Épisode 3 - Intégration

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 La fraîche nuit tirait sa révérence, laissant bientôt place à l’aube. Dernier soir dans sa chambre d’hôpital, un shinobi aux cheveux bleus émergeait péniblement d’un sommeil bien trop court et agité de cauchemars. Face au miroir de la salle de bain, il pestait intérieurement contre son corps qui lui refusait un repos qu’il pensait pourtant mériter. Les cernes qui se dessinaient sur son visage semblaient chaque jour plus longues et profondes, la fatigue brûlait ses yeux émeraudes et son cœur battait dans ses tempes. La journée allait être une nouvelle fois très éprouvante. Il se passa de l’eau glacée sur le visage en essayant de mettre de l’ordre dans ses idées.

 Gomaki leur avait fait la bande-annonce d’un programme très chargé et long au cœur duquel l’illusionniste allait être beaucoup mis à contribution. Ces insomnies pouvaient difficilement tomber plus mal. Hors de question non plus pour Sarouh d’admettre sa fatigue. Il ferait avec. Le contact glacial lui fit du bien et acheva de le réveiller.

 Il tenta de mentaliser rapidement ce qu’il proposerait à ses élèves de fortune. Partie genjutsu, il avait une bonne idée de comment adapter ses exercices pour que l’Utak progresse plus vite avec Mutika. En ce qui concernait Nika, il continuerait à augmenter graduellement la difficulté, sans rien changer au plan de base. Izul, quant à elle, s’était révélée particulièrement douée. Sarouh la revit briser son illusion avec une certaine aisance, lui adressant un sourire charmeur dans la foulée. Par conséquent, il avait certaines idées pour la familiariser à des concepts plus avancés. La kunoichi n’était pas simplement à l’aise avec son Chakra, mais s’était aussi illustrée par ses connaissances. Lors du dîner, elle n’avait eu de cesse de lui poser des questions parfois pointues sur le genjutsu, Gensou ou la manipulation du Chakra. Sur de nombreux aspects, l’azurée lui rappelait beaucoup ses propres recherches presque trois ans auparavant.

 Son intelligence vive et son intérêt académique n’étaient pas les seules choses qui séduisaient le Tsumyo. Il lui avait été très difficile de nier son attirance pour la belle Chikarate lorsque son regard se perdait sur sa silhouette féminine, trempée par les exercices de ninjutsu. Une sensation inédite avait surpris plusieurs fois le Gensouard en croisant son regard alors qu’elle rougissait timidement à ses compliments, sensation qu’il s’était empressé d’enfouir tout au fond de lui-même.

 Sous son mentorat, la future médecin avait progressé à une vitesse fulgurante. De plus, la demoiselle faisait preuve de compréhension, d’empathie et d’instinct. Le Gensouard était presque sûr qu’elle l’avait arrosé exprès pour veiller à ce qu’il supporte la chaleur du désert et elle lui avait ouvert en grand une porte pour lui permettre de fuir les Bains. Après tout, elle avait bien vu les multiples cicatrices qui recouvraient son ventre. Ça n'en demeurait pas moins très doux de sa part. Si les cicatrices faisaient partie intégrante de la vie de shinobi, il ne se sentait pas prêt de parler de celles-ci.

 Sarouh secoua la tête, se faisant violence pour chasser son élève préférée de son esprit. Il n’était pas là pour ça et même s’il sentait son lien avec elle se développer très vite, une part importante de lui-même s’inquiétait de cet état de fait. Il s’entichait bien trop rapidement d’Izul Leïl. C’était dangereux et irresponsable. Cela compromettrait sa mission s’il s’investissait avec elle. Non, c’était décidé, aujourd’hui, le Gensouard s’appliquerait à renforcer son lien avec les autres membres de l’équipe, sans favoriser Izul.

 Pour penser à autre chose, il commença doucement à s’étirer et à s’échauffer, testant les nouvelles limites de sa mobilité. Le shinobi aux cheveux bleus fut ravi de sentir ses articulations et ses muscles soumis à l’exercice rouler sans effort. Même ses abdominaux ankylosés avaient récupéré un semblant de leur forme passée. Il faudrait encore un peu de temps pour qu’il recouvre l’entièreté de ses capacités. De son point de vue, il se considérait guéri. L’entraînement pourrait reprendre là où il l’avait laissé avec l’examen Chuunin.

