Épisode 21 - Le calme avant la tempête

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 Les mains dans les poches, Sarouh se baladait rêveusement dans Nikidami. Ses blessures lui faisaient moins mal et il était presque revenu à son état de forme nominal. Excepté la douleur, ses muscles obéissaient comme il le désirait. Les soins avaient été de qualité, surtout étant donné les circonstances. Le jeune Chuunin voulait désormais devenir vite plus fort, l'impatience de finir cette mission le rongeait. Cependant, il n'avait pas envie de revenir à Gensou. Pour y faire quoi ? Ses parents étaient en mission et il n'avait plus de nouvelles de son ancienne équipe. Et la simple idée d'y recroiser Masiku lui donnait la nausée. Finalement ce n'était pas un Arabara, mais un Maboroshi qui l'avait remplacé. C'était presque la même chose.

Au moins, Chiraku serait satisfait par le degré de prestige qu'avait désormais le petit groupe. Malgré tout, Asori manquait au Tsumyo. Elle ne l'avait même pas félicité pour sa promotion. Il secoua doucement la tête. Il avait passé son temps à essayer de ne plus penser à eux, ce n'était pas pour invoquer ses vieux démons ici. Si la solitude l'avait rattrapé, il triompherait de nouveau d'elle et voilà tout.

 Le vacarme de ses pensées ne couvrait pas le bruit ambiant. La ville était en totale ébullition, dénotant complètement avec son calme nocturne. Les gens n'étaient que nuisance pour le Tsumyo. Ils braillaient et polluaient la place de leur simple existence. Encore une fois, ses pensées se dirigèrent vers la Grande Cascade dont le ronronnement régulier l'apaisait depuis toujours et ignora totalement le maire qu'il perçut au loin, en train de s'époumoner sur son coéquipier. Bon débarras.

 Le duel de réputation entre les deux Villages lui passait au-dessus de la tête. La vocation formatrice de l'expédition avait pris un tournant beaucoup plus sanglant que prévu et le seul bénéfice qu'il avait eu de toutes ces conneries avait été de se faire empaler pour sauver une Genin qu'il ne reverrait sans doute plus. Tu parles d'un succès. Sarouh craignait un peu la suite des événements. Logiquement, ils auraient dû en rester là et laisser un noyau dur de brigands se reformer, permettant aux Villages de littéralement moissonner Nikidami chaque année, par la reconduction de cette mission de formation. De plus, il s’agissait d'or facile à faire. Maintenant, ils allaient sûrement devoir éliminer toute menace et ramener le chef en un seul morceau.

 Son mauvais pressentiment se renforçait à chaque minute et il avait pris l'habitude de s'y fier. C'est donc un Chuunin maussade qui manqua de percuter le Jounin qu'il était pourtant allé voir de lui-même. Son éternel clope à la bouche, Gomaki était aussi perdu dans ses pensées que lui. Leurs réflexes pourtant proprement hallucinants en temps normal ne leur permirent de s'éviter que de justesse, au coin d'une rue relativement silencieuse et non loin du bâtiment qui leur avait servi de quartier général les deux premiers soirs.

— Oh, Tsumyo. Excusez-moi, j'étais perdu dans mes pensées.

 Respectueux et poli, comme à son habitude, le Chikarate semblait partager son étrange état d'esprit, que le Chuunin s'efforça de dissimuler pour montrer au mieux sa gratitude :

— Gomaki, je vous cherchais justement. Je tenais à vous présenter mes plus sincères remerciements pour les soins que vous avez aidé à prodiguer. J'ai déjà remercié Izul mais... Je n'ai pas eu l'occasion de faire passer le message correctement.

— Ce n'est rien. Je n'allais pas laisser mourir un camarade shinobi des mains d'un vulgaire brigand. Et je n'oublie pas que vous vous êtes mis en danger pour sauver une de mes élèves. Pour ça, c'est moi qui vous suis redevable.

 A la grande surprise du Tsumyo, il s'inclina bas. L'affection qu'il portait à ses Genins toucha Sarouh, remuant encore des souvenirs qu'il préférait enfouis.

