Celui qui hérita du trône

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Inspiré par celui de son grand-père, le prénom « Amaël » désignait le règne, comme quoi, il était né pour diriger le pays. Orné sur ses cheveux châtains, le pique en corne retenait son chignon de tomber, même si quelques mèches rebelles en dépassaient. A son bout, une queue de paon ajoutait une touche à la simplicité de sa couronne d’or. Cette dernière, perlée avec raffinerie et finesse, épousait son teint pêche. Le jeune homme atteignait à peine ses vingt-cinq ans si Lila calculait juste. Son regard noisette, devenu hagard, l’observa dans un silence pesant. Son torse se bouffa d’air d’un seul coup, avant de reprendre son aspect habituel. Il eut un instant d’hésitation et au moment d’articuler quelques mots, les portes s’ouvrirent dans un fracas.

Les excuses des soldats s’évaporèrent dans la salle face au mutisme des deux individus. Amaël de Val ne les jugea pas sur le coup, son savoir sur le clan Glasmartre le laissa deviner l’incapacité de ses gardes face à sa technique de téléportation. Le mirage de cette famille pouvait faire preuve de perniciosité sans nom. Une caractéristique qui avait démontré son importance lors de la guerre des Cinq Nations. Ainsi, d’un simple geste de la tête de l’empereur, les soldats prirent congés.

  • J’espérais découvrir Scrios de Val, déclara Lila avec un air sceptique.
  • Mon père est tombé durant la guerre, où étais-tu ?
  • Je crains que seule sa majesté Maël soit apte à écouter mes explications, dit-elle avec une légère révérence avant de tourner les talons.

Toutefois, la voix rauque d’Amaël de Val la retint. De dos, il réussit à l’observer. Sa petitesse inchangée le plongea dans de lointains souvenirs ; à l’époque où Lila s’occupait de lui. Ses cheveux ébène, qu’elle détestait porter longs autrefois, cascadaient jusqu’au creux de ses reins. Son regard balaya toujours la silhouette de la jeune femme et fut intrigué à la vue du bandage qui recouvrait la totalité de sa jambe gauche. Sa tenue ne correspondait pas à son poste d’antan. Son accoutrement, équipé d’une plate au niveau de son torse, donnait l’impression d’un soldat.

  • Tu ne trouveras pas mon grand-père. Je suis ton empereur désormais et en tant que citoyenne d’Irathen, tu me dois obéissance et le respect.

Maintenant juste en face d’elle, son souffle effleura son front laiteux. En douze ans, le gamin qu’elle avait laissé devint un jeune homme droit et autoritaire. De par cette lueur brillant au fond de ses iris, Lila devina l’entêtement d’Amaël ; il ne lâchera pas l’affaire aussi facilement. Une fierté enroba son cœur avec légèreté, son regard ressemblait à celui de Scrios et Maël de Val. Un regard difficile à déchiffrer imposant le respect.

  • Mon entretien avec sa majesté m’attend.
  • La majesté dont tu parles ne fait plus partie de ce monde. Mon grand-père a succombé à la mort il y a de cela un an.

Brute, telle fut sa pensée à l’annonce de cet homme devenu empereur trop tôt. Lila ne le quitta pas des yeux, mais différence de statut l’oblige, elle baissa le regard. Ses pensées, claires et nettes il y avait de cela quelques secondes, se bousculèrent avec anarchie dans sa tête. Tous ses plans tombèrent à l’eau, jetés dans les profondeurs de l’indécision, le doute et le regret. Ses préventions ne l’avaient jamais mise en garde à une possible mort de Maël de Val, pourquoi n’y avait-elle pas pensé ? Maintenant que Lila y réfléchissait, aucuns de ses projets n’aboutissaient sans l’aide du souverain. Elle était complètement perdue.

  • Veuillez m’excuser, mon seigneur.

Une nouvelle révérence et Lila de Glasmartre se retrouva hors de la salle, sans l’intervention d’Amaël ni celui des gardes. Une fois la porte refermée, l’empereur souffla un bon coup. Il laissa tomber sa droiture et soupira encore. Ses mains se retrouvèrent sur sa tête et une expression ébahie se dessina sur son visage. Lila est vivante, se répéta-t-il dans un murmure. Bien que ses yeux aient la preuve que cette femme n’était pas un fantôme, son esprit ne considéra pas l’information. Peut-être trop tôt, peut-être trop tard, sa revenue n’était pas attendue ni prévue. Et à quel moment ! S’exclama-t-il intérieurement.

