Épisode 16 - Responsabilités

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 Sarouh était allongé dans son lit, rêveur. La lumière filtrait à peine à travers les épais rideaux ocres de sa modeste chambre d'hôtel. On pouvait tout de même y distinguer le visage fin du Gensouard, ses yeux émeraudes et ses cheveux cobaltes ébouriffés. Torse nu, quelques cicatrices clairsemaient son corps svelte et athlétique. Le rude entraînement auquel il était soumis depuis son retour du tournoi des trois Villages avait bien payé.

 Sa rencontre avec Tokri Utak avait exacerbé tous ses souvenirs. Si celui-ci avait su à quel point, Genin, il avait subi ces déconvenues, peut-être n'aurait-il pas été aussi amer de sa défaite envers son aîné.

 Le jeune homme du Village de la Cascade porta sa main droite à sa bouche pour commencer à mordiller la peau de son pouce, comme à chaque fois qu'il réfléchissait. Bien évidemment, il avait tout de suite compris la dynamique du groupe des Chikarates, rien qu'aux regards qu'ils se lançaient et aux brèves présentations auxquelles ils avaient eu droit. Cependant, il avait du mal lui-même à s'expliquer pourquoi il avait tant voulu s'en prendre à l'Utak en particulier. Reprendre un peu confiance en lui, après la série de déboires du voyage ? Se défouler ? Non, ce n'était rien de tout ça. Quelque chose dans le jeune homme l'intriguait, bien qu'il ne mettait pas encore le doigt dessus. Le combat s'était déroulé comme prévu. Les enchaînements étaient fluides, la plupart de ses nouvelles attaques étaient désormais utilisables en conditions réelles. Son style, défensif mais vicieux et vindicatif commençait à prendre forme, comme il en avait conçu la progression. A de nombreux égards, le Gensouard avait fait preuve de beaucoup de lucidité et d'intelligence dans la façon dont il avait étoffé son répertoire technique. S'en rendre compte était désormais ce qui le séparait le plus du réel shinobi.

 Pourtant, malgré sa victoire, le doute le rongeait. Sa réserve de Chakra avait fondu si vite lors de l'affrontement. Son taijutsu était si faible qu'un Genin l'avait salement maltraité. Sa maîtrise du sabre ? Hasardeuse. Il était néanmoins satisfait de son sens du timing et de la planification, c'était déjà ça. Il lâcha un soupir à fendre l'âme, avant de relâcher la pression. Le voyage avait été un vrai désastre. Il ne pourrait jamais voir Chihousou en peinture et la réciproque était vraie. Et leur relation avait commencé par une branlée bien plus sévère que celle qu'il avait infligée à Tokri. Le dernier élément du groupe, Kazuo Sabishii, était aussi doué en ninjutsu qu'en bravades inutiles. Épuisant. Peut-être Sarouh était-il trop jeune pour assumer ses responsabilités de Chuunin, qu'il n'était toujours pas bien sûr de mériter. Il se mit une gifle mentale à cette pensée. Le shinobi avait une mission : protéger des civils et tisser des liens avec Chikara tout en récupérant des informations. Ce n'était pas une colonie de vacances. Dès ce soir, des gens allaient probablement mourir. On aurait besoin de lui frais et dispo. Il se passa la main dans ses cheveux bleus et se détendit en soufflant. Quelques heures de sommeil et ça commencerait. Les reproches pouvaient attendre.

****

 Le Gensouard ne rouvrit les yeux qu'à la nuit tombée. Il avait rendez-vous avec le Maire et le reste de la fine équipe pour le début de la réelle mission. Le point de chute était une grande salle de réunion de l'hôtel de ville, mise à disposition par la ville le temps de l'événement pour servir de base d'opérations. Il les y rejoignit et eut la joie d'être accueilli dans une ambiance déjà mortifère. Y'avait pas à dire, Chihousou savait mettre tout le monde d'accord. Ils étaient tous là, même Gomaki. Sans faire transparaître son exaspération, le Gensouard prit place entre Kazuo et Izul, ignorant royalement Tokri qui, il n'en doutait pas, faisait de même. Nika lui adressa un sourire gêné. Son compatriote prit tout de même le temps de le fusiller du regard avant de commencer son laïus :

— Je vois que certains d'entre vous ont déjà fait connaissance. Alors que les choses soient claires : Mettez vous sur la gueule si ça vous amuse mais si ce que vous faites en dehors de la mission affecte celle-ci je ferai en sorte que vous ne puissiez pas la continuer.

