Épisode 10 - Ganseki

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 Assis en tailleur en haut d'un immense rocher, Tokri sentait le Chakra parcourir l'ensemble de son corps depuis une bonne heure. Satisfait d'avoir maintenu sa concentration aussi longtemps, l'Utak dirigea son énergie vers la plante de ses pieds, adhéra à la surface et rejoignit le sol en contrebas.

 Deux semaines venaient de s'écouler, durant lesquels les Genins avaient alterné entre des missions peu intéressantes et leur entraînement.

 Lors de l’une de ses journées de repos, Tokri avait découvert un accès menant à l'une des deux plates-formes rocheuses qui surplombaient Chikara. Éloigné du reste du Village, l’endroit était parfait pour le solitaire Utak. Une routine s’était bien vite installée. Le matin, il s’entraînait à la plate-forme rocheuse qui était semblable à une microchaîne de montagnes. L’après-midi, l’équipe se livrait aux activités programmées par Gomaki Myô. Selon son état de forme, il revenait dans sa solitude pour parfaire son programme.

 En guise de pause, Tokri admirait la beauté du désert qui s’étendait au-delà de l’horizon. Il ne se lassait pas d'observer d'un œil neuf l’architecture de son Village. L'artisanat chikarate en avait taillé chaque détail à même la roche, un art qui n’avait pas été perdu comme en démontrait la qualité de préservation des habitats.

 Le sable s’incrustait à la façade des demeures, source du titre de « Village du Sable ». Familiarisé depuis sa tendre enfance à vivre au sein de ce paysage, Tokri redécouvrait avec joie la magnificence de son Village.

 Jugeant que son entraînement du jour avait assez duré, le jeune homme commença à faire route pour rentrer chez lui. Se pensant seul comme d'habitude, Tokri fut surpris d'entendre une voix l'interpeller :

 — Qui es-tu ?

 Une silhouette faisait face au soleil couchant, son ombre engloutissant l’Utak. Le Genin se sentit soudainement insignifiant face à cette apparition qui descendit de la même manière qu'il l'avait lui-même fait, pour faire face à un Tokri aux aguets.

 — Tokri Utak, répondit-il. À qui ai-je l’honneur ?

 — Toshirô Okuggi, l'informa sèchement le garçon.

 Descendu de son piédestal, Toshirô n’avait plus rien d’imposant. Il était d’apparence assez fine. Ses yeux étaient d’un gris très clair, ses cheveux de couleur argent. Son visage était étrangement pâle, lui donnant un aspect maladif. Vêtu d'un simple jogging et d'un tee-shirt blanc, l'Utak remarqua qu'il disposait de nombreuses poches à projectiles : deux au torse, et quatre sur les côtés de chaque jambes.

 — Tu es diplômé, dit-il en désignant le bandeau de Tokri, attaché à son bras droit.

 — Exact, répondit Tokri.

 Toshirô esquissa un demi-sourire. Lorsqu'il reprit la parole, l'Utak ne fut pas surpris par sa demande tant cela semblait devenir un effet de mode.

 — Que dirais-tu d’un duel ? Je souhaiterais évaluer mes progrès.

 — Je n’aime pas me battre sans raison, répondit sèchement Tokri, peu enclin à satisfaire la demande du jeune inconnu.

 — Aurais-tu peur de te blesser ? plaisanta le garçon.

 Tokri reprit sa marche et passa à côté de Toshirô en lui déclarant :

 — J'en ai surtout marre de satisfaire les pulsions de violence de minables dans ton genre.

 Le corps de Tokri agit la seconde suivante par pur réflexe pour parer un coup de pied. D’une impulsion de sa seconde jambe, Toshirô prit ses distances avant que son adversaire ne tente une contre-attaque. L’Okuggi noua son bandeau autour de son front et lui adressa un rictus provocateur.

 Tokri soupira de dépit et prit une posture de combat. Le garçon à la chevelure d’argent était décidé à livrer bataille. Il sera donc servi...

 Toshirô prit à nouveau l'initiative. Durant la demi-seconde où son adversaire ne le fixa pas, Tokri généra un clone inconsistant. Après s’être caché derrière un rocher, l’Utak observa avec satisfaction son ennemi frapper l’illusion.

 — Ne me sous-estime pas, lui conseilla Tokri.

 Le jeune Okuggi déduisit la position de son adversaire par le son de sa voix. Il sprinta et effectua une glissade, se retrouvant ainsi face à lui. Toshirô tenta de le projeter en l’air en le frappant d’un coup de pied vertical. Tokri para le coup sans difficulté. Soulevant le jeune homme aux cheveux d’argent par le col, il mit son visage au niveau du sien et lui cala un coup de tête en plein front. N'en restant pas là, l'Utak frappa Toshirô d’un coup de pied latéral dans les côtes pour l'envoyer violemment contre un rocher. Toshirô se releva prestement et se cacha derrière l'obstacle.