Chaque mercredi de la semaine, se réunissaient la division trois dans la grande salle du palais. Bien plus grande que celle où se trouvait Amaël de Val. Construite à des fins festives, après la guerre des Cinq Nations, elle se transforma en un lieu politique. Tantôt pour traiter des situations juridiques, tantôt pour l’organisation des réunions. L’effroi de sa majesté n’étant point à cause d’elles, mais bien évidemment dû à la présence de ses conseillers. Il appréhendait leurs réactions.

On toqua à la porte et Amaël reconnut la voix de l’un des gardes, lui annonçant qu’il était l’heure de retrouver le comité. Ce dernier ne se composait que de treize membres, la plupart étant des chefs de famille et de clan. Certains avaient gravé les échelons grâce à leurs compétences, tandis que d’autres n’avaient acquis ce poste que par le biais de leur titre de dirigeant. Amaël de Val observa silencieusement l’assemblée ; un mélange de jeunes débordants d’énergie tandis que les plus anciens préfèrent le calme. Soudain, il fut pris d’une angoisse sans nom à la vue du regard violacé de Nolan de Glasmartre.

Téléportée au cimetière, Lila chercha la tombe de Maël de Val avec désespoir. Si ses goûts extravagants avaient été respectés, elle la retrouverait sans encombre. Néanmoins, aucune stèle d’une allure imposante n’attira son attention. Si Maël de Val voyait son tombeau, il piquerait sûrement un far. Pas de pierre en argent, pas de gravure en or, sa simplicité ne correspondait pas au personnage du défunt empereur. Elle s’accroupit et soupira en remarquant son oubli ; rendre visite à un mort sans fleur était malpoli et Lila n’avait pas été éduquée de la sorte. Doucement, ses doigts fins tracèrent les caractères du nom de Maël de Val et sa gorge se noua.

  • J’aurai souhaité vous voir une dernière fois, vous présenter mes adieux…

La culpabilité, ce sentiment omniprésent au fond de son cœur depuis tant d’années, la rongea encore. Tout garder pour elle, tout garder secret et ne rien dévoiler à personne lui avait valu ses amis et sa famille. Sa vie d’avant fut bouleversée par ce silence et continuera ainsi jusqu’à sa mort, pensa-t-elle.

Tel fut le cas de sa majesté Maël de Val. Le connaissant, la confidence de ses savoirs se retrouvait six pieds sous terre, caché au fond de son cercueil. Lila avait toujours apprécié son côté réservé, mystérieux et intime, mais la pensée que tout retomberait sur eux n’avait jamais échappé son esprit. La seule personne privilégiée et apte à connaître tous ses rébus cabalistiques n’était, elle aussi, plus de ce monde. Douze ans auparavant, ils étaient nombreux à partager les mêmes secrets. Cependant, au fil des ans, Lila de Glasmartre se retrouva seule.

Une larme tomba sur la stèle en pierre ; le surplus de tristesse et d’angoisse débordait abondamment. La jeune femme se retrouva dans un état de choc émotionnel. Son deuil, suite à la mort de Yorrick, n’étant pas fait, fut ajoutée la nouvelle sur sa majesté Maël de Val. Son chagrin se déversa de manière chaotique ; aucun cri ne sortit de sa bouche. Son souffle coupé, son torse en pleine convulsion, ses yeux fermés, sa main tint férocement sa poitrine et tenta de calmer les battements de son cœur de plus en plus rapides. Les crises d’angoisses étaient loin d’être rares chez Lila, nées à son tout premier traumatisme.

Il lui fallut plusieurs minutes afin d’estomper la douleur au niveau de sa poitrine et cette impression de suffocation disparut petit à petit. Les traces des larmes parsemaient ses joues laiteuses, tandis que son regard observa les alentours. Personne ne l’a vue ? s’interrogea-t-elle silencieusement.

Puis, ses pensées se dirigèrent vers Amaël de Val ; que devait-elle faire, maintenant ? Sa raison encouragea à divulguer la vérité sans grand détour. Etant le nouveau souverain d’Irathen, il était en droit de tout savoir, mais comment lui dire ? Ce fut à cet instant que son effroi du jugement l’enroba. Il la jugera, ils la jugeront tous, chuchota une voix au fond de son être. La peur de se faire pointer du doigt et de croire dur comme fer qu’elle n’était rien de plus qu’une mauviette.

Perturbée par ce débat intérieur, Lila souffla un bon coup, se massa les tempes et décida enfin à retourner au palais.

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