Épisode 6 - Crise

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 Bras croisés, Tokri observait Izul et Mutika prendre place dans l'arène. Par-dessus son épaule, la jeune femme lança un bref regard peinée à Sarouh qui le lui rendit tout aussi discrètement. Décidé à comprendre ce qu’il se passait avant que ça ne déteigne sur l’ensemble de l’équipe, l’échange n’échappa pas à l’Utak qui raya l’hypothèse d’une dispute de sa liste.

 Pour penser à autre chose qu’à son inquiétude vis-à-vis de l’état de la Leïl, Sarouh et Nika étaient en grande conversation post-combat. L’esprit déjà concentré sur les combattants, Tokri ne perçut que des bribes de félicitations réciproques.

 L’approche du combat jouant sur son mental, le regard de Izul semblait s’embraser de seconde en seconde. A l’inverse, Mutika était peu à l’aise et dodelinait d’un pied sur l’autre, manifestant sa hâte de clôturer au plus vite le combat. La kunoichi azurée en voulait-elle toujours à l’Oroshi ?

 Lorsqu’ils furent face à face, Gomaki leur laissa quelques secondes pour se préparer mentalement. A son regard, Tokri se doutait que la vigilance du Jounin était grande. Il finit par leur donner le feu vert, sans enthousiasme. Avait-il songé à annuler l'entraînement ? Instantanément et à la stupéfaction générale, Izul fondit sur Mutika et tenta de le frapper de plusieurs coups de poings rageurs.

 — Mais que… ? bredouilla Nika, stupéfaite.

 Tokri et Sarouh échangèrent un regard entendu. Décidément, quelque chose n’allait pas chez l’adepte du Suiton. Son comportement n’avait rien à voir avec ce qu’elle avait démontré depuis la formation de l’équipe. Maîtresse de son Chakra, elle excellait dans le contrôle à mi-distance de son adversaire. Le contact frontal n’était pas son style.

 — Tu nous fais quoi là ? l’interrogea Mutika en déviant un coup visant son nez.

 La mâchoire serrée, Izul garda le silence et multiplia ses assauts. Mutika continua à les déjouer, sans manifester la moindre intention de contre-attaquer. En plus de l’incompréhension, on pouvait lire de plus en plus de peine dans l’expression du jeune homme. Il para un coup de pied visant son visage, décala un nouveau coup de poing ciblant son torse et se contenta de la repousser d’une légère tape. La Leïl lui adressa un regard furieux.

 — Tu vas frapper oui ? lui hurla-t-elle, vexée du manque de répondant de l’Oroshi.

 — Pas tant que tu ne te seras pas ressaisis, rétorqua Mutika.

 Dans un nouveau rugissement incompréhensible, Izul repassa à l’attaque. Le rouquin l’évita d’un pas de côté, se baissa pour éviter un coup de pied sauté et, n’ayant toujours pas l’intention de frapper, recula sans même lever les bras.

 Rien ne collait. Même si le niveau de Mutika en taijutsu était supérieur à celui de Izul, cette dernière s'acharnait de façon bien trop hasardeuse. L’Utak n’avait même pas le sentiment que son objectif était de toucher. Que voulait-elle ? Que Mutika la cogne ?

 — Tu m’en veux toujours, c’est ça ? lui demanda Mutika presque en la suppliant. Je t’ai dit que j’étais désolé.

 Essoufflée par ses assauts infructueux et surprise par la question de son adversaire, Izul s’arrêta un court instant.

 — Quoi ? s'étonna-t-elle en peinant à reprendre son souffle. Non, rien à voir.

 — Bat-toi comme d’habitude alors !

 Les larmes montèrent aux yeux de la jeune femme, qui serra les poings et fondit à nouveau sur le Genin.

 — Putain ça suffit, souffla un Mutika ulcéré.

 Il composa rapidement des mudras. Un mur arrivant à peine au niveau de la rotule s’érigea devant Izul qui trébucha et tomba de tout son long, face contre terre. Mutika semblait ne pas croire à ce qu’il venait de provoquer.

 — Regarde toi, bon sang ! Même pas capable d’éviter un piège aussi grossier !

 Prostrée au sol, le corps d’Izul était secoué de tremblements et de soubresauts. Mutika s’approcha d’elle, mais n’osa pas la réconforter de peur de provoquer une nouvelle crise de colère.

 — On arrête, ordonna Gomaki en marchant vers les duellistes. Ce n’est clairement pas le bon jour.

