Épisode 20 - Complicité

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 Suite à sa nuit mouvementée, Chihousou avait accordé à Tokri une partie de sa matinée pour se remettre tout en lui en donnant rendez-vous à son bureau, gracieusement prêté par le Maire du village le temps de la mission.

 Tokri prit une grande inspiration avant de toquer à la porte. Chihousou ne l'effrayait pas malgré leur différence de niveau. Et si le ton s'envenimait entre eux, le Genin de Chikara savait que Gomaki interviendrait. L'Utak craignait plutôt ses propres réactions. Il avait un problème avec l'autorité et n'acceptait que d'obéir aux ordres qui faisaient sens pour lui. Or, Chihousou représentait tout ce que Tokri haïssait chez un gradé : un soldat exécutant des ordres sans se poser de questions.

 — Entre.

 Le Chuunin était assis à son bureau, une feuille devant lui sur laquelle était posée une plume encrée. Gomaki était assis sur le rebord d'une fenêtre ouverte et fumait une cigarette.

 — Assis, lui intima Chihousou.

 Tokri s'exécuta et croisa instinctivement les bras avant de demander sèchement :

 — Tu veux me parler du gars que j'ai tué ?

 — Ton rituel malsain ? Tu verras ça avec ton sensei et Chikara. Je ne sais pas ce qui t'es passé par la tête et ça ne me concerne pas.

 — Pour une fois qu'on tombe d'accord.

 — Surveille tout de même la façon dont tu me parles, Utak. Je suis ton supérieur sur cette mission, et tu as tout intérêt à ne pas mettre en péril sa réussite. Gomaki a mon rapport sur l’incident de cette nuit. Si tu agis de façon responsable, l'affaire restera close pour moi. Concernant ton avenir comme ninja, je n'en ai rien à foutre.

 Il marqua un temps de silence et se frotta le visage. Tokri comprit qu'il rassemblait ses pensées et en profita pour faire de même.

 Bien qu'il n'en montrait rien, l'Utak était tout de même quelque peu inquiet par cette menace en suspens sur sa carrière. Chikara risquait-il de le bannir des rangs de son armée ? Tokri se fichait de sa carrière, mais il avait besoin d'évoluer comme shinobi pour gagner en capacités. Se retrouver simple civil freinerait grandement sa quête de puissance.

 — Je voulais tes impressions sur nos adversaires, lui demanda Chihousou. J'ai convoqué un à un chaque membre de l'équipe pour recueillir leurs observations. Il ne me manque plus que les tiennes.

 — Ces gars étaient anormalement forts physiquement. Que ce soit en terme de résistance ou en force de frappe. Je me suis même demandé s'ils n'étaient pas des ninjas. Mais leur façon de se battre était dénuée de formation martiale.

 — C'est ce qu'ont également remarqué Sarouh et les autres, commenta Chihousou tout en prenant des notes. Autre chose ?

 — Les gars présentant ces aptitudes avaient les tempes gonflées et noires. Le plus costaud de la bande s'est injecté quelque chose à l'aide d'une seringue. On a affaire à une drogue apparemment.

 Une moue inquiète apparut sur le visage du Chuunin. L'affaire prenait une tournure de plus en plus inquiétante. Une drogue pouvant donner des aptitudes permettant à un civil de rivaliser avec un ninja, c'était du jamais vu.

 — Personne ne m'avait encore parlé de ces marques. Certainement à cause de la pénombre. Tu es celui de l'équipe qui les a affronté au plus près, je me doutais que tu avais certainement remarqué quelques détails. Et concernant l'homme que tu as tué ?

 — Il était drastiquement plus faible et n'arborait aucune veine. J'ai voulu le faire parler pour obtenir des informations. Mais il ne m'a pas donné le choix.

 C'était un mensonge. A son avantage, il n'y avait aucun témoin. S'il se montrait suffisamment convainquant et restait cohérent dans ses déclarations, Tokri espérait faire passer son meurtre froid pour de la légitime défense.

