Ceux qui souhaitèrent l'aider

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Au palais, Amaël de Val tournait autour de son secrétaire, frustré par l’annonce de la décision du clan de Nolan de Glasmartre quelques heures plus tôt ; l’emprisonnement de Lila. Cette dernière fut accusée pour fraude, traîtrise et supercherie à cause de son absence de la guerre des Cinq Nations. Et dû à la discrétion imposée par la famille elle-même, l’empereur ne réussit à ajouter son mot tout comme son père et son grand-père avant lui. Ainsi, son souhait d'apporter son aide fut vain. Mais Amaël n’était pas dupe, il était au courant du tumulte provoqué par Lila de Glasmartre et que la colère de son ascendant aggraverait les choses.

Selon les dires de Scrios de Val, ce clan ignorait la définition du mot tendresse, clémence et douceur. Assoiffé de pouvoir et de puissance, ses enfants ne possédaient quasi aucun souvenir joyeux de leur enfance ; un entraînement acharné leur était imposé dès l’âge de cinq ans. Ils grandissaient dans un environnement repoussant. Depuis sa jeunesse, Amaël réfutait les lois érigées par les Glasamrtre ; la division de la famille en trois branches n’invitait qu’intolérance, soumission et envie. L’empereur se souvint de quelques paroles de son grand-père, déçu et accablé par les choix unilatéraux de ce clan, il avait partagé avec lui sa crainte de le perdre et qu’un jour il n’aura plus que les larmes de regret.

Soudain, une lumière s’alluma tandis que les propos de Maël de Val tournèrent en boucle dans sa tête.

  • Serait-ce possible ? chuchota-t-il, les sourcils froncés.

Si son soupçon s’avérait correcte, Lila de Glasmartre représentait un fléau et une délivrance à la fois. Et puis, tout devint clair ; l’union de sa famille et l’abolition des règles furent son objectif premier. De plus, selon les témoignages du garde de la quatrième division, son plan débutait et elle n’avait vraisemblablement pas l’intention d’y aller de main morte. D’abord annoncer son retour de manière surprenante, ensuite tourner le dos à ses semblables, voler un dossier confidentiel et enfin s’attaquer à Ciara Foscor.

  • Mais si son but est d’unir son clan, pourquoi dérober les actes de naissances ? souffla bruyamment Amaël, sentant sa tête chauffer.

Il se pinça l’arête du nez et pressentit qu’il n’y arriverait pas seul. L’imposition d’un interrogatoire serait bénéfique pour lui comme pour elle. Au moins, sa majesté aurait de quoi plaider sa cause. En effet, en dépit de son agressivité à son égard dès son retour, Amaël de Val tenait à ce bout de femme qui lui avait tenu compagnie durant toute son enfance.

Les charges en tant qu’héritier du trône habituaient Scrios à se focaliser sur ses tâches au point d’oublier son fils unique. C’était dans ces moments-là que Lila de Glasmartre avait joué un rôle important dans la vie du garçon qu’il était. Elle nourrissait son cœur d’amour, de sagesse et de tendresse. De plus, Amaël appréciait ses leçons d’histoire occasionnelles, une matière qu’elle affectionnait particulièrement. Et puis de fil en aiguille, un lien fraternel s’était tissé. L’empereur d’aujourd’hui n’oublia jamais cette compagnie qui lui avait beaucoup apportée et ne se permit ainsi d’abandonner Lila. Au fond, il se doutait bien que elle avait ses raisons, toutefois, ses responsabilités prirent le dessus sur ses sentiments.

  • Que craint-elle ? Le rejet ? Les regards de travers ? Quand bien même, ce serait absurde !
  • Ce qui est absurde, mon seigneur, c’est que vous vous parlez à vous-même.
  • Enora !
  • Veuillez excuser mon retard, mon seigneur, dit-elle en ployant le genou. Je me permets de vous informer que Breig ne sera pas opérationnel aujourd’hui.
  • Maladie ?
  • Entre-autre.
  • Il devrait prendre mieux soin de lui, j’ai besoin de son aide et le tiens aussi. Et de celui des autres. Ecoute-moi Enora, convoque ces personnes-là ce soir, ordonna Amaël en listant des noms sur un bout de papier. Tout le monde doit être présent, sans exceptions !
  • Qu’en est-il de Breig ?
  • Qu’il guérisse !

