Épisode 14 - Une nuit spéciale

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 Sarouh s’étirait, face à son adversaire. La tension du combat était palpable, le silence régnait en maître sur le promontoire. Depuis l’affrontement entre le Gensouard et le binôme de choc de Chikara, le Tsumyo n’avait plus été soumis aux simulations. Il sentait le regard attentif de l’Utak sur lui. A l’évidence, le chef d’équipe ne voulait pas rater une miette de ce qui allait se passer. A ses côtés, l’Hynomori cachait mal sa curiosité. Sans s’en rendre compte, les deux Genins s’étaient quasiment collés sur les gradins improvisés, amélioration apportée par le Jounin avec l’aide de Mutika qui s’était installé tout en haut de son édifice improvisé.

 Izul Leïl se mit en position face au Gensouard. Les deux stratèges face à face, ce combat était attendu. Même si le Chuunin était donné gagnant, il était facile d’imaginer les deux adolescents sur un pied d’égalité. Deux utilisateurs de Suiton, adeptes du combat mi-distance et du contrôle du Chakra, il allait être intéressant de voir de quelle manière Sarouh allait prendre le dessus. Tous se demandaient également comment son adversaire allait tenir la pression du Chuunin en duel.

 Le vent souffla sur le promontoire, agitant les vêtements des deux shinobis. Séparés de plusieurs mètres, visage fermés et en position de combat, la tension était palpable. Le Jounin entre les deux protagonistes lâcha une pierre. Dès qu’elle toucha le sol, Izul lança deux sembons vers son aîné. Sans sortir Aura, Sarouh esquiva d’une torsion des épaules, prêt à recevoir la suite. Immédiatement, la jeune femme composa une succession de mudras, créant un clone, avant de fondre au corps à corps.

 Toujours sur la défensive, le Chuunin para un coup de genou sauté, accompagnant la kunoichi d’un coup de la paume dans le dos, avant d’esquiver d’un salto l’attaque de son double. Utilisant le gyo, son adversaire semblait déterminé à appuyer sur ses faiblesses. Le tourbillon de cobalt et d’azur continua un moment, semblant être coincé dans un statut quo, aucun des deux protagonistes n’étant désireux d’utiliser plus de ressources. Les coups ratés projetaient des roches brisées et du sable avec fracas.

 Finalement, Sarouh trouva une opportunité. Il évita une charge mal calculée de son adversaire et se servit de son élan pour l’envoyer sur le clone avec force. La kunoichi atterrit en un roulé-boulé disgracieux dans le sable. Elle se releva en s’époussetant doucement, en adressant une moue boudeuse au Chuunin. Sarouh ne put profiter de son avantage, attendri. Ce qui ne manqua pas de générer un concert de réactions déconcertées chez les spectateurs.

  • C’est pas vrai, maugréa Tokri en se pinçant le nez entre le pouce et l’index.
  • Je me disais bien aussi, que c’était trop beau, soupira Nika à ses côtés, avant de poser sa tête sur son poing droit, en souriant.

 Izul pointa la lame encore à la ceinture du Chuunin de l’index, ignorant ses camarades :

  • Tu ne comptes vraiment pas t’en servir ?
  • Force moi.

 Un sourire joueur se dessina sur le visage de la Genin qui se remit en position en soufflant doucement, remettant de la main droite une mèche rebelle. Sarouh en fit de même, gagné par l’euphorie. De nouveau Izul lui fonça dessus, beaucoup plus en maîtrise que son assaut précédent. D’anciennes sensations revenaient au Tsumyo qui enchainait coups circulaires et parades du plat de la main. Les feintes et coups de pieds sautés ne trouvèrent pas leurs cibles, ils se battaient sans se toucher. II n’y avait ni déséquilibre ni trêve, le combat respirait paisiblement au rythme de leurs échanges.

 Pourtant personne ne les interrompit, alors que les deux duellistes souriaient sans plus y faire attention jusqu’aux oreilles. Sarouh évita une succession rapide de coups aériens risqués sans les punir, avant de projeter la Genin avec ses jambes. Se servant de son nouvel élan, la kunoichi lui envoya des étoiles d’aciers, la tête renversée, que le Chuunin esquiva en roue, se retrouvant avec agilité devant l’azurée.