 Magnifique. Diplomatie, tout ça. Un silence pesant s'installa dans la salle, uniquement brisé par Izul demandant à Kazuo le degré de sérieux de son supérieur. Elle n'eut le droit qu'à une vague réponse et au sourire entendu de Sarouh. Au moins; elle saurait à quoi s'attendre.

— Bien, je suppose que vous avez donc compris, passons alors au vif du sujet. La place est de grande taille, nous nous séparerons alors en deux groupes. Le premier groupe sera composé de Tokri, Mutika et moi-même, nous surveillerons la zone nord. Les autres surveilleront la zone sud et Sarouh commandera cette section, commença-t-il à exposer, en pointant sur la carte affichée au mur les points d’intérêts. Il y a bon nombre d'entrées, vous devez donc constamment passer de l'une à une autre et faire attention à chaque élément suspect. Aucune des équipes ne devra se séparer et nous resterons en contact grâce aux radios. Si vous rencontrez des bandits, n'hésitez pas à les tuer.

 Le Chuunin aux griffes d’acier laissa planer le silence qui suivit sa déclaration avant de reprendre impitoyablement :

— Nous avons pour ordre de tenter de les attraper vivants mais la réussite de la mission passe avant cette directive et je vous autorise donc à passer outre si vous jugez préférable d'éliminer l'ennemi. Je crois avoir fait toutes les recommandations nécessaires, notre mission commence dans dix minutes et finit demain lors de l'arrivée des premiers forains. Allons-y !

****

 Le groupe hétéroclite se dirigea vers la place. Arrivés à celle-ci, ils se séparèrent pour commencer leurs labeurs. La déclaration de leur chef improvisé avait refroidi tous les aspirants. Manifestement, aucun d'entre eux n'avait tué. Sarouh lui-même avait toujours pu éviter cette éventualité, mais avait eu plus de temps qu'eux pour se faire à l'idée, étant paradoxalement le plus jeune et le plus expérimenté du groupe. Encore un but éducatif de cette mission, il n'en doutait pas. Une fois Chihousou assez loin, il était temps qu'il organise son équipe. D'abord : les informations.

— Nous avons été briefé sur la situation géographique. Donc pour vous appuyer et vous diriger au mieux, j'aurais besoin de connaître vos points forts respectifs. Maîtrise du Chakra, affinité élémentaire, spécialité. Faiblesse, éventuellement si vous êtes prêts à me le révéler. N'oubliez pas, ce soir, je ne suis pas votre ennemi et j'aimerais que tout le monde rentre sauf.

 Il regarda Izul dans les yeux, l'intimant silencieusement à prendre la parole. Tout le monde semblait s'être un peu détendu, son oppressant camarade n'étant plus de la partie. La kunoichi aux cheveux azur ne le détestait pas manifestement, malgré son entrevue avec Tokri. Elle était peut-être assez intelligente pour avoir partiellement deviné ses intentions. Sa réponse confirma cette impression :

— Affinité Suiton, j'excelle principalement au combat à moyenne portée et au contrôle de mon chakra.

 Izul sembla s'attendre à une pique caustique, n'ignorant bien évidemment pas les préjugés sur les Chikarates. Elle ne vint pas.

— Bien, tu iras donc au carrefour central. Pour que tout le monde soit raccord, Kazuo, raconte lui tes forces.

— Spécialiste en Ninjutsu, Raiton. Et pas le moins doué de ma génération !

 Encore des vantardises. Il avait même ponctué sa déclaration d'un petit clin d'œil à la Chikarate aux cheveux bleus. Le Genin ne perdait pas le Nord. Luttant de toutes ses forces pour ne pas le rabrouer violemment, le chef de cette unité temporaire l'assigna aux remparts, tout en reprenant le plan de la ville qu'il redessina rapidement au sol à l'aide d'une illusion :

— Voilà le topo : nous surveillons le secteur sud, cinq entrées principales et trois entrées détournées. Si on ne compte pas le petit mur à escalader, trop difficile d'accès sans les arts ninjas, quatre. Sept manières de pénétrer dans la ville au total.

