Épisode 22 - Nouveaux ordres

9 minutes de lecture

 Le Chuunin rouvrit les yeux avec la très désagréable sensation de ne jamais les avoir fermés. L'espèce de nervosité qu'il ressentait ne voulait pas le laisser en paix. Il soupira, se livra à quelques assouplissements et se prépara pour la nuit. Tenue de combat, sabre, sacoche. Une fois tout en place, il se mit en marche vers la place centrale où aurait lieu le briefing du jour. Les shinobis allaient enfin savoir si leurs mauvais pressentiments se vérifieraient, Chihousou ayant reçu les instructions.

 Pourtant à l'heure dans leurs bureaux, Sarouh était le dernier à se présenter à la petite réunion. Tokri et Izul le saluèrent d'un mouvement de tête quand il arriva, tandis que Kazuo faisait tout son possible pour ne pas croiser son regard. La dynamique de groupe était bien différente de la première fois où ils s'étaient réunis. Cela n'échappa ni au Masaka, ni à Gomaki, qui pourtant n'en dirent rien. Ce n'était pas si important. Ils allaient bientôt se quitter.

— Bien. Vous n'êtes pas sans ignorer que la mission a pris un tournant inattendu. Les Villages ont statué, pour ce soir.

— Et ? questionna Sarouh. Gomaki nous reprend le commandement, je suppose?

— Pas loin. Gensou, tout comme Chikara d'ailleurs, ne pense pas qu'il y a eu faute de commandement. Après analyses de nos diverses actions, compte tenu des informations à notre disposition, ils sont parvenus à la conclusion que nous ne pouvions pas nous attendre à une menace pareille. Que tu aies pris tes responsabilités a aussi allégé le débat.

 Sarouh lui adressa un petit sourire triste. Inutile de lui dire que son Village faisait bien peu cas de sa vie et que sa blessure leur semblait bien peu de choses contre l'amélioration des relations avec Chikara. Au moins, il avait servi les intérêts de la Cascade.

— Pour ce soir, l'ordre de mission diffère, poursuivit Chihousou. Nous aurions dû arrêter la chasse aux brigands, et les laisser se remettre, pour permettre une autre mission de cohésion pour l'année prochaine.

— Pardon ? siffla Tokri.

— Tu as bien entendu. C'est une mission facile, qui rapporte beaucoup. Elle permet de tester les capacités de commandement des Chuunins et de former les Genins. Et sous couverts de soi-disant saboter nos réputations mutuelles, les troupes s’entraînent et deviennent parfois camarades.

 L'Utak ne répondit pas, mais la colère brûlait au fond de ses yeux. Que tout cela soit un simulacre l'énervait au plus haut point. Comment pouvait-on jouer avec la vie de ces gens, devait-il se dire ? Sarouh n'en pensait pas moins. Le procédé n'était pas très noble. Mais les ninjas ne sont pas des samouraïs, se rappela-t-il doucement. Et l'amitié entre les Villages sauverait sûrement plus de vie que l'attaque de bandits minables ne causerait de dégâts. Il l'espérait.

— En ce qui concerne cet ordre de mission, il est annulé. Maintenant, nous avons pour ordre de protéger la ville d'un dernier assaut. L’objectif est de traquer et éliminer tous les traînards puis de capturer le chef, vivant. Obtenir un échantillon de la drogue est également une priorité. Au moindre doute de Gomaki, il prend le commandement et peut intervenir à tout instant. Afin d'être les plus efficaces possibles, nous gardons la même organisation pour la première partie de la nuit, Gomaki intègre les patrouilles en soutien. Nous avons l'autorisation de piéger ces zones-ci, montra le Masaka sur la carte étendue sur le bureau . La consigne n’est plus d’épargner les brigands au possible, mais au contraire d'éliminer sans égards tous ceux qui remettraient en cause la suprématie des Villages. Ai-je été bien clair ?

 Tout le monde opina. Ce n'était ni plus ni moins que le pire scénario que chacun avait imaginé durant l'après-midi. La mission de protection avait dévié vers l'éradication. Ils ne pouvaient plus se cacher derrière l'honneur, ça allait tout simplement être un massacre. Et le bien-fondé de tout ça n'était pas clair non plus. Cependant, cette nouvelle série d'ordres était relativement bien accueillie, notamment côté Chikarate. Personne n'était d'accord avec l'idée de laisser sévir des brigands dans la région.