  • On a compris, trancha finalement Mutika sans colère. Si les tourtereaux veulent bien accélérer, qu’on passe aux vrais combats…
  • Je pensais pas dire ça un jour, mais je suis d’accord avec toi, ajouta Nika, un peu gênée par la situation.

 Tokri n’en rajouta curieusement pas une couche. Sarouh le nota avec plaisir, étant donné qu’il aurait pu mettre fin à l’affrontement, de la même manière que Gomaki, en sa qualité de chef. Il ne put voir son expression, mais le Chuunin se promit mentalement de le remercier quand il en aurait l’occasion.

 Le ballet aérien continua de longues secondes qui semblèrent s’étirer bien plus pour les spectateurs embarassés. Repoussée dans les airs par un coup de pied, Izul décida finalement de passer à la vitesse supérieure. Elle composa des mudras que Sarouh ne reconnut pas, le mettant immédiatement sur la défensive. Sous-estimer sa pupille, même dans le cadre du jeu, serait une erreur fatale. Deux lianes d’eau se formèrent au dessus des épaules de la Genin, avant de se mettre à frapper de manière hystérique la position du Chuunin, soulevant des nuages de poussière. La puissance des impacts ne laissaient aucun doute sur ce qui arriverait en cas d’erreur de jugement. Sarouh évitait chaque coup, mais ne trouvait pas de fenêtre pour sortir de la zone d’impact, constamment mitraillé par les fouets aqueux de la Leïl. Alors qu’il évitait de justesse de finir écrasé contre le sol, trois étoiles d’aciers foncèrent vers sa poitrine de la droite.

 Dans le chaos, il avait perdu de vue la position de son adversaire. Par réflexe, il dégaina Aura et renvoya les projectiles. Cela lui donna le temps nécessaire pour trouver et fondre sur sa cible. Se souvenant qui il affrontait, il trancha en deux sans hésiter une Izul exagérément surprise par sa percée. Il se retourna juste à temps pour parer le kunaï de la Leïl, dissimulée dans le sable. Le Chuunin ne put s’empêcher de sourire. Il aurait pu avoir cette même stratégie à sa place. Pourtant, il ne lut aucune déception quand il désarma la shinobi d’un revers. Il la déséquilibra d’un mouvement de l’épaule et l’accompagna au sol d’une inutile prévenance.

 Il y eut l’habituelle seconde blanche qui suivait la prise de conscience de la défaite. Mais plongés dans les yeux l’un de l’autre, elle avait une toute autre saveur pour les adolescents accolés dans le sable chaud. Izul remit une mèche en détournant le regard, faisant exploser le cœur du Tsumyo.

  • J’ai gagné, murmura la kunoichi.

Sarouh ne put la contredire, trop absorbé à admirer le visage de la gagnante étendue devant lui.

  • On en a assez vu, conclut finalement Gomaki, qui ne semblait nullement exaspéré par la situation.

 Penauds les duellistes se relevèrent, prenant lentement conscience du spectacle qu’ils venaient de donner sans réussir à s’en vouloir pour autant. Tirant Izul hors du sable, Sarouh se gratta l’arrière du crâne de l’autre main, jetant un regard gêné vers les gradins. Nika lui rendit un sourire moqueur, bizarrement accompagné d’un Mutika goguenard. L’expression de Tokri était dure et le Chuunin ne sut la lire. Il lui adressa un signe de tête, muet remerciement de lui avoir laissé ce moment.

  • Tsumyo, tu aurais une minute pendant que Kiame affronte Nika ? demanda le Jounin, le sortant de ses rêveries.

 Difficile de ne pas voir où il voulait en venir. Contrit, Sarouh le suivit à l’écart du terrain, alors que Nika défaisait lentement les bandes emprisonnant un Kukoro flambant neuf. Son adversaire s’était mis en position, le regard dur et l’expression concentrée. Le Gensouard apprécia ce qu’il y vit, avant de se tourner vers son aîné, une cigarette déjà allumée à la bouche. Il lui adressa un petit sourire.

