Celle qui redécouvrit son village

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Lila n’eut pas le temps de se retourner qu’une furie à la longue chevelure blanche lui sauta au cou. Ses bras la serrèrent tellement fort qu’elle crut entendre le craquement de ses os. Puis, elle s’apprêta à répondre à son étreinte, mais une gifle embrassa sa joue. Le choc fit apparaître une vilaine trace rouge sur sa peau laiteuse. Le regard de Lila tomba sur celui azur –et larmoyant, de son interlocutrice. Murie en une femme sublime, son teint basané contrastait avec la clarté de sa crinière interminable, quelques mèches rebelles s’éparpillaient de sa tresse.

Sa tunique ample et bleu foncé, accompagnée de quelques broderies beiges, correspondait à celle de la onzième garde ; les Anakrits, ou les investigateurs. Son bras droit couvert d’une manche longue, l’autre laissait paraître son tatouage ; le chiffre onze.

La nécessité de cette division n’était pas à remettre en question. Dotés d’un talent à élucider les mystères d’autrui, ses soldats étaient les champions. Aucun mensonge, aucune feinte ne leur passaient inaperçue. Maîtres en observation et en analyse, le mauvais maniement d’armes était leur seul inconvénient. Pour cause, leur entraînement vigoureux n’approfondissait que l’examination des expressions faciales de l’interrogé, du débit de sa voix à sa gestuelle.

La jaugeant une dernière fois, Lila tiqua, en toute discrétion, à la vue de la vilaine cicatrice qui s’étendait de son menton jusqu’au milieu de sa gorge. Ainsi que ce cache-œil glissé du côté droit, était-elle devenue borgne ? songea-elle.

  • Pardon pour la gifle ! s’empressa-t-elle de dire, mais faut avouer que tu l’as bien méritée ! Où étais-tu passée ? Nous avons remué ciel et terre pour te trouver ! Je te croyais morte ! Tout le monde te croyait morte !
  • Ravie de te revoir, Luna Lund.

Question caractère, la jeune femme n’avait pas du tout changé ; toujours aussi hystérique et spontanée. Ses gestes guidaient sa raison, agissant avant même de réfléchir. Lila l’avait connue il y avait de cela quinze ans ; Luna n’était âgée que de treize ans à l’époque. Rencontrées à une énième cérémonie de graduation, la blanche était encore au dojo, tandis que Lila n’exerçait qu’en qualité de servante comme tant d’autres sous les ordres de Maël de Val.

Un amour sororal s’était rapidement tissé entre elles et de fil en aiguille, Luna Lund ne se sépara plus de Lila de Glasmartre. La cadette osa même s’incruster dans le lit de son aînée pour y dormir, une chance que ce ne fut pas sa chambre du manoir du clan. Sinon, les conséquences auraient été plus qu’houleuses. Puis, la disparition impromptue de Lila engendra le sentiment d’abandon chez l’investigatrice.

Néanmoins, de ses petits sauts successifs, accompagnés par son visage en larmes, elle eut du mal à croire que Luna portait des sentiments négatifs à son égard. Pourtant, seul son oreiller savait pour ses pleures incessants, sa mélancolie infinie et son affliction incontestable.

Son corps n’était devenu qu’une carapace inerte, vidée de tout sentiment et de bon sens. Cheminant les ruelles de Dihya, Luna Lund n’était plus que l’ombre d’elle-même. Cependant, trois ans plus tard, sa toute première affiliation l’obligeait à se reprendre en mains. Du haut de ses seize ans, la jeune fille qu’elle était faisait officiellement partie de la division onze. Un changement qui la poussait à donner le meilleur d’elle-même. Elle fut également félicitée par l’empereur Maël de Val en personne, suite aux évènements de la guerre des Cinq Nations.

  • Lila, tu m’écoutes ?
  • Pardon, mais il faut que je m’entretienne avec sa majesté Maël.
  • A ce propos-
  • Lund !

Sa parole coupée par cet appel soudain, la concernée se tourna vivement en reconnaissant la voix du chef du département de la garde onze. Son expression fermée la laissa deviner son mécontentement. En retard, Luna ne s’était pas réveillée à l’heure pour son exercice du matin et la rencontre avec Lila de Glasmartre rajoutait de l’huile sur le feu. La tête baissée et tentant un dernier coup d’œil vers elle, Luna découvrit son absence. Disparue, encore, soupira-t-elle inconsciemment.

