CHAPITRE 1 Partie 1

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        Lena Johnson se releva d'un bond, la respiration haletante, le cœur battant la chamade. Elle posa une main sur sa poitrine en essayant de retrouver un souffle régulier puis regarda autour d'elle afin de se rassurer. La jeune femme était bel et bien chez elle, dans son petit appartement de Londres. Ses yeux se posèrent sur ce même parquet qui grinçait chaque fois qu'elle posait un pied dessus, les mêmes murs d'un blanc immaculé qu'elle exécrait, mais qu'elle n'avait jamais pris le temps de repeindre. Lena était bien au chaud sous ses couvertures. Pourtant, quelques secondes plus tôt, la jeune femme avait eu l'impression d'être dans cette ruelle. Elle avait senti la peur pénétrer son esprit, la paralysant alors qu'elle essayait d'échapper à... à quoi d'ailleurs ? Elle n'en savait rien, n'ayant rien vu hormis l'arme. Puis, la douleur s'était emparée de son esprit. Une douleur si atroce que la jeune femme l'avait ressentie dans tout son être. Et la voilà, tremblante, dans sa chambre, tel un enfant apeuré par un monstre caché sous son lit. Lena soupira, elle ne supportait pas quand ses rêves l'atteignaient de cette manière. Ce n'était pas la première fois, la jeune femme avait vu bien pire au cours des sept dernières années. Pourtant, cette impression de perdre le contrôle ne la quittait pas. Cependant, il fallait toujours que Lena restât maîtresse d'elle-même pour ne pas se perdre dans les limbes de la folie. Si elle ne gardait pas son sang-froid, cela pouvait arriver à tout moment. Son pouvoir prendrait le pas et l'enfermerait au fin fond de son esprit, sans aucun espoir de re tour.

       Lena était médium. Elle percevait certaines choses que le commun des mortels ne pouvait pas entrevoir. La jeune femme ressentait le mystère et la puissance du "non-dit". Elle rêvait souvent, aussi bien du passé que du futur ou, dans le cas présent, de ce qu'il se passait au même moment, alors qu'elle dormait, en sécurité dans son appartement. Lena pouvait voir les fantômes, ainsi que les apparitions et les esprits frappeurs. Si les premiers se manifestaient comme ils étaient (au moment de leurs morts et étaient parfaitement visibles pour la jeune femme, ce n'était pas le cas des autres. Ils se révélaient juste en une masse brumeuse dans certains cas et d'en d'autres, seule la température de la pièce et son ressenti lui indiquaient la présence d'un potentiel visiteur. Ces derniers faisaient bouger les objets et les maléfiques prenaient possession des êtres faibles. Lena n'en avait pas rencontré et elle espérait que ça n'arriverait jamais. Les quelques documentaires qu'elle avait vu l'avait assez chamboulée pour la dissuader d'enquêter sur les phénomènes paranormaux malgré la passion qu'elle leur vouait.

      Ses parents apeurés, par son don, en avaient fait un sujet tabou, dans la famille. Si bien qu'Annalise, sa sœur aînée, se trouvait totalement dans l'ignorance de ses capacités. Si Lena n'avait jamais apprécié l'idée de cacher ses dons à sa sœur, on ne lui avait à aucun moment laisser le choix creusant un énorme fossé entre les deux fillettes. A ce jour, les deux femmes ne s'adressaient que rarement la parole. Annalise la voyait comme une jeune femme ingrate qui crachait sur tout ce que leurs parents avaient pu lui offrir. Mais comment Lena aurait-elle pu accepter quelque chose de la part des personnes qui ne l'avaient jamais entièrement tolérée ? Pire même, alors qu'ils éprouvaient de la crainte à son égard.