  • Honnêtement Tsumyo, qu’est-ce que tu en penses ? demanda–t-il en indiquant d’un geste du menton son cadet.
  • Je trouve ça honteux qu’une ressource aussi manifestement douée et volontaire ait été tenue à l’écart. Il est encore un peu tôt pour que je juge l’individu, mais les changements immédiats sont prometteurs.

 Le Jounin opina du chef, d’accord dans l’ensemble avec les propos de son homologue Gensouard. Il ne sembla pas remettre en question son propos sous couvert de flatterie et Sarouh put même lire dans son expression un soulagement discret. Gomaki faisait confiance à son jugement, au moins à ce sujet. Expirant lentement un nouveau trait de fumée, il entama la conversation qu’il désirait réellement avoir avec lui :

  • J’ai eu des nouvelles concernant les conséquences de notre passage à Nikidami. Sans rentrer dans les détails, je sais que nous allons très bientôt être mobilisés. Il est temps que tu te reposes.
  • Est-ce que vous avez des informations quant à la nature de la mission ou l’effectif mobilisé ?
  • Seulement que c’est pour bientôt et que Gensou nous prêtera main forte, répondit le Jounin en projetant sa cigarette dans les airs.
  • Et Mahou ?

 Gomaki lui répondit d’un non de la tête. Sarouh s’attaqua férocement à son pouce, ne cherchant même pas à cacher son inquiétude pour une fois. Il était aisé de deviner à quoi il pensait de toute façon. Le mutisme de la Feuille, bien qu’habituel était inquiétant dans le contexte. Ils auraient pu dépêcher une ressource, au moins pour faire patte blanche, ragea intérieurement le Chuunin. Cela allait de nouveau tout compliquer.

  • Je comprends ton trouble, mais c’est un problème pour le futur. J’aurais besoin que tu sois à fond pour la mission et que tu t’assures de la cohabitation au sein de notre équipe avant que nous partions.
  • Qu’est-ce que vous voulez dire ? demanda Sarouh, devinant dans quelle direction la conversation allait finalement.
  • Izul. Vous n’avez pas caché votre affection mutuelle. Je ne la condamne pas comme tu t’y attendrais sûrement. Mais je me dois de te rappeler ton devoir.

 Sarouh se retint de siffler d’exaspération. Il savait tout ça. Était-ce si difficile de le laisser gérer la situation ? Il souffla doucement du nez, laissant passer la vague d’irritation. Il se reprit, bien conscient des dilemmes moraux du Jounin.

  • Je ne laisserai pas mon affection pour votre élève poser problème en mission.
  • Tu es bien sûr de toi. Je m’inquiète pour toi également, tu sais.
  • Je suis un shinobi. J’accomplirai ce que l’on attend de moi. Pour autant…

 Le Tsumyo laissa la phrase en suspend, bien incapable de la terminer. Il voulait simplement vivre ce qui se présentait à lui avant son retour à la Cascade. Où était le mal à ça ? Il ne ferait pas d’histoires, Izul non plus. Alors pourquoi semblaient-ils tous aussi déterminés à se mettre comme ça entre eux, soit-disant pour leur bien ? Le Jounin fit de nouveau non de la tête, voyant les flammes se rallumer dans le regard émeraude du Chuunin. D’un mouvement de la main, il invita Sarouh à s’asseoir à ses côtés, leur marche les ayant amené à un banc de pierre.

  • Je ne doute pas de toi comme Chuunin. Tu es compétent, bienveillant, intelligent et professionnel. Nous nous en sommes tous rendus compte.

 La vague de compliments prit Sarouh par surprise. Il n’était pas habitué à ce genre de remarques, encore moins à la sincérité qu’il sentait chez le Jounin. L’air triste qui accompagnait le puissant trentenaire ne faisait qu’ajouter du poids à ses paroles.

  • Mais ? demanda le Gensouard d’une voix qu’il désirait désespérément neutre.
  • Mais tu ne sais jamais à quel point une situation peut évoluer. Je te recommanderais d’attendre avant d’aller plus loin avec mon élève. Ne vous surestimez pas.

