Après une longue glissade, le shérif arrive dans une pièce ovoïdale. « Alors vous avez réussi, dit Zéphistos. Vous êtes venu à bout de mes gardes. Et maintenant, vous venez pour me tuer.

 — Ouaip.

 — Vous devriez reconsidérer vos intentions, Rick Storm. Il est temps que je vous déclare toute la vérité.

 « Nous ne sommes pas de vulgaires Grecs de l'espace. Nous sommes une organisation intergalactique, nommée la Confrérie des Toges de Fer. Sa mission est la suivante : protéger le savoir hellénistique. Shérif Storm, êtes-vous familier avec l'histoire de la Terre ?

 — J'y ai passé mon enfance. Mais je n'ai pas été à l'école.

 — Ça ne m'étonne guère... Vous n'avez donc pas entendu parler de la Grande Bibliothèque ? De l'incendie d'Alexandrie ? Du conflit entre César et Pompée ? Bien sûr que non. Tout le monde s'en fiche.

 « Il y a un peu moins de deux-mille ans, tout le savoir des humains se concentrait en un seul et unique lieu, que l'on appelait la Grande Bibliothèque. Je vous parle de milliers et de milliers de manuscrits et de rouleaux, Rick Storm. Une quantité incommensurable de connaissances philosophiques, arithmétiques, politiques, et encore bien d'autres domaines dans lesquels l'Homme excellait.

 « Mais la guerre, la guerre a réduit à néant la bibliothèque. Un terrible incendie a ravagé la ville, dont cette antre de connaissances inestimables. Pendant presque deux millénaires, les historiens pensaient que tout le savoir avait disparu, que les papyrus avaient brûlé, que les parchemins avaient été détruits. Ils avaient tort.

 « Avant que Pompée n'envahisse la côte d'Alexandrie, la Confrérie fut prévenue de la menace romaine. Mékelbolos, le fondateur, avait un plan pour préserver tout le savoir hellénistique des griffes des romains : avec quelques femmes, il partirait de la Terre à l'aide d'une catapulte géante qui le propulserait dans l'espace. Et dans le boulet qui allait leur servir de navette, il emmènerait l'intégralité du savoir Grec — qui comprenait les plans de la catapulte, plans que les historiens n'ont jamais pu découvrir.

 « Alors, Mékelbolos s'envoya en l'air avec ses femmes. À l'instant même où le boulet — la navette, pas notre fondateur — était parti, des membres de la Confrérie restés sur Terre effaçaient toute preuve de son existence. Peu de temps après, les combats provoquent le terrible incendie, et le reste des manuscrits brûle dans la Grande Bibliothèque.

 « Depuis ce jour, la Confrérie n'a cessé de protéger les parchemins. Ils contiennent un savoir précieux, qui a notamment servi à faire que mon acropole puisse s'envoler. Les roboplites que vous avez combattus : des plans laissés par Euclide, qui auraient brûlé avec la bibliothèque si nous ne les avions pas sauvés des flammes. Je passe d'autres shémas ingénieux de notre peuple grandiose.

 — Vous êtes donc un fils de Grec ?

 — Non. Avant de m'appeler Zéphistos, j'étais Patrice Carotte. Je vivais en ermite sur Vénus, à faire de la praxis dans un supermarché pour gagner ma vie. Mais j'ai ensuite rencontré Doritos, qui m'a convaincu que la cause de la Confrérie des Toges de Fer était juste. J'ai juré de leur prêter allégance, et de les aider à combattre la menace romaine.

 — Les romains... ce sont vos véritables ennemis ?

 — Oui, Rick Storm. Vous et vos amis n'êtes qu'une poussière dans l'oeil. Figurez-vous que l'odieux légat Cassus Couillus nous pourchasse au moment même où nous parlons. Comment sait-il qu'il y a des Grecs dans l'espace ? Par la faute de Françoitruffos, un de nos confrères qui a tout avoué sous la torture il y a presque deux-mille ans de cela. Depuis cette traitrise, les romains nous pourchassent. Comme ils n'avaient pas les plans de la catapulte géante, ils ont dû attendre l'invention des premières fusées : aujourd'hui, ils nous attaquent sans cesse, commandés par cette ordure de Cassus Couillus et sa soif de sang grec. Ce fils de louve a même envoyé un ours radioactif pour me broyer les os.

