La sortie scolaire

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"Mais oui Maman, oui ça va aller ne t'inquiète pas. C'est juste un voyage scolaire de trois jours. Oui j'ai bien ma brosse à dents, oui j'ai aussi mon dentrifice. Mais non il ne va pas avoir de problèmes. Ne t'inquiète pas. Bon désolée Maman mais je dois y aller. Non je n'aurai pas mon téléphone. Mais il y a la bande. Bon bisous Maman."

C'est fou d'avoir une mère qui stresse autant alors que je suis en Terminale et que je pars en voyage scolaire ! En plus c'est juste pour trois jours. Et je ne vais pas à l'autre bout du monde. Je vais à Londres. En plus je ne suis pas seule, il y a ma classe donc trente cinq élèves et trois professeurs.

"Ca va Emma, pas trop en retard ? me taquine Théo quand je monte dans le bus. Ma mère a un vrai talent pour me rendre en retard avec ses petites inquiétudes de mère poule.

- Oh ouais ça va. Enfin, tu connais ma mère ! Je jette un regard par la fenêtre au trottoir, où les profs et quelques parents sont toujours en train de poireauter. C'est quand qu'on est censés partir ?

- Y'a dix minutes au moins. Mais faut attendre les retardataires.

- En parlant de ça, ils sont où Roxanne et Matt ?

- Là." Théo pointe par la fenêtre, et en effet, j'aperçois mes amis en train de se faire pointer sur une des éternelles listes des profs. Roxanne a même pris un oreiller et a les cheveux en bataille. Elle tient un café brûlant à la main : j'observe captivée la vapeur montant dans l'air encore froid de ce mardi matin et je me demande quand est-ce qu'on va vraiment partir.

Au moins dix minutes plus tard, notre prof d'anglais, Mme Thomson, prend le micro et annonce notre départ. Même pas trente secondes après, Matt a déjà mis sa musique, malgré les protestations de Roxanne qui n'a pas l'air d'avoir entendu son réveil ce matin (il est à peine sept heures - je la comprends) et au moins cinq personnes sont déjà endormies. Je n'ai jamais compris pourquoi ils attendent le départ pour appuyer la tête contre la fenêtre et dormir.

J'ignore Matt et Roxanne en train de se chamailler et tourne mon regard vers le paysage qui défile à toute allure, me rappelant la dernière fois que nous étions allés en voyage scolaire (en Seconde, en France, c'était génial).

"Emma, tu peux lui dire d'arrêter sa musique, s'il te plaît ? me demande Roxanne en râlant.

- Qu'est-ce que t'as ce matin, tu t'es levée du mauvais pied ?

Elle secoue la tête. J'avais oublié de mettre mon réveil. Le lycée a appelé mes parents, qui m'ont réveillée, et j'ai dû me dépêcher comme une malade pour arriver ici.

- Pour une fois que ce n'est pas moi qui est toujours à la bourre ! s'exclame Matt en frappant Roxanne dans le bras. Elle essaie encore d'appuyer sur pause. Elle lui ébouriffe les cheveux, ce qui ne change pas grand-chose, car Matt ne se coiffe que très rarement.

- On arrête les enfants !

- Oui monsieur Théo !" A ça j'éclate de rire et Roxanne me lance un regard noir avant de rigoler elle aussi. Nous recevons des regards bizarres des autres personnes qui ont la malchance d'être assises autour de nous, mais je m'en fous complètement. Londres, here we come!

Deux heures plus tard, je suis assise avec Matt sur un banc de la National Gallery, à deux doigts de m'endormir. Roxanne est allée chercher des boissons (après que je lui ai juré que je l'a repayerai plus tard car toute ma monnaie est dans ma valise qui est dans la soute du bus) et Théo est parti voir sa copine dans la pièce d'à côté, celle avec les Tournesols de Van Gogh (que nous sommes censés étudier et analyser, mais chaque chose en son temps).

"Nan mais vraiment ces peintres, je pense qu'ils devaient être bourrés la plupart du temps. T'a vu ce qu'ils peignent !!

- Ouais enfin t'en es un à parler. A la fête d'Halloween tu t'es un peu lâché...

- Oui mais...

- Attends deux secondes. Ne me dis pas que toi, Matthieu Edwards (je fais ça juste pour l'énerver), tu es en train d'admettre que tu étais bourré à la fête d'Halloween du Lycée de Hayes ?!!!!

Il me jette un regard foudroyant. Oui mais au moins moi je ne peins pas des trucs idiots comme - il fait un geste vers la feuille (un peu froissée) de travail sur les Tournesols de Van Gogh que nous avons pas encore commencé - des tournesols ! Nan mais s'il te plaît, des tournesols !

- Oui enfin disons que y'a bien pire. Au moins Van Gogh ne peignait pas des gens à moitié nus !

Cette fois-ci il me dévisage avec son sourire malicieux qui ne reste jamais caché très longtemps. Qu'est-ce que tu en sais ?

- Ah, vous voilà ! Ca fait cinq minutes que je vous cherche ! s'exclame Roxanne en s'asseyant à côté de moi et en renversant du chocolat chaud - brûlant - sur mes baskets. Oups, désolée !

