L'EPS

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"Asseyez-vous devant le tableau !" nous crie pour la millième fois M. Brassard, notre professeur d'EPS. Je crois que vraiment notre classe le désespère. Ce que je comprends un peu. A chaque fois au moins deux élèves n'ont pas leurs affaires, d'autres sont absents et on ne va pas parler de notre façon de faire du sport... C'est plutôt un moment entre potes. Le lycée quoi. L'endroit pour faire le bazar ! Pour voir Roxanne s'étouffer avec de la soupe et courir se moucher, vomir aux toilettes alors que le mec qui nettoie est là à laver ce qu'elle fait. Et nous, en tant que bons amis on est morts de rire ! C'est ça le lycée non ? Faire des courses dans les couloirs, espionner le prof d'histoire de seconde qui est trop bizarre et répondre "coucou" au prof de philo à chaque fois qu'on le croise. Et puis rigoler en espagnol et faire des morpions sur les tables dès que la professeure ne nous regarde pas... Bref, être des adolescents normaux. Qui savent se marrer et qui en ont rien à faire des autres. C'est notre vie mince, pas la leur. Donc je fous le bordel et me fous tout le temps de la gueule de mes amis. Et eux c'est la même chose.

"Bon, à partir de mardi prochain on va commencer un cycle de patinoire. Il faut que vous preniez des gants surtout, sinon vous resterez sur le côté. James, arrête de parler deux secondes, veux-tu ? Si vous avez une polaire ou quelque chose comme ça, prenez la. Les filles ne venez pas en robe ou en petite jupe comme les patineuses artistiques sinon vous allez faire une hypothermie. Et non merci. Vous pouvez y aller, et surtout n'oubliez pas de prendre des gants !"

"Le premier à mettre ses patins à gagné le droit qu'on lui paie tout ce qu'il veut ce soir !" s'écrie Matt une fois qu'on est à la patinoire.

On est jeudi, ce qui veut dire que d'habitude on ne traîne pas trop le soir, surtout qu'on a une grosse éval d'histoire le lendemain, mais pour une fois je pense qu'on peut faire exception.

"Nan mais c'est pas juste ! crie Roxanne. Tu fais du hockey Matt, bien sûr que tu sais mettre des patins rapidement. Nous on va juste à la patinoire à Noël, et encore !

- Et ? T'es mauvaise joueuse Roxanne ? Honnêtement, je ne te voyais pas comme ça !"

Elle lui lance un regard noir, nous rigolons tous un bon coup, et commençons à faire nos lacets. J'essaie de me mettre debout, mais mon équilibre n'est vraiment pas bon et je manque de renverser Théo. (Qui, bien sûr, sait très bien faire du patin à glace. Moi...je ne vais pas vous le dire. Vous verrez bien.)

"Ok, est-ce que tout le monde est prêt ? demande notre prof de sport. Je me retourne dans sa direction. Il porte un K-Way bleu foncé, une écharpe rouge, un bonnet gris et des gants noirs. Quel style ! Honnêtement les profs ne doivent pas se regarder dans la glace avant de sortir le matin ! Les retardataires, dépêchez-vous, on n'a pas beacoup de temps sur la glace ! Le but de la séance d'aujourd'hui c'est devenir confortable sur la glace, c'est compris ?

Nous marmonnons tous en choeur : oui monsieur !

- Et n'oubliez pas, termine-t-il en souriant, ce n'est pas grave si vous tombez !

- Quel pervers !" me chuchote Roxanne alors que nous marchons avec précaution vers la glace.

Je hoche la tête et souris, ce qui me fait un peu perdre mon équilibre ! Argh, pourquoi est-ce que j'ai tant insisté pour ne pas suivre les cours de yoga de ma mère ? A ce rythme je vais tomber même avant d'être sur la glace !

Vingt minutes plus tard

Je grandis petit à petit en confiance, et arrive maintenant à patiner sans avoir l'impression que je vais tomber toutes les trois secondes. Je fais des progrès ! Roxanne me dépasse en me faisant un clin d'oeil. Pourquoi as-t-elle fait ça ? Ce qu'elle peut être mystérieuse ma meilleure amie ! Je fronce les sourcils et elle lève le menton. Faut que je regarde derrière moi.

