Épisode 9 - Malaise

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 Tout en chargeant son poing en Chakra, le jeune homme ne put s’empêcher d’admirer le savoir-faire des Hynomori. Face à lui trônait le nouveau Kokuro, dont il était difficile de deviner l’état pitoyable dans lequel il se trouvait deux semaines auparavant. Son torse avait été renforcé par l’alliage métallique dont la préparation était un secret du clan marionnettiste. Le visage du pantin comme ses membres était à présent protégé, en particulier ses articulations. Comme prévu par Nika, les renforts ne freinaient en rien les mouvements de Kokuro, suffisamment souple pour rester rapide tout en offrant une meilleure résistance.

 Malgré l’insistance de son amie, l’Utak hésitait à frapper le pantin. Le Genin avait grandement amélioré son gyo depuis la formation de l’équipe, plus encore grâce aux sessions de méditation de la dernière semaine.

— Qu’est ce que tu attends ? la pressa Nika.

— Je m’en voudrais de briser ton travail, s’excusa presque Tokri.

— Quelle prétention, répliqua Nika sur le ton de la taquinerie. Si tu l’abimes, cela signifie que je dois améliorer l’armature. N’hésite pas !

 Le Chikarate obéit à son amie et frappa Kokuro du plat de la main, en jaugeant toutefois sa force pour ne pas se blesser. Le gyo renforçait ce que son corps pouvait endurer, mais même les aptitudes surhumaines qu’offrait le Chakra avait ses limites.

 La frappe résonna tel un gong qui fit reculer le pantin de quelques centimètres. Kokuro ne broncha pas davantage et Tokri souffla de soulagement en constatant que la protection avait tenu. Aucune égratignure apparente sur le torse de la marionnette. L’Utak croisa le regard ravi de son amie, ses adorables pommettes mises en valeur par un large sourire de satisfaction. Leur travail avait payé.

 Nika fit revenir le pantin vers elle avant de le ranger dans sa bâche.

— Parfait, conclut-elle.

— Ma force de frappe n’est pas aussi grande que celle du monstre de Nikidami, le prévint toutefois son chef d’équipe.

— Je sais, la rassura-t-elle. Mais si Kokuro avait eu cette armature, il ne se serait pas retrouvé en morceaux en plein combat. Je minimise mon impuissance potentielle pour la prochaine fois.

 Tokri soupira en lui adressa un regard de semi-reproche.

— Tu n’étais pas impuissante. Ton Katon nous a bien aidé.

— Pas autant que ta force et l’esprit stratégique d’Izul, sembla-t-elle regretter. Bref.

 Nika venait de clôturer ce sujet. L’Utak décroisa les bras et mit les mains dans ses poches. En tant que chef d’unité, il se devait d’être patient. La kunoichi gagnait en confiance au fil du temps, de par ses succès tant durant les entraînements que sur le terrain. Il savait que l’estime que lui accordaient ses partenaires contribuait grandement à ses progrès. Inutile de la presser alors que le temps allait naturellement faire son œuvre. De plus, une affaire plus urgente était en haut de ses priorités.

— As-tu revu Izul depuis hier ? lui demanda Tokri.

 Nika se pinça une lèvre. L’Utak eut l’impression qu’elle avait mis les derniers évènements dans un coin de sa tête et qu’il venait de les faire ressurgir sans crier gare.

— Non, murmura-t-elle après avoir marqué un temps de réflexion. Elle ne m’a pas contacté.

— Je vois, soupira Tokri. Et comment vont les autres ? Je n’ai revu que toi depuis la simulation de combat.

 Durant une fraction de seconde, le Genin eut le sentiment que sa partenaire allait lui intimer d’aller prendre de leurs nouvelles par lui-même. Se rappelant certainement de son grade au sein de l’équipe, ou uniquement de par son tempérament réservée, elle répondit finalement :

— Mutika cherche à comprendre. Il pense que Izul était sincère quand elle lui a dit ne pas lui en vouloir. Mais il ne peut s’empêcher de se sentir fautif. Quant à Sarouh…

— Oui ? l’encouragea l’Utak en sentant son hésitation.

— Ça le perturbe, soupira-t-elle. On ne se connait pas assez pour qu’il me confie les raisons, mais ça crève les yeux.