- Eh ben on n'a pas bougé d'un cil.

Roxanne se penche sur moi pour voir notre feuille. Et vous avez toujours pas commencé l'analyse?! Vous savez qu'on part dans vingt minutes ?

- Quoi ?! je m'étrangle, alors que Matt réponds "Tranquille" en touillant un deuxième paquet de sucre dans son café.

- Viens, je vais t'aider. J'ai déjà rempli la première partie. Roxanne et moi nous nous dirigeons vers la salle d'à côté.

- Et moi alors ?! s'écrie Matt.

- Oh, viens si tu y tiens !!"

"Oh non c'est pas vrai ! s'exclame Matt.

Je détache un moment les yeux de l'écran du portable de Roxanne. Qu'est-ce qu'il y a ?

Matt lève son sandwich. Je m'aperçois qu'il en manque une partie, alors que Matt a la bouche dedans. Un foutu corbeau m'a mangé mon sandwich !

A ça nous éclatons de rire. Matt est visiblement vexé (même si c'est qu'un sandwich à la dinde vraiment pas terrible).

- Vous pensez que j'ai le temps d'aller en acheter un autre ?

Théo regarde sa montre, prenant bien son temps, juste pour énerver Matt un max (c'est tellement drôle et je vais l'admettre - car c'est toujours mieux dans la vie d'être honnête, comme dit ma grand-tante - il est vraiment mignon quand il est frustré). Hmm, je ne pense pas. Tu veux un bout du mien ?

- Nan, ça va aller, je vais juste crever de faim, c'est tout. A ça Roxanne et moi nous nous mettons à rire de nouveau. Vraiment, faut qu'on arrête, je vais avoir les mâchoires défoncées ce soir à ce rythme.

- Oh, pauvre petit chou ! T'inquiète pas, on va pas te laisser mourir, pas devant nous.

- Ouais, je renchéris, on va partir sans toi comme ça tu mourras tout seul dans ton coin !

Matt me jette un regard noir. Je soutiens son regard, et quelque chose dedans me fais cesser de rire : on dirait un mélange de surprise et de tristesse. C'est comme s'il ne s'attendait pas à ce je que je dise ça.

- Bon c'est bon, on arrête ! Assez parlé de mort. Matt, y'a une barre de chocolat dans la petite poche de mon sac. Prends-là.

- Oh Théo, tu nous gâches notre plaisir ! le taquine Roxanne alors que nous rangeons le bazar éparpillé autour de nous (ma meilleure amie a beaucoup de qualités, mais l'organisation n'en est pas une) sur la pelouse d'un coin tranquille de Hyde Park.

- Mais non, t'en fais pas. Je veux juste qu'il arrête de nous embêter à propos de son foutu sandwich !

- Et toi Théo, on peut t'embêter ? demande Matt en s'étirant. Parce que moi j'ai entendu des rumeurs comme quoi quelqu'un et sa copine avaient...

- Stop ! rit Théo en rougissant et en se mettant à rejoindre le groupe pour pas que nous nous en apercevons (mais bien sûr, nous on aperçoit tout).

Nous rigolons encore un bon coup avant de le rejoindre. Comme quoi cette 'sortie pédagogique', comme l'appelent les profs, est plus fous rires qu'autre chose. On ne travaille vraiment, vraiment pas beaucoup (mais bon ça change pas énormément de ce qu'on fait en cours, si j'y réfléchis).

Et j'avais bien raison de dire ça, car à dix-huit heures mois le quart, alors que nous sommes dans nos chambres d'auberge de jeunesse, Roxanne se tourne vers moi.

"Alors Emma, t'es prête ?

- Prête pour quoi ? Pour une autre partie de poker à la Matt ce soir au dîner ?

- Non.

- Pour une virée shopping à essayer les trucs les plus immondes du magasin ? Ou encore essayer des talons dans lesquels aucune femme sur terre peut marcher ?

- Ou homme. Quand je lui lance un regard confus, elle s'explique. Y'a des hommes qui portent des talons aussi tu sais. Mais non, ce n'est pas ça. Regarde bien !

Je la dévisage lentement. Elle a mis son plus beau jean bleu foncé, un joli haut turquoise (sa couleur préférée) et des petites bottes noires à talons que je convoite depuis la Seconde. Je m'aperçois aussi qu'elle s'est maquillée : mascara, fard à paupières bleu, eyeliner et du rouge à lèvres mat.

- Pourquoi es-ce que t'es habillée comme ça ? Y'a une fête ce soir dont je ne suis pas au courant ou quoi ?!

Elle sourit, l'air espiègle. En quelque sorte. Ce soir, on sort Emma ! Et on sort dans quinze minutes alors t'as intêret à te dépêcher ! Elle se retourne vers ma valise, ouverte par terre sur le tapis mauve (!) de notre chambre d'auberge de jeunesse. Ah oui ! fait-elle, j'allais oublier. Ceci est pour toi. Elle me tend un billet par dessus son épaule et commence à fouiller dans ma valise pour une tenue de sortie convenable. Je me disais que ce haut serait sympa, qu'est-ce que tu en penses ?"