       Parce que c'était bien le cas, ses parents avaient peur d'elle. Pourtant, on ne les impressionnait pas facilement, ils étaient même très courageux. Lena leurs reconnaissaient bien ça, mais quand il s'agissait de leur fille, leur courage disparaissait comme par enchantement, faisant naître une rancoeur sourde dans le cœur de la jeune femme, rancoeur causée par l'absence de soutien et d'amour durant son enfance. Ce genre de fardeau était dur à porter pour une gamine, et elle n'avait eu personne pour l'épauler.

        Personne, sauf son grand-père, lui seul l'avait aidée, prenant le temps de lui expliquer certaines choses. Il avait su trouver les mots pour la rassurer et lui faire comprendre qu'elle n'était pas folle, que tout ce qu'elle voyait existait réellement. Grâce à lui, elle apprit à ne plus avoir peur des monstres sous son lit et à ne pas craindre ce que les autres ne voyaient pas. Malheureusement il mourut peu de temps après son douzième anniversaire. Elle avait même prévenu ses parents, alors qu'ils la croyaient guérie, comme s'il s'agissait d'une maladie dont on pouvait se débarrasser. Cette pensée arracha un sourire amer à Lena, alors qu'elle se souvenait de leur surprise lorsque, pleurant à chaudes larmes, elle était entrée en trombe dans la cuisine. Ses parents durent user de beaucoup de patience et de cajôleries, avant de que la jeune fille accepte de leur dire ce qui la mettait dans cet état. Ils restèrent interdit à l'annonce de ce grand-père qu'elle aimait tant, allant même jusqu'à refuser de la croire, cependant, un appel à la grand-mère de la jeune fille les firent se rendre à l'évidence, elle disait la verité. Si la maman de Lena en fut bouleversée, cette dernière avait été dévastée et avait passé des semaines enfermée dans sa chambre à sangloter. Seul la vision de son grand-père avait fini par la faire sortir. Elle se souvenait comme si c'était hier de ses paroles :

    "Ma douce Lena, tu es une perle rare, un joyau. Ne laisse jamais personne se mettre en travers de ton chemin. Continue à vivre et tu accompliras de grandes choses. Tu es forte, tu peux arriver à faire n'importe quoi et à réaliser n'importe laquelle de tes ambitions."

         La jeune femme secoua énergiquement la tête. Ce n'était pas vraiment le moment de penser au passé, ayant une affaire en cours Lena avait bien mieux à faire. Une femme de la société, pas quelque chose de bien intéressant, mais assez pour payer les factures. Elle était persuadée que son mari la trompait et l'avait engagée pour qu'elle découvre la vérité. Encore une histoire ennuyeuse et sans importance. Lena n'avait pas mis longtemps à trouver les preuves qui incrimineraient le mari volage, ses clichés, proprement rangés dans un dossier, attendaient patiemment la venue de la cliente. La détective avait convenu d'un rendez-vous avec la pauvre femme dans l'après-midi afin de lui remettre les photos et, sans doute, lui briser le cœur.

       En attendant, elle avait toute la matinée de libre. Sans doute irait-elle à la salle de sport en courant. Une séance intensive était tout ce dont elle avait besoin et lui ferait le plus grand bien. Lena se leva en regardant son téléphone. Il était quatre heures quinze du matin, son cauchemar l'avait réveillé deux heures avant que son réveil ne sonne. Grommelant dans sa barbe, elle quitta la chaleur de sa chambre pour se retrouver dans le couloir frisquet. Il fallait vraiment qu'elle répare le chauffage et le plus vite serait le mieux. L'été réchauffait encore l'Angleterre, mais la jeune femme n'aimait pas avoir froid. Elle gardait le chauffage allumé toute l'année, mais l'été, il ne fonctionnait que la nuit. L'hiver serait là dans moins de quatre mois et Londres n'était pas connu pour ses températures clémentes.

      Son chauffage l'avait lâchée presque un mois auparavant, alors que les températures dépassaient les trente-cinq degrés. N'ayant ni le temps, ni l'envie de faire rentrer un inconnu dans son appartement, la jeune femme n'avait contacté personne. Il Faut dire que la seule personne à avoir pu y entrer fut sa meilleure amie. Même ses parents n'étaient jamais venus, quand à ses ex, elle allait chez eux. C'était pour elle un bon moyen d'éviter qu'ils envahissent son espace personnel.