 Au fur et à mesure de son explication, Sarouh dessinait sur sa petite carte les cercles de couleur correspondants. Il se passa machinalement la main dans les cheveux avant de continuer :

— Il est judicieux de penser qu'ils ne passeront pas par la grande porte. Donc il en faudra un sur le mur pour faire la liaison entre les grands points d'accès, qu'il faut tout de même surveiller, et les chemins alternatifs. Ceux-ci comptent la rivière, qu'ils peuvent remonter à contre-courant. C'est cette façon-ci de faire que je privilégierais à leur place et c'est notre experte Suiton qui les attendra là, pour des raisons évidentes.

 Il chercha du regard l’assentiment d’Izul qui opina du chef, suivant jusque-là la logique de son supérieur d’une nuit.

— Ce n'est pas loin du carrefour principal. Ca formera un deuxième relais défensif avec l’autre Genin posté sur l'avenue en serpentin, à son croisement avec l’avenue principale. Cette affectation là est pour toi, Nika. Ça nous permettra de bien tirer profit de tes compétences de marionnettiste. Ne fais pas cette tête, je ne suis pas stupide.

 En effet, même si la timide aspirante n’avait pas pris la parole lors du premier échange, Sarouh avait saisi à quoi servait la bâche accrochée à son dos. L’expression de surprise de l’adolescente avait fini de vendre la mèche. Le Chuunin termina finalement son exposé :

— Le dernier poste sera au centre de toutes les avenues principales à l’ouest. A la différence de celle d’Izul, cette position couvre également les égouts. Cette partie est pour moi. Je suis le plus éloigné mais également au poste qui a le moins de chance de se faire attaquer car je suis aussi le plus rapide et le plus expérimenté. Si vous êtes en difficulté, je peux vite rejoindre n'importe lequel d'entre vous, à l'inverse, je peux tenir plus longtemps en cas d'assauts massifs imprévus sur ma position. Y’a-t-il des questions ? Des objections ? Bien, réglez votre fréquence radio. 142. Go !

 En un éclair, ils se dispersèrent. Le Gensouard souffla doucement. Il avait normalement pris en compte tous les paramètres, profité des forces de tous, et, plus important à ses yeux, son discours s'était bien passé. Pour lui, le passage le plus compliqué de la mission était derrière lui. Il allait vraiment devoir apprendre à prendre la parole en public. Une fois tout le monde en position, l'attente commença, pleine de tension. De son poste d'observation, Sarouh contempla la douce nuit. La Lune, quasi pleine, offrait une bonne source de lumière, éclairant la bucolique ville au repos.

 Le Chuunin aurait cependant préféré une nuit noire. Nul doute qu'en tant que ninjas, l'obscurité totale aurait facilité la neutralisation de toute menace externe. Enfin, on a pas toujours ce qu'on veut, souffla le Chuunin. Les heures s'égrainèrent lentement, sans que rien ne vienne réellement perturber le calme nocturne. Kazuo fut rappelé à l'ordre par radio que l'objectif de cette mission n'était pas de finir dans le lit d'Izul et que s'il continuait comme ça sur cette fréquence, il allait finir dans les pertes à déplorer. Ce fut qu'une heure ou deux avant l'aube que du mouvement se fit sentir. Le vent, doux et léger jusqu’alors, se fit glacial. Les ombres, rondes et accueillantes, se firent tranchantes comme des lames.

— Ils sont là. J'en suis sûr. Soyez sur vos gardes.

 Les aspirants à ses ordres n'avaient visiblement pas besoin de cette mise en garde. Il fallait être vigilant, le premier contact pouvait être décisif. Ne pas sous-estimer l'adversaire, sous aucun prétexte. Soudain, et tous en même temps, ils signalèrent un individu suspect qui arrivait.

— Engagez l'ennemi avec prudence. Attendez-vous à des renforts. Au moindre problème signalez-le. N'oubliez pas il...

 Avant d'avoir pu finir son instruction, Sarouh fut contraint à une esquive par une flèche qui vint se ficher juste devant lui. Il ne l'avait senti venir qu'au dernier moment, c'était troublant. Une attaque furtive aussi efficace venant d'un simple bandit.

— Sarouh ? Tu vas bien ?

— Oui Izul, pas de soucis. Ne tuez que si nécessaire. Si besoin, je vous envoie des clones. J'ai aussi de la compagnie.

— BIRIBIRI PUNCH !

— Coupe la radio, débile, râla finalement le chef d’équipe.