 Il prit Aura, contemplant un instant les fines gravures animales le long de la lame et les enluminures trônant sur la poignée. Le présent de ses parents continuait à ravir ses yeux. Parfaitement équilibrée, l’arme était un trésor d’artisanat. Il la dégaina et fendit l’air à toute vitesse comme pour se remémorer les sensations qui étaient les siennes depuis l’entraînement acharné qu’il s’imposait depuis le tournoi. Lorsqu’il fut entièrement satisfait, le soleil commençait à embraser la ligne d’horizon.

 Il lui fallait partir. S’habillant rapidement de sa tenue de combat, n’ayant pas eu l’occasion de racheter d’autres vêtements, il sortit à toute vitesse vers le terrain d’entraînement, sentant la fraîcheur glacée de la nuit désertique alors qu’il courrait. L’air emplissant et brûlant ses poumons le faisait se sentir vivant. Une espèce d’adrénaline sauvage le poussa à encore accélérer. Il arriva en un temps record à destination, un grand sourire plaqué au visage.

****

 Sans surprise premier sur place, le Chuunin s’attela à réviser rapidement les différents types de manipulation du Chakra. S’il était très à l’aise avec le gyo, le ren, le en et le ten, le zetsu lui demandait toujours un peu plus d’efforts et il voulait que sa présentation soit parfaite. Il commença doucement à malaxer son Chakra et à cycler les exercices à très faible intensité. Aussi fut-il surpris par l’arrivée discrète de la marionnettiste du groupe.

 Nika le salua d’une courbette, visiblement soucieuse de ne pas le déranger alors qu’il s’affairait à maîtriser son ten. Le Tsumyo s’interrompit pour aller à son encontre en souriant. En réalité, il était ravi de la voir arriver en première. Ils n’avaient pas eu l’occasion de discuter depuis la fin de la mission.

 — Ne te dérange pas pour moi, lui dit-elle presque dans un murmure.

 — Tu ne me gênes pas. Je suis même très content de te voir en première. Tu as fini ce que tu faisais avec Tokri ?

 — Presque, je l’ai laissé partir pour qu’il puisse se changer…

 Sarouh jugea qu’il n’avait pas besoin de relever la pointe de regret qu’il crut sentir dans sa voix. Tuant dans l'œuf sa curiosité, le Chuunin enchaîna avec les autres sujets qu’il avait sur le cœur.

 — Je tenais à m’excuser pour ce que je t’ai dit l’autre jour, déclara-t-il en s’inclinant du buste. Je ne pensais pas avoir à retravailler avec vous et par conséquent, j’y suis allé plus fort que je ne l’aurais dû. Je suis désolé.

 Il avait terminé dans un quasi-bredouillement. Décidément, il était beaucoup plus doué dans sa tête pour ce genre de choses. Nika ne cacha pas sa surprise et lui répondit en évitant soigneusement de croiser son regard :

 — Il n’y a pas à s’excuser. C’était nécessaire. Je pensais que tu avais compris que je ne t’en voulais pas.

 —S’il y en avait une capable de comprendre, je me doutais que c’était toi. Mais je te devais les mêmes excuses qu'aux autres. Je ne peux pas respectueusement présumer de ton intelligence.

 La Genin s’empourpra et replaça d’un geste ses cheveux devant ses yeux, espérant que ça la rendrait invisible. C’est Mutika qui la sauva de sa gêne. Un large sourire collé sur le visage, le roux était bien plus jovial et détendu cette fois.

 — Hé Tsumyo, il s’agirait de ne pas draguer toutes les filles de l’équipe.

 Comme à chaque remarque de ce style, l’Hynomori sembla vouloir disparaître. Sarouh récupéra la bourse que Mutika lui lança avec un clin d'œil. Il était inutile de revenir sur cet épisode. Le Tsumyo s’essaya à rentrer dans le jeu de l’Oroshi tout en accrochant à sa ceinture son bien.