 Mutika alla à sa rencontre. Penaud, il se frotta l’arrière du crâne et n’osa pas regarder son sensei dans les yeux.

 — Je suis désolé, marmonna-t-il. Je ne voulais pas la mettre dans cet état.

 Le Myô posa une main qui se voulait réconfortante sur son épaule, tout en lui adressant un sourire peiné.

 — C’est à moi de m’excuser, lui avoua t-il. J’aurai dû comprendre la situation et annuler tout de suite cet entraînement. Tu peux rejoindre tes équipiers, mon grand.

 Il lui tapota l’épaule, avant de se baisser vers Izul qui s’était assise. Elle se frottait les yeux de son poignet et reniflait par à coup. Le Jounin discuta avec elle à voix basse, tandis que l’Oroshi rejoignait ses collègues mutiques. Le groupe s’échangea des regards, comme si chacun espérait que les autres leur apportent des réponses. Malheureusement, il semblait être au même niveau de compréhension.

 Leur maître aida Izul à se relever avant de rejoindre ensemble le reste de l'équipe. Tandis que Gomaki s’arrêta face à eux, la jeune femme leur passa devant sans même un regard. D’un pas traînant, elle se dirigea vers le chemin menant vers Chikara. Nika et Sarouh furent à deux doigts de l'interpeller lorsque Gomaki les coupa :

 — Izul a besoin d’un peu de solitude. Nous arrêtons donc notre matinée. Profitez de votre après-midi et de vos deux jours de repos. Vous les avez mérité.

 Gênée, Nika baissa la tête. Sarouh sembla sceptique face à cette déclaration :

 — Vous a-t-elle confié ce qui lui arrive ? demanda-t-il.

 — Non, répondit simplement le Jounin. Je l’ai encouragé à le faire en lui signifiant que l’équipe est là pour elle. A elle de décider.

 Sarouh se mordit une lèvre, se retenant manifestement à formuler le fond de sa pensée.

 — Si vous avez des soucis entre vous, ne profitez pas des entraînements pour régler vos comptes, ajouta Gomaki avec gravité. Parlez m’en, ou à Tokri si cela vous semble plus simple. Nous serons amenés à mener de nombreuses missions ensemble, de plus en plus difficiles qui plus est. Évitons que des rancœurs ne mettent leurs réussites en péril.

 — A peine culpabilisant pour elle, laissa échapper à demi-mot Sarouh.

 Le Myô lui lança un regard noir. La remarque ne lui plaisait clairement pas.

 — N’oublie pas que je suis le sensei de ces jeunes gens, Tsumyo. Je n’ai cure de tes avis concernant ma pédagogie. Peut-être feras-tu mieux lorsque tu seras en charge de ta propre équipe. Pour l’heure, j’en suis l’unique encadrant.

 Un silence pesant tomba à la suite du recadrage mené par le Jounin. Tokri leva les yeux au ciel. Jusque là satisfait par l’apaisement que vivait la fine équipe, il sentit soudainement que sa sociabilité venait d’atteindre ses limites.

 — Permission de disposer ? demanda-t-il à Gomaki.

 — Accordé. Repose-toi bien, Tokri.

 Sans demander son reste, Tokri les salua de la main et prit le chemin cahoteux suivis par Izul quelques instants plus tôt. Il les entendit vaguement reprendre leur conversation tandis qu'il s'éloignait. Les mains dans les poches, son esprit fatigué ne put s’empêcher de réfléchir aux derniers évènements. L’Utak comprenait la réaction du Tsumyo pour avoir lui-même une fâcheuse tendance à s’opposer systématiquement à l’autorité, du moins s’il n’avait pas acquis son respect. Gomaki représentait l’inverse pour Tokri. Figure à part de par son amitié avec Okioto Utak, le Jounin lui avait prouvé au fil des semaines qu’il était un individu en qui on pouvait se fier. Sarouh ne le connaissait certainement pas encore assez pour percevoir l’homme derrière le shinobi. Ou bien la propre subjectivité de l’Utak jouait dans son appréciation ? Pas impossible.

 A l’instant où il commença à ressasser ses réflexions vis à vis du comportement d’Izul, il se rendit compte que la jeune femme était en vue à quelques mètres de lui. Le Genin constata que sa collègue avançait d’un pas traînant, expliquant le fait de l’avoir si vite rattrapé. Il hésita un instant sur la marche à suivre. Devait-il ralentir son pas ? Izul risquait de remarquer sa présence et se demandait pourquoi il marchait aussi lentement. Lui passer devant ? Tokri bannit vite cette possibilité. Il travaillait durement pour tisser des liens avec ses équipiers et n’avait aucune envie de les mettre à mal aussi stupidement.

