Épisode 7 - Pistage

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 Pris d’un bâillement, l’Utak se cacha derrière sa main. Il leva le bras que Sarouh avait saisi pour le projeter quelques heures plus tôt. Tout son corps était courbaturé par sa semaine de labeur et son combat de la matinée, mais ce membre était particulièrement endolori. Il s’enfonça plus profondément dans son siège, déterminé à exploiter chaque millimètre de confort, et se replongea dans sa lecture. Le jeune homme se rendait compte que ses moments d’évasion à la bibliothèque de Chikara lui avaient terriblement manqué.

 Tokri avait hésité à lire des romans légers pour se détendre, mais il avait finalement opté pour un exemplaire de “L’Histoire du Yuukan”. L’Utak connaissait par cœur le passé de son pays, mais il appréciait se les remémorer régulièrement.

 En des temps lointains n’existait qu’un unique Village du nom de Shinobi. Cette cité vécut plusieurs siècles d’âge d’or qui lui permit de développer les arts ninjas.

 En 850, Shinobi fut frappé par des scandales internes concernant la succession de son Kage, débouchant à une guerre civile entre les principaux clans souhaitant mettre l’un des leurs à la tête du Village. Pour mettre fin à la guerre, un concile composé des doyens de chaque parti finit par se mettre d’accord sur le nom d'un dirigeant.

 Ce choix ne convint pas à deux hommes : les frères Linoru et Shaoshi Satsuma. Ils furent ralliés dans leur rébellion par de nombreux dissidents. Grands noms du taijutsu, ils menèrent une exode pour fonder le premier Village indépendant de Shinobi, au beau milieu d'un immense désert : Chikara. Par la suite, les adeptes du ninjutsu et du genjutsu finirent par faire sécession pour fonder les deux autres Villages principaux du Yuukan : Mahou et Gensou.

 Plongé dans sa lecture, Tokri ne perçut qu’au dernier moment la personne qui se planta devant lui.

 — Sérieusement ? l’apostropha une voix familière.

 Le Genin leva la tête de sa lecture et eut la surprise de reconnaître Izul, mains crispées contre le livre serré contre elle. Elle avait renoué ses cheveux en deux queues de cheval qui descendaient le long de son dos. Malgré le regard furieux qu’elle lui adressait, Tokri ne put s’empêcher de se dire que ce style lui allait bien.

 — Oui ?

 — Que fais-tu ici ? lui demanda-t-elle froidement.

 Son ton accusateur piqua au vif l’Utak. Il pensait comprendre ce qu’elle s’imaginait, et ça ne lui plaisait vraiment pas. Il leva l’ouvrage qu’il tenait dans ses mains.

 — Je lis.

 — C’est cela, répliqua-t-elle, acerbe. Je ne te vois jamais ici d’habitude.

 Retenant la page où il s’était arrêté, Tokri ferma délicatement son livre et le posa dans un coin de son fauteuil. Il croisa également les bras et toisa froidement sa coéquipière.

 — Va au bout de ta pensée, Izul. Que t'imagines-tu ?

  La Leïl se mordit la lèvre. Le calme de Tokri la faisait douter, mais la coïncidence était bien trop grande à ses yeux pour qu’elle en soit une.

 — Je viens ici dès que possible, et je ne t’y ai jamais croisé. Tu veux me faire croire qu’il s’agit d’une coïncidence après ce matin ? Je te pensais du genre honnête, mais tu es comme les autres finalement ! Menteur, manipulateur et…

 — Jamais ? Tu en es sûre ? la coupa Tokri avant que ses reproches ne le sortent de ses gonds.

 Un silence tomba entre eux, que l’Utak accorda à la jeune femme pour se livrer à ses réflexions. Le jeune homme refusait de donner du grain à moudre à sa paranoïa et préférait miser sur l’intelligence d’Izul pour lui faire prendre conscience de son erreur. Jugeant qu’elle avait eu suffisamment de temps de préparation, il lui livra les faits :

 — Avant que je ne me décide il y a un an à devenir Genin, je venais pratiquement tous les jours. Quand je séchais, c’était plus discret que d’aller au centre de documentation de l'Académie. Moins de risque de me faire attraper par les professeurs.

 Izul semblait comprendre où il voulait en venir, mais n’était pas encore convaincu par son plaidoyer.

 — Et donc ?

 — Je t’apercevais souvent en fin de journée, lâcha t-il simplement.

 Le regard de Izul trahit le sentiment de culpabilité qui la saisit, tandis que sa bouche forma un petit “ah” de surprise. Soit elle n’avait jamais fait attention à la présence de Tokri, soit elle l'avait simplement oublié et quelques souvenirs étaient en train d’émerger. L’Utak aurait misé sur la seconde possibilité, croyant lire une forme de révélation dans son expression.

 Si tel était le cas, il ne lui en voulait pas. Ils avaient fait partie de la même promotion que l’année passée et n’était alors qu’un vague inconnu à mauvaise réputation pour elle. Lui-même n’avait cure de sa présence à cette époque.

 Peut-être se rappelait-elle qu'en dehors des arts ninjas, Tokri avait des notes plus que satisfaisantes ?

 — Pourquoi venais-tu ici plutôt qu’en cours ? demanda-t-elle, des soupçons toujours présents dans sa voix.

 — Je ne suis pas certain que la réponse te plaise.

 — Dis toujours, l'invita-t-elle en haussant les épaules.

 Tokri baissa le ton de sa voix. Il savait qu’il prenait un risque en confiant cela, d’autant plus par la réputation de son père auprès du QG. Il valait mieux éviter qu'une oreille indiscrète ne l'entende.

 — Pendant que vous subissiez le formatage de l’Académie…

 Il pointa son front du doigt.