 — Aucune seringue sur lui. Nous verrons qui de Chikara ou Gensou s'occuperont des autopsies que je vais préconiser. Certainement les deux. Dans tous les cas, j'ai noté tes observations. Tu peux disposer.

 Tokri se dirigea vers la sortie. En passant devant Gomaki, ce dernier lui fit comprendre d'un regard qu'ils auraient à discuter ultérieurement. Cela ne surprit pas le Genin. Bien que présent en tant qu'observateur, le Jounin restait leur tuteur et chacun de leurs actes lui retombaient dessus.

 Lorsqu'il quitta le bâtiment, l'Utak fut surpris de voir Mutika lui faire signe de le rejoindre de la rue d'en face. Tokri alla à sa rencontre, quelque peu circonspect devant le sourire malicieux arboré par son ancien ami. Le Genin se doutait que son collègue avait prévu quelque chose concernant les Gensouards.

 — Oui ? demanda Tokri.

 — Suis moi. J'ai quelque chose à te montrer.

 Tout en prononçant ces mots, Mutika fixait la fenêtre du bureau de Chihousou. Tokri comprit que le jeune homme craignait que le Chuunin ne les entende avec ses capacités sensorielles hors du commun.

****

 Les deux garçons finirent par rejoindre la place centrale de Nidikami, qui formait un cercle donnant sur diverses rues. Les étals fourmillaient d’animation de ce centre jusqu'aux ruelles adjacentes.

 Nikidami était en pleine effervescence de leur fête du métal, l'agitation battait son plein. De nombreux marchands vantaient la qualité exceptionnelle des produits de leur stand. Les villageois vivant en temps normal d'agriculture, l'essentiel des objets exposés y étaient liés : fourche, bêche, binette... Tokri constata que certains étals proposaient diverses denrées alimentaires, mais également des armes, des décorations typiques de la région, des étoffes et bien d'autres choses. L'Utak avait cru comprendre que l'événement attirait des touristes de tout horizon. En y réfléchissant bien, il se souvenait en avoir vaguement entendu parler par le passé, certainement par son grand-père.

 Il était logique que Nikidami fasse appel aux Villages pour assurer leur protection face à des malfaiteurs vénaux. De nombreux rapports de situation avaient fait état d'une bande importante. Cela justifiait l'envoi de Genins et de deux Chuunins. Tokri se doutait que le fait que les malfrats soient dopés par une étrange drogue risquait de changer la donne et de hausser le niveau de la mission.

 Mutika le tira en avant, extirpant son coéquipier de ses réflexions. Tokri avait brièvement pensé que le garçon aux cheveux rouges souhaitait acheter de la nourriture ou des souvenirs, mais il n'en était rien. Le Genin semblait enthousiasmé par tout autre chose, ce qui confirmait la première supposition de l'Utak.

 Ils s'arrêtèrent au coin d'une ruelle. Mutika s'assura qu'ils avaient une bonne vue sur la grande place, et hocha la tête de satisfaction.

 — Tu peux m'expliquer maintenant ? le pria Tokri.

 — Sois patient mon vieux. Ca ne devrait pas être bien loin, lui assura Mutika. En attendant...

 Mutika s'asseya dos à un mur et posa son sac en bandoulière devant lui. Il en sortit diverses viennoiseries. Le Genin en tendit une à Tokri, qui fut quelque peu pris de court par cette délicate attention.

 — Fais pas cette tête va, dit Mutika. On est partenaires, non ?

 Tout en réserve comme à son habitude, Tokri opina du chef et s'assit à côté de son ancien ami. Ils mangèrent en silence, Mutika jetant de réguliers coups d'œil à la grande place. Tokri insista à trois reprises, mais son coéquipier refusa de lui expliquer la raison de sa bonne humeur. L'Utak décida donc d'attendre et finit par somnoler. Une heure plus tard, il fut réveillé par un coup de coude :

 — Ça commence !

