J’ai vu un Absent

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J’ai vu un Absent

Je remonte la rue. J’aperçois une vielle dame au fichu noir qui porte, serré sous son bras, une baguette de pain. Bientôt je découvre une petite épicerie d’autrefois avec son fouillis d’articles, ses rayonnages de bois, ses bocaux antiques où poissent quelques gommes vertes et rouges. J’entre. Un vieux monsieur est derrière sa caisse enregistreuse. Il pianote consciencieusement sur son Smartphone et je ne suis pas très sûr qu’il m’ait aperçu.  Tu ne peux savoir combien ce contraste est saisissant, de l’antique au moderne, sans transition aucune. Je ne sais s’il se livre à un jeu, surfe sur Internet, compose le numéro d’un correspondant. Je lui demande l’emplacement de quelques ingrédients. Il me répond d’une voix qui semble venir de si loin. Jamais il ne me regarde, ses yeux vissés à son étrange machine. Pour lui je suis transparent. Pour lui je suis un courant d’air qui aura traversé sa vie sans même qu’il en soit conscient. La pièce, sur le comptoir, fait sa petite musique de jour. Il me rend la monnaie somnambuliquement. A vrai dire je ne sais si je viens de voir un mort en sursis, un vivant déjà parti pour l’au-delà, un mutant des temps modernes. Je ne sais.

J’ai vu l’homme aux chiens

   Je prends mon frugal repas au milieu des murs de pierre sèche, des piquants des genévriers, des chênes rabougris. Le paysage s’ouvre au loin sur un horizon dégagé. Quelques villages dont je ne connais nullement le nom ponctuent une rare végétation. Puis je pars en direction du premier village. Ce dernier est quasiment désert. Des maisons à colombage, des écuries au toit éventré, des arbres ont poussé à l’intérieur. Je ne sais si tu me croiras mais ce lieu si discret est un musée à ciel ouvert de portes aussi anciennes qu’esthétiquement belles. Vieilles ferrures, empiècements de tôle, impostes aux vitres brisées, traverses de bois nervuré, enfin un véritable enchantement pour qui cherche la trace d’un style de vie, la signature des mains d’artisans à même leur ouvrage.

   Avant de m’apprêter à partir, j’entends quelques jappements. Je me retourne et aperçois une bizarre équipée. Un homme d’allure assez jeune, de petite taille, en short, brodequins aux pieds, est entraîné par un attelage de cinq chiens tenus en laisse, de vigoureux gaillards, des rottweilers, des pittbuls dont l’âge canonique les rend plus touchants et inoffensifs que potentiellement dangereux. La chevauchée me dépasse allègrement sans autre forme de procès. Une fois de plus l’essence de ma solitude a joué qui semble m’avoir dissimulé à leurs yeux. L’homme a lancé quelques vigoureuses onomatopées, pour moi insignifiantes, puis s’est engouffré dans une maison basse, une des rares à être habitées dans ce bourg aux allures de lieu sinistré.

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