 Le visage de Tokri se tordit en une moue perplexe. Il avait assez à faire avec les Chikarates pour ne pas avoir en plus à gérer les apitoiements des effectifs des autres Villages. Les paroles de Gomaki lui revinrent à l’esprit, concernant le probable passif du Tsumyo et des liens d’amitié nécessaires pour consolider la paix. Il lui fallait traiter le Gensouard comme un membre de l’équipe à part entière, du moins pour le moment.

— Pas étonnant que ça l’impacte. Ils se sont rapprochés tous les deux.

— C’est au-delà de cela. J’ai eu le sentiment que cela faisait remonter quelque chose en lui.

— C'est à dire ?

 Nika se mordit une lèvre et sembla hésiter. Avait-elle le sentiment de trahir le Tsumyo en lui livrant ces quelques informations ? Sa confiance en Tokri prit finalement le dessus.

— Il a longtemps été seul. J’ignore à quel degré de solitude il a vécu son enfance.

— Je vois, marmonna Tokri, comme pour graver les informations en sa mémoire. Merci Nika, cela me sera utile pour les jours à venir.

 Il se frotta les yeux du pouce et de l’index, en pleine réflexion. Une enfance triste et solitaire, encore. A croire qu’il s’agissait d’un modèle d’éducation du Yuukan. Dans son cas personnel, le traumatisme de la mort de Lila l’avait isolé des autres enfants. Il savait que Nika avait été ostracisé durant de longues années, Mutika n’avait pas osé pas se lier à autrui, paralysé par l’emprise oppressante de sa mère. L’Utak se demanda un court instant quelle forme de tristesse avait ponctué l’enfance de Izul. Le tableau serait ainsi complet…

 Sans transition, Tokri souhaita une bonne journée à son amie et prit le chemin de la sortie du domaine des Hynomori. A peine eut-il fait quelques pas que Nika l’interpella dans son dos :

— Que comptes-tu faire ? demanda-t-elle, quelque peu inquiète.

— Au mieux.

****

 La bourrasque de vent fit vibrer le mannequin d'entraînement. Le Kyouffu de Tokri avait gagné quelques centimètres de portée depuis son combat contre Sarouh. Un maigre progrès pour l’impatient Utak.

 Tokri commença à composer une seconde fois les mudras lorsqu’une voix vaguement familière l’interpella dans son dos :

— Tu manipules l’air ambiant. Pas mal.

 Le Genin se tourna vers le nouvel arrivant. Légèrement plus grand que l’Utak pour une carrure équivalente, un jeune homme aux cheveux châtains ébouriffés qui tombaient au niveau de la nuque lui adressait un petit sourire. Sans comprendre pourquoi, son expression avait toujours agacé Tokri.

— Que me veux-tu, Tameiki ?

— Parait que tu as été affecté à une équipe, répondit le garçon. Ça se passe bien pour toi ?

 Typiquement le genre de phrases de l'énergumène qui avait le don de mettre à cran Tokri. L’intonation et son sourire naturellement moqueur faisaient qu’il était presque impossible de savoir si le shinobi était sérieux ou sarcastique. Durant ses études, Keitaro Tameiki avait fait les frais de cet aspect de sa personnalité, tant auprès de ses camarades que de ses professeurs.

— Eclaire-moi, le questionna froidement Tokri. Cela te concerne ?

 Keitaro sembla gêné de devoir se justifier. Il se gratta l’arrière de la tête en affichant une moue boudeuse :

— En un sens, totalement. Le Village ne m’a toujours pas attribué de sensei. L’essentiel des effectifs est en mission m’a t-on dit.

 Tokri resta impassible et n’afficha pas son scepticisme. On lui avait également servi cette excuse pour justifier le retard de son affectation. Mais il peinait à imaginer que Chikara était assez mal organisé pour ne pas parvenir à équilibrer son armée entre les missions et les besoins en formation des aspirants. L’Utak avait le sentiment persistant qu’on leur cachait quelque chose.

— Le Village m’en a enfin trouvé un, continua Keitaro. Un gars qui vient d’être nommé Chuunin. C’est toujours mieux que rien.

— Je ne vois toujours pas en quoi cela me regarde, soupira Tokri.

 Le sourire de Keitaro s’élargit. Son interlocuteur ne parvenait toujours pas à déterminer si sa volonté était d’être avenant ou moqueur.

— C’est simple, répondit-il sur le ton de l’évidence. Cela fait presque trois mois que je m'entraîne seul. J’aimerais jauger de mes progrès face à quelqu’un qui a suivi une vraie formation. Un petit échauffement avant d’attaquer les choses sérieuses si tu veux.