 — … c’est ça que j’entrainais.

 Abasourdie, Izul écarquilla les yeux. Cette conversation allait de surprise en surprise.

 — Je vois.

 Elle le fixa droit dans les yeux. Soutenant le contact, l’Utak se perdit un court instant dans l’émeraude de ses iris. Il n’avait jamais remarqué jusque-là qu’elle possédait un si envoûtant regard. Semblant satisfaite de ce qu’elle y voyait, elle s'asseya dans le fauteuil à côté de celui de Tokri en soupirant de lassitude.

 — Désolé. Je n’aurai pas dû t’agresser ainsi.

 — Tant que tu n’en fais pas une habitude.

 Izul se pinça une lèvre, un geste que Tokri avait retenu comme témoignage de sa géne. Il jeta un œil au livre qu’elle tenait et vit qu’il s’agissait d’un manuel avancé sur le genjutsu.

 — Ça potasse même en repos ?

 Avec un sourire amusé, Izul jeta un œil à l’ouvrage que Tokri venait de placer sur ses genoux.

 — Je ne suis pas la seule. Passionné d’Histoire ?

 — J’apprécie savoir d’où je viens, répondit Tokri en lui rendant son sourire.

 Sa réponse semblait lui parler de par l’expression complice qu’elle lui lança. Izul s’étira, avant de se lever.

 — Je dois rentrer. Encore désolé, Tokri. Je vais essayer de prendre sur moi.

 — Repose-toi bien, lui conseilla l’Utak. Et si tu as besoin de parler, tu sais où me trouver.

 Elle lui adressa un sourire de remerciement, et quitta l’établissement. Le Genin médita sur la marche à suivre. Bien que cette possibilité lui avait effleuré l’esprit, la pister était une option qu’il avait rapidement rayée le matin-même. Sa réaction venait de remettre cette résolution en question. Izul était au-delà de la tristesse en frôlant ainsi la paranoïa. L’instinct de Tokri le poussait à tout tenter pour découvrir la cause de son malaise.

 Il se remémora les paroles de Gomaki concernant les failles que cachaient ses équipiers et sur la difficulté des missions qui les attendaient. Bien qu’il n’avait pas le droit de le leur dire clairement, tous avaient compris que le Jounin était en charge de l’enquête concernant le boost S. L’Utak se doutait que les Villages finiraient par faire appel à leur équipe sur cette affaire. En vue de la dangerosité de la substance, le jeune homme refusait de prendre le moindre risque. Au-delà de son inquiétude pour Izul, il en allait de la survie de ses amis.

 Il soupira, rangea son livre dans son sac, et se leva à contrecœur. Tokri quitta la bibliothèque, et prit la route pour se ravitailler dans la première boutique qui croisa son chemin. Il allait avoir besoin de réserves pour la longue attente qui l’attendait.

***

 Tokri but une gorgée d’eau, et se fit la réflexion que stationner sur un toit arrondi de Chikara n’allait pas être apaisant pour ses courbatures. Il jeta un œil au coin du rebord où il était caché. Il avait une bonne vue sur la chambre de Izul, où cette dernière était en train de lire son livre sur le genjutsu.

 La nuit venait de tomber. Tant qu’elle restera éveillée, le jeune homme avait décidé de continuer sa surveillance. Il avait pris garde à ne pas être en vue par qui que ce soit.

 Tokri avait noté un premier indice. Depuis qu’il avait pris position, la kunoichi ne s’était absentée de sa chambre que pour se nourrir. A son retour, il avait eu l’impression que ses yeux étaient embués de larmes, mais il émettait un doute de par la distance entre son toit et la chambre.

 Tandis que le Genin jouait avec le papier du sandwich qu’il venait de dévorer, il fut surpris de la voir sursauter tout en se tournant vers la porte de sa chambre. Elle sembla un temps attentive, avant de se relâcher. Tokri pensait qu’elle reprendrait sa lecture, mais elle posa au contraire son livre sur sa table de chevet. Assise dans son lit, sa tête tomba entre ses bras, coudes contre les rotules. Les lèvres de Tokri se pincèrent en la voyant agitée de soubresauts. Il n’eut pas besoin d’apercevoir son visage pour savoir qu’elle était en prise à une nouvelle crise de larmes.

 L’Utak enrageait. La vérité était toute proche, il le sentait.

 Izul redressa finalement la tête en séchant ses larmes du poignet. Elle se leva, se dirigea vers son armoire qu'elle ouvrit avant de retirer son tee shirt. Gêné, le cœur de l’Utak battit la chamade tandis qu’il se plaqua contre le toit tout en fermant les yeux. Une intense chaleur s’était répandue dans tout son corps. Il se frotta les yeux en s’insultant de divers titres péjoratifs. Comment avait-il pu ne pas se préparer à ce moment ? Espionner une femme chez elle et ne pas s’attendre à la voir se changer ?

 — Abruti, se marmonna-t-il honteusement à lui-même. T’es vraiment le roi des crétins, Utak.

 Tokri se risqua à jeter un œil, en croisant les doigts pour ne pas s’immiscer plus qu’il ne le souhaitait dans son intimité. Bien que restant rouge de honte, il soupira de soulagement en constatant qu’elle était en train de rejoindre son lit, nuisette enfilée. La jeune femme continuait à jeter des regards inquiets à la porte de sa chambre, avant d’éteindre la lumière.

 C’en était fini pour ce soir. L’Utak observa la ruelle et descendit discrètement lorsqu’aucun passant ne fut en vue. Il reprit la route jusque chez lui pour prendre enfin un vrai temps de repos.

 Il pesta de n’avoir pas mis le doigt sur la source du souci. Il lui faudrait réitérer l’opération le lendemain. Et aussi longtemps que nécessaire.

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