Son aînée n’avait jamais été une adepte de sociabilité ; à l’époque réservée et timide, elle détestait la simple pensée de rencontrer de nouveaux visages. Son silence la dissipait dans le décor et lentement, sa présence disparaissait. Comme maintenant, sourit-elle avec tendresse. Toutefois, le ton du chef rugit une seconde fois et Luna s’empressa de le rejoindre, ainsi que son bras droit ; Prest Yogh. Malgré son anatomie peu commune, il était considéré comme le meilleur investigateur de toute la promotion. Ses méthodes mises sous silence, tout le monde ignorait sa manière de travailler. Les résultats de ses interrogations satisfaisantes, sa majesté Maël de Val ne daigna pas lui poser la question.

Arrivée devant de grandes portes en acier et interrompue dans sa marche par deux soldats, Lila s’arrêta encore. Habillés d’une longue chemise en lin ambrée, retroussée dans leur pantalon noir, le regard méfiant des gardes la jaugea pendant plusieurs secondes. De leurs yeux ardents, Lila devina facilement leur question silencieuse ; qui es-tu ?

Qui était-elle ? Une irathienne et une servante fidèle de l’empereur.

L’un d’eux se voulait menaçant, exprimant une étrange grimace soi-disant autoritaire. Elle s’empêcha de s’esclaffer, elle pressentit donc leur récente affiliation au poste. Même leurs nuques n’étaient pas encore tatouées par le chiffre de la première garde.

Le devoir des Mantenes était la protection de l’impérialité ; rester auprès du dirigeant et sa famille quoi qu’il en coûte. Elle la reconnut facilement grâce à la couleur de leurs hauts. De plus, tous les soldats de la garde impériale se devaient d’être tatoués par le signe de leurs divisions, notamment les chiffres. Comme Luna au bras gauche, le tatouage « 1 » se faufilait donc sur le côté du cou pour la première unité. Un critère absent de la peau de ces gardes-là. Son doute se confirma ; ils étaient bel et bien nouveaux.

  • Veuillez m’accorder la permission de m’entretenir avec mon seigneur Maël de Val.

Intrigués, le regard furtif lancé mutuellement par les soldats ne manqua pas à Lila. Se méfier des intrus, telle était la toute première leçon enseignée au dojo. Elle s’en souvenait parfaitement ; la théorie était son fort, contrairement à l’épreuve physique qui lui boulotait toute son énergie. Faire ses preuves durant ce laps de temps au dojo, c’était la seule condition érigée. Sinon, ceux qui échouaient rejoindront le personnel du palais. Lila ne dérogeait pas à la règle.

A l’âge de dix-huit ans atteint, les compétences de la jeune femme n’attrayaient aucune des gardes, jugées trop faibles pour devenir soldat. Alors elle était devenue servante de sa majesté Maël de Val. Un bouleversement honteux pour son clan, mais perçut comme une chance inouïe pour elle.

Chassant ses lointains souvenirs, la jeune femme s’impatienta. Elle abandonna les deux gardes et disparut dans un mirage. Une capacité héréditaire de sa famille ; elle penserait à remercier les cieux de lui avoir offert le seul avantage du clan. Retrouvée de l’autre côté des portes en acier, un immense rideau en satin gris l’accueillit. Pendu des deux extrémités de la salle immaculée, il cascadait jusqu’au sol.

Lila de Glasmartre est de retour, votre majesté.

Positionnée au milieu de la salle immaculée et dénuée de toute décoration indispensable, sa sobriété plongea la jeune femme sur un questionnement silencieux. Il était évident qu’après tant d’années, le palais subirait quelques changements. Pourtant, son subconscient lui criait que quelque chose clochait.

Inspirant lentement, elle ploya le genou et attendit. Mais le silence fut sa seule réponse, Lila tiqua.

D’habitude, Maël était ponctuel et toujours à l’écoute. Son attention vers ses sujets ainsi que ses soldats n’était pas des moindres, alors pourquoi ce mutisme ? se demanda-t-elle. Fouillant dans ses songes, elle tenta de se rappeler le pourquoi de la présence de ce tissu gris, en vain. Néanmoins, sa perception de la silhouette de l’autre côté du rideau l’abasourdit.

Cette posture, cette taille, cette démarche, ce n’était pas Maël de Val. Son cœur se serra, ses yeux fixèrent cette matière douce et brillante d’où une main surgit. Empoignant l’extrémité, l’individu tira d’un coup sec et Lila crut rêver. Devant elle, frais comme un gardon, se tint le petit fils de sa majesté ; Amaël de Val.

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