 Il resta ainsi caché quelques minutes, jusqu'à finir par se questionner devant ce calme inattendu. Lorsqu’il sortit de sa cachette, Toshirô constata que l’Utak l’attendait patiemment, bras croisés. Vexé par ce manque de considération, Toshirô envoya un shuriken que Tokri para sans problème d’un kunai. Il comprit en une fraction de seconde que le shuriken en dissimulait plusieurs qu'il continua d'intercepter.

 Tokri vit alors son adversaire fonçait droit sur lui. Alors qu’il s’apprêtait à le frapper de son arme, Toshirô disparut soudainement. L'astuce était claire de par son manque total d'originalité : un clone inconsistant.

 L’Utak sentit un léger choc dans son dos, qui le fit à peine chanceler. Était-ce tout ce dont l’Okuggi était capable ? Tokri fit volteface et le toisa du regard avec exaspération. Il eut la surprise de constater que des larmes coulaient le long des joues de Toshirô, qu’il effaça de son avant-bras. Semblant avoir besoin de prouver quelque chose, Toshirô repassa à l’action malgré la lassitude apparente sur le visage de Tokri.

 Ce petit jeu dura un bon quart d'heure. Toshirô attaquait, Tokri le repoussait. L'Utak n’avait reçu aucune blessure, tandis que le Okuggi était dans un piteux état. De nombreuses contusions lui meurtrissaient le visage et de plus en plus de sang tapissait le blanc de sa peau. Épuisé, il tenait à peine sur ses jambes qui tremblaient par à-coup. À présent au-delà de l’exaspération, Tokri ressentait à présent de la pitié. Ce combat n'avait aucun intérêt.

 Expédié par un coup de pied de Tokri, Toshirô trôna en haut d’une façade rocheuse. Il essuya le filet de sang qui s'écoulait de sa lèvre inférieure.

 — La différence de niveau est flagrante, lui asséna Tokri. Abandonne.

 — Lorsque tu seras étalé dans ton sang, répliqua Toshirô.

 Tokri se mordit la lèvre, agacé. Mais qu'avaient-ils tous à vouloir tuer des compatriotes ? La cour martiale avait un attrait qui lui échappait ? Quoi qu'il en soit, le combat allait bien trop loin.

 — Arrêtons. Ce duel n'a aucun sens.

 Une pluie de shuriken s'abattit sur lui, ne lui laissant le temps que de tenter des esquives. L’Utak se saisit de deux kunais et dévia ceux qu'il ne parvenait pas à éviter. Plusieurs projectiles le frôlèrent, faisant faiblement saigner ses bras et jambes. Sans ses réflexes, il en aurait certainement déjà reçu un dans un point vital. Ce garçon était-il complètement fou ?

 L’assaut dura quelques minutes, jusqu’à ce que le stock de Toshirô soit réduit à néant. Tokri fit quelques pas, mais fut stoppé par un kunai qui se planta juste devant lui. Son adversaire venait de sortir un parchemin d'invocation pour refaire ses stocks et reprit son assaut. Le garçon à la chevelure argentée semblait désespéré, mais refusait de s'avouer vaincu en lui envoyant tout son stock de projectiles.

 Tokri s’évertua à dévier ou esquiver les lames, mais ne put échapper à plusieurs blessures supplémentaires. L’Utak fut stupéfait de finir par trancher plusieurs pommes.

 — Sérieusement ? s’exclama-t-il.

 Tokri comprit que son jugement avait été trop hâtif lorsque l’une des pommes frappa son bras. Il grimaça en extirpant les pointes qui s'étaient fichées dans son épiderme et comprit que son adversaire avait caché, en son coeur, un makibishi, une petite boule en métal surmonté de fines piques. Malin, le Genin n'en avait pas mis dans chaque pomme afin de brouiller les pistes. Dans le doute, Tokri décida d'agir comme si chaque pomme représentait une menace.

 Toshirô descendit de son piédestal et s’approcha de son adversaire, qui comprit que les attaques à distance étaient terminées. Tokri fit de même. Tous deux étaient épuisés. Ayant compris que seul un KO allait mettre un terme à l'affrontement, l'Utak n'avait pas l'intention d'y aller de main morte.

 Afin de ne pas lui offrir l’occasion d'agir avant lui, Tokri accéléra d'un coup et passa dans son dos. Il lui saisit le bras droit et, d’une solide clef de bras, ne lui offrit d’autre alternative que de s’agenouiller. L'Utak lui frappa la nuque de son genou. Le visage de Toshirô heurta le sol en soulevant un nuage de poussière. Le jeune Utak saisit son adversaire par les chevilles, tourna sur lui-même et, une fois avoir pris suffisamment de vitesse, relâcha sa prise. L’Okuggi percuta l’une des surfaces de pierre avec violence.

 Il se releva avec difficulté, le visage ensanglanté et boursouflé. Tous deux se fixèrent un long moment. Du point de vue de Tokri, le combat était clairement clos.

 — Game over, déclara-t-il.

 — Crois-tu que j’en ai fini avec toi ? lui demanda Toshirô d'une voix démente.

 Tokri n’appréciait guère la flamme qui s’agitait dans le regard de l’Okuggi.

 — Ne sois pas ridicule ! répliqua Tokri, exaspéré.

