Chapitre 14 - Noir

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Je ne comprends pas... Des promesses vides ? Des rêves d'amour et d'avenir brisés ?

" Mais de quoi tu parles, Ezekiel ? Je n'ai jamais fait ça !

- Tu vois, tu ne t'en rends même pas compte. Tu as passé cinq cents ans enfermés par ma faute et tu n'as probablement même pas réfléchi à ce qui m'avait poussé à changer de camp. Tu ne comprends décidément rien aux hommes, Helen. Combien de fois as-tu convaincu la foule que nous gagnerions ? Combien de fois t'ai-je regardée faire vibrer les gens avec tes mots ? Et combien de fois me suis-je avancée jusqu'aux premières lignes pour te voir parler, moi, un enfant à l'époque ?

- Je...

- Tu ne sais pas, parce que tu ne m'as jamais remarqué. Ce n'est pas pour ça que je t'en veux, du moins pas tout de suite. Lorsque j'ai grandi et que je suis enfin parvenu à abandonner mes parents pour te suivre, tu ne m'as pas remarqué non plus. Il m'a fallu un moment pour parvenir à comprendre pourquoi tu ne me voyais pas. Et la raison était si simple ! Tu n'avais d'yeux que pour l'héritier des Noirs, ton amour de toujours, Hartley Lahthon. Il était beau, il était jeune, il était à la fois courageux et intelligent, il était parfait pour toi. Et puis il y a eu ce combat, difficile, où beaucoup d'entre nous sont tombés. Tu as félicité tout le monde avec un grand discours. Et puis tu es venu voir les blessés. J'en étais. Tu m'as écouté, et je t'ai éblouie. Tu m'as invitée à penser avec toi, et nous sommes devenus inséparables. Mais s'il y a bien quelque chose que tu n'as jamais compris, malgré mes nombreuses tentatives pour t'en parler, c'est que...

- Tu m'aimais, n'est-ce pas ?

- Je t'aimais. Et tu t'es contentée de ne pas le voir. Tu as ignoré mes sentiments. Au bout d'un certain temps, j'ai commencé à douter. Comment quelqu'un d'aussi aveugle pourrait-il créer un monde parfait, où tout irait pour le mieux ? Comment serait le monde que tu dirigerais, toi, la Maîtresse des Couleurs, le Papillon, alors que tu étais incapable de voir l'amour que je te portais ?

- Je n'étais pas aussi aveugle, Ezekiel. Je me suis toujours doutée de quelque chose, mais tu savais aussi bien que moi que je ne pouvais pas t'aimer. Je pensais que tu te ferais une raison, que tu finirais par abandonner, et j'ai cru pendant un moment que tu avais réussi. Puis tu as disparu. Je n'aurai jamais imaginé que tu me trahirais par amour.

- Ce n'est pas par amour que je t'ai trahie, Helen. C'est parce que je n'en pouvais plus d'être à tes côtés, de supporter ces regards que tu lançais à ton amant, tout en sachant que je n'aurais jamais ton cœur. C'est parce que je ne pouvais plus te voir comme mon idole, comme celle que je voulais à tout prix suivre malgré les erreurs que tu pouvais faire. Et puis, je n'avais pas l'intention de te trahir. Simplement, lorsque l'on sort d'une organisation comme la nôtre, nous n'avons pas vraiment le choix. Chez les hommes, il n'y a pas de neutralité. En quittant un camp, on se rend chez l'adversaire. Je n'ai pas eu le choix de l'impartialité. On ne m'a pas offert la paix. Je quittais tes côtés, donc je rejoignais ceux du Roi. J'ai failli résister, j'ai failli me livrer à la torture pour voir s'ils parviendraient à me tuer, mais ils se sont contentés de me poser des questions. J'ai pensé que je pourrais jouer avec eux, mais je me suis dit que peut-être que tu souffrirais plus si j'allais jusqu'au bout de ma trahison.

- Tu es cruel, Ezekiel. Je ne pensais pas que tu irais aussi loin pour une simple histoire de cœur brisé. Pourquoi as-tu continué, malgré tout, lorsqu'on m'a arrêtée ? Pourquoi est-ce que tu as jeté ce sort sur mes fers, si tu m'aimais vraiment ?

