Comment s'évader de prison avec un sèche-cheveux

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 Le président Donaldson s’est endormi sur le bureau de sa loge, perchée tout en haut du Centre des Congrès Jupitérien. À côté de lui, des piles de dossiers étiquetés : « Championnat Américain de Lancer de Communiste. » Le problème soviétique des Indépendantistes Vénusiens lui a demandé toute son énergie dans sa résolution.

 Une sonnerie retentit. Il est treize heures du matin F.d.J — Fuseau de Jupiter. Des haut-parleurs diffusent une voix de synthèse saccadée.

 « PRE-SI-DENT-DO-NALD-SON, IL-EST-TEMPS-DE-VE-RI-FIER-L'A-ME-RI-QUE. »

 Le chef d’État se réveille brusquement et se sert un verre de whiskey européen. « La lune de Jupiter est très connue pour ses délicieux alcools, dit le président. Je me dois de me cultiver en la matière.»

 Comme la voix synthétique le lui a commandé, il se rend dans une pièce aux murs couverts de diodes clignotantes. Au milieu se trouve une image holographique des États-Unis d’Amérique. La superpuissance s’étale de Mercure à Neptune.

 « PRE-SI-DENT-DO-NALD-SON, VEU-ILLEZ-VE-RI-FIER-L'A-ME-RI-QUE. »

 Il appuie sur le bouton du Maccart-O-Tron, l’analyseur de menaces ultrasophistiqué. La carte des États-Unis grésille quelques instants, puis redevient stable. Elle a gardé sa couleur bleu aigue-marine.

 « PRE-SI-DENT-DO-NALD-SON, L'A-ME-RI-QUE-A-ETE-VERIFIEE. RE-SUL-TATS-DE-L'ANAL-YSE : AU-CU-NE-ME-NA-CE. »

 Le président soupire de soulagement — il pensait que les insurrections de Vénus avaient dégénérées. Il retourne à son bureau, tout satisfait d’avoir rempli sa fonction présidentielle. Il rallume la lumière puis…

 « Rick Storm ! s’écrie le président Donaldson. Vous ici ?

 —Moizici, monsieur le président. »

 Le shérif est à califourchon sur le bord de la fenêtre. « Je vous avais pourtant interdit de remettre les pieds dans ma loge !

 — Ouaip, c’est ce qu’on raconte, dit posément Rick en terminant d’insérer son tabac ’’amélioré’’ dans du papier à cigarette. Il se trouve qu’il y a eu un malentendu. »

 Il sort un objet doré qui réfléchit la lumière du bureau. « Votre étoile de Shérif !? dit le président avec un regard ahuri. Mais je vous ai vu la jeter de mes yeux, je vous ai vu la balancer dans les gaz de Jupiter !

 — Ce n’était pas moi, mais un autre. Un imposteur. Un leurre. Un double. Un…

 — Ça va, j’ai compris. Toutefois… »

 Le président se précipite sur Rick et lui arrache l’étoile des mains. « Ça alors, remarque-t-il ébahi… Il y a bien ma signature dessus. Vous êtes le vrai Rick Storm.

 — Et pourtant, on m’a assommé et mis en prison, dit le shérif. Les flics m’ont pris pour mon jumeau maléfique.

 — J’ai entendu ça, dit le président. Mais je suis curieux : comment diable avez-vous réussi à vous évader de la prison d'Europe ?

 — C’est une longue histoire.

 — Il n’est que treize heures et quart du matin. Bien que je déteste votre clone, j’apprécie toujours la compagnie du véritable Rick Storm.

 — Eh bien, j’ai plus d’un tour dans mon sac, commence à raconter le shérif — effet de distortion, entrée dans le flash-back. J’ai dans ma santiag droite un micro-sèche-cheveux de voyage — indétectable — et dans mon autre santiag, un cran d’arrêt laser haute performance — indétectable aussi. Vous voyez venir la suite. J’ai appelé le garde, et…

 — Et vous lui avez mis une raclée avec votre couteau !

 — Quoi ? Bien sûr que non. J’ai activé mon sèche-cheveux sous mon veston pour faire croire à une bosse : le garde arrive, et je lui dis aussi sec : ’’Mon vieux, je crois que j’ai attrapé quelque chose’’, puis je lui sortais un nom de parasite intestinal en désignant la protubérance artificielle. ’’Amenez-moi à un médecin’’ lui quémandais-je, mais le bougre ne voulut rien savoir. ’’Ça risque de s’infecter, peut-être même de se propager !’’ lui dis-je en lui énonçant dare-dare de multiples symptômes effrayants. Le garde se résigna à ouvrir la porte de ma cellule afin de me tâter la bosse...