— Si c'était à refaire, je le referai. La suite risque de moins vous plaire.

— Comment ça ? Vous avez des informations supplémentaires pour ce soir ?

— Non, je... Je vais vous exposer mon problème, mes conclusions et vous allez me dire ce que vous en pensez. Essayez de ne pas vous énerver avant que j'ai fini, je vous prie.

 Ce fut à son tour de s'incliner. La surprise s'invita dans le regard du shinobi expert. Une autre mauvaise nouvelle ? L'inquiétude le gagnait, bien qu'il n'en montrât rien. Qu'est-ce que ses élèves pouvaient bien avoir encore fait ?

— Je t'en prie Tsumyo. Tu permets que je te tutoie ?

— Bien sûr, ça sera plus facile pour moi aussi. Après une courte pause, Sarouh reprit. Bien, tout d'abord, sachez qu'avant Nikidami, nous nous sommes arrêtés avec Kazuo et Chihousou à un autre village, encore plus insignifiant. Nous y étions pour livrer un héritage, chose pour laquelle nous avons été grassement payés. Nous ne vous avions pas transmis l'information. Jusqu’à ce que Kazuo ne l'ouvre, pour draguer Izul. Ne vous en faites pas, je l'ai déjà remis à sa place pour ça et je pense savoir que Chihousou n'a pas été tendre avec lui non plus. Mais vous devez comprendre où je veux en venir. Personne n'était au courant pour l'argent. Chihousou n'a aucun intérêt à me voler, Kazuo m'aurait tout révélé s'il était fautif. Il ne reste que vos élèves.

 Le Chuunin laissa le silence s'abattre sur eux, le temps que son vis-à-vis mesure la portée de ce qu'il annonçait. Rien dans le comportement de Gomaki ne trahissait quoi que ce soit. Il était resté totalement impassible. Sarouh reprit, se résignant par avance à l'échec de son plaidoyer :

— Je ne pense pas qu'Izul me volerait. Elle s'en voulait déjà bien assez pour avant-hier. Mon échange avec Tokri m'a un peu appris à le jauger. Je serais très surpris qu'il soit voleur. Mes soupçons se portent donc sur Mutika... Vous ne savez rien à ce sujet?

 Une lueur d'intérêt passa désormais dans le regard du Jounin qui se décontracta de manière quasi imperceptible. L'esprit de déduction du Gensouard se mêlant à son instinct avec une certaine acuité piquait un peu la curiosité du Chikarate, qui pensait sincèrement ses élèves innocents.

— Si vol il y a bien eu, je ne sais rien du tout. Tu dirais à ton sensei que tu as volé un étranger toi ? Cependant, ce sont de sérieuses accusations, Tsumyo. Je ne peux pas te laisser les traiter de voleur de la sorte.

— Je n'affirme rien pour le moment. J'aimerais juste m'entretenir avec le dénommé Mutika Oroshi. S'il me convainc, ça s'arrête là.

— Nous verrons après la mission. Pour l'instant nous avons plus urgent à gérer. Essaie de te reposer, Tsumyo. Ce soir risque d'être long. J'essaierai de voir mon élève de mon côté. Au revoir.

 Cela ne souffrait aucune contestation. Passant ses mains dans ses cheveux, le Gensouard soupira. Les chances pour qu'il ait cette entrevue et qu'il récupère son bien tout en respectant ses contacts diplomatiques étaient... Il ne trouva pas de mot assez faible pour représenter son idée et tapa dans un caillou de frustration avant de continuer sa balade. Il fallait qu'il se détende. Il n'avait pas eu un moment de sérénité depuis des mois, cela commençait à lui peser. Les humiliations répétées de l'examen, directement suivies de cette mission, pas étonnant que ses nerfs lâchent. A son retour, une autre équipe lui serait sûrement affectée. Avec un peu de chance, il pourrait oublier l'échec cuisant de la précédente...