 — C’est si gentil de ta part de souligner mon charisme affolant. Faut pas se sentir menacé, je suis sûr que tu t’en sortiras très bien aussi.

 Une seconde, le Genin sembla hésiter sur la façon dont il devrait prendre sa réplique, avant de se décider à accepter avec un large sourire. Si leur relation tournait à l’échange de pics, il serait en terrain connu avec le Tsumyo. Il salua la maladroite tentative du Gensouard d’un signe de tête et s’échauffa tranquillement un peu plus loin, laissant Nika et Sarouh finir leur conversation.

 — Hem, Nika, hésita le Chuunin en regardant obstinément ses pieds. Si un jour tu veux m’apprendre pour les échecs, j'en serais ravi.

 — Ça sera un plaisir quand j’aurais plus de temps.

 La marionnettiste lui adressa un de ses rares sourires solaires. Elle semblait sincèrement heureuse de s’être trouvée un nouveau partenaire de jeu. Sarouh souffla doucement pour évacuer son stress. Pour l’instant, tout se passait bien. Peu après, alors qu’il s’était rassit en tailleur et que l’Hynomori avait copié Mutika en s’étirant doucement, les autres membres de l’équipe arrivèrent en même temps, pile à l’heure.

 Tokri et son attitude impassible habituelle suivi de près d’une Izul rayonnante et d’un Gomaki tirant sur sa classique cigarette. Une seconde, Sarouh s’interrogea sur la façon dont se prenait le Jounin pour ne pas être repéré en mission, avant que ses pensées ne soient balayés par le large sourire que la kunoichi d’azur lui adressa. Anticipant le taijutsu, elle avait déjà attaché ses cheveux. Habillée d’une tenue noire cintrée pour l’entraînement, elle subjugua instantanément le Chuunin qui s’était pourtant juré de ne pas se laisser destabiliser. Il pria pour que le sourire niais qu’il lui avait adressé en retour ait échappé au reste de l’équipe et se focalisa sur les instructions que donnait Gomaki, ses élèves en cercle autour de lui.

 — On change les groupes d’échauffements pour aujourd’hui, c’est important pour que vous ne preniez pas de mauvaises habitudes, commença le Jounin. Sarouh, tu peux participer désormais ?

 — Je peux et j’en serais même ravi. L’exercice me manquait.

 — Allons donc, persifla Mutika.

 — Je vois que vous êtes pressés de vous entraîner ensemble. Tokri, tu vas avec Izul. La prochaine fois, c'est toi qui décidera des paires. Nika, tu seras ma partenaire.

 Sarouh et Mutika grimacèrent. De tous les membres de l’équipe, l’Oroshi était celui avec lequel il s’entendait le moins. Inutile de dire que c’était exactement la raison pour laquelle le diligent Jounin les avait appairés. Il devait voir leur coopération comme indispensable en mission. Le Tsumyo aurait bien aimé travailler avec l’une des deux kunoichis, mais les ninjas font rarement ce dont ils ont envie. Même Tokri lui aurait mieux convenu. Ils se seraient sûrement entraînés en silence et ça n'aurait pas été plus mal.

 Jetant un regard à Izul en commençant à travailler, il fut surpris de voir que Tokri était en grande conversation avec elle. Ne laissant pour une fois pas sa curiosité dicter son comportement, il reprit avec une bonne trentaine de minutes d’échauffements et d’exercices musculaires qui firent le bonheur du Gensouard, sentant son corps répondre vigoureusement à chacune de ses inflexions. Ils passèrent ensuite à la phase de simulation de combat en duo. Étouffant un soupir, le Chuunin échauffa rapidement ses articulations avant de se mettre en position.

 — Ménage moi, n’oublie pas que je sors de l’hosto.

 — Moi aussi, c'est pas une raison. J'y peux rien si on est faits d'un meilleur bois. Pleure si c'est trop dur pour toi.

 Le Chuunin para sans problème de l’avant bras un coup de pied et Mutika dû esquiver un enchaînement de plusieurs coups de poings emprunté à la boxe. Le Genin sembla surpris un instant du répondant de son adversaire, comprenant qu'il l'avait peut-être un peu sous-estimé. Ils continuèrent ainsi leur simulation de combat dans le plus grand silence jusqu’à ce que Mutika revienne à la charge.

