir rien à faire, répondit Sarouh sur le ton de l'évidence. On annonce qu'on cherche un travail et on bouge d'endroits régulièrement. En début de soirée, on s'arrêtera à un bar. Logiquement d'ici là, on aura quelqu'un aux basques.
  • C'est pas un peu simpliste ? releva la brune
  • Non, il a raison. Il est probable qu'on soit surveillés voire contactés pour un boulot, ajouta l'Utak
  • Et si c'est pas le cas, Gomaki et les autres trouveront bien autre chose.
  • Je ne suis pas convaincue.
  • Tu as mieux ? soupira le jeune homme aux cheveux cobalts.

 Le silence lui répondit et Sarouh reprit sa marche vers le centre. Si Sengo était responsable d'un massacre de shinobis dans la zone, il y avait plusieurs scénarios qui laissaient penser qu'ils seraient sous surveillance. Et si les pirates n'y étaient pour rien, il était tout dans leur intérêt de chercher à savoir qui sabotait leur relation avec Chikara. Dans un cas comme dans l’autre, Gomaki et les siens devraient sans mal se trouver au moins un informateur.

 Le Tsumyo était certain que ce n’était pas ici que les difficultés se montreraient, bien qu’il restait prudent. Il avait la sensation que Cacaunoy s’opposait à lui pour le principe et n’avait pas l’énergie de s’enliser dans des débats sans fin. Une part de lui craignait des résurgences de son volcanique caractère. Leurs entraînements s’étaient soldés plus d’une fois par de nombreux bleus infligés par l’impulsive demoiselle. Sarouh ne s’y trompait pas. Derrière sa façade en acier trempée se trouvait toujours la tornade qu’il avait connue. Il ne cessait de repérer des indices qui allaient dans ce sens.

 Le groupe se concentra sans se concerter sur la mission. Tous avaient mieux à faire que de discuter. Ils se séparèrent un temps, de manière à être vus par le maximum de personnes et mangèrent un sandwich au crabe sur la jetée, le temps d’échanger les informations. A cette heure-ci, toute l’équipe d’intervention devait être entrée dans le village. Alors que le soleil se couchait sur l’océan, la stratégie donna enfin des résultats.

  • Enfin, soupira Cacaunoy, qui l’avait repérée en première. Direction le bar les gars. Il n’osera jamais s’approcher ici.
  • On y allait de toute façon. J’aimerais beaucoup savoir comment tu t’y es prise pour le détecter avant moi, demanda sincèrement Sarouh.
  • L’instinct, mentit la demoiselle avec aplomb.

 Elle remit une mèche qu’ils ne voyaient pas et ils s’avancèrent jusqu’au bar sans poser plus de questions. Le Tsumyo aurait aimé profiter davantage de l'océan et du coucher de soleil, mais la priorité était d’en finir avec cette mission. Tokri se taisait, observant attentivement ses deux aînés de profession. Le Chuunin se sentait analysé et une gêne continue s’était installée depuis que le groupe surveillait Higaisha. C’est pour cela qu’il fut immensément soulagé lorsque l’Utak proposa de s’occuper des rondes pendant que le binôme Gensouard s’attablerait. Le Chikarate se dédoubla et Sarouh dut s’occuper de son déguisement, mais c’est un trio parfaitement crédible qui commanda plusieurs bières au bar. Autour d’eux des petits groupes de badauds déjà victimes des effets de l’alcool riaient bruyamment. Le bouge n’était pas sale, c’était déjà ça.

  • Ça va être marrant, glissa malicieusement Cacaunoy.
  • Pourquoi donc ?

 La jeune femme pointa de la tête les liquides jaunâtres qu’on leur servait. Effectivement, il n’y avait pas pensé, mais Sarouh était encore mineur, bien loin d’avoir la permission de boire. Il se rassura en se disant qu’il irait lentement. Un silence lourd s’abattit sur la table alors que la jeune femme terminait sa première boisson. Elle l’enjoignit d’un geste à faire pareil. De vieux loups comme eux étaient supposés avoir de la descente. Sarouh soupçonna que la mission n’était pas la seule raison mais suivit l’ordre muet.

 La brûlure laissait place à une douce sensation de chaleur. L’adolescent appréciait cette nouvelle expérience, alors que leurs verres étaient de nouveau déjà pleins. La brune le vida avec la même détermination, que Sarouh eut bien du mal à suivre.

