Celui qui s'impatienta

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Alors qu’ils n’étaient âgés d’à peine dix ans, Eyden Elohan de Glasmartre eut la brillante intention de promettre une union entre Nolan et Lila. Afin de préserver le gène familial , avait-il déclaré avec fierté. Une idée absurde conduisant à un raisonnement désuet et à l'intolérance. Elle la réfutait en silence, trop effrayée par la froideur de son grand-père à l’époque. Toutefois, à la vue de cette bague dorée, Lila ne put que croire qu’une gradation dut être en cours. D’abord le mariage entre les différents clans, puis l’abolition progressive des branches. Ou pas.

  • J’ignore ce que tu manigances, ni ce que tu cherches, mais ce n’est pas en revenant comme une fleur et foutre la pagaille que t’y arriveras !
  • Ce n’est pas un langage digne d’une Foscor, Ciara.
  • Je t’en foutrai de langage !

Sa patience définitivement perdue, la dirigeante attrapa rapidement son fouet dès que Lila laissa tomber sa garde le temps d’un instant. Le cuir s’abattit sur la commode en bois alors que elle esquiva l’attaque de justesse. Très vite, Ciara reprit le contrôle de son fouet, l’enroulant autour de son bras, son dos incurvé et le poignet dans sa main de libre. Son arme, atypique des soldats des divisions

  • Posture inadéquate, mouvement imprécis, mauvaise observation des lieux. Fiona ne t’a donc rien appris ? analysa sceptiquement Lila, perchée sur le bord de la fenêtre.
  • Je t’interdis de souiller son nom !
  • Répond alors à ma question–
  • Comment oses-tu t’imposer à un chef de clan !

Comprenant que cette discussion ne mènerait nulle part, Lila de Glasmartre prit congé sans attendre une seconde de plus. Lila de Glasmartre n’avait rien à envier ; une taille minuscule, une morphologie en poire et une poitrine quasi-inexistante, les hommes ne se retournaient pas sur son chemin. Sa démarche peu délicate et son comportement sans façon, loin était l’image de l’épouse parfaite. En contraste, malgré son tempérament de feu, la sophistication de Ciara Foscor l’élevait sur un piédestal. Toutefois, la chef du clan l’insupporta au plus haut point ; de par ses manières hautaines et arrogantes, sa colère bouillonna de plus bel lorsque Lila quitta les lieux sans son accord.

Depuis son héritage, sa famille lui vouait un respect sans égal tandis que les conseillers de l’empereur évitèrent toute altercation avec elle. Ainsi, la déférence ne rajouta que plus d’estime à la jeune femme. Autorité et pouvoir devinrent sous possession de Ciara Foscor. De ce fait, rien ne lui fut plus perturbant que de témoigner de l’effronterie et l’insolence de Lila de Glasmartre. Ressassant l’échange, la chef du clan fit les cents pas dans sa chambre ; l’envie de la châtier brûla ses mains. Soudain, elle se vêtit de ses habits de soldat de la troisième division et quitta le manoir d’un pas précipité.


  • Je te signale que nos places sont aux côtés de sa majesté et non pas dans la onzième garde, Breig.

La voix d’Enora fut loin d’être ferme ni sévère, néanmoins, sa remarque n’attira pas l’intérêt de son compagnon d’armes. Ce dernier longea le corridor étroit du dortoir sans dire un mot. Suite au retour de Lila, les émotions de Brieg de Caelo devinrent instables. ; au début surpris par sa survie, puis intrigué par son comportement pour enfin atteindre la colère. Enervé par son mutisme, les questions ne se génèrent pas pour troubler son sommeil. De plus, sa disparition de deux jours n’arrangea en rien son état ; pire, il ne supporta plus l’attente. Ce fut pourquoi il se retrouva en face d’une porte en bois où le nom « Luna Lund » fut inscrit. Breig entra sans toquer sous l’agacement d’Enora Moshtnost.

Recroquevillé tel un fœtus et dormant à poings fermés, Luna parut ne soucier de rien. Sa robe de chambre sombre remonta sur le haut de ses cuisses, tentant chaque voyeur à relever un peu plus le tissu afin d’entrevoir ses fesses. Ce ne fut pas le cas de Breig. Malgré les jurons de sa camarade –qui, alarmée, couvrit le corps de son amie, le soldat ne présenta aucun intérêt à reluquer l’Anakrit ; la précision de son but le rendit indifférent. De par ses pas légers, au moment où il frôla à peine son épaule que Luna réagit au quart de retour.

  • Qu’est-ce vous faites ici ? demanda-t-elle après s’être armée d’un couteau qui menaça la gorge de Breig.

Perdue, le battement de ses paupières grandit en vitesse comme si ce geste l’aiderait à comprendre la visite de ses camarades. Les cheveux en batailles, habillée sans façon et des poches noires en-dessous de ses yeux, la jeune femme avait passé une nuit des plus mouvementées.

