Épisode 23 - Éradication

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 L'Utak posait ses derniers pièges, concentré à ne pas céder à la rage qui l'avait envahi depuis le briefing. Tokri faisait au mieux pour éviter le regard de Chihousou qui s'affairait à encadrer l'aménagement de la zone. Trop interagir avec leur chef d'équipe risquait de lui faire perdre le contrôle.

 Lorsqu'il eut terminé son secteur, le Genin s'éloigna de ses partenaires. Il bondit sur le toit depuis lequel ils allaient effectuer la surveillance de cette dernière soirée. Quelques minutes plus tard, Mutika le rejoignit.

 — Chihousou a vérifié nos pièges et est parti.

 — Tant mieux. Ça m'évitera de le tuer, lâcha froidement Tokri.

 Mutika s'en retrouva muet durant quelques minutes. Contrairement à son ami, Tokri n'était en rien gêné par ce silence. Le rouquin finit par trouver l'inspiration pour le briser.

 — Nika et Izul sont encore avec les Gensouards, soupira-t-il. Tu penses que ça se passera bien ?

 — S'ils leur font quoi que ce soit de désobligeant, je les tue. En particulier Sabishii.

 Nouveau silence. Cette fois, Tokri s'en sentit mal à l'aise. Mutika faisait des efforts pour occuper leur temps d'attente, il n'était guère correct de sa part de réagir ainsi. D'autant qu'ils venaient tout juste de renouer leurs liens et que son ami n'était en rien responsable de sa colère.

 — Désolé, s'excusa l'Utak. Chihousou m'a mis en rogne.

 — A propos de la vraie nature de notre mission ?

 — Ouais. Mettre en péril un village qui n'a rien demandé par soif de profit, ça me fout les nerfs à vif...

 — Ça a toujours été le cas et nous avons été formés pour cela. Même si ce mec est un con, Chihousou n'est pas responsable des décisions des Villages. C'est la loi de notre monde. Être le plus fort, ou se faire écraser par les puissants...

 — Ça me fait gerber.

 Un troisième blanc tomba subitement. Mutika avait eu l'impression que son ami souhaitait couper court à la discussion. Tokri se sentit obligé de préciser en soupirant :

 — Le fait que Masaka applique les ordres sans broncher me met les nerfs à vif. La nature de cette mission ne me surprend pas. Je ne suis pas assez naïf pour me voiler la face à ce point. Mais que ce crétin soit prêt à sacrifier des innocents sans que cela ne lui pose le moindre souci me donne envie...

 — De le tuer ? compléta Mutika.

 — Ouais, confirma Tokri. Mais il faut voir le positif. On a l'autorisation de faire ce qui est juste : éliminer ces enfoirés jusqu'au dernier.

 Mutika ricana, heureux de retrouver le Tokri cassant et justicier qu'il avait toujours connu. L'ambiance s'était détendue. Ce fut au tour de l'Oroshi de relancer la conversation :

 — Comment va ta famille ?

 — Tu les connais, répondit Tokri en haussant les épaules. Fidèles à eux-même. Okioto est en mission depuis que je suis Genin. Mon grand-père vit seul et a embauché une bonniche pour les tâches ménagères. Le pauvre était démuni sans moi. Quant à Ryul et Utika, ils se prennent la tête à longueur de journée. Toujours le grand amour.

 — Content de l'entendre, dit Mutika en souriant.

 — Et toi ?

 — Toujours pareil.

 C'était au tour de l'Oroshi de couper court. Ses yeux se perdirent dans le vague, comme emporté par un tourbillon de pensées. Tokri se mordit l'intérieur de la joue. Faire preuve de tact était décidément une compétence qu'il n’avait pas encore acquise.

 Depuis leur plus tendre enfance, Tokri avait toujours connu Mutika écrasé par la présence envahissante de sa mère. Cette dernière avait toujours vu d'un mauvais œil l'amitié entre son fils et Tokri. L'Utak avait toujours eu un comportement hors des clous, cherchant en permanence à remettre en question les faits établis. Voir son fils suivre une telle tête brûlée l'avait mise hors d'elle à de nombreuses reprises.

 Il avait été surpris de voir Mutika s'éloigner de lui, alors même qu'il s'était mis sérieusement à ses études. Tokri avait vite compris que sa mère lui avait mis une pression plus importante que jamais pour les amener à ne plus s'adresser la parole, eux qui avaient toujours été connus pour être inséparables. L'Utak lui en avait longtemps voulu de s'être laissé influencer.

