Celui qui fut trahi

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Présent dans la grande salle immaculée, Breig de Caelo n’appréciait plus l’endroit. Il lui rappelait sa première élection à la garde, sa première mission, sa première promotion, sa rencontre avec Lila de Glasmartre, son retour…Doucement, ses songes le plongèrent dans une léthargie de souvenirs où bons et mauvais se mélangeaient.

Elu à l’âge de neuf ans, il était le troisième enfant à faire partie d’une garde aussi tôt dans l’histoire d’Irathen. « Un talent inné sommeillait en lui » telles étaient les paroles de Scrios de Val, passant par le dojo de Sour, situé au nord du pays et à proximité du volcan endormis. Son maniement d’épée avait attiré son attention et son évolution ne confirmait que l’instinct du précédent héritier du trône. Ainsi, de fil en aiguille, il gravait les échelons et devenait l’aile gauche du chef de la première division ; Tiago de Caelo. Etant d’origine inconnue, le jeune homme ne possédait ni nom ni prénom. Au dojo, ils le surnommaient « l’autre », de ce fait, grâce à la tutelle de Tiago, il devint Breig de Caelo. Il lui offrit sa fierté par amour, mais aussi par vanité.

  • Que le monde sache comment moi, Tiago de Caelo, ai réussi à métamorphoser un sans-nom à une personne d’une telle notoriété, avait-il rugi en s’esclaffant.

Sa première mission, qui lui avait presque coûté la vie, était des plus fructueuses. En dépit des péripéties et des sacrifices, Breig revint à moitié mort, la victoire sur ses épaules. Alors qu’il rapportait le déroulement de la mission à Maël de Val, accompagné de Scrios et Tiago, son regard rencontra pour la première fois les iris de Lila de Glasmartre. Ce n’était pas le coup de foudre, Breig n’y croyait pas, néanmoins, aucun mot ne pouvait expliquer l’étincelle qu’il avait ressenti à ce moment-là.

Comme si le temps s’était arrêté, les yeux fixés sur cette jeune fille vêtue d’une robe de servante, le jeune homme qu’il était ne réussissait point à détourner le regard. Son ondulation ébène cascadait le long de son dos, sa frange camouflait ses sourcils, sa simplicité le tisait, le tiquait et l’enfouissait dans une sensation à la fois étrange et familière. Ses perles n’avaient d’yeux que pour l’enfant à ses côtés. Breig ne lui prêta pas grande attention, subjugué par le charme de Lila.

  • Breig, tu te sens mieux ? interrogea Luna une fois près de lui.

Un clignement de paupières et Breig sortit de sa léthargie. La jeune femme face à lui se triturait les doigts, le regard fuyant.

  • Désolé de m’en être prit à toi ce matin, présenta-t-il une fois ses esprits retrouvés.
  • Oh, je t’en prie, ce n’est rien. Je peux comprendre ta réaction. Nous sommes tous abasourdis par son retour et avons l’impression que la situation nous échappe.
  • Elle ne m’échappe pas.

Sa réponse fut simple et sèche, remplie de colère et d’amertume. Chassant les souvenirs épineux qui émergent en sa mémoire, Breig souffla intérieurement et pour se changer les idées, il observa les personnes convoquées. Supposant que cette réunion de dernière minute ne concernait que les chefs de division – étant lui-même un, la surprise se lut sur son visage. Mis à part Luna Lund, Corry Arthus, isolé et un bandage autour de sa tête, fixait ses pieds en silence. Pas loin de lui, Ciara Foscor jouait avec le bout de son fouet, appartenant autrefois à sa grande sœur tandis que Nolan de Glasmartre ne lui portait aucun intérêt.

Un peu plus au milieu, Glenn de Zel balayait la pièce du regard et ce dernier s’illumina à la vue de Luna Lund qui le salua de la main en esquissant un sourire, puis hésita quelques secondes avant de le retrouver, abandonnant Breig à sa contemplation. Son attention se dirigea vers un homme d’une corpulence imposante, parsemée de cicatrices de toute taille. Il n’eut aucun mal à reconnaître le chef de la cinquième division, Strazars ; Byron Corentin. Il s’amusait à embêter et taquiner la grande dame à côté de lui. Mel Ewen, cheffe de la deuxième garde Medicus dont l’expression fut plus que blasée.

Peut-être la plus ancienne de la seconde division, les cheveux bruns de la dame, grisonnant à la racine, furent coiffés en un haut chignon strict, retenus par deux baguettes en séquoia. Aucune mèche n’encadra son visage ridé, la trouvant trop insupportable. La soignante était une femme très courtisée malgré son âge avancé. De par ses iris pers, les hommes avaient l’habitude de tomber aux pieds de Mel Ewen, autrefois. Le cas de Byron Corentin était loin d’être une exception.