 Sarouh chercha le regard de Gomaki avec insistance. Il arrivait aux limites des conseils qu’il pouvait donner. Il savait quelque chose. Sur Izul ? Pas que. Le Jounin avait parfaitement conscience qu’il avait compris. mais ne décrocha pas un mot de plus. Ils restèrent ainsi silencieux quelques secondes, le temps que le Gensouard assimile les propos de son aîné. Il ne doutait plus du bon-vouloir de Gomaki, même s’il ne lui faisait pas encore entièrement confiance, il n’en était pas à remettre en cause ce qu’il disait. Cependant il refusait de changer ce qu’il avait prévu. Il assumerait les conséquences plus tard.

 Le Jounin soupira en propulsant sa seconde cigarette vers la poubelle. Il se redressa et toisa Sarouh avant de repartir vers le terrain d'entraînement.

  • J’espère que tu sais ce que tu fais.
  • Je gère.

 Sarouh lui sourit avant de se mettre à son niveau, dégageant autant de confiance qu’il en était capable. Ils arrivèrent face à un Kiame défait, tombé sur les fesses face à une marionnette qui pointait de bien inquiétantes lames vers lui. Nika, toute sourire, l'aida à se relever. Il accepta la main tendue par l’Hynomori.

 Izul, les voyant revenir lui adressa un sourire vaguement inquiet, auquel Sarouh répondit d’un signe de tête. Qu’elle ne s’inquiète pas. La kunoichi sembla comprendre le message et reprit sa discussion avec Mutika, qui adressa un clin d'œil au Tsumyo sans s’arrêter de parler avec l’azurée.

****

 Les simulations se succédèrent sans incident. Comprenant que les combats reprendraient bientôt, le Gensouard prêta une attention toute particulière aux affrontements qui suivirent, aux côtés d’Izul et de Gomaki. Il fallait d’urgence combler toute faille alarmante.

 Cependant, le groupe s’avéra satisfaisant. Content de ce qu’il voyait, le Jounin commença à anticiper les différentes combinaisons d’équipe qu’ils pourraient adopter. Le changement de dynamique n’échappa à personne, mais ils ne posèrent pas de questions. Les tentatives répétées de l’azurée et Nika pour essayer de récupérer des informations s’étant soldées par des échecs cuisants, le groupe avait enfin appris à attendre que Gomaki explique de lui-même.

 Sarouh de son côté n’avait été convoqué qu’une fois par le Q.G depuis qu’il avait été assigné à cette mission pour renouveler le voeu d’une collaboration durable entre Chikara et Gensou dans le cadre de la résolution de cette situation, ainsi que pour lui indiquer que la Cascade comptait bien le laisser lui spécifiquement gérer cette situation.

 S’il aurait pu en être honoré, le Tsumyo avait vu ça d’un tout autre regard. Mais il avait enfoui son pessimisme pour au fond de lui et gardait le silence auprès du groupe. Au milieu de la crise Leïl, c’était le cadet des soucis des Chikarates. Même s’il était plus proche d’eux, il manquait au Gensouard quelqu’un avec qui il pourrait échanger sans arrière pensée. Mais cette lancinante lacune était balayée par chaque sourire d’Izul, lui permettant de prendre sur lui.

 La journée s’écoula paisiblement, l’entraînement se relâcha un peu. Il fallait inclure Kiame le plus possible à l’unité, sur tous les plans. Privée de leur première journée habituelle de repos, l’équipe Myo marquait la fatigue, l’objectif n’était pas d’arriver à l’épuisement généralisé. Finalement, alors que le soleil commençait seulement à baisser dans le ciel, Gomaki déclara la fin de la session. Tous accueillirent sa décision avec soulagement.

 Les Genins se dispersèrent, laissant le duo aux cheveux bleus bons derniers sur le promontoire. Sarouh se passa la main dans les cheveux, avant de proposer la suite des évènements à l’attentive disciple.

  • On se lave, je vais chercher des boissons fraiches et on se rejoint en face ? demanda-t-il en montrant la montagne jumelle d’un signe de tête.
  • Ca me va. Mais pourquoi en face ?
  • Tu verras bien ! On se retrouve en bas.

 Et Sarouh se jeta dans le vide.

