Épisode 17 - Seconde nuit

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Empli de doutes suite aux événements de leur première nuit, Tokri suivait sans réfléchir son coéquipier Mutika. Durant son duel contre Sarouh, l'Utak avait eu la sensation que rien ne pouvait l’atteindre. Il s’était défait de lui avec une apparente facilité qui avait troublé le Genin, jusque-là naïvement convaincu d'avoir fortement progressé.

 Que ce même Chuunin soit le premier blessé de l’équipe le troublait. Si un shinobi de son niveau pouvait être défait si facilement, comment pouvait-il espérer survivre à la seconde nuit ? Le Chikarate avait conscience de sa faiblesse et était envahi par le sentiment de ne pas être à la hauteur.

 Il jeta un bref regard à son partenaire. Mutika ne semblait guère méditer sur ce qui était arrivé à Sarouh, absorbé par sa conversation avec la fille du maire : Ayane. Le Genin avait élaboré une stratégie dont il était particulièrement fier afin de ruiner la réputation de Chihousou Masaka, et il comptait mettre la belle blonde à contribution quitte à le faire à son insu. Reconnaissant envers son partenaire de rester concentré sur la mission, Tokri se laissa aller à ses démons intérieurs et rumina ses doutes.

 Izul avait rapidement prodigué les soins nécessaires au Tsumyo, avec l’aide de Gomaki. D’après eux, le Gensouard serait sur pied pour la seconde nuit. Il ne devrait toutefois pas forcer sur sa blessure et rester en seconde ligne. Son équipe ne pouvant se passer d’un chef, Chihousou décida de nommer Izul à ce poste. La jeune femme en était terrifié, mais n'avait pas eu le droit de contrarier un Masaka inflexible.

 Ils finirent par déboucher sur la grande place du village. Le brouhaha de la fête du fer assourdissait les tympans de Tokri. Les marchands vantaient leurs produits, tandis que d’autres tenaient divers stands de jeux. Mutika aperçut Chihousou qui quittait précipitamment la grande place. Ils pressèrent le pas, suivant Ayane qui les guida à travers diverses ruelles jusqu’à faire face au Gensouard.

 Bien qu'il ne le supportait absolument pas, Tokri devait finalement admettre que Chihousou Masaka en imposait de par sa prestance de ninja aguerri. Le Chuunin était toutefois loin d’être un colosse de par sa discrète musculature.

 — Salut, lui lança sobrement Tokri, impatient que se termine la comédie qui était sur le point de débuter.

 — Déjà réveillé ? s’étonna Chihousou. Je vous avais pourtant donné la permission de vous reposer toute la matinée.

 — Eh bien, nous avons été pris d’une grande envie de flâner au soleil, expliqua malicieusement Mutika. N’est-ce pas, Tokri ?

 Ce dernier se mordit discrètement la langue. Malgré ses réticences, il se répéta qu'ils ne faisaient qu’obéir aux instructions du Village du Sable.

 — Exact, répondit à contrecœur Tokri tout en tâchant d’être le plus crédible possible. En cours de route, nous avons rencontré Ayane.

 Chihousou tourna la tête vers la jeune femme, semblant la voir malgré sa cécité. Ayane en rougit alors jusqu’à la pointe des oreilles.

 — Ravi de constater que vous n’oubliez pas le rôle social des ninjas, déclara posément Chihousou. N’oubliez toutefois en aucun cas notre point de rendez-vous. Je ne tolérerai aucun retard.

 Les deux Genins opinèrent du chef. Chihousou décida d'oublier momentanément leurs existences et reprit sa marche. Une fois hors de leur vue, Ayane commença à s’esbaudir de ce « superbe shinobi mystérieux ! » Tokri soupira d’exaspération.

 — Succès total ! lui chuchota Mutika à l’oreille.

 Jugeant en avoir eu pour son compte, l'Utak prit congé de son collègue et dédia le reste de son après-midi à son entraînement. Au terme de cette session, l’arbre sur lequel il s’était défoulé termina criblé de kunai. Toutefois, aucun ne l’avait entièrement traversé. La nuit commençait à tomber. Tokri rejoignit ses coéquipiers, tout en pestant contre ses progrès bien trop maigres à son goût.

 Le visage de son père se présenta à son esprit, jubilant face à son impuissance. Un souffle de haine l’envahit, qu’il réprima avec difficulté. Il n’était pas encore prêt et n’avait pas le droit de mourir. Pas avant de l’avoir atteint.

 Lorsque les dernières lueurs du crépuscule laissèrent place à l’obscurité, trois ombres filèrent de toit en toit au gré de la brise nocturne.

 — Formation serrée, ordonna Chihousou. Séparation uniquement si je vous en donne l’ordre.

 Mutika ne manqua pas de remettre cet ordre en question, jugeant que cette formation ne leur permettait pas de couvrir suffisamment de terrain. Tokri s’abstint de tout commentaire. Peu importait les protestations, Chihousou ne changerait en aucune façon sa stratégie. La blessure de Sarouh l’avait suffisamment marqué pour le pousser à éviter à tout prix d’autres incidents de ce type.

 Gardant constamment contact avec l’équipe d’Izul, les trois shinobis patrouillèrent un long moment à travers leur zone. Le Chuunin se tenait prêt à leur prêter main forte en cas de besoin.