 — Elle n'a pas apprécié que nous soyons dans la même équipe ? se risqua Tokri.

 — Bingo, répondit à demi-mot Mutika.

 — Je suis pourtant devenu Genin…

 Nouveau silence, qui eût cette fois un goût plus pesant que les précédents. Tokri avait peur de comprendre, son poing se referma par instinct.

 — Est-ce que... commença Tokri.

 Il n'eut pas le loisir de formuler le fond de sa pensée qu'une explosion retentissante l'interrompit. Les adolescents comprirent que les brigands tentaient une offensive. De leur point de vue, Tokri et Mutika comprirent qu’ils étaient aux prises avec leurs pièges. Le résultat ne devait pas être beau à voir. La voix de Chihousou se fit entendre dans leurs oreillettes :

 — Tout va bien ?

 — Sous contrôle pour le moment, répondit Tokri. Le plan a l'air de fonctionner.

 — On les tient à l'œil, ajouta Mutika.

 — OK. J'envoie Gomaki à l'équipe Sud, les informa le Masaka. En cas de soucis, appelez-moi. Chihousou, terminé.

 La communication achevée, Tokri dirigea toute son attention sur les brigands. Après quelques secondes de hurlements de souffrance et de terreur, les Genins décidèrent qu'il était temps de se rendre sur place pour constater leur œuvre.

****

 L'Utak eut un haut le cœur en arrivant sur le lieu du carnage. Le spectacle était rude au vu de leur jeune carrière. Des traces noires d'explosion meurtrissaient le sol, accompagnées de bouts de viandes à demi calcinés. De ci de là traînaient des membres arrachés à leurs propriétaires. Tokri aurait été bien en peine de reconnaître ce qu'avaient été certains lambeaux…

 Mais ce n'était pas ce spectacle qui frappa le plus d'horreur l'Utak. Le souci était que certaines victimes étaient encore en vie, gémissant de douleur et de désespoir. Dépité, Tokri se saisit d'un kunai. Il l'insufla de Chakra Fuuton et s'approcha du premier gémissant aux jambes arrachées. L’Utak se fit un devoir de le fixer droit dans les yeux lorsqu’il lui ficha le projectile en plein front. La mort avait été immédiate. Au moins n'avait-il pas souffert davantage.

 Le jeune homme se surprit à trouver l'acte plus simple que la nuit dernière.

 Tokri se tourna vers Mutika, qui s'était muni lui aussi d'un kunai. Il tremblait et avait remonté son écharpe jusqu'à son nez pour se protéger de l'odeur de sang qui emplissait l'atmosphère.

 — Laisse-moi faire si tu ne te sens pas prêt, lui murmura avec compassion Tokri.

 — Non, répondit fermement Mutika. Je dois remplir ma part du boulot.

 L'Oroshi exécuta son premier homme. Tokri sentit que son ami était décontenancé par son acte, bien qu'il n'entra pas dans un état de choc, certainement énergisé par le fait que la mission était en cours. Pas le temps de souffler, il digérerait pleinement l’évènement une fois la mission terminée.

 Ce fut un soulagement lorsqu'ils passèrent aux blessés plus propres qui avaient été pris par les fils de fer et autres traquenards de ce goût. Pour penser à autre chose et rendre plus automatique ses gestes, Mutika se remit à parler non sans garder son écharpe sur son nez :

 — Il y a un truc entre toi et Nika ? demanda-t-il avec une fausse légèreté.

 — Pardon ? s'étonna Tokri en abattant dans le même temps un kunai d'un geste sec.

 — La façon dont elle te regarde amène à le penser, tenta de se justifier l'Oroshi.

 Devant le silence de Tokri, Mutika ne put s'empêcher d'ajouter :

 — Et tu n'as pas l'air insensible non plus, du coup je me demandais ...

 — Tais-toi, lui intima Tokri.

 A peine eut-il prononcé son ordre que le Genin entendit une corde se détendre dans un claquement sec. Il se jeta sur le côté et sentit un trait filer non loin de son flanc. Il s'en était fallu de peu. Tokri regretta de ne pas avoir demandé quelques conseils supplémentaires en matière de piège à Nika.

 Pestant contre les failles de leur traquenard, Tokri jaugea le point de provenance de la flèche et y envoya son projectile. Il entendit un choc non loin de lui, suivi d’un juron de la part de Mutika. Tokri n'eut pas le temps de comprendre ce qui se passait que son ami le heurta avec fracas.

