Celui au coeur d'enfant

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Ses mains ensanglantées, Lila de Glasmartre courut à en perdre haleine, tandis que la blessure à sa jambe gauche la lança. La moiteur humidifia ses cheveux ébène, la boue salit ses sandales et le sang de sa blessure tacha le tissu blanc du bandage. Exténuée, elle défaillit, trébucha et tomba la tête la première sur le sol. La fatigue l’empêcha de bouger ne serait-ce qu’un muscle le temps de plusieurs minutes, mais à l’odeur petrichor omniprésente dans l’air, elle comprit qu’elle était arrivée au lac de Dihya.

Une fois son souffle reprit, Lila observa les alentours d’un regard brumeux alors que la douleur à sa jambe redoubla d’intensité. Son esprit analytique remarqua que le niveau d’eau avait baissé, provoquant la terre boueuse où elle avait trébuché. Elle tenta de se rafraîchir, mais sa jambe ne répondit plus ; la blessure s’ouvrit peu à peu. Puis, ses gémissements de douleur, étouffés jusque-là, brisèrent le silence du lac.

  • Fait chier, murmura-t-elle pour elle-même.

Son esprit était bien trop occupé à appréhender son jugement devant le conseil de son clan, qu’elle en oubliait d’apporter un bandage neuf.. Même si son plan ne s’était pas déroulé comme elle l’espérait.


Quelques heures plus tôt.

  • Merci, Alon, sourit-elle, je te revaudrais ça.
  • Tâche de rester en vie.

Pour simple réponse, Lila de Glasmartre hocha de la tête et disparut dans un mirage. Quant à Alon Elric, il soupira de lassitude et souhaita ardemment la discrétion de la jeune femme. La divulgation de ses objectifs était bien trop lourde à porter seule, pensa-t-il en s’asseyant sur le bout de la table. Ses doigts jouèrent avec le marque-page du carnet qu’elle lui avait laissé ; un carnet bien trop précieux pour le garder sur elle.

  • J’espère que tu fais le bon choix, chuchota le bibliothécaire avant de reprendre la routine de ses tâches.

Perchée sur le toit du manoir des Glasmartres, Lila observa la cour où quelques enfants de moins de cinq ans jouaient, accompagnés de leurs parents qui discutaient du beau temps. Une photographie en main, elle examina le visage du garçon avec soin. Elle descendit subséquemment et tomba sur le couloir à moitié vide. A cette heure-ci, les servants s’occupaient du dîner et du linges sales, tandis que les gardiens épiaient tout autour de l’établissement.

Ses cheveux, encore courts, furent coupés en bol dont la frange lui cachait la moitié des yeux ; le rouge présent sur ses joues aussi rondes qu’une tomate ; ses lèvres courbées en un sourire étrange et malaisant, Lila ne put qu’être attendrie. Mais son regard reprit son sérieux à la vue de la ceinture écarlate, son cœur pinça en sachant que cet enfant devait être un membre de la troisième branche. Elle se revit, plus jeune, affrontant ses innombrables cousins sous l’œil jugeur des aînés. De par sa faiblesse et son manque de volonté à combattre, Lila devint rapidement le maillon faible du clan.

Effleurant la photographie du bout des doigts, elle inspira profondément avant de sauter du toit. La ressemblance de leurs traits physiques lui concéda la facilité à se mouvoir entre les membres de la famille sans l’ombre d’interruption. Il était inéluctable que la génétique soit similaire, toutefois, leurs traits du visage différaient. Ce fut pour cette raison que Lila de Glasmartre longea le corridor la tête baissée.

  • Bouge de là, le chétif !
  • Papa, aujourd’hui Donovan s’est encore prit des coups !
  • Pauvre garçon, ils devraient le réorienter à la deuxième branche. Il n’a pas le corps pour devenir un garde.

Les enfants montèrent au rez-de-chaussée, une odeur de sueur se propagea rapidement dans le corridor. Certains gamins esquissèrent un sourire victorieux, tandis que d’autres se retrouvèrent en larmes. Cette scène attrista Lila alors que son regard se perdit dans l’absurdité de cette génération. Elle n’adhérait guère à cette mentalité de crier haut et fort la persécution, mais telle fut l’éducation prodiguée dans cette famille qui se voulut noble ; l’arrogance en étant l’inconvénient phare.

