Acte III: le songe devenu réel

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Le jour succède à la nuit dans un éternel recommencement. Je jette un œil au réveil sur la table de chevet. 7h00. Je dois me faire violence pour ne pas replonger dans le sommeil. Avec volonté, je repousse la couette et me lève. Fatiguée, mes mouvements me rappellent ceux d’un escargot. En mode automatique, je parviens à me doucher, m’habiller, me coiffer et me maquiller. Je n’ai pas le temps de manger mais cela n’a aucune importance. J’attrape deux pains au lait et une compote en gourde que je mangerai sur le chemin. Il me faut une vingtaine de minutes en voiture pour me rendre à la boutique. Une fois garée, je regarde la devanture du magasin. J’aime mon travail à temps partiel. Conseiller et vendre des produits naturels et ésotériques m’a toujours beaucoup plu et je m’entends à merveille mavec mes collègues. Cynthia m’attend et agite sa main dans ma direction.

— Annabelle, t’es arrivée à l’heure aujourd’hui, s’exclame-t-elle comme si c’était un miracle.

De fait, ça l’est, je m’étonne moi-même de mon exploit.

— Je ne me suis pas rendormie après que le réveil ait sonné, ça doit être le secret, lui souris-je.

La journée défile rapidement, surtout quand on la passe à bavarder avec ses collègues ou les clients. Ce soir, c’est moi qui fait la fermeture, Cynthia et Annie sont parties depuis une heure maintenant. Je déballe le dernier carton livré par le transporteur et étale les produits sur la table dans l’arrière-boutique quand les clochettes de l’entrée tintinnabulent. Je fronce les sourcils, il me semble pourtant avoir accroché l’écriteau « fermé » sur la porte.

— Désolée mais la boutique est fermée, monsieur, si vous voulez revenir dem…

Je m’interromps. L’homme, très grand et vêtu d’une longue veste noire aux bords brodés, s’est tourné vers moi, me dévoilant des yeux d’un bleu électrique qui ressortent d’autant plus avec ses longs cheveux noirs et raides attachés en une queue de cheval. Il paraît tout droit sorti d’une autre époque. Des frissons m’envahissent, mon cœur s’accélère, mes yeux s’écarquillent et je manque de m'évanouir. C’est impossible. Cet homme ne peut être présent. Il esquisse un léger sourire.

— Selemeth, soufflé-je d’une voix rauque. Je me ressaisis.

Je dois forcément me tromper, il ne peut pas s’agir de lui. Il n’existe que dans mes rêves. Je secoue la tête pour me réveiller. Mais je ne rêve pas. L’homme demeure silencieux, puis acquiesce lentement.

— Vous existez donc réellement ?

Il s’approche de moi et me tend une carte que je saisis sans avoir le réflexe de la lire immédiatement. Je suis bien trop décontenancée par son apparition et subjuguée par son regard.

— Je t’avais dit que je me montrerai à toi lorsque le moment serait venu. Aujourd’hui, il l’est, annonce-t-il d’une voix de ténor.

Il exécute une révérence comme les hommes pouvaient le faire jadis et disparaît presque instantanément devant mes yeux ébahis. Dix minutes plus tard, je me tiens toujours debout devant la porte de la boutique à fixer le vide. Cet homme existe vraiment. Je n’en reviens toujours pas. Je porte enfin à mes yeux la petite carte toujours dans ma main. Il n’y a qu’un seul mot dessus.

« LARUNS »

