Celle qui revint du pays des morts

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Le chant des pinsons des arbres s’amalgama avec celui des mésanges charbonnières. Leur mélodie, créant un mélange aussi étrange qu’apaisant, s’éleva haut dans le ciel. Alors que la brise fraîche virevoltait les cheveux ébène de la jeune femme, ses pas la guidèrent vers une destination convoitée depuis de longues années. Sur son chemin, son regard ne s’empêcha pas d’admirer les séquoias ; ces anciens arbres connus pour leur hauteur interminable. Leur bois, mou et peu résistant, ne présentaient aucune valeur utilitaire si ce n’était la décoration des maisons.

Son ouïe remarqua le bruit du cours d’eau et, instinctivement, elle observa la direction d’où il provenait. Le fleuve de Pax, se rappela-t-elle. Son eau, confondue facilement avec un miroir, attisait les plus curieux à parcourir ses abysses. Ainsi, il était devenu un endroit peu recommandé pour les enfants, pourtant, elle y avait joué étant petite. Son aménité lénifiait son esprit, sa peine et ses tourments.

Inspiré par la fleur violette ; Lila de Glasmartre, tel était le nom de la jeune femme. Sa nomination fut accordée par ses parents suite à la vue de ses perles violettes. Pourtant, cette caractéristique était de famille ; son clan tout entier avait hérité de cette couleur. Contrairement à eux, la sombreur de ses iris rappelait la fleur, mais aussi l’améthyste. Cette fameuse pierre précieuse lorgnée par les vieilles dames, avides de richesse.

Sa peau laiteuse était vêtue d’une tunique bleue, camouflée par une armure métallique usée, donnant l’illusion d’une robe. Elle lui arrivait à la moitié des cuisses, dont l’une bandée jusqu’à la cheville. Ses pieds glissaient sur des semelles en cuir où des lamelles les entouraient ; peu pratique pour se déplacer. Au niveau de sa taille, une ceinture marronne, cachée par l’armure, retenait deux fourreaux de taille moyenne. Seule la poignée des sabres étaient visibles ; en cuir noir et endommagée à force de les utiliser. Par-dessus, cascadait sa longue ondulation ébène.

Aujourd’hui entamait officiellement sa douzième année d'exil, d’isolement et de fuite. Douze ans, rien que ça, ironisa-t-elle dans sa tête. C’était le temps qu’il lui avait fallu pour terminer une quête qui devait, de base, être simple et sans péripéties. Bien qu’elle soit réussie, l’amertume perpétuait toujours dans la gorge de Lila. Une mission ordonnée par l’empereur Maël de Val en personne, l’appréhension de sa réaction l’angoissa. Que dira-il ? Sera-t-il surpris de la retrouver en vie ? Lui en voudra-t-il de son retard ? Saura-t-il donner assez d’explications pour que ses anciens compatriotes ne lui en veuillent pas ? Tant de questions se bousculaient dans sa tête sans l’once d’une réponse. Ainsi, au lieu de s’apitoyer encore, elle décida de reporter ça au moment venu.

Pour l’instant, les grandes portes céladon, où fut inscrit le nom de la ville, l’accueillirent enfin. Les caractères peints en rouge, la main experte de l’artiste avait fait que la couleur ne se ternisse pas et ce, malgré les âges. Ce fut en lisant « Dihya » que Lila de Glasmartre franchit le premier pas dans la bourgade. Ce n’était qu’une petite enjambée, mais le tumulte des villageois qu’elle entendit au loin fit l’effet d’une gifle sèche.

Une bouffée de nostalgie la saisit. Les cris des marchands invitant les passants à découvrir leurs produits, les zinzinules des hommes déjà ivres de bon matin, les jeux farfelus des gamins à la grande place et les commérages des femmes, que tout ça lui avait affreusement manqué ! Cette ambiance, cette chaleur et cette ignorance. Cet endroit où tout le monde croquait la vie à pleine dent, mettant de côté tous les maux et conflits. Lila espéra la reprendre, cette vie qui lui avait été autrefois volée.

Halte ! Qui va là ?

Interceptée par les gardes du village, Lila de Glasmartre s’immobilisa.

De dos, il était bien normal de douter de son identité ; tenue de guerrier, sabres accrochés à la taille, bandage à la jambe gauche…En douze ans, sa petitesse –une taille d’à peine un mètre soixante, avait vraisemblablement changé. Ses muscles raffermis, sa posture plus imposante, sa carrure bien droite, les soldats ne l’avaient pas reconnue. Toutefois, ce fut en plongeant son regard améthyste dans les leurs que l’un d’eux eut un léger tressautement.