Je me retourne péniblement ( j'arrive à avancer, et un peu à reculer, mais ne me demandez pas de tourner à vive allure !) et vois Matt en train d'impressionner tout le monde. Jusque là, rien de surprenant. Je me remets à patiner doucement, restant sur le bord, au cas où j'ai besoin de me tenir à quelque chose, et essayant d'éviter mes camarades de classe qui arrivent comme des boulets en face de moi.

Je viens juste de m'adosser à la barrière deux secondes pour reprendre mes idées après avoir failli tomber, quand j'entends un crissement derrière moi. C'est Matt, qui vient juste de s'arrêter dramatiquement à côté de moi, faisant voler de la glace partout. Quel frimeur.

"Comment ça va, princesse ? T'as besoin d'un peu d'aide ?

Oh non, il a un éclat rieur dans les yeux, ça veut dire qu'il s'amuse beaucoup trop.

- Eh bien ça va très bien merci, Monsieur le Showman. Et non, je n'ai pas besoin d'aide. Surtout pas de toi.

- T'es sûre ? Ses cheveux lui tombent dans les yeux, et il a l'air entièrement content de lui. Pourquoi, j'en ai aucune idée.

Il me tire par la main, m'emmène au centre de la patinoire.

- Matt !

- Quoi ?! T'as besoin d'aide, je t'aide, c'est tout. Pas besoin d'en faire tout un... Mon patin droit butte contre de la glace rugueuse, et je manque de tomber. Matt me rattrape, s'assure que je vais bien, et poursuit : pas besoin d'en faire tout un plat !

Je regarde droit devant moi, concentrée à ne pas tomber et ne pas m'humilier encore plus. De un, je n'ai pas besoin de ton aide, merci beaucoup...

Il rit, pas convaincu.

- De deux... Je baisse le ton. De deux, on est dans un lieu public, et je ne veux pas que tout le monde sache que...tu sais.

Il rigole à nouveau et tourne ma tête pour que je voie les autres. Regarde bien.

Tout le monde est en train de patiner à deux, s'entraînant à synchroniser ses gestes. J'apreçois Roxanne et Théo ensemble à l'autre bout de la patinoire, et une pauvre fille avec M. Brassard (je la plains).

Je me retourne vers Matt, qui continue de sourire. Depuis quand est-ce qu'on est censés être comme ça ?

- T'as pas entendu ? Le prof a guelé ça y'a cinq minutes ! Allez, viens, sinon il va se mettre à nous gueuler dessus parce qu'on bosse pas !"

Il m'entraîne, et au bout de cinq minutes, je n'ai plus du tout peur de tomber et nous sommes à peu près synchronisés.

"T'appelles ça bosser ?

Il me lance son sourire charmeur. Non, j'appelle ça m'amuser."

Pendant deux secondes, je pense qu'il va m'embrasser, et ne sais pas si je devrais être contente ou terrifiée qu'il fasse ça devant tout le monde. Il s'en fout peut-être, mais pas moi.

"Oh, c'était trop bien le sport ! s'exclame Roxanne en posant son plateau à côté du mien. Emma, décale un peu, s'il te plaît !

Je m'exécute, et elle s'assoit à côté de moi, l'air radieuse. Je me demande si c'est vraiment le sport qui l'a rendue comme ça, ou quelque chose d'autre. Ou plutôt, quelqu'un d'autre.

- Vrai. Il va bien Enzo ?

Elle se retourne tellement vite que je reçois ses cheveux dans la figure. Oui pourquoi ?

- Rien, c'est juste qu'on l'a pas vu récemment, c'est tout.

- Non, me corrige-t-elle, c'est juste que toi tu ne l'as pas vu récemment.

- Waouh Roxanne, répète un peu ! la taquine Théo en nous rejoignant, Matt a quelques pas en train de discuter avec un des ses potes.

Elle le fusille du regard. J'ai juste dit que juste parce que vous ne vous apercevez pas de quelque chose, ça ne veut pas dire qu'elle n'existe pas.

- Hmm, c'est un peu trop philosophique à mon goût. D'ailleurs on a quoi à faire en philo ?

- Emma, commence Roxanne avec un ton désapprobateur, ne me dis pas que tu n'as pas fait ta philo ?

- Euh...peut-être ?

- Mais t'es folle ! Tu vas te faire engueuler comme pas possible. Dèjà que apparemment M. Howard est de mauvaise humeur !