 Toshirô hurla de colère et frappa à l’aveugle. Tokri le para facilement. Son adversaire tenta de le frapper de son autre main, aboutissant à un résultat identique. Bloquant fermement les deux bras, Tokri frappa à contrecœur son plexus solaire du genou. À nouveau à terre, le jeune homme se pencha vers lui et lui murmura en tentant de paraître sympathique :

 — C’est terminé. Rentrons.

 Toshirô le repoussa et s’éloigna en quelques pas chancelants.

 — Dans quelques secondes, c’en sera fini de toi ! Je ne ferai pas honte à mon clan !

 Tokri s’apprêta à lui expliquer une fois de plus la futilité de l’affrontement. Il n’en eût pas le temps, recevant un puissant coup de poing en plein visage. Ce fut à son tour de mordre la poussière. La force du coup n’était en aucun cas comparable à ce qui avait précédé. Il se releva pour endurer de nombreuses frappes. Abasourdi, Tokri fut incapable de réagir. Toshirô le saisit par le col et le projeta sur plusieurs mètres, heurtant le sol à plusieurs reprises. Il se releva avec peine une fois sa course achevée en crachant du sang. Que se passait-il donc ?

 — La spécialité de mon clan est le Ganseki Goken, dit Toshirô, comme pour répondre à la question muette de Tokri.

 Tout était clair à présent. Le Ganseki Goken était un style de Taijutsu faisant appel au potentiel latent du corps humain. Les énergies qui permettaient la conception du Chakra circulaient au sein du corps humain par plusieurs points vitaux, semblable à des intersections : les tenketsus. Ces points étaient les carrefours du Chakra et permettaient au corps de ne pas user de l'ensemble de l'énergie produite sous peine de subir de lourdes blessures pouvant mener au décès de l'utilisateur. Il existait huit tenketsus, scellant ce que l’on appelait couramment les Portes. Le Ganseki Goken était un art martial permettant de lever un à un les verrous psychiques. Plus l'utilisateur levait de verrous, plus il devenait puissant. En contrepartie, son corps subissait des dégâts de plus en plus mortels.

 De par son surplus de force physique et de vivacité, nul doute que Toshirô avait levé son premier verrou. Tokri arma ses poings de deux kunais, ce qui provoqua l’hilarité de son adversaire. L’Utak garda le silence et se concentra sur le prochain assaut. Il n’avait aucun droit à l’erreur. Ce n'était pas le moment d'être effrayé par l’expression de folie qui déformait le visage de son adversaire.

 Toshirô enclencha sa course. Tokri lui jeta ses projectiles dans l'espoir de ralentir l’adepte du Ganseki qui para les menaces de ses poings. Saisissant cette opportunité, Tokri fila face à son ennemi tout en concentrant du Chakra dans sa jambe droite. Il le frappa d’un coup de pied vertical qui le projeta dans les airs. Après avoir rapidement concentré son Chakra dans ses deux jambes, Tokri bondit et saisit Toshirô par les chevilles.

 Il se laissa basculer en arrière, tourna plusieurs fois sur lui-même dans le but d’atteindre une vitesse suffisante et projeta Toshirô au sol avec fracas. Tokri atterrit durement au sol, épuisé mais satisfait d’avoir réussi à exécuter son nouvel enchaînement en condition de combat. À sa grande surprise, il vit Toshirô se relever. L’attaque l’avait blessé, mais il semblait ne pas en tenir compte. Il cracha du sang avant d'adresser un rictus empli de haine à l’Utak. Le Ganseki lui avait-il fait définitivement perdre toute capacité de raisonnement ? Avait-il vraiment l’intention de le tuer ?

 Toshirô le fixa durant quelques secondes de son regard dément. Toute stratégie semblait vouée à l’échec. La seule viable pour espérer rester en vie était de le pousser dans ses extrémités jusqu’à ce qu’il soit incapable de maintenir son pouvoir éveillé. Malheureusement, Toshirô redoubla de vitesse. Du point de vue de l’Utak, son ennemi venait de se téléporter et il fut incapable de réagir à la frappe qui lui coupa la respiration.

 Ses mains se crispèrent contre son estomac, un goût de sang envahit sa bouche. Il sentit les paumes de Toshirô lui saisir le visage.

 Choc contre son front.

 Le sol lui meurtrit le dos. Sa vision se fit trouble, le monde tournoyant dans une course folle. Une poigne lui saisit la cheville et le souleva. Un nouveau choc dans son dos se répandit à travers tout son corps en un douloureux électrochoc. Après s'être senti choir face contre terre, le goût du sable se mêla au sang dans sa bouche. Endolori, Tokri prit maladroitement appui sur ce qu'il devina être un rocher. Il redressa douloureusement la tête, groggy.

 Ses cheveux lui obscurcissaient son champ de vision, collé par la sueur et le sang. Il crut reconnaître la silhouette de Toshirô, forme fantasque à peine humaine. Alors qu'il s'attendait au coup de grâce, il la vit s'effondrer au sol.

 Incapable de raisonner, Tokri se sentit glisser dans les ténèbres.

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