 — Et là, vous lui avez donné un coup de poing en pleine face ! Ou mieux : vous l’avez déchiqueté avec votre cran d’arrêt.

 — Encore faux, président. C’est mal me connaître que d’assumer que je puisse être de nature si violente. Donc, disais-je, le garde vient pour me palper la grosseur. Une chance que le transformateur électrique, situé en bas de ma fenêtre, couvre le bruit du sèche-cheveux ! Le corniaud n’a rien remarqué à ma supercherie. J’avais mis en outre le mini-pulvérisateur d’air chaud en mode intelligent, si bien que la bosse se déplaçait à la manière d’un vrai parasite.

 « Le garde fut abusé par mon stratagème : il accepta de me conduire à l’infirmerie, comme le voulait mon plan ingénieux. Je m’arrangeai pour que mes plaintes recouvrent le sifflement du sèche-cheveux. Arrivé dans la clinique de la prison, je fus confié à une jolie infirmière, laquelle succomberait bientôt à mes charmes. Écoutez bien la suite, cela va être épatant : au moment où celle-ci m’examine…

 — Vous l’embrassez furieusement ? Vous lui déchirez sa blouse ? Vous lui mordillez l’oreille ?

 — Cela m’étonne de vous, président. Vous êtes toujours marié ?

 — Sandra est partie pour Uranus.

 — C’est bien ce que je pensais. Donc, reprend Rick, la charmante infirmière commence à me déshabiller pour inspecter ma grosse saillie : elle retire mon veston, et je cache aussitôt le micro-sèche-cheveux en le faisant glisser jusqu’à mes cuisses. ’’Arrêtez de gigoter’’, qu’elle me dit, la drôlesse ! Puis elle découvre avec stupeur que la bosse a disparu. Avant même qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit, je lui lance : ’’Il a dû se calmer.’’ ’’Mais qui donc ?’’ qu’elle me demande. Et là, le clou de mon génie : je lui sors que je porte un enfant.

 — Je commence à me sentir confus.

 — J’ai bientôt terminé. Vous avez voulu l’histoire entière, président. Ainsi je lui annonce que je suis enceint, en rajoutant que c’est un cas très rare, et que l’environnement de la prison n’est pas fait pour le gosse. La pauvre en avait les larmes aux yeux, surtout quand je lui ai fait croire que la mère était morte dans un accident de delta-plane — le truc tragique, m’voyez. Alors, sentant venir en elle une connivence, je lui fis part de mes intentions de partir d’Europe.

 « Elle se montra rapidement complice. Je lui exposai alors la seconde partie de mon plan, qui consistait à ce que je me camouflasse en infirmier. Elle me fournit sa propre blouse — une coupe féminine, hélas — ainsi qu’un masque, qui devait cacher une partie de mon visage. Je continuai alors de lui énoncer mes desseins : l’infirmière se coucherait sur une civière roulante, jouant la morte, tandis que je l’amènerais jusqu’à la sortie de la prison en disant aux gardes qu’elle était en route pour la morgue. La routine, quoi. Bien sûr, sur le chemin, je récupérerais mon insigne de shérif discrètement.

 « Et tout se déroula comme prévu : nous arrivâmes, le faux cadavre et moi-même, aux portes de la prison Haute-Sécurité Européenne — vous m’en direz tant —, et ce sans qu’aucun garde ne me reconnusse, ni ne donnasse l’alerte. Enfin, monsieur le président, je vous demanderais de saluer le final de ce formidable spectacle : passé la porte, je criai aux gardes et aux policiers : ’’Messieurs, je n’ai pu résister aux charmes de cette jeune femme : elle m’a forcé de l’aider à s’évader !’’ Et les gardes accoururent pour saisir la pauvre infirmière, laquelle portait des vêtements de taulard, comme je le lui avais proposé. Le reste fut, comme vous pouvez l’imaginez, chose facile.

 — Quelle histoire, dit le président Donaldson, encore tout bouleversé du récit. Il demande après un court instant : et comment avez-vous voyagé de la lune jusqu’à Jupiter ? Avec un élastique géant ?

 — Non, j’ai pris le taxi. »

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