Celui dont elle n'oublia pas le nom

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Ce matin-là, Enora Moshtnost refusa de quitter son lit, son sommeil chamboulé par les évènements de ces dernières semaines ; les pleurs de son enfant dont les dents commençaient à pousser, les engueulades interminables de ses voisins, le retour de Lila et son combat avec ses compagnons et les regards soi-disant discrets de son ancien amant. Elle chassa cette pensée d’un soupir avant d’ouvrir finalement les yeux et tomba nez-à-nez avec une bouille enfantine.

Enjoué, le petit posa ses deux petites mains sur le visage de sa mère, en gazouillant tandis que de la bave coula de sa bouche. Son sourire creusa une fossette sur sa joue droite et Enora ne put que répondre à la salutation de son fils.

  • Bonjour à toi, mon amour.

Un déferlement de bisous baveux s’abattit sur le corps du garçon ; visage, mains, bras, pieds, jambes…Ses cheveux bruns bouclés, la même couleur de peau, la forme de ses yeux et cette manie de déformer ses lèvres quand une chose lui déplaisait comme à cet instant ; il était la copie conforme de sa mère. Cependant, le seul héritage qu’elle maudissait était cette nuance attirante et effroyable à la fois, la poussant à se rappeler de son erreur à chaque fois que son regard rencontrait le sien. Or, quelque part dans un coin de sa tête, Enora savait qu’une fois atteint l’âge adulte, il ressemblerait à son père. Cet homme qu’elle avait jadis tant aimé.

  • Tu as sûrement faim, mon amour. Maman va te donner à manger.

Du haut de ses dix mois, Théo ne tétait plus. Le travail d’Enora fit que le stress lui retira toute production de lait et elle se contenta de le nourrir en lait de vache et de purée de légumes avec parfois quelques bouts de viandes quand son salaire le lui permettait.


Son bébé en compagnie de sa grand-mère, Enora Moshtnost vogua à ses occupations. Sa première direction fut le département des Anakrits où elle rencontra Luna Lund. Cette dernière lui parut plus calme qu’à l’accoutumé ; une lueur d’espoir brillait au fond de ses prunelles. Depuis ce fameux jour, Luna se laissa emporter par l’espoir de retrouver son modèle d’antan. A deux, leur instinct les guida d’un pas habitué à l’infirmerie. Contrairement à sa cadette, la Mantene ne réussit pas à trop s’approcher de Lila de Glasmartre, pourtant elles étaient de très bonnes amies autrefois.

Leur rencontre remontait à leur plus jeune âge, depuis leur intégration au dojo de leur quartier. Elles ne s’étaient jamais vues auparavant ; l’une faisant partie d’un clan stricte et l’autre à vagabonder dans les rues à assouvir sa curiosité. Ce fut alors en pleine confrontation qu’une étincelle jaillit de leurs regards et de fil en aiguille, un lien se tissa.

Et tout prouvait qu’il n’était pas encore détruit car, suite au sourire de Lila de Glasmartre, son cœur se réchauffa d’un coup. Juste devant elle, Enora ne remarqua les larmes de Luna que quand des sanglots sortirent de sa bouche, sautant sur elle en marmonnant des paroles inaudibles.

  • Merci, merci, merci, soupira l’Anakrit.

Le regard que jeta Lila à Enora en dit long sur son incompréhension. D’un hochement de tête, la garde personnelle l’incita à apprécier ce geste affectueux. Puis, lentement, le bras de elle remonta le long du dos de Luna et sa caresse se transforma en tapote. Elles restèrent ainsi jusqu’à ce que les sanglots s’atténuent. Une fois fait, l’investigatrice les gratifia d’un ravissant sourire.

  • Le devoir m’appelle, annonça Enora en jetant un regard désolé à Luna.
  • Déjà ?
  • Je me suis absentée depuis une demi-heure, ce qui n’est pas dans mes habitudes. Sa majesté doit être inquiète.
  • Très bien, on se verra ce soir ?
  • Comme à chaque fois, sourit Enora.
  • Lila resta silencieuse tandis que la porte se referma sur son ancienne amie.
  • Il faut que je te parle de quelque chose, avoua la malade en tentant de se redresser.
  • Bien sûr, je t’en prie. Je suis toute ouïe… Mais pourquoi… Oh !
  • Enora était de trop. Ne te méprends pas, mon affection pour elle demeure inchangée, mais j’ignore en qui je peux réellement faire confiance.
  • Tu m’as moi, hésita Luna avant de poser ses mains sur les siennes.
  • Je sais, c’est pour cette raison que je souhaite te parler.