 — Je te voyais plus fragile que ça, après la branlée que Tokri t’a infligée.

 — J’appellerais pas ça une branlée, répondit Sarouh avec un sourire en parant un autre coup. J’ai gagné il me semble.

 — Pas les premiers échanges.

 Mutika esquiva un crochet, tenta une balayette qui fut évitée d’un petit saut et ils se retrouvèrent en position de lutte, chacun bloquant le poing de l’autre.

 — Je le testais. Es-tu si sûr que tu pourrais m’affronter, si je me battais à fond ?

 — Certain, lui répondit l’Oroshi en le défiant du regard en conservant son rictus.

 — Je serais ravi de voir ça.

 Sarouh était sérieux. L’ivresse du combat le grisait toujours et c’était l’une des rares choses qui continuaient à l’emplir de satisfaction au fil du temps. Affronter le ninja adepte du Doton serait une expérience agréable et enrichissante, il en était sûr. De plus, le Chikarate n’aurait pas à beaucoup se faire violence pour l’affronter. Même maintenant, il sentait la rancœur de Mutika à son sujet. Dans ses coups et ses enchaînements, il y avait une fébrilité et un manque de retenue que le Chuunin ne pouvait s’empêcher de noter. Ça passerait au fur et à mesure que ses souvenirs du trauma seraient moins nets. S’il pouvait se défouler contre le Tsumyo, leur relation serait sûrement plus simple. Ils auraient l’occasion. Gomaki les rappela bientôt autour de lui.

 — Bien, je suis satisfait de ce que j’ai vu. Continuez à faire preuve de sérieux, seule la constance permet d’atteindre un niveau satisfaisant, rappela-t-il en glissant un regard à l’illusionniste qui eut du mal à ne pas le prendre pour lui. Et maintenant votre moment préféré de la journée : genjutsu !

 Les réactions à cette annonce furent très différentes selon le Genin. De l’imperturbable Tokri, à la visiblement ravie Izul en passant par l’un-peu-moins-ravi Mutika, tout y était représenté. D’un regard, le Jounin l’enjoignit à commencer l’exercice, avant de se rallumer une cigarette.

 Sarouh ignora Izul en lui faisant un signe voulant dire “J’arrive” et commença avec Nika, pour laquelle il n’avait pas d’instructions particulières. Il attendit qu’elle lui donne sa main pour ne pas la brusquer, la rendant aveugle cette fois. Il ne s’attendait pas à ce que ça lui pose problème, c’était à peine plus difficile que le précédent. Pour Mutika et Tokri, il leur fit subir exactement le même traitement que la veille, pour qu’ils récupèrent rapidement leurs marques.

 Il se tourna finalement vers Izul, qui se tenait un bras avec l’autre, une moue impatiente. Avec un grand sourire, il lui expliqua :

 — J’ai gardé le meilleur pour la fin. J’ai finalement pu voir tes fameuses prédispositions hier. J’ai un exercice légèrement différent si tu veux bien.

 Il se mit face à elle en malaxant doucement son Chakra. Il douta l’espace d’une seconde que ses élèves avaient la moindre idée du degré de maîtrise et de concentration que lui demandait de contrôler aussi finement la difficulté des exercices, avant de plonger son regard dans les yeux d’Izul. Ses yeux verts clairs brillaient d’impatience et d’excitation. Tout en contenance, elle attendait que Sarouh explique. Masquant son trouble, il reprit :

 — Tu as totalement assimilé le concept quant à la localisation et l’intensité du chakra. Maintenant, je vais te parler de fréquence.

 — Le Chakra est comme une rivière. Il s’écoule à un certain débit, c’est ça ?

 — Exactement, tu as dû déjà comprendre empiriquement ce que ça signifiait. Pour échapper aux illusions les plus complexes, tu ne devras pas simplement envoyer une grosse dose de Chakra mais également en perturber le rythme. On va commencer avec quelque chose de facile.

 La vue de la kunoichi se troubla légèrement, alors que le Chuunin lâchait à regret son bras.

 — Qu’est ce que tu m’as fait, je ne vois pas la… Ha ! réalisa la désormais daltonienne kunoichi en relevant la tête.

