Épisode 3 - Le Serment

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 Les mains dans les poches, Tokri prit son temps pour rentrer chez lui. Il n’était guère pressé de subir la colère de son grand-père. Une fois arrivé, le jeune homme constata que Bril l’attendait de pied ferme.

— Ton bandana ? demanda-t-il abruptement.

 Lorsqu’un étudiant réussissait son examen, un bandana portant le symbole de son Village lui était remis. Le ninja pouvait le porter ou non, à sa convenance. Cette tradition Hokutonienne remontait du temps de la première division de l'antique Shinobi. Il servait également de laissez-passer pour les ninjas souhaitant se rendre dans l’un des autres Villages alliés.

 — Ton bandana ? répéta le vieil homme face au silence de son petit-fils.

 — Je ne l’ai pas, répondit Tokri dans un chuchotement à demi gêné.

 Le vétéran garda le silence. Tokri aurait mille fois préféré une explosion de colère. L’adolescent avait l'habitude de gérer leurs disputes, mais se sentait bien vite démuni lorsqu'il ne lisait que la déception dans le regard de son aïeul.

 — L’épreuve consistait à produire un Henge, se sentit-il obligé de justifier.

 — Et alors ? C'est une technique de base. Nul besoin d'être un expert en genjutsu pour l'exécuter.

 Tokri fut blessé de sentir du désespoir percer dans la voix de son grand-père. Pourquoi devenir ninja était si important ? Bril avait eu une brillante carrière, mais ne pouvait-il pas comprendre qu’on puisse aspirer à suivre une autre voie ?

 — Je n’ai qu’à ne pas devenir ninja.

 — Tu peux largement combler tes lacunes si tu te mets au travail ! s’insurgea son grand-père, franchement agacé.

 — Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire.

 — Comment ? s’étrangla Bril, qui commençait à comprendre la pensée de son petit-fils.

 — Je pourrais faire autre chose. J’aime lire et les bibliothécaires de l’Académie me connaissent mieux que mes professeurs. Je pourrais en devenir un. Ou je pourrais ouvrir une boutique et ...

 — Il n’y a toujours eu que des ninjas dans notre famille ! le coupa Bril, furieux.

 Le visage du retraité commençait à virer au rouge. Ses nerfs étaient mis à rude épreuve et les limites de son sang-froid venaient d’être franchies. La colère prenait le dessus sur la déception. Encore.

 — C’est peut-être pour cela que nous ne sommes plus que quatre Utak. Être ninja signifie crever ou devenir cinglé, rétorqua froidement Tokri qui peinait à ne pas céder à son tour à la colère.

 Bril tenta de reprendre la parole, mais Tokri le coupa sèchement.

 — J’ai besoin d’air.

 Le jeune homme quitta le domicile familial, malgré les rappels à l’ordre de son grand-père. Après s'être éloigné de quelques mètres, Tokri s'adossa à un mur et essaya de reprendre son souffle. Il se sentait perdu et dépassé par les événements. L’incompréhension, la colère et la tristesse se mêlaient en une tempête dans son esprit.

 Que devait-il faire ? Pourquoi voulaient-ils tous le forcer dans cette vie de folie ? La voie du ninja n'avait-elle pas fait suffisamment de mal à sa famille ?

 — Je peux savoir ce qui te prend ? demanda une voix familière au-dessus de sa tête, aussi douce que ferme.

 Tokri n’eut pas besoin de se redresser pour reconnaître son frère aîné, assis au sommet du mur auquel il était lui-même adossé. Okioto sauta et atterrit avec souplesse juste en face de son cadet. Le shinobi se posta les bras croisés face à Tokri, qui détourna le regard.

 Okioto était un Jounin de vingt-sept ans. Ses longs cheveux sombres étaient attachés en une queue de cheval qui laissait tomber de fines mèches de chaque côté de son visage juvénile. Le ninja paraissait bien plus jeune qu’il ne l’était réellement.

 Aux yeux de Bril et de beaucoup d’autres, son parcours était un exemple à suivre. Entraîné par ses parents, il avait intégré la formation shinobi de l’Académie à l’âge de treize ans. À seize ans, il obtint son grade de Genin avec un niveau bien supérieur à la moyenne de sa promotion. Sous le mentorat de leur grand-père, il n’avait eu besoin que de trois ans pour accéder au grade de Chuunin. Sa carrière n'avait été qu'une succession de réussite jusqu’à son élévation au rang de Jounin à l’âge de vingt-deux ans.

 Tokri savait que son échec était accentué aux yeux de leur grand-père par le parallèle que le vieil homme ne pouvait s’empêcher de faire avec Okioto. Malgré tout, Tokri n’en voulait pas à son frère. Il le connaissait bien mieux que n’importe qui, et il savait quelle était la véritable détermination qui poussait son aîné à cette brillante carrière. La même raison qui amenait le dernier des Utak à se questionner sur son choix de parcours.

 — Tu nous a espionné tout du long, répondit Tokri en osant finalement plonger son regard dans le sien. Pas envie de me répéter.

 — Je veux la vraie raison, le somma Okioto sans hausser le ton.

 — On sait très bien comment cela s'achéve quand on obéit aveuglément à des ordres.

 — Et notre serment ? interrogea Okioto sur le même ton de douce fermeté.

 Tokri détourna les yeux une fois de plus. Bien sûr qu’il s’en rappelait, là n’était pas le problème.

 — Alors ? insista l’aîné avec patience.

 — Je m’en souviens, chuchota Tokri.

 — Prouve-le, lui pria poliment Okioto.

 Tokri respira profondément. Il n’avait nul besoin de réfléchir pour se le remémorer. Les mots venaient d’eux-mêmes en son esprit, malgré les onze années qui le séparaient du moment où il les avait prononcé pour la toute première fois. Se les remémorer fit ressurgir des événements qu’il aurait souhaité avoir oublié.

 Pour la première fois depuis le début de leur conversation, l'aspirant perçut de la satisfaction dans le regard de son aîné.

 — Et penses-tu que c’est en gardant les bras croisés que nous y parviendrons ?

 — Tout le monde se fout de ce que je souhaite, s’agaça Tokri. Grand-père veut que je sois ninja pour satisfaire sa petite fierté de vétéran et vivre une nouvelle jeunesse à travers moi ! Quant à toi, ton unique but est de te servir de moi. Je ne suis pas ton arme !

 À l’expression de son regard, Tokri comprit qu’il venait de toucher un point sensible : la fierté d’être le grand frère protecteur.

 — Je veux que tu deviennes shinobi pour ton propre bien, déclara Okioto en raffermissant son ton. Pour que nous atteignions notre objectif. Ensemble.

 — À quoi cela nous avancera-t-il ? lui demanda Tokri, presque dans une supplication qui lui brisa la voix de désespoir.

 — Tu sais tout comme moi que tu ne pourras jamais construire ta vie tant qu’il foulera cette terre, rétorqua froidement l’aîné.

 Il ajouta doucement, presque dans une brise :

 — Ne m’abandonne pas, petit frère.

 Il s’approcha d’un Tokri mutique et posa une fraction de seconde une main fraternelle sur son épaule. Ne lui laissant pas le temps de répondre, Okioto se projeta en l’air et disparut en bondissant de toit en toit.

 Laissant Tokri seul avec ses doutes.

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