Chapitre 5 : Le feu et la glace

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 Cela faisait maintenant quatre jours que Mia se trouvait à l'Arena. Ils lui avaient laissé sa chambre dans l'infirmerie, faute de pouvoir la placer ailleurs. Elle ne s'en plaignait pas : c'était la seule aile du bâtiment qui était entièrement recouverte de bois et de parquet, ce qui rendait l'endroit beaucoup plus chaleureux que la vieille brique composant le reste de la structure. Elle n'irait pas jusqu'à se dire qu'elle se sentait comme à la maison, mais la transition entre son monde et Irfra lui semblait plus douce en ces lieux.

 Vassili lui avait fait parvenir un petit mot dès le lendemain de son réveil pour lui signaler que le directeur était au courant de sa situation et acceptait qu'elle demeure à l'Arena en attendant de trouver une autre solution. Il souhaitait également la rencontrer, mais, faute de temps, le rendez-vous attendrait encore un peu. Mia accueillit la nouvelle avec un certain soulagement, déjà parce qu'elle avait au moins un endroit où se loger, mais aussi parce que la perspective de rencontrer le directeur et de répondre à ses questions sous ses yeux inquisiteurs -du moins, c'est comme cela qu'elle se l'imaginait- la rendait nerveuse.

Mis à part son angoisse sourde de se faire agresser dans les couloirs, elle ne se plaignait néanmoins pas. Elle appréciait découvrir ce nouvel univers, et, même si son ancienne vie et ses proches lui manquaient inlassablement, elle n'était pas du genre à s'accrocher au passé. Tout était encore trop nouveau pour que le sentiment d'inéluctabilité de son séjour prolongé dans ce monde ne la frappe réellement. Pour l'instant, c'était presque comme des vacances.

Carpe diem.

 Tous les matins, elle retrouvait une nouvelle tenue dans son placard. Généralement, c'était une robe à manches courtes lui arrivant au dessus des genoux, dans des tons pastels. Mia ne s'en plaignait pas non plus : elle avait toujours aimé l'aspect confortable des robes et le style et les couleurs lui semblaient parfaitement appropriés pour le climat printanier de l'école.

Ses journées se résumaient à se balader consciencieusement dans le château ou dans les jardins quand Arry et les autres étudiants avaient cours, et à chercher la compagnie de Lily dans l'infirmerie quand celle-ci était en repos. Bien que curieuse de voir la magie des fées à l'œuvre, elle avait décidé de se faire la plus discrète possible pour ne pas causer de problèmes. Elle évitait également le plus possible de sortir de ses quartiers quand les autres habitants du château avaient quartier libre, préférant se soustraire aux regards tantôt curieux, tantôt hautains qu'on lui renvoyait. Elle n'avait pas encore osé visiter toutes les pièces, ne se sentant pas toujours totalement à sa place. C'était notamment le cas pour la bibliothèque, bien qu'elle sentait que sa curiosité la pousserait bientôt à en franchir l'entrée, à ses risques et périls.

Néanmoins, elle avait pu découvrir quelques informations utiles : l'attitude sectaire des différentes races n'était en général pas un euphémisme, bien que l'école essayait tant bien que mal de rapprocher les peuples en proposant des activités de groupe (notamment sur le panneau d'affichage qu'elle avait pu observer plus en détails à son troisième passage). Sur ces mêmes affiches, elle put apprendre que la direction de l'école était également très attentive à la possible violence découlant des rencontres entre les différents occupants, puisque celle-ci était formellement interdite et lourdement punie. Techniquement, elle était donc en sécurité en ces lieux.

Force était également de constater que les regards négatifs des autres étudiants sur sa personne ne diminuaient pas les jours passants, bien qu'ils semblaient à peine moins appuyés. Parfois, elle croisait quelques personnes qui reniflaient de dédain sur son passage, d'autres qui l'insultaient de « sale humaine » ou de « faiblarde », une poignée d'occupants allant jusqu'à lui profaner des menaces de mort. Généralement, elle essayait de les ignorer après un regard noir, de garder la tête haute en ne leur prêtant aucune attention, et s'enfuyait rapidement le cœur battant vers un endroit vide du château afin de regagner son calme.

