Celui qui ne pardonna point

5 minutes de lecture

Réservé avec un soupçon de prétention, Jorik Lund ne côtoyait plus sa famille bien avant son élection au dojo. Cadet du chef du clan, son isolation donnait naissance à une distance sans nom, l’incitant à s’éloigner encore et toujours plus des siens. Son changement radical restait inconnu de tous et Luna ne réussit pas à échanger ne serait-ce que quelques mots. Elle se rappelait que Jorik évitait particulièrement les femmes au point de mépriser l’idée de se marier un jour.

  • Comment le connais-tu ?
  • Tu es prête à enfin m’écouter ?

Soldat dans la deuxième garde, Jorik avait cette manie de se retrouver toujours submergé par ses recherches. Sa vocation n’égalait en rien sa timidité de jeunesse. On lui racontait qu’il mettait en pratique tout son savoir dans le but de guérir tous les maux du monde. Un rêve plutôt enfantin pour un homme de son rang, disaient-ils. Néanmoins, sa droiture et son dévouement furent remarqués par le chef de Medicus et ainsi Jorik devint son bras droit. Son savoir-faire avait soigné tant de maladies et pourtant, tout comme Lila, il avait disparu du jour au lendemain.

  • Vous… Il a disparu, tu as disparu ! En même temps !
  • Si tu me donnais le temps de tout expliquer, tu comprendrais sûrement.
  • Parle, qu’on en finisse avec ces énigmes.

Adossé à l’encadrement de la grande fenêtre, Breig de Caelo attendit le réveil de sa majesté Amaël de Val.

Son conseil était déchiré par la subjectivité et l’impartialité depuis le retour de Lila. Le refus catégorique de Nolan enflammait la colère de ses compagnons, tandis que certains ne souhaitaient que la délivrer de sa traîtrise. Le peuple irathien ne lui pardonnerait qu’une fois morte, avaient-ils énoncé. La présence presque silencieuse de Breig n’ajoutait aucun autre argument ; les émotions n’avaient en aucun cas leur place en politique. Or, les opinions de Nolan et Ciara n’étaient portés que par culpabilité et amertume.

Mais le rôle de Breig n’avait pas pour but de participer aux débats des politiciens. Ce rôle-ci, il le donnait à Amaël avec un grand sourire. Pourtant, ce dernier paraissait encore plus confus que les autres.

Le regard rivé sur la ville encore endormie, l’image de Lila lui vint à l’esprit. On lui avait raconté son combat contre Ciara et Corry ; sa souplesse, sa force et ses faiblesses, mais aussi son courage à protéger Luna Lund. Cette information réveilla ce qui devait être mort depuis longtemps et Breig ne réussit pas à s’en débarrasser.

  • Fais chier, souffla-t-il intérieurement.

On toqua à la porte. Pas trop fort, d’une délicatesse sans nom et Enora pénétra dans la pièce, un air jovial fixé sur son visage.

  • Au moins une pour me tenir compagnie, commenta-t-il en détournant son regard, un rictus au coin des lèvres.
  • Désolée du retard.
  • Qu’est-ce qui t’a pris autant de temps ? Théo n’est plus aussi collant qu’avant, d’après que tu m’avais dit la dernière fois.
  • Et toi, tu es encore plus bavard qu’à l’accoutumé. Qu’est-ce qui te tracasse ?
  • Trois fois rien, hésita-t-il. Comment va Luna ?
  • Mieux. Beaucoup mieux !

Son sourire jovial refit surface en se rappelant de la scène dont elle avait assisté quelques minutes plus tôt. Atteignant le troisième stade du sommeil, l’empereur ne paraissait pas dérangé par le bruit de ses sujets.

  • Elle pourra reprendre des services, alors, s’enquit Breig en s’avançant vers le lit baldaquin d’Amaël de Val qui ne daignait pas se réveiller.
  • Peut-être. Sa majesté a eu une dure journée ?
  • Catastrophique serait le bon mot. Le conseil est aussi utile qu’une cheminée en plein été.
  • Ils n’ont donc trouvé aucun compromis ? L’affaire de Lila a bien trop duré.
  • Je te croyais une fervente partisane de Lila, t’as changé de camp ?
  • Je n’ai pas de camp et n’en aurai jamais. C’est juste désolant de voir une affaire aussi simple traîner la liste à faire de sa majesté.
  • C’est ce que dirait la garde personnelle de l’empereur, mais qu’en pense Enora Moshtnost ? l’amie fidèle et loyale de Lila de Glasmartre ?
  • Ma patrie compte plus que quiconque.
  • Théo, réctifia-t-il, compte plus que quiconque.
  • Je vois que ta perspicacité est toujours présente même de bon matin. Qu’en est-il de toi ? Ton amour pour Lila a-t-il réellement disparu ?