 *****

 Le Chunnin ne fit jamais aussi rapidement le chemin jusqu’à la caserne. Lancé à pleine vitesse, il se laissa griser par l’effort, l'excitation et le vent qui sifflait dans ses oreilles. Après une douche sommaire mais efficace, Sarouh opta pour une chemise légère et un pantalon de toile. Si les coupes et les couleurs laissaient à désirer, le ninja n’avait malheureusement pas un choix infini.

 Il fut bien peu de temps après au pied de la montagne au pied de laquelle il s’était juré de réussir sa mission. Le soleil déclinant révéla finalement Izul au loin, une dizaine de minutes plus tard. Un yukata noir ceintré mettait en valeur le corps athlétique de la Leïl, faisant ressortir le vert de ses yeux et l’azur de ses cheveux coiffés en un chignon élaboré. La distance permit au Gensouard de reprendre sa contenance, la silhouette illuminée de son rendez-vous le subjuguant totalement.

  • Comment tu me trouves, interrogea-t-elle avec un large sourire, lorsqu’elle arriva à ses côtés.
  • A couper le souffle, murmura le Gensouard.
  • C’était le minimum, fanfaronna la kunoichi en tournant sur elle-même, faisant virevolter le tissu, satisfaite de son effet.
  • J’espère que mon petit spectacle te semblera à la hauteur de tes efforts.

 Sans parler beaucoup plus, il l’emmena à l’arrière, passant par une succession de sentiers mal indiqués mais sûrs, que la kunoichi pu suivre malgré le manque d’élasticité de sa tenue. La marche dura une petite demi-heure dans le silence, ponctué d’aides sommaires et de petits sourires, vérifiant que l’azurée le suivait sans problème. Le Gensouard était assez à l’aise sur ces chemins qu'il avait prit l'habitude de fréquenter. Il s'était empressé de revenir ici Chuunin, ravivant ses souvenirs d'enfant.

 Continuant à progresser vers le sommet, Sarouh brisa le silence, sans se tourner vers l'azurée.

  • Félicitations pour ton combat. Tu as réussi à mettre au point un jutsu en parallèle de ce qu'on travaillait.
  • J'étais décidée à te surprendre. Tu n'es pas le seul à faire des cachotteries. Mais je n'y serais sûrement pas parvenue sans toi.
  • C'était gagné.
  • J'aurais aimé te mettre un peu plus en difficulté, tout de même, souffla Izul avec une moue boudeuse.
  • Je suis satisfait en ce qui me concerne.

 Il lui adressa un sourire lumineux, facilita le passage à un amas rocheux escarpé, avant d'hisser la kunoichi sur le plateau supérieur en lui faisant la courte échelle. Les deux ninjas progressaient sans se concerter, simplement.

  • Le contraire m’aurait étonnée. Aurais-je la chance de savoir sur quoi tu travaillais ?
  • J’espère que tu n’auras jamais l’occasion de le voir. Mais un secret à la fois, veux-tu ?

 La Genin sourit de plus belle, sa curiosité titillée comme jamais. Izul était bien consciente qu’il s’agissait là d’une forme de privilège et ne poussa pas son interrogatoire plus loin. Le silence ne gênait pas le duo plus que ça. L’un comme l’autre se satisfaisait de la beauté de l’endroit, du soleil couchant et de leur présence mutuelle. Sarouh ne put s’empêcher de se faire la réflexion d’à quel point tout avait toujours été simple avec l’azurée, comme si leurs dialogues étaient écrits à l’avance. Même pendant sa parenthèse de détresse, la jeune femme ne lui avait jamais directement imposé ses états d’âme. L’essentiel de ce qu’il avait ressenti venait de ce qui était ressassé seul, enfermé dans sa tête.

 Sur ces pensées, le Chuunin arriva finalement à destination. Comme toujours, du haut du promontoire, Chikara était magnifique, sous le ciel bleu profond annonciateur de la nuit. Les étoiles les plus brillantes étaient déjà visibles, alors que le soleil s’était endormi pendant l'ascension.

  • Alors, interrogea une Izul impatiente, les deux mains derrière le dos, que voulais-tu me montrer ?
  • Prends une canette déjà. Nous ne sommes pas pressés. Oh, regarde pourquoi nous sommes sur ce promontoire ci.