Fils cadet d’une famille noble, le regard terrifiant de cet homme camouflait sa vivacité et son extravagance. Ses cheveux courts gris, tirés en arrière, et ses yeux sombre en amende lui donnaient cet air sévère, froid et colérique. Pourtant, sa personnalité se mariait parfaitement à celle d’un gamin de quinze ans ; frivole et plaisantin. Une caractéristique qui lui valut un refus catégorique de Mel Ewen. Cette dernière ne porta aucun intérêt à ses blagues datant de vingt ans auxquelles il fut le seul à en rire à gorge déployée.

  • Pardonnez mon retard.

Amaël de Val pénétra dans la grande salle, suivi par Enora Moshtnost. Le calme s’implanta tandis que les soldats ployèrent le genou devant leur empereur. Ce dernier s’installa sur son trône en observant longuement ses gardes, il inspira :

  • Je suis conscient que cette réunion est des plus soudaines, mais voyez-vous, la situation ne fait que s’empirer.
  • Que vous inquiète-il, mon seigneur ? demanda Mel d’une voix inquiète.
  • Lila de Glasmartre. La plupart d’entre vous la connaisse. Tout le monde la pensait morte, mais elle est revenue saine et sauve il y a de cela moins d’une semaine. Son alibi est vague, voire même floue. Je vous le dis tout de suite, je ne lui fais pas confiance.
  • Elle ne la mérite pas, surtout depuis sa prestation devant sa majesté et son conseil, ajouta Ciara Foscor, les sourcils froncés et les lèvres pincées de colère.
  • Que Lila soit une citoyenne irathienne, ne fait pas d’elle une innocente. Mon rôle de dirigeant ne permet pas la liberté de cette femme sans enquête. Par ailleurs, elle s’est déjà prise à la cheffe du clan Foscor dans sa propre demeure et tourner le dos à son clan de manière nébuleuse. J’ignore ce qu’elle prévoit de faire par la suite et ce en dépit de l’espion qui la traque depuis son retour.
  • Que souhaitez-vous qu’on fasse, mon seigneur ? demanda Byron.
  • Il faut l’attraper coûte que coûte ! rétorqua Ciara en élevant la voix. Si nous la laissons ainsi, nous souffrirons de graves conséquences !
  • Nous devons d’abord garder notre calme, répliqua Nolan de Glasmartre, les émotions peuvent nous conduire à notre perte.
  • Et ta cousine non, peut-être ?
  • Silence ! rétorqua Amaël de Val en se levant d’un bond, montrez un peu de respect devant vitre empereur !

Le calme s’installa de nouveau dans la salle. Malgré le jeune âge d’Amaël, son autorité grandissante instaurait une déférence sans nom à ses sujets. Par conséquent, aucun des soldats n’osa briser la pause. Puis, l’attention du groupe se tourna vers Glenn qui leva timidement la main.

  • Je connais la capitale comme ma poche, commença-t-il en baissant furtivement la tête, je pourrai peut-être demander à mes camarades de vérifier les alentours ?
  • Oui, fais-le. C’est pour cette raison que je t’ai convoqué et non ton chef. Il doit être sûrement soûl à cette heure-ci, Amaël se rassit et inspira profondément. Capturez-moi Lila de Glasmartre.

Ciara Foscor esquissa un sourire victorieux, narguant du regard son fiancé.

  • Capturez-la sans la blesser, sans l’offusquer. Faites tout ce qui est en votre pouvoir pour qu’elle vous suive.

Cette fois-ci, ce fut Nolan qui la nargua du regard.

Tout le monde ici présent ignore le pourquoi de son retour et de ses actions. Néanmoins, tout ce que je sais, c’est que Lila n’est guère le genre à agir sans raison. Peut-être que mes émotions prennent le dessus, mais Lila doit être sauvée par n’importe quel moyen. Je veux la sauver, comme la plupart d’entre vous. En dépit de la colère, de l’amertume et de ce sentiment d’avoir été trahi, elle garde une place bien trop grande dans nos cœurs.

Enora Moshtnost baissa la tête, les souvenirs d’antan se répandirent d’une rapidité ahurissante dans sa tête. Ces moments passés à ses côtés ; leurs bêtises, leurs délires, leurs instants de faiblesses…Tout lui revint tellement vite que les larmes menacèrent de tomber. Soudain, la porte de la salle s’ouvrit dans un fracas. Un jeune homme âgé d’à peine vingt ans entre en titubant, en sang. Son corps trembla comme une feuille tandis que ses yeux violets furent à la recherche de Nolan de Glasmartre. Ce dernier, reconnaissant le vassal de son clan, se retrouva rapidement face à lui, le dépassant d’une tête.

  • Que t’est-il arrivé ? Parle !
  • Une mutinerie… Maître…

Il s’évanouit dans les bras de Nolan dont l’expression définit confusion et trouble.

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