Breig tenta de rétorquer, mais s’interrompit suite aux coups secs à la porte. Le bruit soudain fit sursauter sa majesté ; il tourna la tête à gauche, puis à droite. Ses paupières à moitié ouvertes, il regarda sans voir Breig et Enora. Ce ne fut que trois autres coups, plus forts que les précédents qui le réveillèrent définitivement.

  • Qui diable ose s’entretenir avec l’empereur de si bon matin ? grogna-t-il en prenant une carafe d’eau et un seau à côté de son lit, Enora vint l’aider.

Breig ouvrit la porte et tomba sur Luna. Essoufflée, ses joues rougies lui rappelèrent les bonnes tomates bien mûres après la fin des gelées. Il s’écarta et laissa la jeune femme entrée. Amaël ne se vêtit que de sa longue robe qui révélait le parcours de son rang. Il se tourna vers son invitée surprise, prit place au bord du lit.

  • Quelle que soit tes raisons, ne trouves-tu pas l’heure trop tôt pour une audience ?
  • Je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses les plus sincères, votre majesté. Mais…
  • Mais ? s’impatienta Amaël en tapotant son index sur son genou.
  • Veuillez m’accorder l’interrogation d’Alon Elric, mon seigneur, demanda-t-elle d’une voix déterminée.

Amaël la toisa et jeta un regard furtif à Enora et Breig. Ces derniers furent aussi surpris que lui.

  • Pourquoi le devrai-je ?
  • Je ne peux vous divulguer mes réelles intentions, mon seigneur. J’implore votre confiance et bienveillance, plia-t-elle le genou.

La guerre des Cinq Nations fut l’abondance d’un changement drastique. Bien que l’abolition de certaines lois soient loin de se faire, les soldats de la garde impériale vécurent un chamboulement des plus horrifiants. Luna Lund n’y échappa pas. Sa confiance en soi renforcée, le ton déterminé qu’elle employa ne laissa pas Amaël de Val indifférent.

  • Ces cachotteries ne t’apporteront rien de bon, dit-il en se relevant, mais tu as été d’une grande aide lors de la guerre. Je me souviens que mon grand-père ne s’était pas gêné pour te dresser des louanges. Il te faisait confiance depuis. Ne me déçois pas, Luna.

Elle releva sa tête d’un coup, faillant craquer sa nuque. Ses yeux brillèrent d’un éclat d’espoir alors que ses lèvres s’étirèrent en un sourire incontrôlé. Elle quitta la pièce, en fredonnant presque.

Etonnés par sa décision, les gardes restèrent cois. Amaël s’avança vers son armoire et en sortit sa tenue officielle d’empereur ; une tunique digne des Val dont les couleurs chaudes tendaient à orner le long du satin. Il se changea sans se soucier de la présence de ses soldats et Enora détourna la tête par pudeur, toujours pas habituée à ce nudisme inopiné.

  • Préparez l’interrogatoire de Lila de Glasmartre, ordonna-t-il sans se retourner.
  • N’avez-vous pas en confiance en Luna, mon seigneur ?

Breig fut bien le seul à rétorquer de telles remises en question. Peut-être parce qu’Amaël lui vouait un respect sans égal, ou juste que sa tête était prise par d’importants tourments. Dans les deux cas, il ne lui en tint pas rigueur.

  • Là n’est plus question de confiance, mon cher ami. Quelque chose se trame à mon insu et je ne tolérerai point qu’on nous dérobe notre paix !

Il sortit presque en trombe.

  • Parfois, il suffit d’écouter et de comprendre pour pouvoir pardonner, souffla Enora avant de suivre sa majesté.
  • Si le pardon était aussi simple, le monde serait un havre de paix, murmura Breig plus pour lui-même.

Annotations

Vous aimez lire N. Kherbani ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0