La feinte de sa réaction fut brève, discrète et rapide au point de provoquer l’inattention de ses camarades. Mais pas celle de Lila ; elle le remarqua au premier coup d’œil. De par ses cheveux flamboyants et frisés, de par ses iris verdâtres, Glenn de Zel invitait les femmes à perdre toute résistance face à son sourire charmeur. Si elle s’en souvenait bien, une seule personne l’avait fui en raison de son passé de coureur de jupons. Qu’est-ce qu’elle était devenue ?

Le violet de sa tunique ne flattait en rien sa beauté de jeune homme. Mais cette couleur-là ne signifiait qu’une seule chose ; son affiliation à la huitième division de la garde impériale. Une ceinture blanche autour de sa taille, un long fourreau sombre y était accroché, laissant deviner la longueur de son arme. Toutefois, seul le marron de son bas ainsi que de ses bottes se mariait parfaitement avec son teint hâlé.

Sa touffe ébouriffée rousse, la forme tombante de ses yeux verts et sa mâchoire ovale reflétaient sa ressemblance flagrante à son grand frère Gwendal de Zel. Un ancien camarade et ami de Lila. Cette dernière, saluant brièvement les trois gardes d’un simple geste de la tête, entreprit son chemin vers le palais. Si les soldats ne s’interposèrent pas, ce fut parce qu’ils avaient reconnu l’apparence unique du clan Glasmartre, tant elle était générique.

La structure imposante du palais n’avait rien d’étonnant. La bâtisse était aussi énorme et gigantesque que les séquoias plantés dans la forêt. Les murs peints en blanc et marron, Lila fut plutôt surprise de découvrir sa sobriété. Elle connut l’empereur plus extravagant et excentrique. Lui, le grand fanatique des couleurs chaudes. Puis, en inspectant de plus près, l’orange se glissait légèrement sur les poutres. Certains diraient que cette architecture ne démontrait que la vanité et la cupidité de l’impérialité. Cependant, il ne servait pas seulement d’abri pour la famille au pouvoir, mais bien plus encore.

A l’opposition des pays voisins, la garde d’Irathen se composait de douze divisions distinctes. Chacune d’elles possédait un rôle important et se démarquait par sa hiérarchie. Plus le chiffre de la garde était petit, plus était son rapprochement avec la famille du dirigeant. Comme la huitième garde, du nom de Zashtiten, son but premier fut la protection du village, ainsi sa liaison avec l’impérialité fut des plus minces.

Pénétrant dans le fameux palais, le tumulte de la cohue dans le hall la stupéfia pendant quelques secondes. Les allers-retours des servants dans les chambres et pièces à nettoyer prouvaient qu’ils n’avaient pas de temps pour eux. Tandis que les gardes de la deuxième division, paperasse en mains, accouraient en direction du jardin botanique. Lila les reconnut facilement à leur longue robe verte, rattachée au niveau de la taille par une épaisse ceinture blanche. Sur le dos, était inscrit le chiffre deux ; la garde Medicus. Les soigneurs du palais et de l’empire tout entier. Seuls les plus érudits se verraient envoyés en dehors de la capitale Dihya pour des raisons professionnelles, notamment dans les villages les plus éloignés du pays, tels que Bir ou Ighil.

Alors que la huitième se chargeait de la protection et la deuxième des soins, les nouveaux habits formels aperçus par Lila de Glasmartre la laissèrent deviner que la garde neuf répondait toujours présente. Une tunique bordeaux et un neuf doré, brodé du côté gauche de la poitrine, les Sapors étaient toujours sous-estimés par les irathiens. Pourtant loin d’être inutiles. Fidèles dégustateurs de l’empereur, leur tâche était simple : goûter sa nourriture avant de la lui servir. Certains citoyens proclamaient la fraude de cette division, sous prétexte que son intégration était plus accessible par rapport aux autres. Mais la vérité était tout autre.

Les enfants élus au dojo devaient se plier à un entraînement vigoureux, qu’il soit physique ou psychique. Leur immunité en acier ; allant du poison d’une vipère à la toxine botulique, ils ne ressentiraient rien. De plus, la neuvième garde se considérait comme une source d’informations pour les Medicus. Sans oublier de noter qu’ils étaient d’excellents sabreurs. Lila en avait bavé.

La jeune femme les observa passer sans rien dire. Analysant chaque trait de leurs visages, peut-être qu’elle reconnaîtrait l’un d’eux, mais pas du tout. Ce serait un mensonge si elle se disait ne pas désirer revoir ses compatriotes d’antan. Quitter le pays à l’âge de vingt-et-un an et revenir douze ans après, ils devaient se poser des tas de questions à son sujet. Lila ne leur avait pas écrit depuis son départ. Le hic fut son retour, est-ce que l’empereur Maël était au courant ? Cette question rhétorique resta quelques secondes avant de disparaître de sa tête.

L’anxiété se fit sentir alors qu’elle arpenta les marches menant à l’étage supérieur.

  • Lila ?

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