 — Cet exercice devrait te prendre un peu plus de temps. N’oublie pas ton analogie qui est excellente et tu devrais choper le truc. Je vais essayer de me concentrer sur Tokri et Mutika pour le reste de la session, mais n’hésite pas si tu as des questions.

 — Avec plaisir. Ils en ont bien besoin ! Oh, le vert te va bien aussi, lui répondit la kunoichi, amusée et souriante de sa nouvelle expérience.

 Ne sachant que faire du compliment, le Chuunin fuit vers Nika qui avait déjà brisé sa première illusion. Il lui expliqua calmement qu’il allait en augmenter la difficulté mais sans changer le concept fondamental, contrairement à Izul. Toujours en se servant de la main qu’elle lui donnait, il la renvoya dans le noir. Le plus dur était à venir pour Sarouh, qui souffla doucement avant de se tourner vers les deux garçons. Mutika réussi l'exercice au moment où il arrivait vers eux, là où Tokri était toujours aveugle.

 Il adressa un grand sourire à Mutika pour le féliciter et rompit lui-même l'illusion sur le Genin en difficulté. Devant leur incompréhension il s'expliqua :

 — On va faire ça différemment, j'ai peut-être mal étudié la situation à votre propos. On va faire comme si c'était un exercice de musculation ça vous parlera plus.

 — Tu serais pas en train de nous prendre pour des abrutis sans cervelle par hasard ? persifla le roux.

 Tokri sembla avoir compris le changement de dynamique qu'ils essayaient de mettre en place et ne releva pas cette fois. Sarouh nota mentalement qu'il comprenait bien mieux les gens qu'il ne le laissait paraître.

 — Pour toi je ne sais pas Mutika, mais je n'oserais pas insulter le chef de votre unité enfin ! Plus sérieusement, je vais vous faire sentir ce que vous devez faire. Ça va rentrer à la mémoire musculaire, si on peut appeler ça comme ça, puisque l'abstraction c'est pas votre truc.

 — Tu vas nous lancer des illusions en boucle ? hésita Tokri. C'est pas un peu dangereux ?

 — Ça le serait si j'en avais envie. Là, le seul danger est pour moi. Donnez-moi vos mains, les filles devraient avoir de quoi s'occuper un moment toutes seules.

 Sous le regard dubitatif des deux Genins et curieux de Gomaki, Sarouh ferma les yeux pour se concentrer, les mains de chacun des garçons dans les siennes. Il commença à malaxer doucement son Chakra.

 Théoriquement, il avait une idée très précise de ce qu'il faisait. Dans les faits, il tâtonnait un peu. Il les renvoya dans le noir, en prenant bien soin de faire en sorte que son Chakra prenne de la place. Grossière illusion, les deux Genins réussirent à la dissiper du premier coup.

 Sans même leur accorder une seconde de répit, il répéta l'exercice. Encore et encore, se faisant à peine plus subtil à chaque passage. À force de répétitions, Tokri et Mutika commencèrent à comprendre et ils arrivèrent bien vite à se défaire d'illusions aussi bien concentrées sur leur vue que sur leurs autres sens.

 C'est Nika qui le sortit de son effort. Posant délicatement la main sur son épaule, elle le sortit de sa transe depuis laquelle il lançait mécaniquement ses jutsus. Il sursauta :

 — Hem, Tsumyo… j'ai fini et Izul n'en a plus pour longtemps…

 La marionnettiste était hésitante. Peut-être qu'elle avait essayé de l'appeler sans obtenir de réponse, pour en venir à le toucher. Ou simplement était-elle inquiète ? Il se tourna et lui adressa un sourire las. Pris d'un vertige, il dissimula sa fatigue en restant assis.

 — Tu as compris le principe, ou tu veux un exercice similaire ? l'interrogea-t-il d'une voix mécanique.

 — Tu devrais peut-être te reposer, tu as l'air tout pâle.

 — Même pour un Gensouard, rajouta un Mutika goguenard.

 — Je peux gérer, lui assura Sarouh. Alors ?

 — Tu peux passer au niveau supérieur.