  • Calme-toi, Luna, tenta la voix douce d’Enora en s’approchant d’elle, Breig avait besoin de te parler.
  • Ce serait plus simple si tu dégageais ce poignard de ma gorge, commenta le concerné.
  • Oh, pardon ! Comprenez-moi, je ne suis pas habituée aux visites.
  • J’ignore ce que tu endures dans ton entraînement, mais il ne paraît pas des plus fastidieux, plaisanta Enora afin d’apaiser sa camarade.
  • Trêve de bavardages. Luna si nous sommes ici c’est parce que nous avons besoin de ton aide.
  • Tu as besoin de son aide.
  • Enora, pas maintenant.
  • Si c’est à propos de Lila, je ne peux rien faire pour toi, Breig.
  • Pourquoi ?
  • Disons que…Qu’elle a changé…D’une certaine manière…
  • Enchaîne.

Ferme et froid, Breig de Caelo ne se gêna pas à jouer de son autorité afin d’obtenir ce qu’il souhaité et ce malgré le regard désapprobateur d’Enora. Toutefois, entendre Luna blatérer de telles sottises lui était inconcevable pour la simple raison qu’elle ne quittait jamais les bras de Lila, douze ans en arrière. L’Anakrit, après Nolan de Glasmartre, fut la personne la plus touchée suite à l’entente du décès de elle. Mais contrairement au chef du clan, Luna Lund ne se laissa pas ternir par la douleur. Bien qu’elle soit imminente, sa restriction à toucher le fond la fit devenir la femme qu’elle fut aujourd’hui. Ce développement, elle ne le devait qu’à Lila de Glasmartre seulement. De par sa compagnie et ses paroles bienveillantes, Luna réussit à s’assumer, puis peu à peu, à être admise au sein de la onzième garde. Une réussite que elle n’eut la chance d’apercevoir en raison de sa soudaine disparition.

Breig était loin de posséder la patience des Anakrits et encore moins le don de percevoir la vérité qu’avec un seul regard. Néanmoins, une lueur d’effroi brilla aux fonds des perles azurs de Luna Lund.

  • Laisse-la respirer un peu, tu veux ? s’interposa Enora en serrant son étreinte autour de son amie. Tu vois bien qu’elle est exténuée, laissons-la se reposer.
  • C’est ma journée libre en plus, marmonna la concernée.

Soufflant d’exaspération, le jeune homme quitta la pièce en marmottant des injures. Enora fixa l’entrée quelques secondes avant de soupirer intérieurement. Son attention se détourna vers Luna. Son corps, recroquevillé sur lui-même, tremblait de tout son long ; ses paupières closes tandis que ses mains se posaient sur sa tête comme pour la protéger. Faisant preuve d’une douceur maternelle, Enora s’abaissa à son niveau et la prit une nouvelle fois dans ses bras, essayant tant bien que mal de calmer ses tremblements. Aucune chance que Breig lui ait fait cet effet-là, douta la jeune femme en resserrant son étreinte. Elle blâma par la suite le surmenage. Loin d’être commode, leur travail en tant que soldats de la garde impériale pompait toute leur énergie au point de se trouver à terre, exténués. Encore, dû à leur grade, certains se faisaient violence de cacher leurs émotions. Malgré cette envie imminente de crier et de pleurer, exposer leurs ressentis restait un point proscrit, surtout durant une bataille. Ils ne seraient que fardeau de plus sur leurs épaules déjà alourdies par la vie.

  • Assise sur une chaise en bois, Lila de Glasmartre contempla cette enveloppe blanche qu’elle avait reçu cet après-midi.

En raison de l’indésirabilité de sa présence à son retour, elle s’isola dans une cabane enfouie au milieu d’une clairière, juste derrière la montagne en parallèle du palais. Un lieu apprécié auparavant par ses anciens camarades ; ils vivaient et s’entraînaient tous ici. Le dégarnissement rendait les combats plus déchaînés et sans pitié, sans crainte qu’un citoyen ne passe par hasard. Lila en avait bavé. Toutefois, cette cabane, si animée autrefois, sombrait dans le silence absolu. La seule lumière qui l’éclairait n’était que celle de la jeune femme ; une bougie à moitié fondue s’embrasait encore. Malgré la solitude, elle ne désira pas quitter l’endroit.

Une expression déconfite se dessina sur son visage, massant au passage sa jambe gauche. D’habitude bandée de haut en bas, une vilaine cicatrice déchira sa peau laiteuse. Elle la démangeait.

Trois jours s’écoulèrent depuis son combat contre Corry Arthus et le conseil du clan Glasmartre décida enfin à procéder à son jugement ; une décision fatidique qui aurait raison d’elle. Lila sentit son ambition mourir doucement alors que sa main libre joua avec ses ondulations. Son regard plongea dans une léthargie à la vue de ses mèches et ne put que ressentir de la colère. Reprenant ses esprits, elle se leva difficilement et prit une paire de ciseaux dans un tiroir. Une fois face à une glace, ses cheveux jonchèrent le sol tandis que sa coupe devint sauvage. Puis, une fois calmée, Lila s’écroula sur son lit juste après avoir brûlé la lettre par le feu de la bougie.

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