Épisode 1 - Day One

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 Tokri se retint du mieux qu'il le put et donna un grand coup. Il s'épongea le front en expirant avant de demander à Nika :

 — Comme ça ?

 — C'était parfait, lui chuchota-t-elle, le souffle court. Continue !

 La Hynomori était attentive à ne pas faire bouger la pièce de métal sur laquelle ils travaillaient depuis un bon quart d'heure. Le moindre décalage pouvait les obliger à tout reprendre de zéro. L'Utak abattit son marteau contre la plaque, faisant résonner un puissant tintement dans l'atelier.

 Bientôt deux heures qu'ils travaillaient les pièces du nouveau Kokuro. Assez rapidement, Tokri s'était retrouvé en nage. L'effort physique combiné à la chaleur dégagée par les fourneaux servant à assouplir les plaques de métal avait amené le jeune homme à travailler torse-nue. Nika avait songé oser faire de même, avant de bannir cette idée par pudeur.

 Entre deux frappes, elle observa son ami. Discrète, elle ne put s'empêcher de détailler sa musculature taillée pour le combat au corps à corps. Tout indiquait qu'il faisait attention à son rythme de vie, et la Hynomori se doutait pour les avoir côtoyé que cela faisait partie intégrante de l'éducation des Utak. Il releva les mèches qui commençaient à le gêner, tout en expirant discrètement. Tout en retenu comme à son habitude, ses yeux noisettes brillaient par les picotements dus à la chaleur et à l'effort.

 Elle remarqua sa fine cicatrice sous son œil gauche, dont elle ignorait toujours l'origine. Elle se fit la réflexion que cette marque ajoutait à son charme.

 La Genin sentit le rouge lui montait aux joues à cette pensée. Elle reporta son attention sur la plaque et manqua de la faire glisser de côté, au moment même où Tokri abattit son marteau. Avait-il remarqué quelque chose ? Si tel était le cas, il le masquait parfaitement. Mais l'adolescente en doutait. Nika le connaissait suffisamment pour se douter que sa réaction aurait été tout autre si tel avait été le cas.

 La marionnettiste fit un geste de la main à Tokri pour lui faire comprendre de ne plus frapper. Elle inspecta la pièce et jugea que la forme était satisfaisante. Nika sentait qu'elle rougissait toujours, et espérait que l'Utak mettait cela sur le compte de la forte température. Lui-même avait les pommettes de ses joues adorablement rosies...

 — On a bien avancé, l'informa t-elle. Merci de ton aide Tokri.

 — De rien.

 Le jeune homme prit une grande bouffée d'air, avant de se saisir de son tee shirt d'une main et de sa bouteille d'eau de l'autre. Il en but une grande rasade, puis enfila son haut au grand regret de Nika. Elle se retint de sursauter lorsqu'il se tourna vers elle, la tirant sans le savoir de ses pensées.

 — Tu vas les placer sur Kokuro ? lui demanda-t-il en désignant les trois plaques qu'ils venaient de forger. Ça ne risque pas de lui faire perdre en rapidité ?

 — Légèrement, répondit la Genin aux mèches violettes. Mais ce métal est naturellement souple. Mon clan a développé des techniques d'affinage, je pense être capable d'en utiliser certaines pour préserver sa vitesse.

 — Impressionnant, commenta Tokri de son petit sourire en reprenant une gorgée d'eau.

 Nika fit un petit mouvement de tête pour placer sa frange devant ses yeux, technique qu'elle avait développée depuis des années pour masquer sa gêne. Feignant l’ignorance, l’Utak rangea sa bouteille dans son sac, et le mit sur une épaule.

 — On devrait y aller pour ne pas risquer d'être en retard.

 Nika opina du chef et guida Tokri jusqu'à l'extérieur du domaine. Pour un non Hynomori, il était facile de s'y perdre. L'adolescente remarqua que son compagnon de marche observait les bâtisses du clan des Marionnettistes. Elle comprenait que l'architecture pouvait surprendre, tant elle se démarquait du reste de Chikara. Taillées dans le granit, les demeures étaient tout en angle contrairement aux formes arrondis du Village.

 La marionnettiste s'attendait à quelques questions, mais Tokri garda le silence. Elle se doutait qu'il se projetait déjà dans la journée qui les attendait. Nika n'aurait pas été surprise que quiconque confie ressentir du stress en ce premier jour en tant que chef. Elle ne le fut pas non plus en le voyant ne rien laisser filtrer.