Chassant une énème fois ses doutes, aveuglée une énième fois par ses paroles, Luna inspira et son attention se dirigea encore vers Lila.

  • Depuis quand as-tu développé cette capacité ? Ne sois pas étonnée et réponds-moi simplement.
  • Pardon Lila, mais… Je… J’ignore ce dont tu es en train de parler.
  • Tu es sûre ? Je pense le contraire.
  • Arrête s’il te plaît, tu me fais peur !
  • Tu l’as vu, n’est-ce pas ? Mon vécu, mon mal-être et tous les sacrifices engendrés par ma faute.
  • Non… Non, écoute tu… Tu divagues. Oui ! C’est ça, tu divagues ! Tu dois être encore chamboulée par ton combat contre Corry et Ciara…
  • Luna, rappela à l’ordre Lila en la fixant droit dans les yeux. Mon esprit est brisé, il a été une fois forcé et cette brèche m’a permis de sentir ta présence. Alors ne me mens pas.

L’Anakrit tritura inconsciemment ses doigts et son regard fuya celui de Lila. Sa cadette ne se calma pas pour autant ; des interrogations tournèrent en boucle dans sa tête sans l’once d’une réponse. Puis, sa mémoire se brouilla pour retrouver les évènements de la guerre des Cinq Nations ; l’odeur pourrie des cadavres, le sang, la fumée, son corps meurtri lui revinrent d’un coup. Sa paupière close palpa de douleur tandis que les battements de son cœur s’accélérèrent.

  • Je l’ignore… Murmura-t-elle presque. Je… J’étais épuisée des combats à tout va. Dès que j’en finissais avec un, un autre surgissait derrière moi. Tout ce que je sais c’est que cette capacité comme tu dis m’a value mon corps. J’ai…Tué un homme et depuis ma vie a changé, hoqueta Luna avant de cacher son visage par ses mains.
  • Il n’y a pas à avoir aussi honte-
  • Ne comprends-tu pas ? Je ne peux effleurer personne ! On me traite comme si j’étais folle parce que je n’ose plus câliner mes parents, mes frères, mes amis…Toi, j’ai tenté de te sauver de Corry en évitant tant bien que mal de te toucher, j’ai échoué.
  • Et je t’en remercie, sinon je n’aurai pas trouvé un des porteurs du gène, déclara Lila en se rapprochant.
  • Mais de quoi parles-tu ?
  • Tu es l’élue, Luna. Tu as hérité d’une des puissances d’Irathen !
  • Lila, je ne te comprends plus.

Lila soupira et inspira, elle se redressa sur le lit, pliant sa jambe gauche encore souffrante. La douleur ne la piqua que peu alors que l’adrénaline lui monta à la tête. L’idée d’avoir fait un pas en avant l’excita.

  • Ce que je m’apprête à te dévoiler doit rester entre nous.
  • Pourquoi ?
  • Personne n’accepte ce genre de vérité facilement.
  • Pourquoi me la dévoiler ?
  • Nous sommes toutes les deux dans le même bateau. Te laisser dans l’ignorance ne nous servirait à rien.
  • Qui ça, nous ?
  • Toi, Alon et Moi. Luna, écoute attentivement. Ce que tu as en toi, cette capacité à lire le passé des autres, je l’ai vu chez Jorik.

Elle arrêta de triturer ses doigts et ne remarqua même pas qu’elle retenait son souffle. Le nom de son cousin éloigné l’emplit d’incertitude, de doutes et d’inconfort. Connaissant la solitude de Lila et le côté réservé du jeune homme, leur rencontre était limite impossible. Le bleu azur de ses yeux se perdit dans les profondeurs énigmatiques de son ancien modèle, d’un air confus.

  • Tu es prête à m’écouter, maintenant ?

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