 Elle avait affirmé ça avec une conviction inattendue. Manifestement, elle aussi avait pris à cœur de devenir plus forte dans ce domaine. C'est qu'il avait réussi son coup. Il souffla pour se concentrer, et la rendit sourde en lui effleurant la main.

 — N'en fais pas trop, Tsumyo.

 L'ordre venait de Tokri cette fois. Le Gensouard lui fit un petit non de la tête avant de se lever pour rejoindre Izul. Celle-ci l'attendait les bras croisés avec un sourire mutin.

 — Alors comme ça les filles peuvent attendre hein ?

 — Je ne désirais pas vous faire patienter, princesse. Mes plus plates excuses, je ne suis qu'un modeste shinobi.

 — Mmh, pas mal, je serais presque tentée de te pardonner. J'ai réussi, je pense avoir saisi la différence.

 — Merveilleux, tu veux continuer ?

 — Mmh. J'aimerais bien.

 — …Mais…?

 — Je pense que le grand manitou ne va pas te laisser faire, dit-elle en pointant du doigt Gomaki qui effectivement se levait pour mettre fin à la séance.

 La kunoichi hésita une seconde avant d'ajouter, un peu mal à l'aise et regardant avec obstination des grains de sable manifestement fascinants :

 — Merci pour ce que tu fais pour nous. Pour ce que ça vaut, je te trouve très impressionnant. Je m'en rends compte maintenant que je comprends mieux ce que tu fais.

 Pour la première fois depuis une éternité, le Tsumyo se sentir rougir. Difficile de faire croire à la chaleur du désert. Il fut sauvé par le Jounin qui déclara que la phase de méditation commençait.

 — Tsumyo, tu es beaucoup mis à contribution. N'oublie pas, tu dois te ménager pour la suite.

 — Je connais mes limites. Je suis en manque de Chakra depuis que je suis Genin, répondit platement le Gensouard.

 C'était vrai. Il s'entraînait comme un damné depuis l’Académie et même bien avant ça. Toute sa volonté et son réconfort résidaient dans l'effort. Il crut voir de la compréhension dans le regard de Tokri, mais il n'arrivait pas à être sûr de ce que le jeune homme pensait. Le respect qu'il vit dans les yeux d'Izul et Nika était plus évident. Quant à l'Oroshi, il semblait s'être retenu de justesse de lancer une pique à l'illusionniste.

 Pour la méditation, il se coupa momentanément des autres. Psychiquement, il était épuisé et il aurait bien besoin de reconstituer ses réserves afin de pouvoir faire ce qui était prévu. Il ne pouvait se permettre de faire les choses à moitié et il se soupçonnait d'être incapable de se concentrer s'il restait avec le groupe. Il se positionna en lotus dans le sable, laissant la chaleur le détendre et les odeurs portées par le vent du désert l’amener dans une autre dimension.

 Bientôt, il sentit l'énergie spirituelle affluer et se mélanger dans une quiétude douce, tel un lac de montagne baignant dans le soleil automnal. Il avait toujours l'impression de faire partie d'un Tout puissant et vaste lorsqu'il méditait. Chacun possédait un palais mental qui lui était propre.

 Il sentait ses forces revenir, mais la pause fut de bien courte durée. Il eut la sensation qu'on le tirait de force d'une sieste tranquille. Sans se plaindre cependant, il adressa un sourire fatigué au reste de l'équipe et laissa Gomaki expliquer la suite des opérations.

 — Nous allons passer aux manipulations de Chakra de base, indispensables pour votre progression en tant que shinobi, commença-t-il en expirant doucement une volute de fumée. Tokri, tu pourrais me dire quelles sont-elles ?

 — Ten, ren, gyo, zetsu et en. Izul n'est pas la seule à savoir lire, ajouta-t-il devant les mines étonnées de ses comparses

 — Excellent. Le ten permet de canaliser et générer son Chakra. Ce n'est ni plus ni moins qu'une forme avancée de malaxage. Vous êtes tous familiers avec le concept. Pour le gyo, il s'agit de concentrer son Chakra dans un point précis pour augmenter son efficacité. Tokri vous en a déjà fait la démonstration avec son Chikara Sen'puu. Qui peut m'indiquer ce que font celles qui restent ?