         Lena se passa une main sur le visage, le besoin de caféine se faisant ressentir. La jeune femme traversa l'appartement en prenant soin d'allumer toutes les lumières, réflexe qu'elle avait depuis son enfance. Elle n'aimait pas être dans le noir à cause de tout ce qu'elle pourrait y apercevoir. Il lui arrivait même de dormir avec la lumière allumée, juste pour se rassurer. Lena ne manquait certes pas de courage, mais elle n'aimait pas du tout les dangers dont l'obscurité regorgeait. Surtout ce matin où elle ne voyait rien d'autre que la lame s'abattant sur sa gorge, lui donnant un sourire vermeil et macabre. Un sourire mortel. La détective retint un frisson d'horreur. Dieu qu'elle haïssait l'effet de ses rêves sur elle. Elle se sentait si faible et si misérable avec l'impression de se perdre.

       Dans la cuisine, la jeune femme se dirigea droit vers la cafetière. Le doux ronronnement de la machine en marche retentit, rassurant Lena qui avait besoin de quelque chose de familier afin de se raccrocher à la réalité et de se sentir en sécurité. Elle sortit une tasse d'un des placards et la posa sur le socle prévu à cet effet. Quand la machine cessa de clignoter, Lena appuya sur un des boutons et le café s'écoula dans la tasse. L'odeur qui s'en dégagea lui arracha un sourire. Elle aimait plus que tout sentir le fumet âcre du café.

       Lena attrapa la tasse chaude et la porta à ses lèvres en regardant la pièce dans laquelle elle se trouvait. Un joli gris pâle peignait les murs, contrastant sans agression avec le blanc des placards qui y étaient suspendus. Le comptoir de la cuisine en marbre gris, dont la brillance ressortait à la lumière, donnait directement sur le salon au parquet identique à celui du couloir et de la chambre. La décoration plutôt sobre, donnait à l'appartement en général, une allure impersonnelle et froide. Pas du genre frivole, Lena se contentait du strict minimum, sans cadre décoratif ou bibelot qu'elle jugeait totalement inutile. Les seules photos affichées dans son appartement étant celles de sa meilleure amie aujourd'hui décédée.

       Aux souvenirs d'Ashton, les doigts de Lena se crispèrent autour de sa tasse et son cœur se serra douloureusement. Sa mort datait de neuf mois mais il était encore difficile pour la jeune femme de faire le deuil de celle qui fut sa meilleure et seule amie. Asthon avait toujours été comme une bouffée d'air et une source de lumière. La perdre l'avait détruite comme si elle avait perdu une partie d'elle-même. La partie la plus lumineuse, douce et joyeuse. Avec l'impression de vide qui l'entourait, Lena s'était mise à vivre dans une brume grise, sans saveur ni joie.

       La détective ferma les yeux et posa violemment la tasse dans l'évier. Celle-ci se brisa, mais elle n'y fit guère attention. Ça n'avait pas d'importance. Plus rien n'avait d'importance. La jeune femme se dirigea vers la salle de bain en essayant d'oublier le souvenir d'Ashton. Rien ne lui était plus douloureux que de penser à elle. Après sa mort, la médium avait vécu dans un abîme jusqu'à, ce qu'un soir de juillet, alors qu'elle était plongée dans un énième verre de whisky, elle lui était apparue. Toujours aussi lumineuse, ses longs cheveux blonds tombant dans son dos. Ayant un peu abusé de la boisson, la médium avait cru rêver et lui avait parlé, vidant son cœur de toute cette souffrance, de toute cette haine qui l'habitait. L'accusant injustement de l'avoir abandonnée avant de s'effondrer en larmes et de s'excuser de ne pas avoir su la protéger. Contre toute attente, Ashton lui avait répondu montrant à Lena qu'il ne s'agissait pas d'une hallucination, mais bien de l'esprit de sa meilleure amie. Après ça, la jeune femme avait considérablement diminué la boisson, sans vraiment arrêter car, malgré la douleur persistante, elle ne ressentait plus le besoin de s'enivrer chaque jour.