 — Voilà qui explique votre désir de calcium !

 — Il y a aussi une autre raison, Rick Storm. Le calcium sert non seulement à renforcer mon corps, mais il sert aussi à l'exécution de mon plan maléfique, qui vise à éliminer une bonne fois pour toute la menace romaine. D'ailleurs, je crois qu'il est temps de vous présenter notre allié le plus récent. »

 Une porte courbée glisse sur la paroi ovoïdale, révélant un homme d'une quarantaine d'années portant une toge de fer. « PRÉSIDENT DONALDSON ?

 — Oui, shérif Storm. Mais au sein de la Confrérie, on me connait sous le nom de Kartekados.

 — Vous n'êtes qu'un sale traître, une honte pour l'Amérique !

 — Personne ne sait mon appartenance aux Toges de Fer, shérif Storm. Et puis, si vous révélez quoi que ce soit, je vous ferai enduire de pollen et manger par les abeilles. Ou je vous démembre avec une pince à épiler. Au choix.

 — Kartekados nous a été d'une aide précieuse, dit Zéphistos. Avant de mettre le cap sur Mars, j'ai fait mes recherches : la planète se trouvait en sol américain. Or, ma flotte était bien trop faible pour affronter les défenses d'un tel territoire. C'est pourquoi j'envoyai Doritos sur Jupiter afin de convaincre le président Donaldson de nous aider. Avec l'Amérique à nos côtés, nous étions sûrs de gagner. Et puis Mars est totalement déconnectée du monde, donc le secret pouvait être aisément gardé. Toutefois, Kartekados ne pouvait nous prêter son armée. Tout le monde aurait été au courant, et puis avec le communisme vénusien... C'est pourquoi, tout ce que le président pouvait nous accorder était du temps.

 « Il a ainsi pu retarder votre riposte. En créant un clone maléfique de vous sur Jupiter — où se trouvait un peu de votre sperme —, les autorités avaient une bonne raison de vous enfermer, vous mettant ainsi des bâtons dans les roues. Mais ce que Kartekados n'avait pas prévu, c'est que vous vous évadiez avec un sèche-cheveux... Enfin ! Cela a tout de même accordé du temps supplémentaire à la Confrérie pour préparer notre plan.

 — Président Donaldson...

 — Kartekados, shérif Storm.

 — KARTEKADOS. Est-ce que l'A.N.U.S. est de mèche avec tout cela ?

 — Évidemment, répond le président. Je leur ai ordonné de vous retarder le plus possible.

 — C'était donc cela, les courses et le pique-nique... Toutefois, j'ai une question à vous poser. Pourquoi ne pas avoir parlé de tout cela avant ?

 — Parce que vous ne soutenez pas la Confrérie. Vous n'auriez pas accepté de nous aider !

 — Mais qu'est-ce qui vous faire dire cela ? Je veux dire, allons niquer des Romains, quoi ! Je suis à fond avec vous, les gars. Ces connards n'ont que ce qu'ils méritent !

 — Enfin...

 — Franchement, sur Mars, on s'en fout du calcium : vous en aviez besoin pour votre plan ? Pourquoi ne pas en demander gentillement ! Je suis sûr que le vieux Fetchson ou la vieille Colt vous en auraient vendu à bon prix. Mieux : j'aurais pu les convaincre de vous aider gratuitement. On aurait botté le cul des Romains ensemble !

 — Mais on ne pouvait pas savoir ! s'écrie Zéphistos. La Confrérie a toujours tiré avant de poser les questions. Merde à la fin !

 — Messieurs, dit calmement Kartekados en posant chacune de ses mains sur leurs épaules. Je crois que nous pouvons arriver à un accord. Shérif Storm, maintenant que vous êtes au courant de tout, voulez-vous aider la Confrérie des Toges de Fer à se débarrasser de la menace romaine ?

 — Et comment ! Par contre, faudra quitter Mars juste après. Les Grecs et les palais en calcium, ça va bien cinq minutes.

 — Ne vous inquiétez pas, Rick Storm. Une fois notre plan réalisé, nous nous en irons l'âme en paix et les manuscrits saufs.

 — Alors, c'est d'accord. L'Amérique ne sera que plus sûre sans ce Cassus Couillus. »