 Le Chuunin lui pointa le ciel, où la pleine Lune se montrait déjà. A cette période de l’année, elle était particulièrement visible. Sarouh avait toujours pensé que cet astre était bienveillant, reflétant une douce et maternelle lumière dans les nuits trop dures, trop solitaires.

 Assis les pieds dans le vide, il sentit avec plaisir Izul s'asseoir contre lui, leurs jambes en contact face au panorama nocturne. La kunoichi s’était servi une boisson sans alcool et lui en tendit une. La chaleur de son corps le troubla un peu, avant de l’apaiser. La température en chute libre dans le désert n’y était pour rien. La contemplation récompensait le duo qui resta ainsi une dizaine de minutes, terminant leur boisson.

 Sarouh admira finalement le visage de l’azurée levé vers le plafond nocturne. Ses yeux brillaient à la lumière sélène, son éternelle mèche de cheveux rebelle retombant sur son visage malgré sa coiffure élaborée. Il mit fin au silence avant que son observation ne le rende gênant.

  • Même si la Lune est magnifique ce soir, il y a autre chose que je voulais te montrer.
  • Il était temps !
  • Donne ta main, je vais en avoir besoin.

 Curieuse, Izul s’exécuta. En réalité, Sarouh pouvait s’en passer pour le tour qu’il lui préparait. Il commença à malaxer une quantité importante de Chakra, fermant les yeux pour faciliter sa concentration.

  • Je ne sais pas ce qui t’es arrivée et je ne veux pas te forcer à en parler. Par contre, je voulais te faire un présent, pour aider un peu.

 Il déploya son aura autour de lui via un ren puissant qui conserva les douces couleurs du saphir, avant de commencer à déployer une illusion complexe autour d’eux. Une forêt tropicale commença à pousser et bientôt ils furent entourés de plantes odorantes aux couleurs vives, une arche d’arbres se forma comme pour les protéger. Devant eux, une cascade prit vie sous les yeux éberlués de l’azurée.

 Sarouh se doutait qu’elle avait eu peu de fois l’occasion de quitter le désert et avait reproduit le jardin tropical idéal, grandeur nature. La quantité d’énergie que cela brûlait était stupéfiante, comme il pouvait s’y attendre.

  • Wow Sarouh, c’est magnifique…
  • Attends, ce n’est pas terminé, la coupa-t-il avec un sourire.

 Des explosions multicolores eurent alors lieu dans le ciel. Des étoiles violettes explosèrent en cascade, suivies de salves d’éclairs bleus et or. Izul resta bouche bée devant le spectacle sons et lumières, dans le jardin paradisiaque sur mesure qu’avait créé Sarouh pour eux. Il ne put cependant l'enchanter que quelques minutes. Il lui offrit un final grandiose, avant de laisser le silence s’abattre à nouveau sur le duo. Masquant sa fatigue, il relâcha sa prise sur la main de la kunoichi. Elle ne fit pas mine de la retirer.

  • Alors tu maîtrises cet aspect là aussi, finit-t-elle par chuchoter, comme inquiète à l’idée de casser la magie du moment, alors que l’image du désert revenait progressivement à la normale
  • Maîtriser est un grand mot. Mais je pourrais t’apprendre les bases. Le genjutsu non mental te siérait à merveille, affirma Sarouh sur le même ton.
  • Pourquoi donc ?
  • Parce que tu es brillante au combat et que tu sais apprécier le beau.

 Leurs regards se croisèrent longuement. Izul acceptait le compliment en silence et Sarouh la dévisageait en récompense de son effort. Leurs longues discussions sur le genjutsu lui avaient montré qu’ils partageaient les mêmes sensibilités académiques mais aussi poétiques. Le Chuunin s’était convaincu que sa vision du beau lui plairait. La lueur qui subsistait dans les prunelles grandes ouvertes de la kunoichi lui prouva qu’il ne s’était pas trompé.

  • J’aimerais beaucoup. Merci, je vois bien que tu t’es donné du mal.
  • Comment tu disais déjà ? C’était le minimum.