****

 Lorsqu'ils arrivèrent à leur terrain d'entraînement, Tokri et Nika constatèrent que seul manquait Gomaki. Mutika les accueillit avec un sourire goguenard. A peine Tokri vit-il son visage qu'il s'attendait à une blague gênante de sa part.

 — C'était physique ce matin ? lâcha-t-il après avoir remarqué leurs visages encore rougis par l'effort.

 — Tagueule.

 Mutika continua à afficher son stupide sourire, fier de lui. Sarouh et Izul étaient en pleine conversation et mirent quelques secondes avant de remarquer leurs arrivées. Leur discussion semblait tout en retenu, chacun souriant aux paroles de l'autre tout en jouant à replacer quelques mèches pour elle et en s'auto-ébouriffant pour lui. Tokri les salua d’un signe de tête, auquel Sarouh répondit de la même façon. Izul lui fit un signe de la main et prit congé du Tsumyo pour discuter avec Nika. Toutes deux s'éloignèrent de quelques pas des garçons.

 Le Chuunin sembla hésiter en se pinçant une lèvre, et décida finalement de rejoindre l'Utak et l'Oroshi.

 — Salut.

 — Salut, répondirent presque d'une voix les Chikarates.

 Le ton de Mutika était moins avenant que celui de Tokri. L'Utak lui jeta un regard subversif, qui eut pour seul effet de faire lever les yeux du rouquin au ciel. Sarouh prit une courte inspiration avant de se jeter à l'eau.

 — Je tenais à m'excuser pour hier, dit Sarouh d'une voix qui frôlait le bredouillement. La leçon était importante pour vos carrières, mais j'admets avoir forcé le trait plus que je ne l'aurais dû. J'espère qu'on pourra partir sur de meilleures bases tous ensemble...

 — C'est sûr que me faire gerber, c'est pas le meilleur moyen pour partir d'un bon pied, maugréa le concerné.

 — Mutika... grogna Tokri.

 Sarouh baissa brièvement les yeux tout en se mordant la lèvre. L'Utak était exaspéré. Présenter ainsi ses excuses lui demandait clairement des efforts. Il semblait bien moins sûr de lui qu'à l'accoutumée, et cette métamorphose amenait Tokri à se remémorer les paroles de Gomaki. Le Tsumyo était ninja depuis bien plus longtemps qu’eux, et avait de fait connu son lot de souffrances qui pouvait justifier son comportement.

 Tokri avait le sentiment d'en lire une partie sur son visage.

 — Excuses acceptées mec, lâcha finalement l'Oroshi. Je n'ai pas été correct non plus. Le vol de ta bourse, c'était pas loyal. Je te l'amène demain.

 — Ça me va, accepta Sarouh en lui adressant un sourire sincère. Merci Mutika.

 — La prochaine fois que tu me fais ressortir mon p'tit déj', tu finis avec une colonne Doton dans le fion par contre, ne put-il s'empêcher de le provoquer.

 L'Utak retint un soupir de soulagement, tout en souriant à l'humour de Mutika. Sarouh marqua un temps d'hésitation et, une fois le sarcasme perçu, ricana quelques secondes. Mutika semblait avoir perçu la même chose que lui. Tokri s'apprêtait à les remercier pour leurs efforts, mais fut interrompu par l'arrivée de leur Jounin, cigarette en bouche comme toujours.

 — Salut les jeunes. Vous êtes tous en avance dîtes moi. Prêts à en baver ?

 Il se posta devant eux et, tout en expirant une bouffée de cigarette, les observa tour à tour. Ce qu'il vit sembla le satisfaire au vu du sourire qu'il arborait.

 — Comme vous le savez déjà, notre équipe a subi quelques changements et ajustements, déclara le Myô. J'ai décidé de nommer Tokri chef de notre unité. Son rôle est de me seconder et de s'assurer de la cohésion de notre groupe. Quand je ne suis pas là, considérez chacun de ses ordres comme étant les miens. Je me suis bien fait comprendre ?

 A cette question, il appuya particulièrement son regard vers Mutika. Tous opinèrent du chef.

 — Deuxième changement : Sarouh a été nommé par Chikara et Gensou comme agent de liaison entre nos deux Villages. Il me secondera dans l'encadrement de vos entraînements, et participera à nos missions. Voyez le comme mon bras droit pour une durée non déterminée.

 — Cette décision est-elle liée au boost S ? demanda Izul. Je suppose qu'une enquête est en cours.

 Avant de répondre, Gomaki prit le temps de reprendre de sa cigarette tout en lui souriant avec fierté.

 — Perspicace comme toujours. Je n'ai toutefois pas le droit de vous divulguer ce genre d'informations. Jusqu'à nouvel ordre.