 La subtilité incarnée, ce Kazuo, vraiment. L'attention du Gensouard se reporta sur la source de la menace. Deux lascars sortaient d'une fente sous une dalle mal scellée, avant la plaque d'égouts qu'il surveillait. Astucieux. Ils remontaient donc bien par là.

— Ha, des ninjas, c'est bien notre veine Gath !

— Regarde le, c'est un Genin, tout au plus. A deux on peut y arriver, Sath !

 Même en le sous-estimant largement, ils ne pensaient pas le vaincre facilement, ça devrait être vite expédié. Sarouh lança trois kunaïs sur le premier adversaire, qui esquiva laborieusement. Se concentrant pour la suite du combat, il eut la mauvaise surprise d’entendre Izul hurler dans ses oreilles de peur.

— Aidez-moi ! J'en ai un bien trop fort pour moi, c'est quoi ce type?

 Evidemment. Il s'était attendu à de la résistance. Certains mercenaires et autres bandits pouvaient aisément représenter une grande menace. L'enseignement ninja fuitait parfois et engendrait ce genre de soucis. En dehors de ça, il n'y avait pas que le ninjutsu qui pouvait tuer dans ce monde.

— Garde ton calme, cours vers ma position aussi vite que tu peux, j'arrive.

 Sans perdre une seconde, Sarouh créa deux clones aqueux. Ceux-ci devraient pouvoir gérer la menace sur ce point d'entrée là, vue la faiblesse vraisemblable des assaillants. Les autres Genins semblaient déjà en combat. Un assaut de cette envergure était anormal. Se chargeant de Chakra pour recourir au gyo, le Gensouard bondit à toute vitesse vers la position d'Izul. Il avait la terrible sensation que quelque part, quelqu'un se foutait d'eux. Ses tripes s'étaient gelées. Pourvu qu'il arrive à temps.

 Il la trouva, en train de lutter un kunaï à la main contre un brigand, tandis qu'un autre regardait d'un air appréciateur son compère prendre le dessus. Il bandait son arc et cherchait un angle pour toucher la kunoichi, avant de lâcher la flèche qui fusa à toute vitesse pour se ficher dans l'épaule du Gensouard, qui n'avait eu comme seule option que de faucher Izul avec un plaquage bien senti.

— Sarouh !

— Je vais bien, reste là et repose toi.

 De toute façon, il était évident qu'elle ne bougerait pas de si tôt. Elle était déjà blessée de manière superficielle à de nombreux endroits, mais semblait surtout totalement vidée de son énergie. Elle peinait à garder connaissance. Les deux bandits beuglèrent et attaquèrent de concert, lames à la main, un Chuunin considérablement affaibli et au sol. Le premier était une masse de muscles gigantesque, qui imposait le respect. Facile deux mètres, le teint bruni par le soleil, des cicatrices anciennes partout sur le corps, une garde correcte. C'était un mercenaire. Expérimenté, et manifestement très fort. Le second représentait une menace moindre. A peine adulte, plus fin, des mouvements plus gauches.

 Immobile, Sarouh décida de commencer par celui-ci. Il cassa la flèche et jeta un kunaï dans le même mouvement, surprenant le maillon faible du duo. N'ayant pas eu le temps de faire preuve d'humanité, l'acier vint se ficher dans la gorge du jeune homme qui s'effondra dans un gargouillement infâme. L'autre en profita pour arriver au contact et frappa. Sa lame s'enfonçait juste en dessous de l'estomac du Chunin quand une lance d'eau le frappa à la tête. L'eau sous pression brisa les cervicales du guerrier à la peau tannée qui s'effondra à son tour, laissant son arme dans le corps du jeune ninja qui tomba en arrière, sur une Izul prostrée qui ne put s’empêcher d’hurler devant l’effroyable spectacle.

 Les clones aqueux disparurent, apprenant à Sarouh qu'ils avaient rempli leurs offices en neutralisant toute menace autour de leur position. Le monde perdait de ses couleurs. Il roula sur le côté, poussé par sa protégée. Il entendait à peine ce qu’elle disait. Il ne voyait qu'à peine son visage ravagé par l'inquiétude et les larmes de douleurs. Elle était penchée sur lui. Ça avait l'air important. Qu'importe. Pouvait-il dormir maintenant ? Sûrement. Ses yeux se fermèrent et il sombra dans d’apaisantes ténèbres.

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