Ceux qui connurent Lila de Glasmartre

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La réunion, induite à cet instant même au beau milieu de la grande salle du palais, se composa uniquement de l’empereur Amaël de Val ainsi que de son Conseil. La troisième garde, du nom de Rad, ne possédait guère de tunique commune, chacun était libre de porter ce que bon lui semblait. Certains optaient pour leurs habits de dirigeants, tandis que d’autres favorisaient le confort. Seule une boucle topaze accrochée à leurs oreilles démontrait leur affiliation à cette division. Sans oublier que ce petit bijou en forme de goutte d’eau imposait le respect et l’autorité, même s’il ne flattait pas l’allure de tout le monde, notamment Nolan de Glasmartre.

Un homme venant à peine d’atteindre trente ans, ses traits physiques n’étaient qu’une copie parfaite de tous les membres de son clan ; de longs cheveux ébène, une peau laiteuse et un regard violet. En revanche, ses yeux légèrement tirés lui donnaient un air sévère, voire même mystérieux et l’expression qu’il arborait n’arrangeait en rien. Les sourcils froncés, les lèvres pincées et le regard baissé sur ses documents, on aurait dit qu’il disputait un combat intérieur.

En face de lui, se retrouva une jeune femme d’une trentaine d’années. Ses cheveux châtains cascadaient jusqu’au niveau de ses épaules, cachant, au passage, ladite boucle d’oreille. Cette dernière se mariait avec élégance à son teint bronzé et accompagné de ses iris de feu, Ciara Foscor était une femme séduisante.

De par ses grands yeux rouges, ses lèvres pulpeuses et sa morphologie bien fournie, les hommes tombaient sous son charme au premier regard. Ils la surnommaient la rose rouge dû à sa démarche délicate et son raffinement, mais aussi à son caractère explosif et impulsif. En effet, malgré la douceur de ses gestes, Ciara possédait un caractère bien trempé. Tantôt hystérique, tantôt bornée, ce côté-là de sa personnalité reflétait les épines d’une rose, d’où ce surnom.

  • Ils sont en retard, marmonna un vieil homme.
  • Ils ne tarderont pas, défendit l’empereur.

Soudain, la porte s’ouvrit sur deux nouveaux arrivants. Vêtus d’une tunique gomme-gutte, ils plièrent le genou et se présentèrent.

Le premier, Breig de Caelo, était un grand brun, coiffé d’une coupe militaire et dont la longueur de la barbe prouvait qu’elle avait grand besoin de rasage. En dépit de la détermination luisant au fond de ses perles brunes, la forme tombante de ses yeux lui donnait un air désintéressé, voire ensommeillé. Sa taille dépassant les un mètre quatre-vingt-dix, sa coéquipière paraissait minuscule.

Cette dernière, la jeune Enora Moshtnost, habillée de la même manière, arborait une beauté simplette. De son regard noisette et ses traits fins, certains ne soupçonneraient même pas son grade de soldat personnel de l’empereur. Ils s’excusèrent et prirent place au coin de la grande salle afin d’éviter tout dérangement à la réunion.

  • Débutons.

Apparue sous un énième mirage, Lila de Glasmartre ne s’attendit pas à ce qu’elle tombe sur un tel comité. Ce dernier était en pleine effervescence ; les voix s’élevaient, les arguments postillonnaient de part et d’autre et parfois les points frappaient la table en bois. Ils débattirent sur le rabais de ravitaillement à cause des champs brûlés et de la possibilité de demander de l’aide aux pays voisins.

Puis, de fil en aiguille, le sujet dériva vers le manque d’effectif au sein des divisions. Bien que le palais soit bondé de soldats, ils étaient mal départagés ; le nombre de gardes chez Mantene n’était pas le même chez les Sapors ou encore chez les Médicus. Un point important qu’ils devaient exploiter ; il était grand temps de désigner des enfants du dojo. Cette routine-là, Lila ne la connaissant que trop bien étant elle-même passée par cette étape.

La tradition du pays voulait que tous les enfants irathiens, filles et garçons, se présentent au dojo dès l’âge de cinq ans dans le but d’étudier et s’entraîner. Les gens en charge n’étaient personne d’autre que les soldats d’Oktatas ; élus grâce à leur capacité explicative et à leur appréhension rapide, c’étaient les tuteurs du dojo. Leur objectif était simple : enseigner l’art du combat et l’histoire d’Irathen. Toutefois, une fois l’enfant atteint l’âge de dix-huit ans et n’intégrant pas l’une des douze gardes, sa vie se contenterait d’imiter celle d’un citoyen normal.

Ce n’était qu’une question de chance, ou pas.

Lila les observa doucement, ne se précipitant point sur son examination puisqu’ils ne l’avaient vraisemblablement pas remarquée. Son attention se dirigea machinalement vers son cousin, Nolan de Glasmartre.