 Tokri soupira. Forcément. Il sentait venir depuis le début la demande de défi. Etait-ce une mode de se frapper entre Genins ?

— J’ai assez de simulation de combat avec mon équipe. Va te trouver quelqu’un d’autre.

— Mais…

— Dégage.

 En guise de conclusion, Tokri lui tourna le dos et commença à reprendre son entraînement. A peine eut-il composer quelques mudras qu’il sentit Keitaro foncer vers lui. L’adepte du taijutsu feinta ne rien avoir remarqué et se retourna au tout dernier moment pour frapper à l’estomac. Le souffle court, Keitaro ne put anticiper le coup de coude qui lui frappa la nuque pour l’envoyer contre le sable du terrain d'entraînement.

— Game over. Tire-toi maintenant.

— Pas encore, marmonna rageusement Keitaro.

 Il se releva, poing droit serré, qu'il envoya vers le visage de Tokri. Ce dernier ne bougea pas, attendant le bon moment pour le repousser. Tameiki ouvrit subitement la main pour lui envoyer du sable dans les yeux. Aveuglé, Tokri encaissa le poing gauche de son adversaire en plein visage.

— Salopard, maugréa l’Utak en reculant de quelques pas.

 Décidé à ne pas perdre son avantage, Keitaro enchaîna les frappes. Tokri en encaissa quelques-uns avant de se décider à étendre son Chakra autour de lui par le en. Durant sa séance d’espionnage d’Izul, il s’était exercé à cette pratique du Chakra qu’il n’avait pas encore abordé durant les entraînements de Gomaki. Grand bien lui faisait d’avoir estimé que prendre un peu d’avance ne lui ferait pas de mal.

 Malheureusement, le taijutsuka paya son manque d’expérience en la matière, perdant du Chakra tout en recevant plusieurs coups. Il restreignit ensuite le cercle de l’énergie invisible et commença à ressentir les mouvements de Keitaro, malgré sa cécité temporaire. L’Utak leva le bras et bloqua le plat de la main du Tameiki qui visait sa tempe.

— Quoi ? bafouilla Keitaro.

 Se reprenant rapidement, il enchaîna quelques attaques. Tokri reçut plusieurs assauts de plein fouet. Bien qu’il atténuait les impacts en se renforçant par le zetsu, le goût de sang commença à emplir sa bouche. A la stupéfaction de Keitaro, il parvenait toutefois à bloquer de plus en plus de frappes. Gagnant ainsi du temps, sa vue finit par lui revenir : d’abord floue, puis de plus en plus nettement jusqu’à parvenir à saisir les poignets de son compatriote.

 Furieux de ces multiples agressions, Tokri l’éjecta d’un puissant coup de pied en plein ventre. Keitaro fit un vol plané et heurta le mannequin d'entraînement avec une telle violence qu’il l’arracha. L’Utak cracha un filet de sang, puis fit quelques pas prudents vers son adversaire, bien décidé à ne pas le sous-estimer ou faire durer la confrontation plus que de raison.

 Tokri avait retenu les leçons de son combat contre Toshirô Okuggi.

 Keitaro lui lança un shuriken, qui fut aisément esquivé. Puis un autre, et ainsi de suite. Tokri dégaina un kunai et en para entre deux esquives, tout en pestant contre le sentiment de déjà-vu qui l’envahit. Il n’aimait pas ça et la nécessité d’en finir au plus vite lui apparaissait de plus en plus évidente. Bien vite, des kunais se mêlèrent aux shurikens.

 L’Utak fit un bond de côté pour éviter plusieurs projectiles, et vit se planter non loin de son point d’arrivée un projectile lié à un parchemin. Il ne tergiversa pas, percevant instantanément le danger. Le jeune homme prit appui de son pied gauche et bondit en arrière. Une fraction de seconde plus tard, le parchemin explosa, levant un amas de poussière. Le Genin ne put s’empêcher de constater que l’explosion était de faible intensité. L’objectif de Keitaro avait donc été de le sonner, et non pas de le tuer.

 Tokri expira de soulagement. Au moins n’était-il pas fou comme l’avait été Tôshirô.

 Keitaro surgit hors du nuage de poussière. Sa posture rappela à Tokri celle qui était la sienne lorsqu’il exécutait le Chikara Senpuu. Connaissait-il ce mouvement de taijutsu ? Quelque chose clochait toutefois. Keitaro était bien plus penché qu’il ne l’aurait dû, comme s’il s'apprêtait à frapper de haut en bas plutôt que de viser le visage.