 Au bout de quatre jours, ces attaques commençaient à la rendre nerveuse. Non pas par peur, mais parce que ses nerfs d'acier se transformaient peu à peu en caoutchouc. Et puis, c'était de plus en plus dur de les voir comme des bêtes sanguinaires alors que tout ce qu'elle voyait c'était des visages et des corps ressemblant au sien. De faux humains, qui semblaient inoffensifs de prime abord.

Elle devait rapidement se faire violence pour ne pas leur répondre avec acidité et risquer qu'on lui arrache la tête.

Quand Arry n'était pas occupée en classe, les deux jeunes femmes passaient tout leur temps ensemble. La rousse mettait un point d'honneur à intégrer Mia au mieux dans leur univers. Et, au moins, elle la distrayait de sa nouvelle popularité.

– Tes proches ne te manquent pas ? Demanda Arry, alors qu'elles se promenaient dans le jardin en fin d'après-midi.

–Si, bien sûr que si...

Son cœur se serra en pensant à ses amis et à ses parents. Par moments, elle se sentait presque coupable de vivre une nouvelle vie ici alors qu'ils devaient la penser morte. Mais cette perspective était rapidement remplacée par la certitude que cela ne servait à rien de se morfondre sur son sort et qu'elle ferait mieux d'apprendre à vivre en composant au mieux avec les subtilités de ce monde.

De toute façon, elle n'avait pas vraiment le choix. Autant penser à sa survie et ses petits tracas actuels avant de s'attrister sur sa pseudo mort sur Terre. Elle ne les reverrait probablement plus jamais, et, même si cette pensée ne l'enchantait pas, pas plus qu'elle n'était encore réellement imprimée dans sa tête, elle avait d'autres chats à fouetter en cet instant.

Pour l'instant, elle avait encore la vague impression d'être piégée dans un rêve. Partagée entre l'envie d'en découvrir plus, et la peur de mourir si ce n'était pas qu'un simple rêve. Même si une petite voix dans sa tête lui rappelait qu'elle avait déjà failli mourir et que, si ça se trouvait, elle était en fait dans l'au-delà. Les événements de ces derniers jours créaient en elle un véritable tourbillon de sentiments partagés et de pensées confuses. A chaque fois qu'elle tentait d'y réfléchir, elle se retrouvait encore plus perdue qu'avant.

– J'essaye de ne pas y penser, continua Mia.

– Je ne vais pas prétendre que je sais exactement comment tu dois te sentir, mais je comprends que ça puisse être difficile. J'ai été élevée dans une petite tribu très solidaire. Venir ici toute seule... au début, j'ai eu beaucoup de mal à m'y faire. Bien sûr, je peux encore les voir quand ils viennent me rendre visite, ce n'est donc pas pareil, mais... c'est parfois compliqué pour moi.

Mia lui renvoya un sourire contrit, n'étant pas très à l'aise avec la situation. Elle n'avait jamais été douée pour consoler les gens, encore moins pour savoir quoi leur dire dans ces cas-là. D'habitude, quand ses amis avaient un coup de blues, ils allaient simplement s'amuser avec une bouteille ou deux. Autant dire que l'empathie n'était pas sa qualité première. C'était bien pour cela qu'elle s'était enterrée dans l'étude de vieux bouquins poussiéreux, là où elle n'aurait pas à être confrontée à d'autres humains trop souvent.

– Désolée, s'excusa Arry, c'est un peu déprimant comme conversation.

– Pas de soucis, répliqua Mia légèrement, contente du changement de sujet. Au fait, je sais que tu es magicienne, mais... comment ça marche, tout ça ?

Elle avait entendu plusieurs conversations sur la magie au cours de ces derniers jours. Pour elle, c'était semblable à du charabia. Il était également temps qu'elle s'intéresse plus en détails à ce qu'il se passait dans ce monde si elle devait y rester, au lieu de fuir constamment une possible altercation. La seule certitude qu'elle pouvait avoir, c'était qu'acquérir de nouvelles connaissances et informations sur son environnement n'était jamais une mauvaise chose.

