Le chinois qui était contrarié

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 Rick, Buck et Cathy se rapprochent de Jupiter. « Une semaine plus tard » en surimpression. Ils peuvent voir la géante gazeuse depuis le hublot de Tempête. « Il y a cent ans que l’Amérique a revendiqué cette planète, explique Rick. Le pays avait besoin d’un nouveau départ : saviez-vous que la Terre n’est respirable que depuis trois décennies ? Avant, des gaz chimiques en recouvraient la surface. Les gens mourraient, raconte-t-on. Une sale histoire, la Terre. Pourtant, ajoute Rick d’un ton mélancolique, c’est bien là-bas que je suis né.

 — Tu es un Terrien, Rick ? s’étonne Cathy.

 — Oui, je viens de la Terre. Je ne vis sur Mars que depuis quelques années. Quand je suis arrivé, la planète était encore plus déserte que maintenant, c’est te dire l’isolement. La frontière était déjà abandonnée, et San Cohete n’était qu’une clôture : les gens dormaient dans des tentes. Après, les anciens sont arrivés dans leurs vaisseaux de retraites. On leur promettait Mars comme le Paradis Rouge. En réalité, c’était une excuse pour se débarrasser d’eux.

 — C’est étrange, je n’ai aucun souvenir de tout cela, remarque Cathy.

 — C’est normal, le père Patmore n’est arrivé qu’il y a deux ans. Il voulait prendre des vacances après la crise de Mercure. Il te faisait sauter dans ses bras, le bougre…

 — Mon pauvre Patmore, dit Cathy. C’est vrai que j’étais trop jeune pour m’en rappeler. Mon inhibiteur de croissance m’a fait grandir si vite !

 — Quel âge tu fais ?

 — Vingt-cinq ans. À mes vingt-sept ans, l’inhibiteur cessera de fonctionner et les secondes redeviendront des secondes. Ma jeunesse n’aura duré que trois ans en tout. Heureusement ! Mars n’est pas une vie pour des enfants. J’aurais encore préféré grandir sur Mercure. »

 Et se retournant vers Buck : « Toi aussi, tu es terrien ?

 — Oh, non, répond Buck. Moi, je suis né sur Pluton quand elle était encore américaine. La guerre a tué mes parents, et j’ai dû fuir sur Mars. C’était la seule planète tranquille du coin. Puis j’ai rencontré Rick, et je suis devenu adjoint du shérif. Je voulais combattre la violence, mon traumatisme étant…

 — Ça existe encore, Pluton ?! »

 Les trois réfugiés sont ravis que le voyage touche à sa fin. Le protocole Ouragan a fait de Tempête une navette confortable, mais ils commencent tous à se sentir à l’étroit. Le cheval, dont la queue a été remplacée par un propulseur, file dans les étoiles en direction de la frontière de Jupiter. « Comment peut-on construire sur du gaz ? s’enquiert Cathy

 — La ville est bâtie sur de nombreuses plateformes, dit Rick. Les gaz de Jupiter sont réchauffés dans d’immenses ballons accrochés aux bâtiments, ce qui les pousse vers le haut tandis que la forte gravité de la planète les attire vers le bas. Les deux forces s’opposent continuellement : la ville reste donc figée dans les airs.

 — C’est épatant, dit Cathy. Même si cela me semble un peu tiré par les cheveux.

 — Le tout c’est que ça marche, dit Rick agacé. C’est comme ça depuis des années. J’espère que la ville n’a pas trop changé depuis ma dernière visite.

 — Où irons-nous, une fois que Tempête aura atterri ? demande Buck.

 — Nous nous rendrons à 猪排, le quartier chinois. J’y connais quelqu’un qui pourra nous venir en aide.

 — Je croyais que les gangsters de रबर l’avaient incendié ?

 — Non Buck, tu confonds avec les mercenaires du quartier de Пирог, qui ont saccagé les commerces de 구두. Dis, tu ne lis jamais le cyber-journal ? »

 Tempête s’arrête à la frontière de l’État de Jupiter. Un employé des douanes vient à leur rencontre dans sa navette-guichet. « Rien à déclarer ? dit-il grâce au système de communication à courte distance.

 — Rien à déclarer, dit Rick. Je suis Rick Storm, shérif de San Cohete sur Mars, État de Mars.

 — Vous pouvez y aller, shérif. Mais pour sûr que vous ne tenez vraiment pas en place !

 — Je vous demande pardon ?

 — Eh bien, il y a quelques jours que vous n’arrêtez pas de traverser la frontière.

 — C’est insensé, je viens d’arriver !

 — OK, OK, shérif, si vous le dites… »

 Rick range son revolver. L’employé désactive une parcelle d’ondes Wylow. Le cheval traverse la frontière américaine.

 « Il a dû me prendre pour quelqu’un d’autre », pense Rick à voix haute.

 De la frontière, ils empruntent l’astroroute 140. Elle doit les conduire dans la région de 猪排 en passant par Callisto — la lune leur permet de remplir le réservoir d’avoine de Tempête.

 Ils pénètrent dans l’atmosphère Jupitérienne. Plan de grand ensemble sur le quartier chinois qui s’étale sur de nombreux kilomètres, plateformes après plateformes en forme de jonques. Des lanternes rouges brillent dans le brouillard couleur crème. Tempête passe en Protocole Tonnerre, puis rétracte ses ailes pour redevenir cheval — appelé aussi « Protocole Brume. »

 Rick galope quelques temps avant de trouver un habitant, à qui il demande : « Pourriez-vous m’indiquer où se trouve la maison de monsieur Wan ?

 — 离开我 !

 — Ça commence à suffire, tout ce charabia ! dit Rick.

 — Je crois qu’il t’a dit de le laisser, dit Cathy. J’ai aussi fait un peu de chinois à Redtown. C'est toujours utile de savoir quand un asiatique est contrarié.

 — Mais pourquoi voudrait-il que je le laisse tranquille ?

 — Vous êtes mauvais monsieur ! dit l’habitant dans la langue commune. Vous plus revenir ici ! »

 « Bon sang, je m’en souviendrais si j’avais fait une bêtise ! », pense Rick tout haut.

 L’habitant s’éloigne du shérif en maugréant dans sa langue.

 « Qu’ont-ils tous, aujourd’hui ? déjà le douanier bizarroïde, puis cet autochtone malpoli…

 — Quel genre d’aide apportera ton ami ? demande soudain Buck d’un ton soucieux.

 — La ville de Jupiter est découpée en quartiers avec leurs lois propres, explique Rick. Pour chaque quartier, il y a un régisseur : les régisseurs se retrouvent une fois par mois au centre de congrès pour discuter politique. C’est là que mon contact intervient. Ho-Min Wan est le sous-régisseur du quartier chinois. Avec un peu de chance, il nous aidera à pénétrer au centre de congrès.

 « De là, nous demanderons à nous entretenir avec le président Donaldson, dont la loge n’est pas très loin. Nous l’avertirons de l’invasion de Mars par Zéphistos : lui seul pourrait envoyer le soutien militaire nécessaire. Je connais un peu le président, à vrai dire, c’est lui qui m’a remis mon étoile de shérif. Il m’a à la bonne. Il n’hésitera pas une seconde à nous venir en aide. Mars est américaine depuis cinquante ans, ce n’est pas aujourd’hui que ça va changer ! »

 Soudain, venue de derrière, une matraque de police lui cogne la tête.



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