M. Howard est notre prof de philo. Il est un peu sévère mais ça va.

- Oh non, dit Matt, se joignant comme si de rien était à la discussion. Ne mes dites pas que vous êtes en train de parler de philo !

- Si. Tu sais ce qu'il y avait à faire ?

- C'était pas rédiger l'intro de l'essai pourri sur 'Penser, est-ce être ?' ?

- Si c'est ça, acquiesce Roxanne.

- Mince faut que je la fasse alors !

- On va t'aider, rigole Matt.

- Alors toi, je vais te frapper !"

Je commence à rédiger mon introduction furieusement, entre les bouchées de mon sandwich poulet-crudités et mes amis qui essaient de me distraire un maximum.

"Matt, je peux te parler un instant ?" Toute l'après-midi j'ai pensé à l'épisode de la patinoire, ce qui m'a fait penser que les choses ne sont pas très claires entre nous. Aussi, il est sans cesse en train de se foutre de la gueule des autres, et ça commence à devenir lourd.

Il est entouré de ses potes, adossé contre le petit muret en face du lycée.

"Bien sûr, princesse. Il ramasse son sac posé entre ses jambes et s'éloigne de ses amis pour me rejoindre.

- Matt, tu pars déjà ? lui lance quelqu'un.

- Ouais. Tu sais les filles...répond-il en me désigant du menton. Je deviens rouge et le frappe. Et pas entièrement que pour rigoler.

- Tu viens à l'entraînement ce soir au moins ?

- Ouais j'y serai, t'inquiètes. A ce soir les gars !

Je reconnais maintenant ses amis parmi ses coéquipiers de hockey.

- Tu voulais me parler ? Il s'arrête au coin de la rue pour me regarder.

- Oui. Je sens ma colère monter. Pourquoi tu fais toujours l'imbécile quand on est ensemble avec d'autres gens ? Pourqui tu prends jamais rien au sérieux ?

- Attends, stop. Ne vas pas m'accuser de rien prendre au sérieux. Tu te souviens pas de ta soirée chez moi ?

- Si mais depuis, tu fais l'andouille. Et je vais au lycée tous les jours en ayant peur que tu aies tout balancé !

- Emma. Il me prend les bras. Regarde-moi. Est-ce que tu penses vraiment que les gars là savent qu'on est en couple ?

- Qu'est-ce que j'en sais moi ! Tu es bien capable de faire une gaffe et tout raconter !

- Non. Son ton m'arrête. Il est sérieux, pour une fois. Je te jure que je n'ai rien dit à personne. Même pas à Théo, et on se connaît depuis la maternelle. Et je n'ai pas l'intention de lui dire sans que tu sois d'accord. Pour le reste...Il soupire et m'entraîne dans mon bus.

- Attends deux secondes. Tu me raccompagnes ?

Il me lance son sourire de gros dragueur. Oui. Ca te dérange ? Tu voulais qu'on parle, donc on parle.

- Parle alors, je le taquine.

- C'est ce que je fais ! Il prend une grande respiration. Je fais le con car je sais pas comment me comporter autrement. C'est plus facile pour moi de tout masquer avec un sourire et faire l'idiot. Je sais pas comment gérer notre situation, Emma. Enfin il me regarde, et je lis de la vulnérabilité dans ses yeux. Je me sens mal de m'être énervée maintenant.

- Mais...Mais ce que je comprends pas c'est comment elle est différente. Enfin, c'est pas la première fois que t'as une copine, Matt.

- Non, mais là c'est différent. Les autres fois, c'était juste pour le fun, la popularité quoi. C'était pas très réel. Enfin, elles étaient toutes sympas mes copines, je ne dis pas le contraire. C'est juste que là je sens que c'est autre chose, que ça va durer, et je ne sais pas comment m'habituer à ça.

Je regarde mes pieds, silencieuse. Je n'ai aucune idée de quoi répondre.

- Je te l'avais dit, non, ce soir là ? Que ça n'avait rien à voir avec les autres fois ?

Je hoche la tête.

- Je ne mentais pas, Emma. c'est vrai. Et j'essaie juste de comprendre comment je me sens, et comment je peux l'exprimer. En attendant, je fais le con, oui, mais ne vas pas me dire que tu n'aimes pas.