Affalée dans mon canapé, je retourne dans tous les sens le carton que l’homme m’a tendu. Selemeth. Je n’ose pas ouvrir mon carnet onirique, celui où je note, chaque matin, mes rêves de la nuit. Je n’ai même pas besoin de le consulter en réalité, je me rappelle tout ce qu’il contient et qui le concerne, lui. L’immortel et mystérieux Selemeth. Toute ma vie, j’ai toujours su au plus profond de moi qu’il existait autre chose que ce que nos propres yeux pouvaient observer. Une mélancolie certaine m’envahissait régulièrement quand je tournais mon regard vers les cieux étoilés, quand mon corps baignait dans l’eau d'un lac, quand le feu d’une cheminée m’hypnotisait. J’ai commencé à noter mes rêves dans un journal à l’âge de seize ans. J’en ai maintenant vingt-cinq. Ils ont été mes premiers guides, quand personne dans ma famille ne pouvaient m’expliquer ce que je ressentais, ni même ne comprenait l’appel de mon âme. Mais j’en demeurais intimement convaincue : le monde n’était pas ce qu’on nous disait être. Alors, à l’âge de dix-huit ans, j’ai commencé à émettre des appels avant de dormir et parfois même en pleine journée. Je demandais mentalement, à qui voulait bien m’entendre, de me guider vers le chemin de vérité. Et un homme a commencé à m’apparaître pour m’instruire. Il se nommait Selemeth. Toujours dans mes aventures nocturnes, il m’avait alors révélé être un immortel âgé de six cents ans. Il n’était pas le seul mais il n’y a jamais que lui qui ait répondu à mes appels. Parfois je ne le voyais que deux fois dans l’année mais ses enseignements demandaient de la pratique dans la vie quotidienne et je me suis efforcée du mieux que j’ai pu de me préparer. Ces derniers mois, ses visites sont devenues de plus en plus fréquentes et lors de mon dernier rêve de lui, quinze jours plus tôt, il m’a averti de notre rencontre imminente. Même si j’ai toujours voulu croire à son existence réelle, je pensais fantasmer une aventure hors-du-commun qui me changeait de ma routine quotidienne. Soudain, je décide d’allumer l’ordinateur. Je n’ai absolument aucune idée de ce que signifie Laruns. Je tape le mot sur le moteur de recherche internet. Aussitôt, la page de résultats s’affiche. Laruns est un village montagneux de la vallée d’Ossau dans les Pyrénées Atlantiques. Il m’a indiqué un lieu. Lieu de rendez-vous ? Peut-être habite-t-il là-bas. Il ne m’a jamais révélé cette information en rêve, mais je n’ai pas non plus demander, le croyant sorti tout droit de mon imagination. Ce soir-là, décidée à en savoir plus, j’émets l’intention de retrouver Selemeth et glisse dans les bras de Morphée le sourire aux lèvres.

J’évolue autour d’un lac d’un bleu à couper le souffle, les montagnes environnantes forment un paysage de carte postale. Je ne tarde pas à prendre conscience que je suis en train de rêver. Ces éclairs de lucicidité m’arrivent souvent. Je n’hésite pas une seconde.

— Selemeth, je t’appelle, viens me rejoindre s’il-te-plaît.

— Je suis déjà là.

Je me retourne en sursaut. C’est bien lui : ses cheveux noirs flottent dans le vent de mon tableau onirique et son regard perçant me fixe. J’ai tellement de choses à lui dire que je ne sais pas par quoi commencer.

— Tu es vraiment réél… Comment as-tu réussi à me trouver ?

— Nous sommes liés psychiquement depuis que je t’ai élue. Être immortel me confère certaines capacités que tu retrouveras également, puisque tu as choisi cette voie.

— Retrouver ?

Il acquiesce.

— Chaque humain peut devenir immortel et réactiver toutes les capacités latentes qui demeurent endormies dans son ADN.

— Laruns. C’est là où vous habitez ?

— Exact. Pas dans le village même mais dans les environs, caché dans la forêt.

— Je dois donc me rendre sur les lieux… quand ?

— Quand tu te sentiras prête. Seulement, prends tes dispositions, une fois là-bas tu deviendras mon « apprentie » pendant de longs mois, voire années.

J’écarquille les yeux. Je n’ai pas prévu un tel changement dans ma vie. Tout quitter ainsi… Il semble lire dans mes pensées.

— Croyais-tu que ce chemin serait aisé ? Que tu pourrais suivre les enseignements d’un immortel tout en continuant ta petite vie de mortelle ?

— J…Je n’avais pas vraiment réfléchi à cela à dire vrai.

— Tu as maintenant le temps de le faire. Mais sache que si tu décides de faire marche arrière, tu n’auras peut-être pas d’autres occasions. Peu d’immortels prennent des mortels sous leur aile. Les épreuves à passer peuvent être terribles. Il faut te sentir prête. Je ne reviendrai pas te voir dans tes rêves ni dans ta vie. Le jour où tu décideras de devenir immortelle, rejoins-moi à Laruns. Je saurai te retrouver.

Il me faudra trois mois pour prendre ma décision. Le temps de laisser derrière moi mon travail, mon appartement et d’expliquer à mes parents et mes amis mon envie soudaine de déménager dans la vallée d’Ossau. Prétextant un nouvel emploi dépaysant, ils ne me posent heureusement pas trop de questions. Je leur promets de leur donner de mes nouvelles régulièrement. C’est ainsi que, munie d'une grosse valise et quelques cartons contenant mes livres, je parcours les cinq heures de route qui me séparent de Laruns.

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