Donovan, le garçon dont elle recherchait, daigna enfin montrer le bout de son nez. Le corps frêle, le regard absent, sa main tenta tant bien que mal de camoufler son œil à l’aide de sa frange. Des rougeurs jonchèrent les bras laiteux du petit, et juste au coin de sa lèvre inférieure, du sang sécha sur la coupure. Il regarda à droite, puis à gauche avant de baisser la tête et patienter dos au mur. La foule ne lui porta aucune attention si ce n’est quelques regards jugeurs, certains exprimèrent même de la pitié. Ainsi, peu à peu, la dissipation du comité encouragea Lila à s’approcher de Donovan.

  • Tu es tout seul ? demanda-t-elle avec un ton qui se voulait doux, mais elle ne reçut aucune réponse. Tu es blessé ? Fais-moi voir ça.
  • Qui êtes-vous ? osa-t-il en ne reconnaissant pas sa frimousse et cacha son œil de plus bel, observant minutieusement sa coiffure courte.
  • Une pression ne doit pas être exercée sur une blessure. Ça donne l’impression d’atténuer la douleur, mais la conséquence en est tout autre. Pourquoi es-tu seul ?
  • … Je ne souhaite pas que père me voie dans cet état, avoua-t-il après un long silence. Je…J’ai peur de sa réaction.
  • Je peux ? demanda-t-elle une nouvelle fois, cette fois-ci, Donovan abdiqua et apprécia la tendresse de son geste sur ses cheveux.

Caressant son front, son attention à éviter à trop toucher son œil gauche calma le garçon. Puis, une fois ses quelques mèches relevées, Lila découvrit sans surprise une ecchymose fraîchement rougie par le coup tandis que la paupière enflée dissimulait son globe oculaire.

  • Tu me rappelles mon enfance, sourit-elle en ébouriffant sa tignasse, je mordais aussi la poussière.
  • C’est vrai ?
  • Oui, je sortais du dojo en pleurs. Tu devrais être fier, à garder ta tête haute de la sorte.
  • Papa dit que mes échecs ne doivent pas entacher ma fierté de Glasmartre. Il dit aussi que je ne dois jamais abandonner malgré la persécution, sous prétexte que c’est ce qui va me forger un caractère d’acier.
  • Tu peux bien avoir un fort caractère sans pour autant frapper les autres.
  • Est-il réellement possible ? s’extasia Donovan, une lueur curieuse brilla au fond de ses yeux.
  • Le temps fera bien les choses, même si tu es trop jeune pour le savoir.
  • Je le souhaite du fond du cœur ! Ainsi, père sera enfin fier de moi !

Lila le jaugea un instant et esquissa un sourire.

  • Es-tu sûr de ton choix ? Une fois ta décision prise, il n’y aura plus de marche arrière.
  • Oui !

Un rire discret s’échappa des lèvres de la jeune femme tandis que Donovan rougit sur le coup, enjoué à l’idée de divertir un adulte. Ensuite, d’un geste doux, Lila plaqua son index et son majeur sur son front où un éclat apparut avant de disparaître en une fraction de seconde. Une lueur qui brouilla la vue du garçon, fit perdre son équilibre et l’enveloppa dans un nuage de sommeil. Endormi, le Glasmartre tomba dans les bras de Lila. Cette dernière ne put s’empêcher de caresser une dernière fois ses cheveux au moment où il se dissipa dans un mirage.

  • Lila de Glasmartre, le conseil vous attend.

Lorsqu’elle se releva, deux gardes l’interpellèrent. Leurs visages exprimèrent l’étonnement après le mépris. Elle n’eut aucun mal à déceler leur dédain en raison de sa nouvelle coupe de cheveux. Rien d’anodin diraient certains, cependant, ces hommes-là comprirent bien évidemment son message caché ; couper les cheveux d’un Glasmartre était un signe de reniement. Ignorant leurs regards dégoûtés, Lila les suivit en silence, un sourire de marbre étira ses lèvres. Sa tête se vida, sa respiration devint plus sereine et ses pas plus légers. Elle n’avait rien à craindre, se convainquit-elle intérieurement.

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