 Le jeune homme désigna la grande place. Tokri y vit Chihousou Masaka, un papier à la main. Le Chuunin tournait sur lui-même et dirigeait son attention d'étal en étal, de personne en personne. Il semblait chercher quelqu'un. Mutika se mit à ricaner :

 — Quelle ponctualité.

 Tokri vit alors une belle blonde qu'il reconnut aussitôt : Ayane, la fille du Maire de Nikidami. Elle se dirigeait vers leur supérieur d'un pas timide, un papier en main . Ce détail en commun permit à Tokri de constituer le puzzle qui s'agençait sous ses yeux. Lorsqu'il perçut la jeune femme, Chihousou eut un mouvement de recul. Tokri en conclut que le Chuunin ne s'attendait pas à son arrivée.

 Ayane prit sûrement cela pour de la réserve. Cela ne l'empêcha toutefois pas de se jeter dans ses bras, ni d'embrasser le géant. Chihousou ne l'esquiva pas, ne s'attendant certainement pas à cette réaction. La panique se lisait sur son visage, bien que le baiser ne semblait pas lui déplaire.

 — Qu'est ce que c'est que ce bordel ? murmura dubitatif l'Utak.

 — Le clou du spectacle arrive, ricana Mutika.

 Furieux, le maire de Nikidami avançait d'un pas lourd vers sa fille et son amant. Lorsqu'il fut à portée de voix des deux, il se mit à hurler. Tokri ne perçut que des bribes de mots tels que "honteux", "déshonorable", ou encore "Quand vos employeurs apprendront cela !". Chihousou sembla vouloir se justifier auprès de son "beau-père", mais ce dernier n'en avait cure et continuait à lui hurler dessus. Mais les deux Genins n'avaient pas besoin d'en entendre plus. Le spectacle qui s'offrait à leurs yeux était amplement suffisant pour saisir le fond des propos. De toute façon, la colère du Maire comblait de bonheur Mutika.

 Le Masaka se tourna brièvement vers eux. Cela suffit à déclencher l'alarme interne de Tokri. Comprenant que les sens du Masaka les avait certainement repéré, l'Utak saisit son coéquipier par le poignet et lui souffla, à demi paniqué :

 — On doit se barrer. Maintenant.

 Sans demander son reste, Mutika le suivit. Mieux valait déguerpir qu'être trop gourmand. Si Chihousou leur mettait la main dessus, il pourrait réussir à les piéger en les amenant à se trahir. Une fois suffisamment éloigné, Tokri posa la question qui lui brûlait les lèvres depuis le début du petit numéro de romance mélodramatique qui s'était joué sous leurs yeux :

 — Comment t'es-tu arrangé pour provoquer ce bordel ?

 Le rouquin afficha un large sourire malicieux, fier de son œuvre.

 — Tu te souviens de nos années à l'Académie ? Lorsque je signais certains mots des profs à destination de mes parents en imitant leurs plumes ?

 — Oui, répondit Tokri qui commençait à comprendre comment son ami s'y était pris. Il t'arrivait d'imiter l'écriture de mon grand-père pour m'éviter de me faire engueuler.

 — Ce que je ne t'ai jamais dit, c'est que l'imitation d'écriture est devenue l'un de mes passe-temps favoris ! Ça m'amuse de reproduire les écritures de quelqu'un d'autre. Je me suis même mis à en inventer.

 Tokri était stupéfait. Il ignorait totalement cette facette du garçon aux cheveux de feu. Mutika n'avait pas l'air d'en avoir conscience, mais son hobby pourrait s'avérer utile pour sa carrière. Savoir imiter des écritures était un atout non négligeable pour les services d'espionnage des Villages.

 — Et donc ?

 — Durant mon compte-rendu de la nuit dernière, j'ai observé la façon d'écrire de Chihousou. Je me suis ensuite entraîné jusqu'à ce que le résultat se rapproche de ce que j'avais réussi à mémoriser. J'ai laissé un mot avec ce style sous la porte de Ayane. Mon Masaka a eu beaucoup d'inspiration pour lui déclarer sa flamme.

