Prologue

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  • Hé, réveille-toi… Je sais que t’es toujours en vie…

Son corps couché à plat le sol, ses habits quelque peu déchirés, son sang coulait sur ses longs cheveux ébène. Sa chute avait engendré une blessure à la tête. Le mouvement lent de son torse indiquait sa survie malgré son état calamiteux.

  • Lila… Va-t-en, tu m’entends... Retourne à la maison… Fais-le pour moi… Pour nous tous…

Lorsqu’elle reprit conscience, son ouïe étouffée ainsi que sa vision floutée, la jeune femme ne perçut pas les faibles mouvements et paroles de l’homme en face d’elle. Lui aussi fut dans un piteux état, pire que celui de Lila.

Sa jambe droite fracturée, aucun doute que son oblique s’était déplacée. Tandis que la longue estafilade au niveau de son bassin le vidait de tout son sang. Il parlait, mais aucun mot n’atteignait les oreilles de la jeune femme. Cette dernière, toujours étourdie, tenta de se redresser, en vain. L’entaille sur sa tête lui causait des vertiges, alors que celle de sa jambe gauche l’irritait. Le bandage usé rubéfié, elle devina facilement la réouverture de sa cicatrice.

Son regard se perdit ainsi sur son entourage. La nuit était des plus sombres, ses iris n’observaient presque rien. Il y avait des cadavres jonchés sur la terre humidifiée par ce froid hivernal. Des armes de différentes tailles, certaines brisées tandis que d’autres tachées de rouge, étaient éparpillées un peu partout. Une bataille avait eu lieu.

  • Je t’en conjure… Sauve-toi…

Doucement, ses perles violettes atterrirent sur la seule personne apte à respirer encore. Un homme de plus de cinquante ans, sa peau puait la boue, la transpiration et le sang. Sa moustache, mal rasée à certains endroits, se mouvait au rythme de ses lèvres à force de parler. Tout à coup, elle eut un déclic ; sa présence dans cette forêt, son état miteux, cet homme et les autres autours d’elle. Et sans crier gare, elle hurla :

  • Yorrick !

La femme rampa douloureusement à ses côtés, prit son visage entre ses mains et ne put contenir le surplus de tristesse. Les larmes naquirent au coin de ses yeux alors que la forme de ses lèvres se courba avec laideur. Les muscles de son visage se crispèrent, laissant défiler son chagrin sur ses joues boueuses. Elle répéta le prénom de cet homme, encore et encore, dans l’espoir de recevoir une réponse.

  • Lila… Tu es tout ce qu’il nous reste… Va et préviens sa majesté…
  • Ne parle pas ! N’épuise pas ton énergie. Je vais te sortir de là. Il nous reste environ deux heures pour atteindre Irathen, on y est presque. Tiens bon !
  • Maël…

Sa gorge étouffée par l’hémoptysie, sa voix mourut, abandonnant ses paroles au silence. Plus tard, la dernière lueur présente dans ses yeux sombre disparut. Et dans un cri de rage et de souffrance, Lila déferla des injures et maudit le destin qui lui prit la dernière personne de son équipe.

Pourtant, au fond, elle sut que sa fin était proche ; il perdait beaucoup en une seconde, ajoutant à son insistance à parler, Yorrick provoquait cette remontée de sang qui noya, au final, ses poumons. Pleurant à chaudes larmes, ses mains fines caressèrent le visage de l’homme avec douceur et tendresse. Une figure paternelle, voilà comment elle le percevait depuis ses douze ans ; il avait toujours été là pour elle et, désormais, c’était à son tour de lui faire honneur. Faisant mine d’ignorer la douleur qui rongeait son corps, Lila se releva et tenta d’emmener la dépouille de son camarade d’armes ailleurs. Le bandage, autrefois sur sa jambe gauche, se retrouva déchiré en deux. Elle entoura l’un sur sa tête tandis que l’autre resta à sa place.

Sa recherche fut difficile et longue à cause de sa démarche bancale, mais pas vaine. Fourré quelque part dans ses souvenirs, Yorrick lui avait avoué vouloir enterrer son corps dans une ferme.

  • Au moins avec la bouse des vaches, fleuriront des plantes, avait-il dit à cette époque.

Bien que le coup à sa tête ne rajoute que douleur, Lila réussit à se rappeler du chemin à prendre pour Ighil. Un petit village tout près des montagnes et éloigné de la capitale Dihya. Connu pour son bon lait de chèvres, le fermier qui s’en occupait les invitait parfois à lui rendre visite, notamment pour leur offrir quelques provisions laitières. Ainsi, son arrivée fut loin d’être vaine, car à la vue de Yorrick, Hjalmar Gurvan prépara de suite une sépulture.

Située à l’extrémité de la ferme, la dépouille fut rapidement ensevelie sous la terre. Puis, comme le souhaitait l’étiquette funéraire, Hjalmar se tint bien droit, les mains jointes et pria. Mise à l’écart, Lila ne le rejoignit pas, lassée par cette scène qui se répétait chaque année. Parfois, deux fois par mois.

  • Tu es sûre de ne pas vouloir attendre mes livraisons ? Je peux t’y déposer en chemin…
  • Merci à vous, M. Gurvan, mais ça ira. Je suis restée longtemps à vous ennuyer, et puis, ma jambe est bien plus résistante que ça.
  • Tu ne l’avais pas la dernière fois qu’on s’est vu…
  • Notre dernière rencontre date d’il y a huit ans, beaucoup de choses ont changé depuis.
  • Comme ta solitude ? Lila cessa tout mouvement, piquée par la perspicacité du fermier. Alors, c’est vrai ? Il ne reste plus que toi ?
  • Oui.

Sèche et brève, sa réponse eut l’effet d’une eau froide et Hjalmar le comprit. Lila ne désirait pas en parler, pas qu’elle n’appréciait pas son inquiétude envers elle, mais plus parce qu’il se faisait du mouron pour sa fille. Une fille morte depuis cinq ans déjà.

Remerciant une nouvelle fois son hospitalité, la jeune femme jeta un dernier coup d’œil vers le pieu en bois –remplacement d’une stèle en marbre, enfoncé dans la tombe de Yorrick. Puis, elle entreprit la route vers le village Dihya ; là où se situait le palais.

Prend au moins un de mes ânes ! tenta encore le fermier, mais ne reçut aucune réponse.

Il se laissa tomber sur les marches en bois de sa maison, contemplant la silhouette de Lila disparaître doucement à l’horizon. Hjalmar se sentit comme délaissé et abandonné à la douleur et la désolation.

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