  • Bravo, le félicita ironiquement Cacaunoy.
  • Ne te moque pas.
  • Il y a une première fois à tout.

 Elle enchaîna seule sur son troisième verre. Le Tsumyo commençait à se dire que la jeune femme maitrisait un peu trop la descente de houblon. Il n’était pas nécessaire d’aller jusque là pour suivre le plan.

  • Manifestement, c’est pas la tienne, grommela l’illusionniste en posant ses deux coudes sur la table.
  • On fait comme on peut, ricana son ancienne coéquipière d’un air triste.
  • Ton parasite te dérange ?

 Le Tsumyo n’avait aucune envie de ménager Cacaunoy. Se retrouver seul avec elle le rendait amer et il sentait sa colère poindre à nouveau, l’alcool aidant. Il constata avec un plaisir certain qu’elle s’était raidie.

  • C’est le moins qu’on puisse dire, avoua-t-elle à sa grande surprise en buvant une gorgée. Depuis mon départ de Gensou, elle s’en donne à coeur joie.
  • Elle ? releva l’illusionniste
  • J’ai eu l’occasion de discuter avec et ce truc s’identifie comme une femme, lâcha-t-elle avec dépit.
  • C’est sous contrôle ?

 Instinctivement, l’un comme l’autre avait baissé le ton de leur voix, cachaient leurs bouches de mouvements superflus lorsqu’ils échangeaient. La créature qui sommeillait à l’intérieur de Cacaunoy était un secret d’état. Tout ce qui entourait la nature de celle-ci avait été dissimulé et enterré par Gensou et même Chikara n’avait pas eu le fin mot de l’histoire quant aux réelles implications de son déchaînement de puissance. Des années plus tard, Sarouh ne savait toujours pas quelles actions son Village avait mis en place. Il se sentit faiblir devant l’air peiné de son ancienne équipière.

  • On peut dire ça. Elle ne représentera pas un problème pour la mission.
  • Je pense avoir compris comment la situation a été gérée.

 Sa réplique acerbe lui amena un regard plein de curiosité. Malgré l’illusion, il pouvait presque voir la noisette de ses yeux se ficher au fond de son âme. Le jeune Gensouard se sentit obligé de finir son idée.

  • Je devine. Ils avaient une solution pour régler définitivement le problème, mais cela t’empêchait de lui emprunter son pouvoir, ou pire d’utiliser correctement ton Chakra et ils se sont dit que simplement diminuer son influence et te laisser te démerder suffisait amplement.
  • Ils ont prétendu ne pas avoir de solution du tout.

 Les yeux de la kunoichi étaient de retour au fond de son verre, abattue. Elle croyait bien plus en la thèse du Tsumyo qu’en la réponse de son Village. C’était à elle de gérer la voix au fond de sa tête, de supporter les cauchemars et les probables hallucinations. Gensou se servirait d’elle tant qu’elle tiendrait le choc. Il s’apprêta à délivrer le coup final en la traitant d’objet cassé ou de chien malade, mais ne parvint pas à s’y résoudre, en dépit de la colère qu’il gardait envers elle.

  • Je dois faire avec, continua la Chuunin d’une voix plus calme en relevant la tête. En tout cas, je suis heureuse d’être avec toi sur ce coup-là. Ça faisait longtemps.
  • La faute à qui ?

 La réponse fusa alors que Sarouh était de nouveau sur la défensive devant le sourire que lui adressait la brune. Il détestait interagir avec Cacaunoy. Il détestait sentir ses émotions se débattre au fond de lui. Elle ne pouvait pas simplement l’ignorer ou être détestable ? Comment osait-elle lui dire ce genre de choses ?

  • Je sais que tu nous en veux, répondit la jeune femme calmement, sans le regarder.
  • C’est le moins qu’on puisse dire. Qu’est-ce que vous essayez de me faire là ? Je suis pas votre jouet. Je vous ai observé avec Chiraku. Il ne voulait pas qu’on soit dans le même groupe. Vous avez oublié de vous mettre d’accord ?
  • C’est pas ce que tu crois… commença l’épéiste, accablée.
  • Ah oui ? Et qu’est-ce que je suis supposé croire ?

 Plus Sarouh parlait et plus les mots fusaient vite. Hypomane, les yeux écarquillés par la colère, il était méconnaissable. Le Chuunin était hors de lui. Tout ce qu’il désirait, c’était qu’elle se taise. Cacaunoy ne lui fit pas ce plaisir en répondant d’une petite voix, remettant encore une mèche imaginaire.