Je souris. Hmm, pas exactement ! Il me jette un regard faux-vexé, et je rigole. Non, plus sérieusement, on le dit quand aux autres ?

Là il sourit vraiment. T'en fais pas. J'ai tout prévu.

A ce point-là je commence vraiment à m'inquiéter. Mais j'ai pas envie de gâcher le moment donc je ne demande pas. Je retourne mon attention dehors. La pluie s'est arrêtée, et il fait maintenant beau mais froid. Les flaques reflétent le soleil et tout scintille, c'est magnifique.

- Mais maintenant que je t'ai avoué quelque chose, reprend Matt, c'est ton tour.

Je me retourne vers lui nerveusement. Ok. J'ai une petite idée de ce qu'il va me demander.

- En parlant de ce soir là, pourquoi t'as flippé ?

Bingo. J'en étais sûre. Il m'a embrassée, ça m'a rappelé mon père, et je me suis mise à pleurer car toutes les émotions et la fatigue, ça en faisait juste de trop. Mais j'espérais qu'il ne demanderait pas les détails.

Je retourne mon attention à la fenêtre. C'est plus facile de parler à son reflet.

- Parce que tu m'as rappelé mon père. Je me disais que ça faisait tellement du bien que quelqu'un me tienne comme ça, et que ça ne m'était pas arrivé depuis que j'étais petite, quand mon père...Ma voix se brise, je sens les larmes venir. Mais je ne veux pas pleurer. Pas cette fois-ci. Je respire un bon coup et continue : Ca me rappelle mon enfance, quoi. Quand mon père me faisait des gros câlins dès qu'il revenait de voayge. Quand il était encore là. Avant...je secoue la tête ; je ne peux plus parler.

- Merde Emma, je suis vraiment désolé." Matt passe un bras autour de mes épaules et me tire contre lui. Je fixe le sol, énervée contre moi-même d'avoir craqué.

Tous mes amis savent que mon père est mort dans un accident de voiture quand j'étais petite, alors qu'il était en voyage en Italie pour son travail. Mais, la plupart du temps, on évite de parler de ce genre de chose. Et je sais que Matt ne m'aurait jamais demandé d'en parler s'il avait su.

"Viens, dit-il dix minutes plus tard. C'est ton arrêt."

Je relève la tête et m'essuie les yeux, priant pour qu'il soit trop sombre pour voir que j'ai pleuré. Il me raccompagne jusqu'à ma rue et s'arrête.

" Tu ne vas pas être en retard pour ton entraînement ?

- Non, mais ce n'est pas le plus important. Le plus important c'est être là, avec toi, et m'assurer que tout va bien.

- Tout va bien.

Il sourit. Menteuse.

- Ben quoi ?! Ca va, je vais mieux, tu peux repartir.

- Ah ouais ? Parce que moi j'ai une meilleure idée.

- C'est quoi ta meilleure idée ?"

Pour toute réponse, il me plaque contre le mur des voisins et m'embrasse, s'en fichant complètement du fait qu'il y ait des voitures dans la rue, ou que les voisins pourraient rentrer à tout moment, ou qu'on est visibles depuis la fenêtre du deuxième étage de ma maison.

"Je suis vraiment désolé, Emma, murmure-t-il dans mes cheveux. Pour tout.

- T'en fais pas, ça va. Je t'en veux pas tu sais ? Je souris, et lui aussi. Essaie juste de te calmer un peu quand on est ensemble avec les autres.

- Ouais. T'inquiètes, ça ira mieux quand on aura tout dévoilé.

- Hmm. Tu m'as toujours pas dit ce que tu comptes faire.

- Tu verras, répond-il avec un clin d'oeil énigmatique. Attends une semaine et tu verras."

Et sur ce il s'éloigne, marchant seul au milieu du trottoir, rentrant enfin chez lui. Et je reste plantée là, à cinq cents mètres de ma maison, en train de calculer. Aujourd'hui on est le 6 février. Du coup la semaine prochaine on sera le 13. Je fronce les sourcils. Le plan de Matt n'est pas très clair. Sauf que si...Vendredi prochain on sera le 14. Matt compte tout dire aux autres le jour de la Saint-Valentin !

Deux pensées tournent en boucle quand je referme la porte d'entrée et lance un "je suis rentrée !" à ma mère depuis le hall : Quel romantique ! et Au secours !

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