– Chez les magiciens ? Hm... c'est un peu compliqué. Il y a plusieurs clans, et chaque clan a un domaine de prédilection : maîtriser les éléments, la métamorphose animale, les sortilèges, contrôler la nature. Dans chaque clan, chaque famille a une spécialité. Généralement, on s'en tient à sa spécialité, c'est déjà assez dur de la maîtriser comme ça. Par exemple, dans mon clan, nous maîtrisons les éléments. Ma famille est spécialisée dans la maîtrise du feu, expliqua-t-elle avec fierté.

Ça explique ses cheveux roux, pouffa Mia intérieurement.

– Et quand deux parents ne proviennent pas du même clan, qu'est ce qu'il se passe pour l'enfant ?

– Très bonne question ! s'exclama Arry. En fait, l'enfant hérite du pouvoir de sa mère. Le père n'a pas d'incidence sur le domaine de prédilection. Si les deux parents proviennent du même clan, disons le clan des éléments, l'enfant prendra généralement la spécialité de sa mère. Il peut préférer la spécialité de son père, mais c'est rare. Chez nous, ce sont plutôt les femmes qui dirigent.

– Ça a l'air sympa !

– Oui, ça a ses avantages, j'avoue, rétorqua-t-elle en lui envoyant un clin d'œil.

– Et pour les autres peuples, comment ça marche ? questionna Mia.

– A vrai dire, je ne sais pas trop. Les vampires et les vilas ont un genre de système de castes selon l'ancienneté de leur famille, les loups-garous et les centaures se regroupent en clans, et les fées ont un Roi et une Reine. Je t'avoue que je ne m'y suis jamais vraiment intéressée... tu devrais aller à la bibliothèque, si tu veux en savoir plus. Tu y as déjà fait un tour ?

– Non, pas encore.

Mia n'osa pas lui avouer qu'elle n'avait pas encore eu le courage de pousser les portes de la bibliothèque, bien qu'elle soit passée plusieurs fois devant au cours de ses explorations. Pour elle, une bibliothèque avait quelque chose de sacré. Se sentant encore étrangère à cet étrange univers, elle ne voulait pas s'approprier un savoir qu'elle n'avait peut-être pas le droit de posséder. Entre poser des questions, observer les individus et enfouir son nez dans leurs bouquins, il y avait un monde, du moins pour elle.  C'était absurde, bien sûr, mais elle n'avait pas encore pu se résoudre à surmonter cette impression.

– D'ailleurs, si ça ne te dérange pas, je peux t'y accompagner tout de suite. J'ai un rendez-vous dans une petite heure, j'aimerais me préparer, rougit-elle.

– Oh, lâcha Mia. Pas de problèmes.

Elle aurait voulu lui demander si c'était un magicien également, mais elle jugea la question un peu trop indiscrète. Après tout, elles ne se connaissaient que depuis quelques jours.

Elle n'avait pas non plus forcément envie d'encourager sa nouvelle amie à lui parler de ses rendez-vous amoureux en lui indiquant qu'elle était toute-ouïe. Elle était curieuse, bien sûr, mais elle n'était pas intéressée par les moindres détails de sa vie amoureuse. Si Arry était le genre de personne à raconter pendant des heures et des heures le moindre détail de ses relations, elle ne voulait pas prendre le risque de lui donner le feu vert.

– Ah, autre chose que tu devrais savoir du coup, commença-t-elle alors qu'elles se dirigeaient vers l'intérieur de l'école. La bibliothèque est un peu le « repaire » des vilas. C'est le seul endroit où tu seras sûre d'en croiser, puisqu'ils ne mangent pas à la cantine de l'école et qu'ils suivent très peu de cours. Ils préfèrent rester entre eux, annonça-t-elle en haussant les épaules. Bref, ils ne devraient pas te chercher de noises, après tout, la bibliothèque n'est pas leur propriété, mais essaye quand même de faire profil bas, d'accord ?

Mia opina du chef sous le regard inquiet de sa nouvelle amie. Celle-ci lui adressa un signe d'au revoir quand elles atteignirent les portes de la bibliothèque et disparut dans le dédale de couloirs. La blonde hésita quelques instants en posant la main sur la poignée et souffla un grand coup pour se donner du courage.