  • Je n’ai jamais voulu ça. Je ne peux pas tout te dire, mais nous n’avions pas le choix.
  • Pas le choix, comme lorsque j’ai décidé de t’abandonner à ton sort, tu veux dire ? Oh non, parce que ce n’est pas ce que j’ai fait.
  • Tu n’as pas le droit, siffla la brune, glaciale.

 Cacaunoy s’était redressée, piquée au vif. Il voyait la colère reprendre ses droits, la prise sur son arme se raffermir. Elle s’était dévoilée lors de cette conversation et il lui était difficile de se contrôler à nouveau. Le Tsumyo y prenait un plaisir pervers. Il n’était que justice que son ancienne coéquipière soit aussi déstabilisée que lui. Enfin, elle le regardait dans les yeux.

  • N’inverse pas les rôles, répondit le jeune homme d’un ton méprisant. Vous n’avez que ce que vous méritez.

 L’épéiste était sur le point de lui répondre mais fut interrompue par le grésillement de la radio.

  • J’ai notre mec. Un peu d’aide ?
  • On arrive de suite, siffla la Gensouarde sans cesser de fusiller des yeux son homologue.

 Celui-ci n’arrivait pas à savoir s’il était soulagé ou frustré. Ils sortirent discrètement du bâtiment et furent rapidement à la position indiquée par Tokri. Son clone inconsistant se dissipa en même temps que leurs déguisements. Il n’était plus utile de se cacher.

***

 La peur. Alors qu’il détalait dans les rues comme un lapin, l’homme n’était plus que peur. Mal rasé, d’une trentaine d'années et de petite taille, le sordide individu courait sans s’arrêter, jetant des regards aussi furtifs qu’apeurés derrière lui. Au début ce n’était presque rien, un sentiment de malaise, que quelque chose n’allait pas comme il fallait. A la seconde où ceux qu’il observait bien à l’abri à la jumelle avaient disparu, il sut instinctivement qu’il était en danger.

 Et Goto était un homme qui écoutait son instinct. Tous ses efforts furent brutalement réduits à néant lorsqu’une masse sombre lui tomba sur le dos, propulsant le fuyard sur le sol sablonneux. Sans même lui jeter un regard, l’homme tenta de se jeter en avant de ses bras mais fut impitoyablement écrasé sous la botte de son assaillant.

  • Bouge pas toi, déclara fermement mais sans violence son assaillant.

 Il était jeune, peut-être la vingtaine, estima-t-il, incroyablement perspicace sous l’effet de la peur. Deux autres personnes apparurent juste devant sa tête, sans un bruit. Ils semblaient avoir toujours été là. Il pu détailler une femme brune et un grand adolescent aux cheveux bleus. Leur jeunesse apparente ne le rassurait pas. Des shinobis, comprit-il douloureusement.

  • Je prends le relai, merci Tokri. Tu as prévenu les autres ? demanda calmement le benjamin du groupe

 Goto n’entendit pas de réponse, mais cela sembla satisfaire le jeune homme qui lui faisait face. Toujours au sol, la pression qu'il sentait sur son dos disparut, alors que l'Higaishien glissait lentement sa main dans sa poche gauche à la recherche du canif qui s'y trouvait. Il fallait fuir et avertir les autres.

  • Je me présente, Sarouh. Toi et moi, on a beaucoup de choses à se dire, annonça d'une voix claire l'intéressé en s'accroupissant devant lui.

 C'était sa chance. Goto se jeta en avant et frappa vers la gorge du ninja. Un craquement sinistre retentit, suivi d'un éclat de rire bien pire encore. La tentative d'agression s'était soldée par un poignet cassé et le corps du malfrat violemment envoyé dans le mur. La douleur le submergea et il retint un hurlement, alors qu'il croisait finalement le regard de son agresseur. Il y lu un plaisir certain. Le ninja était ravi qu'il ait résisté, comprit-il soudain, en proie à la détresse. Ne rien dire, quoi qu'il arrive, se rappela comme un mantra l'homme qui saisit enfin sa situation. Tout autour de lui, des silhouettes se dessinèrent dans le noir. Huit adolescents. Huit monstres.

  • Je suis d'assez méchante humeur, je vais rendre ce qui suit très déplaisant, annonça le dénommé Sarouh devant ses spectateurs qui ne réagirent pas. Tu vas vraiment regretter de ne pas être mort. Ce n’était pas le bon reflexe, ajouta-t-il en pointant la lame au sol.