       Depuis, songea-t-elle en revêtant sa tenue de sport, elle attendait ses visites avec impatience. La jeune femme secoua la tête. Il fallait qu'elle bouge, qu'elle se vide la tête. Elle allait devenir folle sinon. Du moins, plus qu'elle ne l'était déjà.

        Quand Lena quitta l'immeuble, elle ne croisa personne, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Elle n'était pas d'humeur à se faire alpaguer par la voisine du dessous qui lui tiendrait la jambe pendant une demi-heure. Tout le voisinage connaissait la profession de Lena et chacun connaissait aussi son caractère taciturne et peu sociable, mais cette vieille commère ne semblait pas en être impressionnée et n'avait de cesse de lui raconter la vie de Pierre, Paul ou Jacques, ce dont la jeune femme se fichait éperdument. Malgré sa façon de l'envoyer paître à chaque fois, sa voisine ne semblait pas comprendre le message et revenait toujours vers elle. Sans doute dans l'espoir de se mettre des ragots croustillants sous la dent, qu'elle irait raconter à son foutu club du troisième âge. Lena ne supportait pas cette bonne femme qui aimait vivre du malheur des autres. Sa curiosité malsaine la mettait mal à l'aise tout comme l'aura écœurante qui gravitait autour d'elle. Cette vieille peau lui faisait froid dans le dos.

       L'air frais l'accueillit quand elle se retrouva dehors, la forçant à mettre fin à ses sombres pensées. Lena commença à courir, d'abord au pas, avant d'accéler la cadence. Dans cette ville aussi vivante de jour comme de nuit, la jeune femme ne croisa pas grand monde, chose guère étonnante au vu de l'heure matinale. Les quelques habitants, déjà dans les rues, ne gênèrent pas sa progression à son grand soulagement. Quand elle sortait plus tard, la jeune femme devait faire attention à tout le monde mais ce matin, personne ne lui prêtait attention et elle ne prêtait attention à personne.

      L'appartement qu'elle louait se situait juste en face de l'ancienne société Abbey National, puisqu'elle avait quitté les lieux en 2002, bien avant que la détective ne s'y installe. Cependant ce n'était pas pour cette raison que l'appartement aie trouvé grâce à ses yeux, mais à cause de ce qui s'y trouvait encore. Le 221B Baker Street. L'immeuble où elle vivait se situait juste en face de la demeure du héros fictif Sherlock Holmes. Et la fenêtre de son salon donnait sur ce qui était, aujourd'hui, le musée de ce détective aux capacités de déduction hors normes. Grande amoureuse des œuvres de Sir Arthur Conan Doyle, Lena admettait que c'était grâce à lui qu'elle avait trouvé sa voie. Il avait été une grande source d'inspiration pour toutes les choses qu'elle avait entreprises et n'avait aucun regret sur ses choix. Sauf celui de ne pas avoir pu sauver Ashton.

      Lena accéléra. Il ne fallait pas qu'elle pense à autre chose que sa course. Elle devait rester concentrée. La jeune femme traversa Baker Street et, après avoir dépassé King'Cross et Paddington, elle arriva enfin à son lieu de salut.

        La salle de boxe "Harper's" était le seul endroit où elle se sentait bien après un rêve ou quand ses souvenirs devenaient trop douloureux. Elle était dirigée par Elliott Harper, un ancien militaire à la retraite, reconverti que Lena avait rencontré cinq ans plus tôt. Accusée du meurtre de sa femme, à l'époque, la déctive lui était venue en aide. La défunte était apparue dans un de ses rêves pour en prendre le contrôle afin de lui montrer le déroulement de la nuit fatidique.


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