 Ce non-dit était pratiquement une confirmation de la pensée de la Leïl. Il termina sa cigarette, et l'écrasa avant de prendre le temps de s'en allumer une nouvelle de son pouce.

 — Le programme d'aujourd'hui sera le modèle que nous suivrons jusqu'à ce que je décide que vous êtes prêt à passer à l'étape supérieure. Je vous préviens, vous allez rentrer exténués tous les soirs à partir d'aujourd'hui. L'entraînement jusqu'à ce jour n'était qu'un amuse-gueule. Les choses sérieuses commencent pour vous à présent.

 Gomaki prit une bouffée de sa cigarette pour donner le temps à ses élèves d'intégrer l'information. Tokri fit de son mieux pour masquer son impatience. Il lui tardait de passer à la vitesse supérieure.

 — Pour commencer, quelques échauffements de taijutsu. Tsumyo, avec moi. J'ai à te parler pour la suite. Les autres, comme vous voulez. En groupe ou en solo pour les exercices de votre choix.

 Sarouh jeta un œil à Izul, esquissa une moue gênée et suivit Gomaki. Nul besoin d'être fin observateur pour comprendre avec qui il aurait souhaité rester. Depuis la mission, Tokri avait remarqué que quelque chose semblait se tisser entre eux. Tant que cela ne gênait pas la cohésion de groupe qu'ils tentaient d'installer, peu lui importait.

 Izul fit un pas vers eux et les observa. Son regard se porta plus particulièrement sur Tokri, ce qui surprit le jeune homme. Il s'apprêtait à lui demander si elle souhaitait s'échauffer avec lui, mais la jeune femme bifurqua finalement vers Nika, en ignorant royalement Mutika .

 — Reste plus que nous deux, soupira Mutika. On s'éloigne ?

 — Si tu veux.

 Tokri suivit son ami. Une fois hors de portée de voix, tous deux commencèrent par quelques assouplissements.

 — Entre nous, dit Mutika sur le ton de la confidence. Tu en penses quoi de tout ce mic-mac ?

 Après avoir suffisamment détendu ses jambes, Tokri passa à l'étirement des bras avant de répondre.

 — A quel sujet ? Le fait qu'un Gensouard soit agent de liaison auprès de notre équipe ? Ou que Gomaki soit apparemment lié à l'enquête sur le Boost S ?

 — Y'a ça aussi, en convint évasivement Mutika. Mais le Tsumyo, tu le sens comment ?

 Se jugeant suffisamment détendu, Tokri commença à faire quelques pompes. Mutika l'imita.

 — Je l'ai dit clairement hier. De une, nous n'avons pas d'autre choix que de faire avec. De deux, je pense qu'il a un bon fond. Enfin, on a beaucoup de choses à tirer de lui en matière de contrôle du Chakra.

 — T'as que l'entraînement et le boulot à la bouche ma parole, souffla l'Oroshi, tant par l'effort que par l'exaspération. Et par rapport à Izul ?

 — Quoi Izul ? s'étonna Tokri en passant à une série uniquement de la main droite.

 Mutika afficha un rictus dont l'Utak n'avait que peu l'habitude de voir sur son visage. Son sourire ressemblait davantage à une grimace qu'à son habituelle expression enjouée. Le chef d’équipe eut un mauvais pressentiment. Finalement, l’Oroshi n’avait pas avalé la pilule aussi bien qu'espéré.

 — Il veut se la taper. Et elle est réceptive. Tu l'aurais vu ce matin, avant votre arrivée. Ca minaudait d'un côté comme de l'autre...

 — Et ? Que veux tu que je foute de cette information ?

 — T'avais remarqué ? Et hier, elle n'a pas arrêté de le défendre.

 Tokri passa à une série du bras gauche, sans retenir un grognement de lassitude face au comportement de Mutika.

 — Oui, j'avais remarqué. Et contrairement à toi, je n'en ai strictement rien à carer.

 — Il m'a toujours pas convaincu ce mec, pesta le rouquin en se plaçant sur le dos pour une série d'abdominaux. Ok, il avait l'air sincère en s'excusant. Mais y'a un truc pas net chez lui.

 L'Utak s'assit à côté de son ami pour passer au même exercice. Le récent promu en avait plus qu'assez des excès de jalousie de son collègue. Il pensait comprendre son besoin d'extérioriser ses pensées, et son rôle de chef l'obligeait à l'écouter. D'autant plus qu'ils étaient à nouveau en bons termes. Ce genre de discussion continuait malgré tout à lui passer au-dessus de la tête. Quel intérêt que de spéculer sur les relations des autres ?