- Il y a un point de non-retour dans tout sentiment, ma chère. Le mien, c'est lorsqu'on t'a arrêtée. J'y ai vu non seulement une occasion de me venger, mais aussi celle de te faire souffrir. Je savais que ceux qui tenteraient de te délivrer n'auraient pas tous la force d'aller jusqu'au bout. Et j'avoue qu'avoir pu tuer mon concurrent de mes mains m'a offert la sérénité que j'espérais. Je savais qu'il était capable de tout pour toi, mais pas jusqu'où il pouvait aller par amour, et j'ai été agréablement surpris de voir qu'il n'était pas simplement beau et fort. Il a un don pour l'improvisation qui lui est, pardon, était réservé. Cependant, il ne pouvait rien contre moi, et c'est avec un plaisir que tu ne peux pas imaginer que je l'ai achevé.

- Tu... Tu es sérieux ? Tu te vantes d'avoir réussi à tuer un de tes semblables, même si c'était ton rival ? Tu te vantes d'avoir tué quelqu'un qui t'appréciait, malgré vos différences ? Comment peux-tu encore te regarder dans la glace ?

- Ah... Je savais bien que tu n'étais pas loin de ton point de rupture, ma chère. Face à ça, tu n'as pas pu proposer d'arguments plus appropriés que cette vieille métaphore ? Je te connais mieux que tu ne l'imagines, Helen. Je sais que tu as passé trop de temps au chevet de tes humains pour parvenir à te rendre compte que tu leur ressemblais de plus en plus. Moi, en tant qu'Elfe, je peux te le dire. Tu as changé. Tu n'es plus la même qu'il y a cinq cents ans. Tu t'es affaiblie, Helen. "

Je ne comprends pas. La jalousie, la haine, l'amour, c'est irrationnel, c'est passionnel, mais ça, ce n'est aucun de ces sentiments. C'est comme un mélange, une rage froide comme de la glace, mais dont le possesseur bouillonne. Je dirais bien que c'est incompréhensible, mais ce serait lui avouer que je me suis affaiblie. Oui, en côtoyant les humains, j'ai beaucoup appris, notamment sur leur manière de penser, d'agir et de ressentir. Oui, on peut prendre ça pour de la faiblesse. Mais moi, j'ai vu de quoi l'homme est capable. Je l'ai vu déplacer des montagnes par amour, je l'ai vu traverser des mers pour se venger, j'ai même croisé des hommes qui ont tout abandonné pour ce en quoi ils croyaient. Et moi, je n'ai jamais fait qu'une infime partie de ce qu'ils ont réalisé.

" Ma faiblesse n'est plus. Tu l'as toi-même tuée, et tu t'en vantais il n'y a pas si longtemps. Mais si tu dis que tu as fait tout ça par amour, c'est que tu te mens. Je connais trop bien ce sentiment pour savoir qu'il y a toujours de l'espoir. La jalousie, plus encore que l'amour, aurait pu te pousser aussi loin, voir bien plus encore. Tu t'épuises à traverser des forêts pour me déballer tout ça, sans intention de te battre ? Ça m'étonnerait.

- Effectivement. Si j'amène la garde, ce n'est pas pour qu'elle reste sagement assise sur des troncs en attendant que j'aie fini mon sermon. Je compte bien te ramener dans ta tour, et peut-être que je m'amuserais un peu avec toi avant de t'achever, pour offrir un avenir plus serein à un monde que tu veux sans cesse bouleverser.

- Tu vois ? J'avais raison. Tu ne m'aimes plus. C'est donc que tu ne m'as jamais aimée. Tu viens te battre, non pas pour régler un différend, mais pour me prouver que ta force est supérieure à la mienne. J'ai entendu les rumeurs, vous auriez développé une arme capable de tuer des Immuables. J'espère que tu n'en attends pas trop d'elle.

- Ne nous sous-estime pas, tueuse !"

Il lance l'attaque. Je me contente de sourire, un peu bêtement certes, mais je ne peux m'empêcher de me demander ce qui m'arrivera si ses menaces sont sérieuses.

C'est vrai, parfois, dans ma tour noire, je me suis demandé ce qu'il y avait au-delà... Peut-être le saurais-je bientôt ?

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