 De l'esbroufe. Du vent. Il ne fallait pas croire un mot qui sortait de la bouche du ninja. Dans un dernier élan de résistance, Goto tenta de le frapper d’un crochet du gauche. Nouveau craquement sinistre, nouvel impact contre le mur. Suffisamment puissant pour lui faire mal, mais pas assez pour lui faire perdre connaissance. Des étoiles dansaient devant ses yeux alors que la douleur irradiait presque autant que sa peur. Tout se passait si vite, il ne voyait même pas les mouvements qui provoquaient sa souffrance.

  • Tu ne te rends pas compte d’à quel point tu me simplifies les choses, susurra le jeune homme aux cheveux bleus à son oreille telle une confidence, en posant une main sur son épaule.

 Le trentenaire trembla. Dans un autre contexte, son bourreau aurait eu l’air innocent et candide. Ici son large sourire était terrorisant. Goto supplia du regard son assaillant d’arrêter, étrangement incapable de le formuler. Son effroi empira encore drastiquement. La peau du shinobi qui le maintenait contre le mur se nécrosait et chutait par terre, pleine de vers. Très rapidement suivie des organes.

  • Je t’avais prévenu, nous allons seulement commencer à nous amuser toi et moi.

 La voix d’outre-tombe fut la goutte d’eau de trop, alors que Goto se mettait à hurler de tous ses poumons. Aucun son ne sortit, alors que les larmes coulaient le long de son visage creusé. Il cru perdre connaissance alors que l’horrible créature le serrait à la gorge avant de le plaquer contre un mur. Ce luxe ne lui fut pas offert, alors que l’infernal monstre l’emmenait dans une maison juste derrière eux en éclatant d’un effroyable rire.

***

 La torture du dénommé Goto ne dura pas longtemps. En seulement une dizaine de minutes, il fut prêt à avouer à Izul tout ce qu’elle voulait savoir, dès que Sarouh fut hors de vue. Assis sur un toit, Chiraku, Cacaunoy et Tokri l’entouraient. Le Mizu avait rejoint Cacaunoy dès qu’il avait pu mais aucune parole n'avait été échangé jusque-là. Tous les coéquipiers de fortune du Tsumyo gardaient le silence en attendant le retour de l’azurée. Gomaki et Mutika avait sécurisé l’endroit où l’interrogatoire avait eu lieu. Guidé par la radio, le Gensouard avait pu opportunément s’en donner à cœur joie, à l’abri des regards des civils comme de ses alliés.

  • Tu ne l’as pas raté, fit Chiraku, brisant le silence pesant qui s’était abattu.
  • Il ne méritait pas que je me retienne. Je peux faire bien pire.

 Les yeux émeraudes se plantèrent dans ceux de l’héritier des Mizu. La menace voilée ne lui échappa pas. La colère s’invita enfin chez le détendu Chuunin. Les seules fois où Sarouh l’avait vu s’énerver, c’était lorsqu’il se sentait menacé. La main de Cacaunoy se posa sur son épaule, le calmant immédiatement.

  • Tokri, j’ai à te parler de quelque chose, tu veux bien me suivre ? demanda Sarouh, ignorant désormais ses deux compatriotes.

 Sans rien dire, le Chikarate le suivit, alors qu’il sautait du toit du bâtiment pour atterrir silencieusement sur le sol sablonneux. Lorsqu’ils furent suffisamment à l’écart, le Tsumyo se retourna, cachant le côté droit de son visage de sa main.

  • Est-ce que par hasard, cela correspond à ce que tu as vu ?

 Il retira sa main, laissant place à un œil de serpent à l’iris dorée, cerclée de marron.

  • C’est exactement ça. C’est une mauvaise nouvelle ?
  • Je ne sais pas encore, répondit le Gensouard dans un soupir.

 L’Utak lui posa une main dans le dos, renouvelant son soutien silencieusement, avant de repartir vers Gomaki et le reste de l’équipe.

  • Concentre-toi sur la mission. Nous réglerons ça tous ensemble en revenant à Chikara, déclara le Genin sans se retourner.

 Dans les ténèbres, Sarouh s’autorisa un sourire, touché. Il était temps de voir le résultat de son travail avec son nouvel ami, la suite des événements promettait d’être intéressante.

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