 Obéissant à son instinct, l’Utak feinta une posture de parade. Le Tameiki abattit sa jambe pour générer un puissant trait de vent, qui confirma les soupçons de l’Utak. Ainsi était-il lui aussi Fuuton ! Le sourire victorieux de Keitaro s’effaça lorsque son jutsu frappa le mannequin d'entraînement précédemment arraché de ses gonds.

— Merde !

 Encore dans les airs, Keitaro se sentit vulnérable. A peine eut-il mis pied à terre qu’une douloureuse frappe contre sa cuisse le força à tomber à genoux. Le Genin sentit une main lui saisir les cheveux.

 La pointe froide et sans pitié d’une lame menaça sa gorge.

— Tu es mort.

 Nul ressentiment, ni émotion. Juste un fait énoncé. Comme Sarouh l’avait fait avec lui quelques semaines auparavant, Tokri relâcha sa proie et lui laissa le temps d’intégrer l’information. Bien qu’il n’éprouvait aucun sentiment envers Keitaro au-delà d’un léger agacement, l’Utak le prit en pitié devant son expression abattue. Il savait ce que cela faisait de sentir que ses efforts ne suffisaient pas pour atteindre ses objectifs. Mais une fois digéré le goût amer de la défaite viendrait le temps de rebondir.

 Toutefois, Tokri se surprit à ressentir une pointe de jubilation. Bien que craignant que les choses dégénèrent comme lors du duel qui avait tué Tôshirô, il était ravi de constater ses progrès face à un Genin de sa promotion tout en prenant une revanche métaphorique sur sa défaite contre le Tsumyo.

 Prostré à genou, Keitaro serrait les poings en fixant le sol sableux.

— J’ai eu l’aide d’un sensei et de compagnons pour progresser, lâcha Tokri à un Keitaro déprimé. Pour un gars qui s’est entraîné seul depuis sa promotion, tu te débrouilles bien.

— Si tu le dis…

— Je viens de le faire oui. Avec ton Chuunin, tu progresseras bien plus vite. A ta place, je me concentrerais sur le gyo.

 Tokri jeta un œil au terrain d'entraînement et jugea qu’il s’était assez entraîné pour un jour de repos. Il tourna le dos à Keitaro avec l’intention de rentrer chez lui avant de passer à sa mission du moment. Au bout de quelques pas, il ne put s’empêcher de lui lâcher un dernier encouragement :

— Rendez-vous à l’examen Chuunin pour le match retour.

****

 Sur le toit qui lui servait de point d’observation, l’Utak but une gorgée d’eau avant d’engloutir le reste de son casse-croûte, sans quitter la jeune femme aux cheveux d’azur du regard. Comme lors de la nuit précédente, Izul ne s’était absentée qu’à l’heure du repas. Assise en lotus, elle s’était contentée de lire le reste du temps.

 Tokri s’était habitué aux coups d'œil réguliers qu’elle jetait vers la porte de sa chambre, ainsi qu’à ses sursauts dont la source était hors de portée du jeune homme. Il savait que ces deux éléments étaient la clef du mystère Leïl. Mais de son toit, il ne pouvait qu’attendre que d’autres indices se présentent à lui.

 Izul releva une mèche qui lui gênait la vue, un geste que Tokri trouvait de plus en plus adorable. La jeune femme se mordit la lèvre inférieure, ce qui fit sourire son chef d’équipe. Un passage de son ouvrage sur le genjutsu lui posait manifestement quelques soucis. Elle soupira, faisant relever avec grace quelques mèches devant son nez, avant de se lever. Dos à l’espion, elle ouvrit son dressing, fit glisser ses vêtements le long de son corps, et enfila une nuisette.

 Cette scène sembla se dérouler au ralenti. Mutika avait raison. Izul Leïl était vraiment une très belle femme.

 Prenant conscience de ce qu’il était en train d’observer, le taijutsuka sentit ses joues rosir. Que lui prenait-il, à violer ainsi l’intimité de sa coéquipière ? Il était là pour comprendre la raison de son récent comportement, pas pour la voir se changer.

 La lumière de la chambre s’éteignit, comme pour signifier à Tokri qu’il n’en apprendrait pas davantage pour ce soir. Son enquête n’avait que peu avancé, n’offrant à l’Utak qu’un sentiment de malaise. Il se passa une main sur le visage comme pour se réveiller d’un rêve, puis se laissa glisser discrètement le long du mur pour rejoindre les rues de Chikara.

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