 Mutika ayant besoin de se défouler, ils continuèrent un long moment à enchaîner différents exercices en silence. Lorsqu'ils décidèrent de passer à une simulation de combat, Tokri jugea que l'Oroshi s'était suffisamment calmé et relança la conversation.

 — Tu crois pas que la jalousie parle à ta place ? Izul, tu l'aimes à ce point ?

 Mutika stoppa un mouvement, manquant de se prendre un coup de l'Utak. Il bougea de côté au dernier moment, tout en haussant les épaules.

 — Comme tout le monde je pense. Je l'avais repéré avant d'être dans sa promotion. Quand j'ai su qu'elle était dans mon équipe, j'ai songé tenter quelque chose. Sans en être raide dingue. Je n'ai jamais eu de grands espoirs, pour tout te dire. Elle était la source des regards des garçons depuis des années, tu le sais au moins ? On était tous plus ou moins amoureux d'elle.

 — Ah.

 — T'es pas croyable, Tokri. Parfois, je me demande si t'es humain.

 A cette phrase, l'Utak tiqua. Le jeune homme avait trop entendu ce genre de réflexion tout au long de sa courte vie. Était-ce trop compliqué de comprendre que voir sa mère se faire assassiner sous ses yeux d'enfants avait forcément causé des séquelles sur ses capacités sociales ? Depuis ses cinq ans, son esprit était hanté par Uril et par son désir de vengeance. Jusqu'à ce qu'il soit affecté à la Team Gomaki, le reste ne lui importait que peu.

 — J'en avais rien à foutre des gens de l'Académie.

 — Je sais, je sais. Jusqu'à ce qu'on soit affecté à cette équipe, j'étais le seul à qui tu avais adressé la parole. Mais quand même, ne me dis pas que tu ne la trouves pas jolie ?

 Entre deux échanges, l'Utak jeta un œil à leurs partenaires féminines. Effectuant le même simuli combat que les garçons, Nika et Izul semblaient elles aussi en grande discussion. Tokri se demanda quelques instants quels pouvaient être les sujets de leur échange. Il balaya rapidement cette pensée de son esprit. Encore une fois, quel intérêt ?

 La coquette Izul s'était coiffée d'une queue de cheval et avait ajouté quelques barrettes depuis le début de la session de taijutsu. Certainement pour ne pas être gêné dans ses déplacements. Pour la première fois, il prit réellement conscience de sa beauté. Bien que plus jeune de deux ans que Tokri et Mutika, il était facile d'oublier ce détail. Les courbes de son corps et ses hanches étaient déjà celles d'une femme.

 Tokri ne put s'empêcher d'observer la timide Nika. Plus enfantine physiquement que sa collègue, la Hynomori exerçait un attrait indéniable. Contrairement à Izul, la brune n'avait pas eu à se poser de questions avec sa coupe au bol, dont les mèches violettes volaient devant ses yeux au gré de ses mouvements.

 — Ca y est, tu percutes qu'elle est belle cette nana ? le taquina Mutika, qui ne sembla pas avoir remarqué que le regard de son partenaire avait dévié sur Nika. Tu piges mieux pourquoi tout le monde, à part toi apparemment, n'avait d'yeux que pour elle ?

 Evidemment. En plus d'être une jolie pousse, Izul avait été une brillante étudiante. Major de sa promo, elle maîtrisait toutes les bases des arts shinobiques et avait une grande maîtrise de son Chakra, même pour une Genin fraîchement sorti de l'Académie. Belle et intelligente, le cocktail parfait pour mettre à ébullition les hormones adolescentes.

 Après avoir repoussé le poing de l'Oroshi, Tokri exécuta un coup de pied circulaire que son ami para. Il ne répondit qu'une fois qu'ils reprirent une position de repos.

 — Je te l'accorde, admit Tokri en sachant d'avance qu'il regretterait ses paroles. Mais je te le répète, Mutika. Je m'en fous. Tant que leur relation n'a pas d'impact sur l'équipe, ce ne sont pas mes affaires.

 Mutika soupira, tout en arborant son demi-sourire taquin. Sentant venir la boutade, Tokri le coupa d'avance.

 — Je leur demande juste d'être professionnel.

 Gomaki décréta la fin des exercices de taijutsu et leur ordonna de se réunir autour de lui, empêchant Mutika de lancer l'une de ses blagues vaseuses sans le savoir. Une fois qu'ils furent tous présent, il déclara :

 — Nous allons passer à la défense au genjutsu. Tsumyo, à toi l'honneur.

 — Putain... marmonna le rouquin en levant les yeux au ciel, exaspéré.

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