Elle tient un haut blanc moulant à col roulé, mais je ne l'écoute plus. Je regarde, incrédule, le billet qu'elle m'a tendu. Plus précisément, le billet du concert actuel des Vamps à l'O2 Arena. J'en reviens pas. Je suis fan de ce groupe, que j'ai découvert par accident en quatrième, et ça a toujours été mon rêve d'aller les voir en concert un jour. Je ne pensais juste pas que ce jour serait lors d'une sortie scolaire à Londres avec ma classe, c'est tout.

"Emma ? Roxanne me ramène à terre. Tu te prépares ou quoi ?

- Oui mais... Je cherche mes mots. Comment...comment t'as fait...?

Elle sourit encore. Habille-toi et je te dirai. Faut qu'on se dépêche. Elle me lance le haut, suivi d'un jean noir, mes baskets et ma trousse de maquillage. Eh ben, mes grands-parents m'ont donné de l'argent l'an dernier pour mon anniversaire, tu sais comme tous les ans ? Et ils m'on dit de le dépenser sur ce qui me fait me plaisir, donc c'est ce que j'ai fait. Et je me suis dit que ça ne se fait pas d'aller à un concert des Vamps sans inviter ma meilleure amie et la personne qui m'a initiée au meilleur boys band de la planète. Ca te va comme explication ? Elle me regarde appliquer mon mascara. T'as bientôt fini ?

- Il me manque que le rouge à lèvres. J'aperçois ma collection emmêlée de bijoux au fond de ma trousse de maquillqge, que je porte toujours sur moi, car on sait jamais, et j'ai une idée. Je fouille au fond et ressort un collier que m'a donné ma mère pour mes quatorze ans, que je ne porte que pour les occasions spéciales (comme les quatre-vingt-dix ans de ma grande-tante, par exemple) et je me dis qu'aujoud'hui compte comme 'occasion spéciale'. C'est bon !

- Pas tout à fait, réponds Roxanne en levant l'index et en dénichant un chapeau noir de ses affaires (je n'ai aucune idée comment ni pourquoi elle a décidé de prendre ça en voyage scolaire avec elle) et en me le lançant. Je pensais que ce chapeau t'irait bien. Car, selon Roxanne, j'ai une 'tête à chapeau' et elle adore quand j'en porte un. Je le mets sur ma tête et la regarde, un sourcil levé.

- C'est bon maintenant ?

Elle me lance son plus grand sourire. Oui. Let's go, le métro passe dans cinq minutes ! On va devoir courir !

- Et bah heureusement pour toi qu'on n'est pas loin d'une station de métro avec tes talons ! Nan mais vraiment Roxanne, tu es la seule personne que je connaisse à prendre des bottes à talons, un joli haut et un chapeau avec elle dans sa valise pour un voyage de trois jours avec sa classe !

- Je sais, je suis unique !"

Je pouffe de rire et la suis dehors.

"C'était la meilleure soirée de toute ma vie ! dis-je encore toute excitée.

- Moi aussi ! C'était quoi ton moment préféré ?

- Can We Dance, je pense. Après j'ai beaucoup aimé Just My Type, Missing You et...

- C'est comme moi, dit Roxanne. T'as tout aimé !

- Nan mais plus sérieusement merci beaucoup. Je t'adore !

- Je sais, c'est pour ça que je suis ta meilleure amie !!"

"Hmm...qu'est-ce qui ce passe ? je demande à Roxanne en grognant. Je regarde mon téléphone et m'aperçois que j'ai dormi pendant plus d'une demi-heure. Je me rends aussi compte qu'il fait nuit, que j'ai faim, et qu'il y a beaucoup trop de bruit au fond du bus pour 20 h le soir.

- Je sais pas. T'a bien dormi ?

Je lui lance un regard noir : je ne suis pas du tout réveillée et j'ai une grosse impression que mes cheveux c'est n'importe quoi. Elle rigole. Le boucan devient de plus en plus fort.

- Eh on se calme au fond y'a des gens qui dorment !

- Ouais Emma, t'es clairement endormie, me rabroue Théo.

Je l'ignore et repose ma question. Mais sa réponse est noyée par une trentaine d'ados en train de chanter (ou crier, selon les cas) le refrain de High Hopes.

- 'Had to have high, high hopes for a living / shooting for the stars when I couldn't make a killing / didn't have a dime but I always had a vision /always had high, high hopes !' Et malgré le fait que je viens juste de me réveiller et que, très clairement, j'aimerais me rendormir, je ne peux m'empêcher de chanter aussi.

- Pouvez-vous m'expliquer ce boucan ?! Mme Thomson peine à se faire entendre par dessus nos voix.

- On s'entraine pour le concert de fin d'année, Madame, réponds quelqu'un au fond du bus.

- Alors entrainez-vous moins fort, s'il vous plaît." Notre prof d'anglais se retourne dans son siège et nous nous mettons à chanter Galway Girl d'Ed Sheern encore plus fort. Notre 'concert' continue jusqu'à ce que nous arrivons devant les grilles du lycée à 23 heures le soir, crevés mais bourrés d'adrénaline et de bonheur.

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