 Il lui tira la langue alors qu’ils éclataient doucement de rire dans le calme nocturne. Izul blottie contre lui réchauffait le Gensouard, alors qu’il plongeait dans le regard lumineux de la kunoichi. La Lune semblait s’être portée témoin de leur alchimie dans la fraîcheur nocturne. Comme hypnotisé, Sarouh ne pouvait plus détacher ses yeux de la belle azurée. Sous les étoiles, elle était plus magnifique que jamais et il ne s’était jamais senti aussi bien.

 Grisé par le moment, l’adolescent avança sa tête, mû par l’envie d’embrasser la jeune femme. Le vent souffla doucement, portant à lui les notes sucrées du parfum de la Genin. Il fut arrêté net en milieu de course, repoussé violemment des deux mains par Izul. Ses iris lumineuses quelques secondes auparavant tremblaient désormais de peur.

 Sarouh prit brusquement conscience de ce qui venait de se passer, alors que l’azurée se confondait en excuses, criant presque :

  • Je suis désolée, ne sois pas en colère je t’en prie, je suis vraiment désolée, je…

 Le Tsumyo ne prit pas la peine de réfléchir à ses sentiments heurtés. Il posa simplement sa main sur l’épaule de l’azurée, qui se recroquevilla et lui murmura :

  • Tout va bien. Je comprends. Je ne suis pas fâché.

 Il disait la vérité. Une émotion amère se diffusait en lui, mais ce n’était pas de la colère. Qu’est-ce qu’il avait bien pu espérer ? Évidemment qu’elle le repoussait. Quel comportement aurait-elle pu avoir ? Un filtre terne se glissa dans l’émeraude de ses yeux et dans le timbre de sa voix, subrepticement, alors que l’adolescente se calmait. A sa grande surprise elle resta blottie contre lui. Il fut un peu plus déçu encore qu’elle ait pu s’imaginer que son refus engendrerait de la violence.

 Le Chuunin essayait de contenir sa consternation et sa tristesse, mais elles le débordaient lentement. Il se sentit nul et effroyablement seul. Il ne méritait pas une fille comme elle, il le savait d’emblée, mais il aurait aimé avoir tort pour une fois. Il se rappela amèrement les conseils de Gomaki et l’avertissement qu’il avait évité de Nika. Peut-être eux avaient-ils vu ce qui lui avait échappé.

  • Ecoute, commença Izul, la voix peu assurée, je t’aime beaucoup mais…
  • Ne te fatigue pas, s’il te plait, coupa Sarouh.

 Il n’avait pas envie d’entendre la suite. La fatigue de son entraînement et de son impressionnante démonstration d’illusion environnementale lui tomba brusquement sur les épaules. Il se laissa tomber en arrière, s’allongeant pour regarder les étoiles. Soudain, Izul lui sembla très lointaine, à l’image de ces points brillant dans le firmament.

 La Leïl ne semblait pas savoir quoi faire. Une part d’elle cherchait son contact, l’autre voulait disparaître au loin. Donc elle resta là, silencieuse et hésitante. Finalement, le Tsumyo se redressa et lui afficha un pâle sourire.

  • Je crois que je t’aime. Je ne t'embarrasserai plus jamais avec mes sentiments et je ne veux pas te faire souffrir. Tout va bien ne t’en fais pas, je peux encaisser.

 La kunoichi semblait peu convaincu par ce qu’il disait, autant pour lui que pour elle, alors qu’il la redressait. Mais la douceur de ses gestes la rassérénait un peu. Le Tsumyo ne comprenait pas la violence de sa réaction, mais là ce qui importait, c’était de mettre fin à la douleur. Rangeant sa peine au fond de son être, il aida Izul à se relever et commença à montrer le chemin du retour, un sourire factice aux lèvres.

 Le silence du retour fut insupportable, alors qu’il verrouillait son cœur à double tour.

 “Les émotions sont les ennemis du shinobi” se répétait-il en boucle, ne prêtant attention à Izul que pour lui éviter la chute. Ils se séparèrent sans un mot ni un contact, contrits. Lorsque le Tsumyo arriva à la caserne, il avait rangé toutes ces désagréables sensations dans une boîte qu’il avait solidement cadenassée. Avec des gestes mécaniques, il se prépara à dormir d’un sommeil vide de rêve.

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