****

 Ses pas le menèrent à un coin boisé, à la périphérie de la ville. Il s'était naturellement éloigné du bruit, son instinct appelant au calme et la solitude. Il sut que c'était raté pour cette dernière en voyant au loin un kunai s'enfoncer profondément dans le bois dans un claquement sec, manquant de couper en deux le chêne qui était victime d'un acharnement manifeste. Pantelant, Tokri Utak, s'équipa d'un autre projectile. N'ayant pas encore aperçu le Chuunin, il était tout à son entraînement. Une colère froide semblait imprégner chacun de ses jets.

 Sarouh s'arrêta pour l'observer un temps, adossé à un arbre. Projectile après projectile, il finit par comprendre que le Genin insufflait un chakra Fuuton à ses armes avant de les envoyer se ficher dans le bois. L'illusionniste comprit aussi, au bout d'un moment, pourquoi il ne parvenait pas au résultat désiré. Il se mordilla le bout du pouce. Est-ce que c'était vraiment son rôle d'aller l'aider ? Et comme d'habitude, son aide serait-elle bien reçue ?

 Pendant qu'il tergiversait, il prit le temps de détailler son collègue d'une mission. Moins grand que lui, des cheveux noirs et le teint basané, Tokri était exactement ce qu'on pouvait imaginer d'un ninja des Sables. Large d'épaule sans être un molosse, il était bien dessiné et sa carrure supposait une grande force. Le Tsumyo avait eu le loisir d'y goûter. Il se maudit, avant d'aller rejoindre le Chikarate.

— Salut. Besoin d'un peu d'aide?

 Tokri se raidit en l'entendant arriver. Probablement qu'il avait envie d'être seul. Et des personnes qui pouvaient le déranger, le Gensouard était sûrement une de celles qu'il avait le moins envie de voir.

— Je peux savoir ce que tu fous là, Tsumyo ?

— J'essayais d'échapper au bruit. Je crois que je préfère encore la nuit et ses brigands que le bordel qu'ils font. Et je suis tombé sur toi.

— Et qu'est-ce qui te fait croire que j'ai besoin de ton aide ?

— Manifestement, le contrôle du Chakra, c'est pas ton truc.

— Si c'est juste pour me dire ça… grogna l’Utak, laissant une forme de menace en suspens.

— Ne sois pas autant sur la défensive, j'ai dit que je pouvais t'aider.

— Et qu'est-ce que tu y gagnes ?

 Sarouh se mordit l'intérieur de la joue gauche. Il n'en savait rien et avait spontanément eu envie de proposer son aide. C'était dans sa nature, de vouloir expliquer ce qui échappait aux autres. Puis, quelque chose chez Tokri lui rappelait Cac'. C'est peut être la nostalgie des entraînements avec elle, qui le poussait à aider le Chikarate ? Rien n'était moins sûr. Il finit par répondre en fixant le Chikarate dans les yeux.

— Disons que je suis un bon samaritain ? Et tu me rappelles quelqu'un.

— Mouais, lui répondit-il, dubitatif. Ca me semble faible, comme raison. Et qu'est-ce que j'aurais à apprendre d'un Chuunin qui trouve le moyen de se blesser le premier soir de la mission ?

 Décidément, il ne faisait rien pour se rendre sympathique. L'espace d'une petite seconde, Sarouh considéra l'idée de s'en aller et de le laisser galérer avec son malaxage. Puis il soupira doucement et pris sur lui.

— Le prochain coup, je la laisse se faire couper en deux, promis. Les Gensouards ont pour spécialité le genjutsu. De tous les arts ninjas, c'est celui qui demande le contrôle le plus fin du Chakra. Et je crois comprendre ce qui te manque.

 Tokri le dévisagea, sans comprendre. Était-il sur la défensive à cause du cadre de la mission, où ils avaient comme objectif secondaire de s'en prendre à leur réputation mutuelle, ou ne comprenait-il tout simplement pas qu'un shinobi étranger propose son aide ? Il était même possible qu'il ne comprenne pas que quiconque fasse preuve d'altruisme. Du genre à douter de tout et de tout le monde ? Pas illogique, en ce monde.

— Bien. Et qu'est-ce qu'il me manque, selon toi ?

— Un bon malaxage.

 Le Chikarate ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel. Apparemment, il avait entendu cela des tonnes de fois. Le Tsumyo précisa sa pensée, avec le même ton professoral que lors de ses entraînements à la Cascade.