Les bras chargés de livres en tout genre, Alon les déposa négligemment sur une longue table, au milieu d’une salle du deuxième étage. Son corps s’avachit sur la chaise en bois et ne put que souffler de fatigue.

Un désordre pittoresque était toujours laissé suite au passage des nouveaux élus du dojo. Agés d’à peine de dix ans, ces enfants n’assumaient pas encore leurs gestes et ne consentaient point au rangement. De plus, une fois libre de tout engagement, ils fuyaient la bibliothèque comme la peste. En somme, Alon Elric se coltinait le nettoyage et la mise en ordre des lieux. Il avait passé l’après-midi entière à remettre des livres à leurs places, arranger les parchemins abandonnés ouverts et replacer les chaises à leur emplacement initial.

Ce moment fut son seul instant de répit ; accoudé sur la surface de la table, sa tête tomba comme une pierre sur ses avant-bras. Le calme et le vide de l’étage invitèrent le sommeil et Alon ne se fit pas prier. Ses paupières se fermèrent d’une lenteur exagérée, un soupir de fatigue s’échappa de sa bouche tandis que son corps se détendit.

  • Ça fait longtemps, Alon.

Le concerné jura ses bonnes manières qui, inculquées par son oncle, l’empêchèrent d’étrangler la personne en face de lui. Le son de sa voix ne l’étonna pas, bien qu’il ne l’ait pas entendu depuis des années, Alon la reconnut facilement. Avec l’aide de son oncle, ils lui avaient appris l’histoire d’Irathen, de ses origines et du monde. Le bibliothécaire leva le regard vers elle avant de le rabaisser à nouveau. Il ne put que constater que sa bouille d’enfant avait disparu. La beauté de Lila de Glasmartre se résumait à ce qu’on catégorisait de banal, commun et acceptable, mais la couleur de ses yeux lui rajoutait un charme fou.

  • Qu’est-ce que tu me veux ? demanda-t-il sans entrains, ne prenant pas la peine de relever la tête.
  • J’ai besoin de ton aide, un rictus releva le coin de ses lèvres en constatant sa personnalité inchangée.
  • Je l’avais compris.
  • Comptes-tu le faire ?
  • Amaël est au courant pour moi et ça ne saurait tarder pour toi.
  • Je suis au courant. Un espion me traque depuis mon arrivée au pays.
  • Et pourtant tu continues à chercher je-ne-sais-quoi je-ne-sais-où.
  • C’est parce que je ne sais pas où chercher que je suis devant toi aujourd’hui. J’aurai souhaité te laisser en dehors de ça.
  • C’est trop tard maintenant, son regard rencontra enfin celui de Lila et soupira, je suis fatigué, mais je vais te faire une fleur.

Alon s’étira sur sa chaise et lui fit signe de la tête de le suivre. Pénétrant dans son bureau bien ordonné, il invita Lila à s’asseoir en face de lui. Il la fixa quelques secondes et découvrit, non sans surprise, le manque de vivacité dans ses iris. Les expériences douloureuses vécues ne purent se cacher derrière son sourire qui se voulait quand même chaleureux. Une expression arborée par Alon lui-même durant la guerre où il avait énormément perdu.

Sans attendre, Lila posa avec délicatesse les actes de naissances des irathiens, puis un autre livrer – usé et vieillot, juste à côté. Alon prit le plus petit et le feuilleta rapidement tandis que son regard balaya le dossier volé. Aucune information importante n’était inscrite sur les feuilles blanches et usées du carnet ; des notes, de sortes de carte, des gribouillis impossibles à déchiffrer. Puis, il le posa nonchalamment sur la table et refixa la jeune femme.

  • Qui est-ce que tu cherches ?

Le silence brisé par sa question, Lila de Glasmartre esquissa un sourire.

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