 L’Utak n’aurait su estimer combien de temps s’écoula dans un silence absolu et pesant, uniquement brisé par les déplacements furtifs des animaux nocturnes. Seule la faible lueur de l’astre argenté et les quelques lumières du village éclairaient les ruelles, qui semblaient s’être rétrécies en comparaison à l’effervescence qui avait envahi les lieux quelques heures auparavant.

 Chihousou intima soudainement aux Genins de stopper tout mouvement. Leur supérieur sembla entrer en transe, profondément concentré. Tokri tendit l’oreille, mais ne perçut aucun son. L’imagination de Chihousou lui jouait-il quelques tours ?

 Le Gensouard reprit sa marche sans mot dire. Tokri et Mutika lui emboitèrent le pas, s’échangeant un regard d’incompréhension. Le Chuunin, bien qu’aveugle, semblait être doté d’une ouïe bien plus développée que le commun des mortels. Chihousou stoppa soudainement sa marche, non loin d’une intersection.

 — Les voilà, déclara-t-il. Allez à leur rencontre. Je vais me faufiler par l’arrière et les éliminer rapidement.

 Sans leur laisser le loisir de donner leur avis, Chihousou se mit en mouvement. Tokri et Mutika tournèrent au coin de la ruelle et, comme l’avait prédit Chihousou, firent face à sept brigands. Les poings de l’Utak se crispèrent. Masaka avait grand intérêt à intervenir prestement, s'il souhaitait avoir au moins un ennemi à abattre.

 — On va vous laminer, bande de minable ! cracha Mutika.

 Les brigands éclatèrent de rire, nullement inquiétés par le jeune Chikarate. Tokri fut tenté de les mettre à profit. Il chassa bien vite cette idée de son esprit. Chihousou leur avait demandé de détourner leur attention, pas d'engager le combat. L'Utak aurait tout de même cru que le Masaka serait plus rapide que cela. Frustré, il attendit patiemment que leurs ennemis passent à l'action.

 Les brigands bondirent vers les Genins, au moment où Chihousou égorgea l'un des leurs. Deux autres furent mis au sol par des kunais plantés à la cuisse. Les quatre derniers firent volte-face en entendant leurs hurlements. Le plus molosse d’entre eux, dont la taille rivalisait presque avec celle du Chuunin, courut à la rencontre de leur agresseur. Les trois valides restants se jetèrent sur les adolescents.

 L’Utak peina à contenir les assauts de ses deux opposants, chacun munis d'un canif. Alors qu'il s'était attendu à mener l'affrontement, Tokri fut surpris par leur vivacité et se vit infliger quelques estafilades. Lors d'une tentative de contre-attaque, Tokri remarqua que les tempes de ses ennemis étaient étrangement gonflées et noircies.

 Du coin de l’œil, il constata que Mutika semblait s’amuser avec son opposant en virevoltant autour de lui. Echappant de peu à des lames visant ses poings vitaux, l'Utak pesta contre la légèreté de son partenaire. Il finit par reculer de quelques pas et vit au dernier moment l’un des poignards fondre vers son estomac. Tokri serra les dents, s’attendant à sentir le froid tranchant le pénétrer. Il n’entendit qu’un tintement de métal.

 Chihousou s’était interposé, bloquant la lame d’une griffe de métal qu’il avait gardée cachée jusqu’alors. Sur un ordre du géant qui avait affronté Chihousou, les trois brigands se replièrent à ses côtés.

 — Il est temps d’en finir, murmura Chihousou à un timbre si bas que seul Tokri pouvait l’entendre.

 Le Chuunin effectua plusieurs mudras. Cinq clones apparurent à leurs côtés, qui générérent chacun une boule de feu au creux de leur paume. Les yeux de leurs opposants s’écarquillèrent de stupeur et de terreur.

 — Cinq secondes, déclarèrent les Chihousou.

 Les Masaka commencèrent à compter, provoquant la fuite en urgence des brigands. Cette débandade provoqua l’hilarité de Mutika, tandis que Tokri tâcha de reprendre son souffle. Sans l’intervention de Chihousou, sa quête de vengeance aurait été stoppée net par la lame d’un vulgaire malfrat. Fulminant intérieurement d’avoir été à nouveau impuissant, son poing droit se crispa de frustration.

 Le Chuunin jeta soudainement un kunai vers Mutika, frôlant de peu sa joue gauche. Le teint du garçon blêmit. Abasourdi, il n’esquissa pas le moindre geste lorsque Chihousou le plaqua violemment contre un mur.

 — Ton partenaire est à quelques pas, à deux doigts de se faire déchiqueter et tu n’esquisses pas le moindre geste pour lui prêter main forte, énonça avec dégoût le Chuunin.

 Honteux, Mutika baissa les yeux et n’osa répondre. Tokri ne put retenir un léger ricanement.

 — Ferme-la, lui cracha froidement Chihousou en se tournant vers lui. Quand on est incapable de faire face à deux minables, on fait profil bas.

 Chihousou relâcha sa prise, mais ne se calma pas pour autant.

 — Le succès d’une mission dépend de la cohésion de l’équipe, récita mécaniquement le Gensouard. Que vous apprend-on à Chikara, mis à part l’art de vous entretuer !

 Tokri ne dit rien et attendit que Chihousou s’éloigne quelque peu. Sans un mot, il s’élança vers la direction qu’avaient pris les malfrats. Le Genin entendit au loin Chihousou lui ordonner de rebrousser chemin. Tokri l’ignora, décidé à se prouver qu’il était capable.

 L'heure était venue de s’engager à jamais dans la voie que l'on avait choisie pour lui.

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