– Tu vas l'ouvrir cette porte, l'humaine ? lui lança une voix acide derrière son dos.

– Va te faire, répondit-elle du tac au tac en abaissant la poignée pour pénétrer dans la pièce.

Le jeune homme lui lança un regard noir, mais continua son chemin. Elle referma rapidement la porte derrière elle et resta plantée quelques secondes à l'entrée, le temps d'assimiler ce qu'elle venait de faire. A quel genre de créature venait-elle de répondre « va te faire » ? Elle déglutit difficilement et prit une grande inspiration avant d'aller se réfugier entre deux étagères.

Tu ferais mieux de tenir ta langue Mia, si tu ne veux pas qu'on te coupe la tête, se dit-elle.

C'était plus fort qu'elle. Elle ne supportait simplement pas qu'on lui manque de respect, et avait réussi à garder à peu près son calme pendant presque quatre jours simplement par peur des représailles, ce qui était déjà beaucoup lui demander. Maintenant qu'elle gagnait en aise et en confiance, et qu'elle perdait surtout en patience, la peur d'un retour agressif semblait s'effacer sous la colère. Dans ces cas là, son instinct semblait plus réglé sur « défendre son honneur » que « défendre sa peau ». A cause de cet aspect de sa personnalité, on l'avait toujours cataloguée comme ayant un problème avec l'autorité. Ce n'était pas qu'elle n'arrivait pas à se plier à l'autorité de quelqu'un, c'était qu'elle ne voulait pas le faire quand cette personne ne le méritait pas. Elle entendait encore sa mère lui dire « c'est pareil, Mia. Les conséquences sont les mêmes. ». Blahblah blah, ricana-t-elle dans son esprit.

Et elle commençait à en avoir assez de raser les murs. Son tempérament téméraire reprenait violemment le pas sur ses instincts de survie. Créatures sanguinaires ou pas, elle en avait marre. Ça ne lui ressemblait pas, de faire profil bas et de tenir sa langue.

Pendant son exploration entre les étagères, elle ne croisa pas grand monde. Elle se détendit en sentant la reliure en cuir des livres sous ses doigts. Elle avait envie de dévorer tous les ouvrages. Son choix s'arrêta sur un bouquin intitulé « Le génocide humain » et elle l'apporta avec elle à une des tables de lecture.

Elle venait à peine de finir de lire la préface qu'une série de frissons envahit sa colonne vertébrale. Une désagréable impression qu'on observait ses moindres faits et gestes la bloqua dans sa lecture. Quand elle se retourna pour essayer d'apercevoir qui était à l'origine de cette sensation, son corps se figea et elle retint sa respiration.

Danger, danger.

Tout son corps lui criait de prendre ses jambes à son cou. Il y avait, à deux tables de la sienne, un beau jeune homme qui la fixait intensément. Pas le genre de regard qui vous fait fondre, et pas le genre de beauté qui vous donnerait des papillons dans le ventre.Non, une beauté froide et un regard glacé. De la curiosité, de la méfiance, du mépris, elle en avait eu des habitants de l'école. Mais de la haine, pure et bouillonnante, c'était une première, et c'était effrayant.

Immédiatement, elle baissa la tête et retourna à sa lecture. Du moins, en apparence. Ses mains moites tremblaient en retournant les pages, et son esprit ne comprenait même pas la moitié de ce qu'elle lisait, trop occupé qu'il était à lui intimer de fuir.

C'est un vila. C'est sûr. Fais profil bas, lui cria son instinct.

L'individu avait l'air parfaitement humain, comme tous les étudiants occupant l'école. A quoi s'était-elle attendue ? A un monstre tout en crocs et en griffes ? Pourtant, l'aura de puissance et de rage qu'il dégageait ne trompait pas quant à sa dangerosité. Il pourrait la tuer en un clin d'œil, elle n'en doutait pas.

Dix minutes plus tard, n'en pouvant plus de ce regard qui lui donnait l'impression que le jeune homme essayait de percer un trou dans son crâne, elle rangea rapidement le bouquin là où elle l'avait récupéré et s'en alla, soulagée.

La bibliothèque, ça sera pour une autre fois, se promit-elle, agacée de prendre à nouveau la fuite.

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