Mise à part la froideur de ses yeux, son allure était digne du clan. Né dans la première branche, son enfance consistait à étudier et s’entraîner afin d’atteindre les attentes de leur grand-père ; un bon dirigeant se devait d’être puissant, autoritaire et pouvant faire preuve d’imposition. Elle ne douta pas une seconde de sa réussite et ne put s’empêcher d’esquisser un sourire. Il était inéluctable que Nolan gravirait les échelons et deviendrait un chef à part entière grâce à ses aptitudes au combat, son intelligence et sa vision pour l’avenir du clan. Son regard distingua sa longue chevelure. L’ondulation n’était pas de mise, ils étaient épais, raides et lui arrivaient peut-être jusqu’au bas du dos. Un critère important issu des traditions anciennes de la famille Glasmartre ; les couper serait un déshonneur.

Puis, brièvement, Lila remarqua une bague à son annulaire gauche.

Bien qu’elle soit de dos, elle n’eut aucun mal à reconnaître Ciara Foscor. Ce bout de femme à la morphologie parfaite, l’élégance ne la quittait jamais et ce quoi qu’elle porte. Lila n’avait jamais réussi à la discerner, ni à la comprendre. En revanche, un flash lui vint à l’esprit, lui rappelant que Ciara ne lui avait presque jamais adressé la parole. Peut-être à cause de la différence de grade ou la charge du boulot, elle n’en sut pas grand-chose. Néanmoins, elle était certaine que si la jeune femme participait à la réunion du conseil, ses efforts avaient résulté son titre de cheffe de clan. En détournant le regard, Lila ne put que remarquer cette bague à son annulaire.

Ses perles améthyste tombèrent sur une silhouette discrète, dissimulée derrière une poutre. A la vue des reflets bleuâtres de ses cheveux sombres, Lila se sentit défaillir.

Enora Moshtnost, la banalité de sa personne la rendait unique, presque intéressante. Sa bonté et sa gentillesse ne reflétaient que la pureté de son âme. De ce fait, le lien qui unissait les deux jeunes femmes avait toujours été solide, les lèvres de Lila s’étirèrent en un sourire discret avant de disparaître complètement.

Ledit lien était brisé et Lila ne pouvait qu’en vouloir à elle-même. Sa disparition soudaine ne devait qu’être que secrète et sa divulgation aurait entraîné encore plus de dégâts. Maintenant qu’elle y repensait, n’était-elle pas censée faire partie de la division Oktatas ? s’interrogea-t-elle. Possédant un talent pour l’explication et une patience sans nom, Enora retrouverait mieux sa place dans la sixième garde.

A l’opposé de la jeune femme, Breig de Caelo était aussi sérieux qu’un pape. Les sourcils toujours aussi froncés et les mains derrière le dos, il écoutait le débat avec attention et une pointe d’ennui, comme si la réunion se répétait encore. Ce n’était pas seulement son cas, Lila de Glasmartre perdit patience et annonça :

  • Seigneur Amaël, veuillez me rappeler une fois terminer.

Il ne lui fallut que peu pour tumultuer le comité. En une fraction de secondes, les gardes personnels protégèrent l’empereur, tandis que Nolan de Glasmartre lui envoya une dague en plein dans la cervelle. Mais l’arme ne rencontra qu’un mirage ; Lila se téléporta sur la grande table, au beau milieu de la paperasse.

Elle n’en avait jamais été adepte, sa lassitude envers les réunions et à être assise sur une chaise et blablater sur tous les maux du pays l’empêchait de se concentrer. Son regard rencontra celui de son cousin qui ordonna de cesser tout assaut. Il se maudit de ne l’avoir pas reconnue de loin, mais comment pouvait-il ? Son apparence, bien que similaire à la sienne, avait vraisemblablement changé et il ne put que souligner son audace face à l’empereur.

  • Pardonnez mon intrusion, honorables gens, mais je n’ai jamais été une personne très patiente. Votre majesté, accordez-moi une audience en privé une fois la réunion achevée. Enora, Breig, c’est un plaisir de vous revoir. Nolan et Ciara, félicitations pour vos fiançailles.

Et elle disparut dans un énième mirage, laissant derrière elle un tourbillon de confusion, d’abasourdissement et de stupéfaction. Les injures des autres conseillers n’atteignirent pas le reste de la garde.

Nolan de Glasmartre, Ciara Foscor, Enora Moshtnost et Breig de Caelo fixèrent encore et toujours cette table désormais vide. Le premier se tint la tête, sentant un vertige le menacer, tandis que la garde personnelle d’Amaël de Val ne put que souffler d’amertume et d’aise, au coin de ses yeux naquirent des larmes. Quant à Ciara, son devoir de fiancée la poussa à prendre place aux côtés de son homme. Enfin, Breig ne lâcha qu’un soupir discret et murmura pour lui-même :

  • C’est un cauchemar.

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