 Le plus simple était encore de ne pas y penser. Et donc de se mettre en marche. Sarouh, Nika, Kazuo et Izul prirent position. La nuit n'étant pas encore tombée, ils pouvaient encore se permettre quelques préparatifs. Il restait encore de nombreuses heures avant une potentielle attaque. Piéger la zone fut un jeu d'enfant. L’Hynomori s'avéra particulièrement douée.

— Pour une marionnettiste, les pièges sont un peu une seconde nature, s'excusa-t-elle presque devant le regard curieux de ses camarades.

 Flèches empoisonnées, projectiles déclenchés par pression, câbles tranchants qui pouvaient décapiter ou déclencher d'autres séries de pièges, quelques parchemins explosifs... Rapidement, les arrivées connues pour rentrer dans Nidikami étaient devenues impraticables. De leur côté, l'équipe Masaka était arrivée au même résultat. La radio était régulièrement activée, Gomaki s'informant de l'état de l'avancement au Sud. Afin de pouvoir intervenir à tout moment, il était resté non loin du centre de la ville.

 Entouré par les deux kunoichis, Sarouh se sentait plutôt bien. Il se voyait un peu en elles, leur manque de confiance rappelant le sien. Il voyait aussi une certaine noblesse dans leur comportement qu'il appréciait beaucoup. Quelque part, il se sentait accepté. Et le silence auquel se tenait le dernier Genin n'était pas pour lui déplaire.

 La leçon avait été apprise, finalement. Il se doutait que le naturel du Sabishii reviendrait au galop dès son retour à Gensou. Tant qu'il lui foutait la paix, il était aux anges. Ils s'assirent en cercle sur le toit d'un bâtiment qui servait de promontoire, non loin des remparts sud-est. Il leur fallait désormais tuer le temps, à défaut d'autre chose. Le Chuunin lança la conversation :

— Alors les filles, ça fait longtemps que vous êtes Genins ? Vous avez toujours été dans la même équipe?

— Pourquoi ? demanda timidement Izul.

— On va faire connaissance. Sauf si vous avez mieux à proposer ? J'ai oublié mon jeu de cartes.

— Je croyais qu'on avait pas le droit de draguer, Tsumyo, persifla Kazuo.

—Tu n'es pas invité à la conversation parce que tu es un boulet multi-dimensionnel, ça n'a rien à voir.

 Les deux jeunes filles rirent doucement de la remarque, apaisant le Sabishii qui se sentit alors intégré à la conversation en acceptant totalement son rôle de clown. De toute manière, il n'avait aucune chance avec la kunoichi aux cheveux bleus clairs. C'était bien dommage, ses attitudes, ses mimiques, ses petits sarcasmes lorsqu'elle prenait confiance... Tout cela plaisait bien au dragueur invétéré. Et ce n'était pas Sarouh qui allait le contredire, clairement pas indifférent à son charme. Ni à celui de sa comparse, d'ailleurs.

 Les deux Genins faisaient la paire. La marionnettiste contrastait tout en discrétion avec sa camarade. Là où Izul n'était que bleu clair, ses cheveux étaient d'un noir foncé intense, où se mêlaient certaines mèches teintes en violet profond, qui se dégradaient de rouge ou de nuances de bleus. Sa frange ne suffisait pas toujours à cacher ses yeux verts foncés. Aussi fines et grandes l'une que l'autre, le jeu des couleurs n'en était que plus saisissant.

 Tranquillement installés, ils purent prendre un peu le temps de se calmer et de se voir, pour de vrai cette fois. Si le Gensouard s'était relâché, on pouvait en dire autant de ses camarades. Le Chuunin inspirait une espèce de confiance joyeuse aux deux jeunes femmes. Son sacrifice du premier soir avait eu son petit effet, mais il bénéficiait surtout de la comparaison avec son glacial collègue. Elles se sentaient bien mieux avec lui que dans le groupe au Nord.

— Alors, vous tenez le coup ? s'enquit Sarouh

— Pardon ? siffla Izul, sur la défensive

— Cela fait beaucoup à encaisser, je ne vous prends pas de haut. Cette mission était supposée être beaucoup plus tranquille. Je voulais être sûr que vous alliez bien.

 Les Chikarates se regardèrent, un peu surprises. Définitivement, elles trouvaient ça étrange tant de sollicitude. Pas désagréable pour autant, mais la maladivement timide marionnettiste préférerait sûrement qu'il ne la fixe pas avec autant d'intensité quand il lui posait ces questions.

— Si vraiment vous avez besoin d'une raison, vous n'avez qu'à vous dire que j'ai besoin de connaître votre état mental pour savoir si vous allez flanchez ou pas ce soir. Mais avouez quand même que c'est moins sympa.