 — Le ren permet d'extérioriser son Chakra, ce qui en démultiplie la puissance, indiqua Izul d'une voix assurée.

 Sarouh n'écoutait pas vraiment, maîtrisant bien le sujet. Apparemment, les Genins dominaient l’aspect théorique. Agréablement surpris de trouver en l'Utak autre chose qu'un bourrin, il lui avait adressé une œillade complice mais discrète. Nika se taisait mais personne ne doutait réellement de ses connaissances sur le sujet. L'art du marionnettiste était déjà assez difficile en soi, combinant plusieurs de ses techniques de base. Mutika compléta avec le en et le zetsu. Le premier bien maîtrisé par Sarouh permettait d'appréhender l'environnement avec son Chakra, là où le second servait à renforcer son corps.

 — Exactement, une bonne pratique du zetsu vous sauvera la vie. Chihousou vous en a fait une excellente démonstration. Bravo Mutika.

 Les deux mentors échangèrent un regard satisfait. Ils avaient bien fait leurs devoirs et cela allait grandement faciliter les choses pour la suite. Le petit groupe eut droit à une petite séance de ten sur sable mouvant, pour montrer leur degré de maîtrise de l'exercice. Sarouh se joignit aux Chikarates sans montrer de difficultés particulières. Posté à côté de la kunoichi d'azur, ils échangèrent un petit sourire de connivence avant de passer à la suite.

 — Bien, commença un Gomaki satisfait. Vous maîtrisez déjà tous cet aspect là. Un peu moins compliqué que marcher sur l'eau, cela reste un excellent exercice. Vous continuerez à le pratiquer à chaque séance. Avec Tsumyo, nous avons convenu d'un programme. Tokri et Mutika se concentreront sur le ren, Nika et Izul sur le zetsu. Vous inverserez ensuite lorsque vous les maîtriserez à un niveau que nous trouverons tous les deux suffisant.

 — Pourquoi ne pas nous entraîner sur le même sujet ? demanda lzul sortant la première des sables mouvants.

 — On pallie à vos besoins les plus urgents, précisa Sarouh en la suivant de près. Mutika et Tokri ont déjà montré qu'ils se débrouillent bien pour cet exercice.

 La kunoichi sembla se suffire de ces explications lacunaires et le Gensouard se planta au milieu du groupe. Il expliqua d'abord le principe du zetsu et comment s'y entraîner. Il embraya sur le beaucoup plus visuel ren. Sarouh échangea un regard avec Gomaki qui lui donna son assentiment en penchant la tête, tout en en profitant pour s'allumer une nouvelle cigarette. Il malaxa ses maigres réserves et se plongea au fond de lui-même, les mains jointes dans un mudra.

 Lorsqu’il rouvrit les yeux, une douce lueur bleue saphir commença à l’entourer. Son aura emplit soudainement tout l’espace, se faisant tempétueuse et se parant de nuances bien plus profondes et menaçantes qui ne manquaient pas de rappeler les profondeurs de l’océan. Une seconde plus tard, le vent chaud de Chikara souffla doucement cet inquiétant spectacle.

 Le silence salua sa performance. Cela n’avait rien d’étonnant. Expulser son Chakra de la sorte était forcément perçu comme une menace par les shinobis. C’était aussi une forme de démonstration certaine de puissance, même s’il n’y avait rien de bien impressionnant ici pour un Chuunin.

 — La forme et l'intensité du Chakra en disent long sur la personne qui l'exécute, dit pensivement Gomaki. Je m'occupe des garçons, je te laisse les filles. Toi aussi, tu devrais travailler ton zetsu.

 Encore une fois, le Tsumyo eu du mal à ne pas le prendre pour lui, probablement parce que c'était vrai. Une partie de lui en voulait encore au Jounin. Il devrait travailler là-dessus à l'occasion. Nika et Izul semblèrent heureuses de cette répartition, tandis que Mutika s'éloignait avec un grand sourire à l'intention de Tokri qui ne put s'empêcher de faire non de la tête en soupirant, alors que Gomaki les éloignait.

 Le Chuunin commençait à vraiment se sentir bien dans cette équipe.

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