 Connaissant l'imagination de Mutika, le Genin ne doutait pas que son ami avait dû être inspiré pour stimuler l'enthousiasme de la timide jeune femme pour leur supérieur. L'Oroshi reprit son explication :

 — J'ai ensuite préparé un mot avec l'une de mes écritures pour Chihousou. Dans ce dernier, j'ai juste dit que j'étais en possession d'informations importantes concernant la mission. Pendant ton entretien de ce matin, je me suis glissé vers sa chambre et j'ai glissé le mot sous sa porte.

 — Et pour le Maire, je présume que tu as utilisé une écriture différente ?

 — Oui ! En l'informant de l'aventure volage entre sa fille et son mystérieux amant. A chacun, j'ai donné la même heure de rendez-vous au même endroit. Et voilà ! Opération mettre la honte à Gensou : objectif accompli !

 Tokri éclata de rire. Rapidement accompagné par Mutika. Cela faisait longtemps que les deux garçons n'avaient pas partagé un tel fou rire.

 Il était véritablement impressionné par l'ingéniosité de son coéquipier. Tous deux avaient fait les quatre-cent coups à l'Académie et plus d'un professeur avait ressenti une furieuse envie de cogner l'un des garçons avec l'autre. Ce qui venait de se produire ravivait de précieux souvenirs chez Tokri. Dans leur duo, Mutika avait toujours été celui qui concoctaient les plans tandis que l'Utak improvisait des échappatoires lorsque les choses dérapaient.

 L'Utak se demandait comment ils avaient pu s'éloigner à ce point. Tokri savait que les parents de Mutika le considéraient comme responsable de l'échec au premier examen de leur fils, mais de l'eau avait coulé sous les ponts depuis ce temps. Tous deux étaient devenus Genins et avaient intégré la même équipe. Le temps était certainement venu de renouer les liens, comme le lui avait suggéré son aîné.

 Leur fou rire se calma. Semblant lire dans ses pensées, Mutika le devança :

 — Tokri... Pour la nuit dernière, je suis vraiment désolé. Je me suis laissé griser par le combat et je n'ai pas agi en coéquipier.

 — Je n'ai pas été un bon partenaire depuis la formation de l'équipe.

 — Mais tu n'as pas failli provoquer ma mort.

 C'était donc cela. Tokri était surpris par la culpabilité soudaine qu'il lisait sur le visage de Mutika. Le jeune homme avait dû se torturer l'esprit en se remémorant le film des événements de la nuit.

 — Écoute, dit Tokri sans lui laisser le temps de reprendre la main. On a tous les deux merdé. Nous appartenons à la même équipe. Même si je me doute que mon frère y est pour quelque chose, voyons cela comme une occasion de relancer notre amitié. Je n'ai jamais voulu d'une rivalité, avec toi moins qu'avec quiconque. Que dirais-tu de devenir frère d'arme, mon ami ?

 Tokri vit les yeux de Mutika briller. Rares étaient les personnes ayant pu entendre de tels mots sortir de la bouche de l'Utak. Depuis la mort de sa mère, le jeune homme n'aimait pas s'étendre sur ses sentiments. Il considérait les démonstrations d'affection comme des invitations à la souffrance. Mutika savait que chaque mot était une prise de risque difficile pour Tokri et il en était d'autant plus touché.

 — Ça me va, lui répondit le rouquin.

 Tokri lui tourna le dos. L'échange l'avait quelque peu mis mal à l'aise.

 — Si ça ne te dérange pas, j'aimerais m'exercer au Fuuton avant le prochain briefing.

 Alors qu'il s'apprêtait à partir vers le coin boisé où il avait pris l'habitude de se ressourcer, Tokri eut l'impression que Mutika allait ajouter quelque chose. Le jeune homme s'arrêta donc et l'interrogea du regard. Le rouquin garda le silence et, après lui avoir adressé un sourire gêné, partit de son côté.

 Si son partenaire avait une information importante à lui transmettre, il n'aurait pas hésité à présent. Du moins, l'Utak l'espérait-il.

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