 La future médecin lui accorda un petit sourire et plongea son regard dans le sien, toujours sans répondre, tous deux essayaient de se cerner. Elle rendit finalement les armes d’un petit mouvement de la main, comme pour éloigner l'insecte métaphorique que représentait leur gêne.

— Ça va beaucoup mieux maintenant. Hier était rude, mais nous avons repris nos esprits. Quelque part, je suis même satisfaite que ça se soit passé comme ça. Je préfère savoir qu'on aura fini le ménage.

— Oui, ajouta timidement Nika. Je suis inquiète pour les villageois. Nous devons les protéger.

— Et puis ça nous a permis de se rencontrer ! renchérit Kazuo, ponctuant le tout d'un clin d'œil envers Nika, lui faisant instantanément monter le rouge aux joues.

— Parfaitement, enchaîna Izul, fichant de nouveau son regard dans le Tsumyo, le vert clair rencontrant l'émeraude. Cette rencontre était providentielle.

 Ce fut au tour du Gensouard d'être gêné, malgré l'ironie mordante perceptible. Finalement, la douce ninja avait du caractère. Ce petit jeu cessa rapidement, au bonheur de la demoiselle aux cheveux violets, la conversation dérivant sur des sujets plus banals. Académie, premières missions...

— ...J'aimerais bien retrouver une technique perdue par mon clan il y a longtemps et devenir plus forte que mon père ! finit par affirmer Nika.

 Elle montrait de la passion pour la première fois depuis qu'ils s'étaient rencontrés. Et s'il y avait une chose que le Tsumyo respectait, c'était l'amour filial. Dans sa voix résidait une force inattendue venant de la timide Hynomori, comme si elle les défiait de se moquer de son objectif, ce que personne n'avait envie de faire en réalité. Izul s’apprêtait à prendre la parole lorsque la brutale réalité se rappela à eux par plusieurs détonations.

— Ca pète de notre côté, informa Sarouh dans un soupir. Ça dit quoi au Nord ?

— RAS pour le moment. Gomaki arrive de votre côté pour s'assurer que rien ne se passe. Je vais faire la chasse de mon côté, en solo, pour éviter un autre fiasco, répondit le Masaka.

Le Tsumyo pouvait sans peine l'imaginer fusiller du regard le reste de son équipe en déclarant cela.

— Entendu.

 Le Jounin arriva presque immédiatement, donnant l'air de revenir d'une marche tranquille alors qu'il avait traversé la moitié de la ville en un battement de cil. Il s'alluma une cigarette en faisant un signe de tête au Tsumyo. Il n'y avait pas encore besoin qu'il prenne les choses en main, c'était au Chuunin de gérer ça comme il l'entendait, pour le moment du moins. Les choses furent organisées simplement : aller-retours entre les pièges, achever à distance et sans prendre de risque les blessés. Au moindre doute quant à l’efficacité un piège, ce serait à la marionnette de Nika de prendre les devants. Si l'idée ne l'enchantait pas, elle se rendit rapidement à son avis : mieux valait risquer du bois que leurs vies.

 La besogne de nettoyage commença. Si la stratégie du jeune homme n'avait rien d'honorable, elle ne manquait en rien d'efficacité. Il essayait tout de même de faire le pire lui-même, se gardant d'exposer les deux jeunes femmes aux bandits aux jambes arrachées par les explosifs, qui rampaient douloureusement en pleurant sur le sol détrempé. Ce n'était pas beau à voir. Éliminant toute émotion en lui comme il savait si bien le faire, Sarouh poursuivit sa macabre besogne sans relâche. Les fléchettes empoisonnées et les fils tranchants étaient un peu plus propres. Retenant son envie de vomir, il acheva un dernier homme de main d'un coup de katana sec. Aura décapita comme s'il ne s'agissait que de beurre mou, alors qu'il entendait l'ordre de rappliquer au Nord et fissa.

— J'ai trouvé le Big Boss. Tsumyo, on ne sera pas trop de deux.

— J'arrive.

 Il se doutait de l'euphémisme de Chihousou. Si ça pouvait être réglé simplement, les griffes de fer du géant blond seraient déjà plantées dans le corps du chef, prêt à envoyer le paquet direction Chikara. L'escouade Sud se hâta donc, sans s'attendre à trouver le monstre qui croisait le fer avec le Masaka...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 8 versions.

Vous aimez lire Tokri Utak ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0