 Par-dessus l'épaule de son compagnon, l'Utak vit un homme tout en muscles fondre sur eux. D'instinct, il poussa son ami sur le côté et intercepta à deux mains le poing de son adversaire. Ce dernier abattit son second poing vers son visage, le forçant à dégager sa gauche pour le bloquer. Le colosse força, mais Tokri tint bon en usant de Chakra pour se renforcer. Le Genin eut tout le loisir d'observer dans le feu de l'action son adversaire du moment. C'était l'archétype de l'homme habitué à la prison : crâne rasé, boucle d'oreille de mafieux et cicatrice sur la joue. L'œil de Tokri repéra quelques détails qu’il sut être d'importance : des veines noirâtres apparentes sur ses bras et en particulier au niveau des tempes.

 Une colonne de terre s'éleva à côté de son visage, dans laquelle se ficha une flèche. Tokri comprit aussitôt ce qu'il venait de se passer : Mutika lui avait sauvé la vie. L'Oroshi ne s’arrêta pas là et envoya plusieurs kunai de là où il avait vu venir l’attaque. L'archer bondit de sa cachette, au moment où Tokri se libérait de son assaillant en prenant appui sur son torse, le repoussant de quelques pas. Mutika effectua quelques signes pour générer des étreintes de terre qui stoppèrent net la course de l’archer en s’emparant de ses chevilles.

 L'Utak se saisit d'un kunai, le rendit plus tranchant de par son affinité, et l'envoya entre les deux yeux du brigand entravé. Mutika relâcha sa prise, laissant leur cible heurter avec lourdeur le sol. Les deux Genins firent face à leur dernier adversaire qui n'en menait pas large.

 — Putain... Avec plus de Boost S, je vous exploserais !

 Tokri haussa un sourcil, surpris.

 — Boost S ? s'étonna Mutika, formulant le questionnement muet de son partenaire.

 Le rasé sembla se rendre compte de son erreur et fonça vers Mutika en hurlant. Ce dernier effectua les mêmes mudras que précédemment, provoquant l'enlisement des pieds de son vis à vis. Tokri songea à l'épargner pour interrogatoire, mais se rappela les ordres des Villages : pas de survivant, hormis le chef si possible. Et ce n'était clairement pas lui.

 L'Utak bondit vers l'homme en chargeant sa jambe de Chakra et le frappa au cou. Le Chikara Sen’puu fit mouche, provoquant un sinistre craquement qui envoya au sol le dernier brigand. Hésitant, Mutika alla vérifier le pouls de l'homme.

 — Tu ne l'as pas loupé, déclara-t-il. Nuque brisée.

 — Bon débarras, cracha sèchement Tokri.

 Leur radio se mit à grésiller. L'Utak prit conscience que Chihousou avait tenté de les joindre plusieurs fois durant le combat. Concentré sur l'action, son esprit avait totalement occulté les appels. Il enclencha le communicateur en appuyant sur son oreillette :

 — Désolé, s'excusa t-il. Les pièges avaient des failles, on a dû s'occuper de deux gars.

 — Rien à foutre, aboya Chihousou. On a besoin d'aide sur la place du village.

 Un brouhaha se faisait entendre derrière eux. Des bruits de combat.

 — Le chef, commença t-il avant de marquer un temps d'arrêt comme pour esquiver une frappe. Il nous pose plus de soucis que prévu. L'équipe de Sarouh est déjà là. Magnez-vous de rappliquer !

 Chihousou n'avait pas besoin de le préciser. Tokri et Mutika étaient en train de bondir de toit en toit dans leur direction, aussi vite que possible.

 — On est en route. Tokri, terminé.

 Depuis le début de la mission, jamais il n'avait perçu la moindre nuance d'inquiétude dans la voix du Masaka. Jusqu’à cet échange. Tokri fit en sorte de réfréner toute angoisse. Chihousou et Sarouh étaient sur place, Gomaki non loin. Rien ne devrait arriver à leurs coéquipières.

 Malgré la gravité de la situation, il ne put s'empêcher de préciser entre deux bonds.

 — Mutika ?

 — Oui ?

 — On est juste amis.

 Mutika mit quelques secondes avant de comprendre de quoi son ami parlait. Lorsque le lien fut établi, il ne put s'empêcher d'esquisser un sourire. S'il devait mourir d'ici peu, il aurait au moins eu le plaisir d'être amusé par Tokri Utak.

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