 L’Utak ne se décida qu’au dernier moment, lorsqu’il se retrouva à marcher à ses côtés. Étonné de le voir, Izul leva la tête. Ses pleurs avaient cessé, mais ses yeux restaient brillants et trahissaient la détresse qui l’étreignait :

 — Si tu souhaites être seule, je trace, lui assura Tokri.

 — Non, chuchota-t-elle. Un peu de compagnie me fera du bien.

 Elle redevint mutique. Si seule une présence lui était nécessaire, cela lui convenait. Ils continuèrent donc la descente en silence. La situation devait plus la gêner que lui, car ce fut Izul qui finit par dire d’une petite voix :

 — C’était un superbe combat. Vous formez un bon duo.

 — Nika a été incroyable, répondit Tokri en souriant. On a passé au moins deux heures à planifier nos actions, après les bains. A chaque idée que je proposais, elle avait tout de suite une dizaine de plans.

 La réponse de l’Utak arracha un sourire malicieux à Izul. Le jeune homme en était ravi, mais il sentait venir le prochain sujet et s’empressa d’embrayer :

 — Sarouh est impressionnant également. Même à deux contre lui et dans un environnement défavorable, il parvient à garder des ressources.

 Il sentit de la surprise dans l’expression d’Izul. Etant l'un des acteurs de l'affrontement, ses conclusions lui étaient venues naturellement. Et en vue de son état, il était probable qu’Izul soit moins encline à repérer des éléments qu'en temps normal.

 — Il n’était pas à fond ?

 — Je ne le pense pas, admis Tokri avec réserve. Je me trompe peut-être, mais c’est le sentiment que j’ai eu.

 — Impressionnant est le mot, chuchota presque Izul.

 Ils se turent quelques secondes. Tokri se mordit la lèvre, puis ricana de sa stupidité :

 — Quelque part, je le jalouse un peu. Mais j’ai l’impression de m’améliorer à chaque fois que je l’affronte. J’espère que j’arriverai à le rattraper pour lui rendre la pareille un jour.

 — Mentalité de mec ça, le taquina la Leïl en lui adressant un sourire narquois. Tu n’as pas à te rabaisser ni à rougir. Compte tenu d’où tu viens, tes progrès sont fulgurants.

 — Merci.

 Ne s’attendant pas à ce compliment, Tokri eut la crainte de se mettre à rougir à la Nika. Après quelques pas, Izul cessa de marcher et se raidir, comme prise d'un soudain stress. Le jeune homme se rendit compte qu’ils venaient de déboucher sur la ruelle de Chikara. L’Utak n’osa pas lui demander la raison de sa soudaine angoisse et se contenta d’un regard interrogatif, qu’Izul fit semblant de ne pas percevoir.

 — Je te remercie pour la discussion. Ça m'a changé les idées. Je vais rentrer chez moi, pas besoin de m’accompagner.

 — Comme tu le souhaites, répondit Tokri en tentant d’être le plus aimable possible. N’hésite pas si tu en as besoin.

 Izul lui adressa un charmant sourire, qui arracha la réflexion à l’Utak qu’elle était vraiment une très belle femme.

 — Je sais. Bonne journée, Tokri.

 Le Genin la regarda disparaître au coin d’une ruelle, ne sachant pas quoi penser de la situation. Un court instant, il songea à la suivre. S’il était suffisamment discret, peut-être pourrait-il découvrir la raison de son mal-être. Mais le jeune homme chassa cette pensée aussi rapidement qu’elle était venue. Hors de question de s’immiscer dans la vie privée de ses équipiers tant qu’il pouvait l’éviter.

 Planté au milieu de la rue, Tokri prit conscience qu’il avait devant lui sa première après-midi de réelle liberté depuis la formation de la Team Gomaki. Son temps avait été partagé entre les missions et les entraînements, tant avec l’équipe qu’en solitaire. Il fut tenté de retourner au promontoire rocheux pour se perfectionner au Kyouffu, mais son corps lui envoya quelques signes lui intimant le repos. Tokri se fit la réflexion qu’il ne s’était pas rendu depuis bien trop longtemps à un endroit de Chikara qu’il affectionnait particulièrement. Le simple fait d’y songer lui mettait du baume au cœur, définissant ainsi l’occupation de son après-midi.

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