— Malaxer son Chakra n'est pas un exercice générique. Pour chaque application, tu dois avoir une image bien particulière en tête, en fonction de ton affinité et de ta personnalité. C'est ce qu'on appelle l'imagerie mentale dans les bouquins. Est-ce que tu maîtrises des exercices de contrôle de base ?

— Ne me prends pas pour un naze parce que tu m'as battu. Je sais grimper aux arbres.

— Et marcher sur l'eau ? Ou peut-être sur des sables mouvants, étant donné d'où tu viens ?

— Jamais eu l'occasion d'essayer.

— Suis moi.

 Sans vérifier si l'Utak s'exécutait, il partit à la recherche de la rivière qui coulait non loin d'ici. Cette dernière traversait le village et avait été au cœur de la zone de surveillance d'Izul la première nuit. Une fois arrivé, il constata que le Genin le suivait effectivement, intrigué. Sa méfiance avait cédé le pas à la curiosité et au désir de devenir plus fort.

 Avec un naturel écoeurant, Sarouh se plaça au milieu de la rivière.

— Essaie, comme si tu grimpais à un arbre. Tu vas vite comprendre où je voulais en venir.

 Sans perdre une seconde ni s'interroger plus que ça, son élève du jour tenta et tomba dans l'eau avant même son deuxième pas.

— Pourquoi ? Je n'avais aucune stabilité ! Je suis pourtant sûr d'avoir libéré du Chakra !

— C'est ce que je disais. Utiliser de l'énergie spirituelle n'est pas un exercice générique. Si pour marcher sur la cime d'un arbre, tu dois imaginer une adhérence, pour l'eau c'est légèrement différent. Tu dois imaginer quelque chose de plus diffus, comme un coussin d'air que tu ferais rapidement tourner sous tes pieds et qui continuerait sous l'eau, par exemple. Moi c'est ce que je fais. C'est aussi légèrement plus difficile, la quantité de Chakra devant être mieux répartie.

 Tokri rejoignit la berge, trempé et en râlant. Il avait saisi l'idée, mais n'était pas persuadé que ce petit jeu allait lui apporter quoi que ce soit. Appliqué, il refit un essai et pu faire quelques pas avant de perdre l'équilibre. Le rapide progrès du Chikarate montrait que son homologue avait vu juste. En soi, il savait bien utiliser son énergie spirituelle. C'était la concrétisation de son utilisation qui posait souci. Maintenant, il fallait qu'il s'approprie l'exercice et se crée ses propres ancres mentales, nécessaires à la réalisation de jutsus plus complexes.

— Maintenant que tu vois l'idée, on peut reprendre l'entraînement ? Moi aussi, j'aimerais savoir insuffler du Chakra Fuuton dans mes armes.

— Mais... Tu n'es pas de l’Eau ? Tu aurais une capacité héréditaire ?

— Non, je n'ai pas cette chance. Seulement une double affinité. Maîtriser deux types de ninjutsu est beaucoup plus difficile. Je suis bien plus à l’aise avec le Suiton et ne maîtrise qu'un seul jutsu Fuuton. J'aimerais étoffer mon arsenal, si tu veux bien m'expliquer comment tu t'y prends.

 Il s’inclina à la fin de sa demande. Bon joueur, L’Utak se plia au caprice de Sarouh et lui répéta au mot près ce que lui avait enseigné Gomaki. Retournant dans les bois, ils se mirent à deux sur les pauvres arbres qui demandèrent vite grâce. Tokri progressait à nouveau beaucoup plus vite, et le Chuunin se hissa rapidement à son niveau. Lorsque le ciel se mit à décliner, ils se séparèrent avec un signe de tête, sans rien dire. Pas très loquace, le bonhomme. Cependant, le Tsumyo était content. Ils y avaient tous les deux trouvé leur compte.

— Allez, à la sieste. La nuit va être longue... Vivement que je rentre, putain, ajouta-t-il en portant sa main droite à sa tignasse.

 Il rentra à l'hôtel en soupirant, de retour dans le bruit d'une ville en effervescence.

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